Yves Guyot, La gestion par l’État et les municipalités (Livre I, chapitre 4)

Yves Guyot, La gestion par l’État et les municipalités (1913)

CHAPITRE IV.
LES EXPLOITATIONS INDUSTRIELLES DE L’ÉTAT ET DES MUNICIPALITÉS

 

I. Le rapport de M. Schelle à l’Institut international de statistique. — Nomenclature des exploitations industrielles publiques. — Exploitations très répandues : postes, télégraphes, téléphones, monnaies.

II. Pays : Danemark, Suisse, Pays-Bas, Italie, France, Belgique, Suède, Autriche, Allemagne.

III. Royaume-Uni et États-Unis.

IV. Le London County Council.

V. L’activité municipal de la Russie.

VI. La Nouvelle-Zélande. — Socialisme d’État le plus développé. — À quels objets il s’applique.

VII. La nationalisation du sol en Nouvelle-Zélande.

VIII. Les exploitations industrielles d’États et de municipalités sont très restreintes.

I. Quand les zélateurs du « transfert des entreprises industrielles et commerciales aux collectivités publiques » affirment qu’il est général et irrésistible, ils donnent leurs aspirations pour des faits accomplis. Les entreprises publiques existant actuellement sont très limitées.

À la session de 1909 de l’Institut international de statistique, une commission, sur la proposition de MM. Raffalovich et G. Schelle, fut instituée en vue d’une statistique des exploitations industrielles des États et des municipalités vendant des services ou des produits au public.

Les membres de cette commission étaient : MM. Yves Guyot, président ; Colson, Raffalovich, Fellner, Nicolai, Hennequin et Schelle, rapporteur, qui remit son rapport à la session de l’Institut international de statistique à La Haye en 1911.

Il énumère les services ou les industries monopolisés par les États ou les municipalités.

Les États exploitent eux-mêmes :

Les postes, dans tous les pays.

Les télégraphes, dans tous les pays, sauf les États-Unis.

Les téléphones, dans tous les pays, sauf les États-Unis.

Les États frappent monnaie, soit à leurs frais, comme l’Angleterre, soit en opérant un léger prélèvement à la fabrication.

Dans la nomenclature suivante, nous ne parlerons pas de ces quatre services, à moins qu’ils ne présentent un caractère spécial dans les pays considérés.

II. Le rapport commence par le Danemark. On sait que c’est un pays très actif et très industrieux, mais dont la population est moins que celle de la ville de Paris.

Le Danemark a pour l’armée 20 entreprises occupant ensemble 2 335 personnes ; les chemins de fer comprenant 37 entreprises avec 4 797 personnes. Il a en outre 16 entreprises employant 279 personnes dont un établissement de couture et un atelier de menuiserie pour le Théâtre royal.

Le total de ces entreprises est de 73 avec 7 576 personnes, dont 7 166 ouvriers. Mais la plupart ne rentrent pas dan la définition ci-dessus. Cependant, si la manufacture d’Usserved a pour but principal de fabriquer des draps pour la troupe et la marine, elle a un magasin de vente au public. La poudrerie de Frederckvaeck a le monopole de la fabrication de la poudre. Les trois ports d’Helsingœr, de Frederckshavn et d’Esbjerg sont les trois grands ports d’État. La manufacture royale de porcelaine n’est pas comptée parmi les industries d’État.

Pour les municipalités, dans le recensement de 1906, on trouve 43 distributions d’eau ; 1 entreprise de pavage ; 2 entreprises de terrassement ; 1 entreprise de curage ; 2 entreprises de construction avec 29 ouvriers ; 1 atelier de réparation du matériel d’un port ; 1 entreprise d’installation de gaz et d’eau ; 2 entreprises de moulage ; 1 entreprise d’installation d’appareils électriques ; 8 entreprises de production et de distribution d’électricité ; 60 usines à gaz ; 2 entreprises de démolition ; et enfin un ramoneur et un mécanicien sont considérés chacun comme une entreprise municipale. Le total est de 127 entreprises comprenant 2 274 personnes, soit une moyenne de 17 personnes.

En Suisse, l’administration du monopole de l’alcool achète de l’alcool de pommes de terre et le revend ; il ne fabrique pas.

Dans les Pays-Bas, l’État exploite le Journal officiel, les mines de houille de Wilhelmine et d’Eurena ; les chemins de fer de l’État sont exploités en régie par une société privée.

En Italie, dans un rapport présenté à la Chambre des députés le 11 mars 1902, M. Giolitti, ministre de l’Intérieur, a donné des renseignements statistiques sur les principes exploitations industrielles municipales jusqu’en 1901. On comptait 171 abattoirs, 151 entreprises d’adduction d’eau et puits artésiens, 24 usines de production d’énergie électrique, 20 lavoirs, 15 usines à gaz, 12 entreprises de pompes funèbres, 12 bains publics, 4 glacières, 3 entreprises d’enlèvement des ordures, 3 entreprises d’irrigation, 2 fours, 2 pharmacies et quelques autres services secondaires.

La loi du 29 mars 1903 a énuméré 19 sortes de services dont les municipalités peuvent se charger. En dehors des services usuels, eau, gaz, électricité, etc., il faut mentionner les pharmacies, les moulins et fours comme « régulateurs normaux » des prix, les glacières, l’affichage public, les séchoirs et dépôts de maïs, la vente de graines, semences, plantes, vignes et autres plantes arborifères et fructifères.

La même loi a déterminé de quelle manière les communes pouvaient opérer le rachat des concessions exploitées par l’industrie privée. Les communes doivent payer aux concessionnaires une indemnité équitable, pour laquelle on tiendra compte :

a) De la valeur industrielle de la construction et du matériel mobilier et immobilier ;

b) Des avances ou subsides donnés par les communes, des taxes d’enregistrement avancées par les concessionnaires et des primes qu’ils ont pu payer aux communes ;

c) Du profit que le rachat fait perdre au concessionnaire à raison du taux de l’intérêt légal et pour le nombre d’années à courir jusqu’à la fin de la concession, d’annuités égales à la moyenne des profits des cinq dernières années écoulées (sans y comprendre l’intérêt du capital).

La loi du 4 avril 1912 a établi le monopole des assurances sur la vie.

Le rapport du congrès de la Fédération des régies municipales tenu à Vérone les 21 et 22 mai 1910, énumère 74 services en régie spéciale dont 31 existaient avant la loi de 1903. Ce serait une preuve qu’elle ne les a pas beaucoup développés.

La France compte : 1° comme monopoles fiscaux, les allumettes, tabacs et poudres ; 2° les services postaux ; 3° les chemins de fer de l’État comprenant le réseau antérieur au rachat de l’Ouest ; le réseau de l’Ouest et le chemin de fer de Saint-Georges-de-Commiers à La Mure (Isère), dont l’exploitation constitue une régie distincte de celle des chemins de fer de l’État.

Ce troisième réseau est peu connu.

Autres entreprises : Imprimerie nationale, Journal officiel, administration des monnaies et médailles, manufacture de porcelaine de Sèvres, manufacture des tapisseries des Gobelins, manufacture des tapisseries de Beauvais, service des eaux de Versailles et de Marly, les haras, établissement thermal d’Aix-les-Bains.

La ville de Paris a organisé plusieurs exploitations commerciales. En 1890, elle avait installé un secteur municipal d’électricité auquel elle a renoncé en 1907. Elle a pris en régie directe, depuis le 1er juin 1910, l’exploitation du funiculaire de Belleville. Elle a municipalisé en 1905 le service des pompes funèbres. Elle exploite une carrière de pavés pour les rues de la ville ; ce sont les seules régies directes de la ville de Paris. Elle a eu le tort d’instituer une régie intéressée du gaz. Pour l’eau, la ville de Paris s’est chargée de construire et d’entretenir les usines élévatoires ainsi que les canalisations, mais elle a concédé à une compagnie le soin de faire les branchements pour les particuliers, de conclure les abonnements et d’encaisser les recettes.

Le conseil municipal de Paris a concédé l’électricité jusqu’en 1940, les moyens de transport à la surface et souterrains.

Belgique. — L’État possède et administre presque tous les chemins de fer.

Il a le service des paquebots d’Ostende à Douvres et le passage d’eau d’Anvers à la porte de Flandre.

Suède. — Chemins de fer de l’État.

Autriche. — D’après un travail dressé, sous les auspices de M. Grüber, par le Docteur Rudolf Riemer, secrétaire du bureau central de la statistique, outre les monopoles habituels, l’Autriche possède des monopoles fiscaux : tabac, sel, poudre, loteries, des chemins de fer ; une imprimerie nationale, le journal officiel, des docks, des haras, des forêts et domaines, des mines.

Des municipalités, dont M. Schelle n’a pas la liste, exploitent des usines à gaz et à électricité, des pompes funèbres, des bains, des monts-de-piétés, des établissements horticoles, des abattoirs, des caisses d’épargne, des théâtres, des docks, des usines hydrauliques, des carrières, des tramways, des journaux populaires.

Allemagne. — M. Schelle n’avait reçu de renseignements ni sur les chemins de fer allemands, ni sur les mines fiscales de la Prusse. Elle exploite de la houille dans la Haute Silésie, le Deister et Oberkirchen, dans la Westphalie et dans la Sarre. Ces mines représentaient, en 1910, 91 671 employés et ouvriers. [1]

L’État prussien exploite encore de la lignite, de l’ambre, des minerais de fer, d’autres minerais, du calcaire et du gypse, des sels de potasse, du sel gemme, du sel raffiné, des hautes fourneaux et il a des fonderies de métaux autres que le fer. Ces diverses industries représentent un personnel de 12 759, ce qui fait pour les deux catégories un total de 104 410. Il exploite aussi la Banque prussienne[2].

III. Le rapport de M. Schelle ne mentionne pas d’exploitations publiques faites par le Royaume-Uni et les États-Unis. Les résultats de l’enquête faite par la National civic federation américaine, en vue de savoir si les municipalisations faites dans la Grande-Bretagne devaient être imitées aux États-Unis, ont été publiés en 1907 (trois volumes) ; mais les renseignements donnés sont fort incomplets.

Dans le Royaume-Uni, le téléphone n’a été monopolisé par l’État qu’en 1912.

Dans les États-Unis, le télégraphe et le téléphone sont encore des industries libres.

Le postmaster général des États-Unis, dans son rapport de 1912, demandait l’annexion du service télégraphique ; mais le président Taft, en le transmettant au Congrès, déclara qu’il n’était pas du tout de cet avis[3].

Le président complimenta cependant le postmaster général d’avoir fait des économies ; mais le Journal of commerce remarque que faire des économies et assurer l’exploitation économique d’un service sont choses fort différentes.

Dans les Iles britanniques, les entreprises municipales se sont multipliées à la suite du Public health act de 1875 qui a permis aux districts sanitaires d’établir des distributions d’eau et de gaz ; du Municipal corporation act de 1882 qui a codifié le droit municipal. Cet acte donne aux municipalités le droit de dépenser leurs revenus, mais pour contracter des emprunts, achats ou vente de terrains, elles doivent obtenir des Private acts du Parlement.

Les exploitations industrielles des municipalités britanniques sont beaucoup moins importantes que ne le feraient supposer les dithyrambes en leur honneur, prononcés par les fanatiques de la régie directe. Je n’en veux pour exemple que les exploitations du London County Council.

IV. Le London County Council fut créé en 1888. Le County Council, de 1888 à 1894 et de 1898 à 1906, s’intitula progressiste. Il faisait consister le progrès en une mainmise de son autorité sur le plus grand nombre possible de services. Cependant, la distribution de l’eau ne dépend pas de lui, malgré tous ses efforts pour l’obtenir ; elle est placée, par la loi de 1902, sous le contrôle du Metropolitan water board, composé de soixante-dix représentants des diverses autorités locales comprises dans l’aire de la distribution qui n’est pas moins de 537 milles carrés, soit cinq fois celle de Londres. Il a le droit de lever des taxes. Il acquit à l’amiable les entreprises de huit sociétés pour un total d’environ 47 500 000 francs ; il a dépensé 1 million ½ de livres sterling en travaux ; en 1904, il fournissait 81 823 millions de gallons d’eau à 7 millions de personnes, soit 32 gallons par jour et par tête, soit « 145 l. 28 » dont 53 p. 100 proviennent de la Tamise, 25 p. 100 de la rivière Lea et 22 p. 100 de sources et de puits.

Les docks de Londres avaient été établis par des sociétés privées. En 1907, le gouvernement déposa un bill, transférant les entreprises des compagnies des docks, qui reçurent 22 368 916 livres sterling d’indemnité, à the Authority port of London. Cette « corporation », présidée par lord Devonport, qui s’est montré si énergique dans la grève des ouvriers des transports, se compose de trente membres, nommés par le gouvernement, par les autorités municipales et par les commerçants. Elle est tellement indépendante du London County Council que celui-ci refusa de garantir l’emprunt qu’elle dut faire pour l’indemnité à payer aux compagnies des docks.

Le London County Council ne fournit pas non plus le gaz aux habitants. Les sociétés productrices de gaz s’établirent librement. En 1855, il y en avait 20 qui étaient réduites à 13 en 1860. Plusieurs fusions se produisirent, qui nécessitèrent des bills privés. De là, une intervention qui établit une échelle de dividende proportionnelle à la diminution du prix du gaz. Le taux est fixé à 4 p. 100. S’il y a diminution du prix, le dividende peut être augmenté de 1/5 pour chaque penny de diminution du prix, fixé à 3/2 d. par 1000 pieds cubes de gaz de 14 bougies. S’il y a augmentation, le dividende doit être diminué dans la même proportion. Londres est éclairé par deux compagnies de gaz. L’une le vend au prix de 2/7 d. Le London County Council n’a qu’un droit de vérification sur la qualité.

L’act de 1882, relatif à l’éclairage électrique, stipulait que les administrations locales pourraient racheter au bout de vingt et un ans, toute entreprise établie sur leur territoire. La loi de 1888, étendit la période de rachat à quarante-deux ans.

Les divers pouvoirs locaux de Londres ont assuré le service de l’électricité de diverses manières : dans 16 sur 29 des divisions locales de Londres, il y a une régie municipale ; mais elles ne représentent qu’une surface de 55 milles 1/2, tandis que les sociétés électriques desservent une surface de 64 milles 1/2 carrés. Dans le Greater London, les régies municipales desservent 167 milles carrés et 19 sociétés 331 milles.

Le London County Council, en 1907, fit le profit de créer une centrale électrique desservant une surface de 451 milles carrés : mais la « majorité progressiste » du London County Council fut remplacée par une « majorité modérée » ; ce projet fut abandonné. Le Parlement a adopté un bill, réclamé par huit sur les dix sociétés existantes, leur permettant de réunir leurs réseaux en s’associant. Toutefois, le London County Council, aura droit de les racheter à partir de 1931 ou après toute période ultérieure de dix ans.

Le London County Council n’a exercé son activité que sur les tramways. En 1870, le tramway act autorisa une administration locale, ou une société privée munie de son assentissement, de demander un bill privé pour établir une ligne. Le Metropolitan board of Works de Londres, concéda quelques lignes à des sociétés. En 1894, le London County Council demanda le rachat ; en 1898, il racheta deux compagnies dont l’une possédait 43 milles de tramways au nord de Londres ; il lui laissa le droit d’exploitation pendant quatorze ans. En 1898, il commença l’exploitation des autres tramways, il racheta la fin du bail de l’autre compagnie en 1906. Il a maintenant 136 milles de tramways et ses recettes baissent.

Le London County Council a exploité, à partir de 1906, un service de bateaux sur la Tamise ; les deux premières années, il se traduisit par un déficit de 90 683 livres sterling. Le service fut abandonné un ou deux ans plus tard. Les trente bateaux qui avaient coûté, en 1906, 7 000 livres sterling chacun furent vendus en bloc pour 18 204.

Le London County of London a entrepris la démolition et la construction d’un certain nombre d’habitations à bon marché. Donc, en fait de services industriels municipaux, il a exploité le service de bateaux sur la Tamise, et il exploite des tramways.

Les partisans de la régie directe n’en disent pas moins qu’ « en principe la régie municipale a été acceptée » ; seulement, ceux qui sont de bonne foi ajoutent : « Mais l’opinion publique l’a confinée dans des bornes très étroites[4]. »

V. D’après un article de la Fortnightly review de janvier 1905, c’est en Russie que la gestion directe locale a le plus d’extension : vente de machines agricoles, de médicaments, de lanternes magiques, de traductions de Molière et de Milton, de livres comme les romans expurgés de Dostoiewski, de machines à coudre, et de viande.

On dit que les villes n’ayant pas de ressources, si elles demandent des subventions au gouvernement, la haute administration leur répondra : Municipalisez ; ce conseil ne lui coûte rien.

VI. Le socialisme d’État a son expression, la plus développée dans la Nouvelle-Zélande.

La constitution de 1852 a donné à ses législateurs tous les droits, sans autre restriction que « de ne pas faire des lois répugnant à la loi anglaise ». Leurs pouvoirs ne sont pas limités comme aux États-Unis par une Cour suprême.

La Nouvelle-Zélande est isolée ; elle n’a pas de concurrents ; elle produit des matières premières, comme la laine ; elle a un territoire de 271 300 kilomètres carrés, plus grand que la moitié de celui de la France et une population de 1 044 000 personnes représentant 4 habitants par kilomètre carré.

Des expériences faites sur une population restreinte, répartie sur un vaste territoire n’ont pas les mêmes conséquences que celles qui seraient tentées sur des populations de plusieurs millions d’habitants concentrés sur un espace étroit.

Dans leur livre State socialism in New Zealand[5], MM. Le Rossignol et William Downie Stewart nous donnent un tableau complet des entreprises socialistes qui y ont été faites.

La plus grande partie du sol était terre domaniale. On verra cependant plus loin que le gouvernement ne l’a pas gardée pour l’exploiter.

Dès 1869, la Nouvelle Zélande fut dotée d’une assurance sur la vie par l’État. Mais l’homme qui a le plus contribué à développer l’activité de l’État est Vogel. En 1870, il traça un vaste programme de travaux, comportant en dix ans une dépense de 10 millions de livres sterling qui en atteignit le double.

En 1876, il abolit les provinces, prit les terres et les chemins de fer, et chargea le gouvernement général d’une administration développée, de dépenses prélevées à l’aide d’impôts ou engagées à l’aide d’emprunts et d’une lourde dette.

En 1879, la Nouvelle Zélande fut frappée d’une crise qui l’aurait ruinée si elle n’avait été sauvée par l’application des procédés frigorifiques au transport de la viande ; mais il ne lui fallut pas moins de seize années pour se relever.

Je ne parlerai pas ici de la législation sociale, établie par M. William Pemler Reeves, de 1890 à 1895, et qui a été souvent remaniée.

La Nouvelle Zélande exploite actuellement : le télégraphe depuis 1865, les chemins de fer depuis 1876, les téléphones depuis 1884 ; les mines de charbon, l’assurance contre les accidents depuis 1901 ; l’assurance contre l’incendie depuis 1903, à des taux qui rendent toute concurrence impossible.

De temps en temps, l’État s’est livré à de petites industries, telles que l’achat de brevets pour l’exploitation du procédé cyanidrique, que l’État loue aux mineurs moyennant une certaine redevance ; l’administration des bancs d’huîtres d’Auckland ; l’établissement de pêcheries, le repeuplement des rivières avec des truites et l’installation d’établissements pour touristes et malades.

Dans cet État qui représente le maximum des entreprises socialistes, peu d’industries sont gérées par l’État.

Naturellement, il ne se passe pas un mois, dit M. Scholefield, que quelques réunion ne demande au gouvernement de se charger de quelque nouvelle industrie : aujourd’hui de la banque ; une autre fois de la boulangerie. Souvent des réformateurs modérés ont demandé au gouvernement de prendre le monopole des spiritueux ; d’autres fois, celui du tabac et enfin d’acheter des steamers pour lutter contre le monopole des lignes en service.

« Mais, disent MM. Le Rossignol et W. Downie Stewart, il semble que l’opinion se prononce de plus en plus contre une extension trop rapide du socialisme d’État[6]. » (P. 17.)

VII. La nationalisation du sol. — La Nouvelle-Zélande a fait une expérience d’autant plus intéressante que la plus grande partie du sol était terre domaniale. L’État devait-il la conserver ou en permettre la transformation en propriétés privées ?

Voici les détails que je trouve sur cette question dans le remarquable ouvrage : The state socialism in New Zealand, que j’ai déjà cité.

Rolleson, qui devint ministre de la Terre en 1879, exposa qu’un tiers des terres de la couronne devaient être louées à perpétuité, moyennant une rente de 5 p. 100 sur la valeur de la terre, avec révision tous les vingt et un ans. Les ressources qui en résulteraient seraient appliquées à l’enseignement.

La haute Chambre donna le droit d’achat à la valeur de la prairie, soit 1 livre sterling par acre, dès que les propriétaires en avaient cultivé un cinquième.

La législation socialiste se développa quand le parti libéral, ayant acquis la majorité dans les élections du 5 décembre 1890, arriva au pouvoir sur deux questions : l’agitation contre les grandes propriétés ; l’agitation des ouvriers, dont les salaires étaient tombés depuis 1879 et qui, au mois de novembre, avaient tenté une grève inefficace.

M. John Ballance qui, le 24 janvier 1891, devint chef du cabinet était, avec M. John Mackenzie, ministre de la Terre, partisan de la réforme du régime et de la propriété ; ils mirent en vigueur coup sur coup cinq acts qui ont subi depuis plusieurs modifications.

Ballance, partisan de la nationalisation du sol, voulait qu’un tiers des terres restât au gouvernement pour être loué par lui avec des changements périodiques d’évaluation. Son projet échoua. M. Mackenzie fit des baux de neuf cent quatre vingt-dix-neuf ans, au taux de 4 p. 100 de la valeur au moment de la location sans révision d’évaluation. La limite pour une location était de six cent quarante ans pour les terres de première classe et deux mille ans pour les autres.

Ce système reçut le nom du « bail éternel ». Avec ce taux de location, l’État percevait beaucoup moins que s’il avait gardé la faculté d’imposer.

Cependant, au bout de dix ans, les locataires perpétuels demandèrent le droit d’acheter les propriétés qu’ils occupaient. Le Labour party demandait d’introduire le droit de réviser les évaluations. En 1907, le droit d’achat fut reconnu, mais dans des conditions d’évaluation qui provoquèrent les plus fortes objections. Les cultivateurs demandaient que la valeur de la terre fût capitalisée au taux de 4 p. 100 sur la valeur primitive de la terre.

La location perpétuelle fut abolie par l’acte de 1907 ; les baux perpétuels, qui étaient appliqués depuis quinze ans à 2 millions d’acres, les meilleures terres de la colonie, furent convertis en baux renouvelables au bout de soixante-six ans avec renouvellement de l’estimation de valeur à la fin du bail ; mais les terres publiques peuvent toujours être vendues immédiatement ou moyennant un droit d’occupation avec promesse de vente. C’est une erreur de croire que le gouvernement de la Nouvelle Zélande possède tout le sol.

Au 31 mars 1906, les 18 500 000 acres du sol se répartissaient ainsi :

Propriétés privées ……    18 500 000

Louées ……..           17 000 000

Possédées par les indigènes …..           8 250 000

Impropres à la culture ……        7 000 000

Disponibles ……     8 300 000

On estime que 63 p. 100 des familles ont des propriétés de 100 livres sterling et au-dessus ; et il est probable que 75 p. 100 des familles ont des propriétés, un certain nombre de petites propriétés échappant à l’impôt. Les non-propriétaires sont des jeunes gens, gagnant de larges salaires, qui, avec de la santé et un peu de chance, arriveront à une bonne situation.

Les lois sur la terre ont augmenté le nombre des propriétaires : et quoiqu’elles eussent un but socialiste, elles ont obtenu des effets antisocialistes, puisqu’elles ont constitué des propriétés privées.

Le Labour party demande la nationalisation de la terre ; mais les locataires, appuyés par les propriétaires, ne cessent de réclamer le droit de transformer leur bail en propriété. En cas de crise ils réclament un abaissement de la location. Un témoin, devant la commission de la terre, en 1905, fit cette observation profonde : « Je crois à la propriété, parce que, en cas de trouble, c’est sur le propriétaire que l’État s’appuiera, tandis que le locataire est l’homme qui, en temps de trouble, réclamera à l’État. »

MM. Le Rossignol et W. D. Stewart, les auteurs du State socialism in New Zealand, concluent :

« Il n’est pas facile de montrer que la Nouvelle-Zélande ait recueilli un avantage quelconque de son système de location sur le système de la propriété combiné avec l’impôt. »

VIII. Conclusions

Sauf aux États-Unis, les services des postes, des télégraphes et des téléphones appartiennent à l’État ; la frappe des monnaies relève aussi de l’État ; les chemins de fer sont nationalisés en tout ou partie, en Allemagne, en Autriche-Hongrie, en Italie, en Danemark, en Suède, en Belgique, mais l’étendue des réseaux privés est plus grande que celle des États.

Les exploitations industrielles des États et des municipalités sont très restreintes. Cependant, elles sont déjà assez étendues pour qu’on puisse examiner si l’expérience prouve qu’elles ont répondu aux illusions et aux promesses de leurs promoteurs.

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[1] V. Circulaire du comité des houillères, 20 février 1912.

[2] Journal des Économistes, octobre 1912, article de M. A. Raffalovich.

[3] Journal of commerce de New York, 24 février 1912.

[4] Claud W. Mullins. L’Activité municipale de Londres. Revue économique internationale, 1910.

[5] State socialism in New Zealand, by James Edward Le Rossignal, professor of Economics in the University of Denver (Etatss-Unis), and by William Downie Steward, barriste rat law, Dunedin, New Zealand. Un vol. in-12. George G. Harrop and Cie, London.

[6] New Zealand in evolution, p. 258.