Voir l’invisible

Il existe deux facteurs principaux expliquant la persistance du socialisme dans la culture. Le premier, c’est que les gens ne comprennent pas le fonctionnement de l’économie et son élucidation des causes et des effets dans la société. Le second, c’est l’absence d’imagination renforcée par cette ignorance. Si vous ignorez les relations de cause à effet dans la société, il est impossible de comprendre intellectuellement les vraies solutions ou d’imaginer comment le monde fonctionnerait en l’absence de l’État.


Voir l’invisible

Par Llewellyn H. Rockwell, Jr.

Traduit par Victor Stepien, Institut Coppet

 

Même de nos jours, les gens ne pensent pas à deux fois avant de professer leur attachement à l’idéologie socialiste lors de soirées distinguées, dans des restaurants qui servent de la nourriture abondamment, et dans les plus chics appartements et maisons que l’humanité ait pu connaître. En effet, il est encore à la mode d’être socialiste et, dans certains milieux, comme le monde de l’art et de l’université, c’est même requis socialement. Personne ne prendra peur. Quelqu’un vous félicitera ouvertement pour votre idéalisme. De même, vous pouvez être sûr de trouver des personnes d’accord avec vous pour décrier les méfaits de Wal-Mart et de Microsoft.

N’est-ce pas remarquable ? Le socialisme (sa vraie version) s’est anéanti il y a presque vingt ans – des régimes vicieux fondés sur les principes du marxisme, renversés par la volonté du peuple. Après cet événement, nous avons constaté que ces sociétés qui étaient auparavant délabrées sont revenues à la vie et sont même devenues des sources majeures pour l’économie mondiale. Le commerce s’est étendu. La révolution technologique atteint des miracles de jour en jour sous nos yeux. Des millions d’individus sont beaucoup plus prospères, et cela ne cesse d’augmenter. Tout ceci s’explique uniquement grâce au marché libre, qui possède un pouvoir créateur qui a été sous-estimé même par ses sympathisants les plus enthousiastes.

De plus, il n’aurait pas dû être nécessaire d’attendre l’effondrement du socialisme pour prouver cela. Le socialisme a toujours échoué. Et depuis l’ouvrage de Mises s’intitulant Le socialisme en 1922, on a compris que la raison précise, c’est l’impossibilité économique de l’émergence de l’ordre social dans l’absence de propriété privée lorsque l’on considère les moyens de production. Personne n’a jamais réfuté ceci.

Et pourtant, même maintenant, des professeurs d’université décrient le caractère néfaste du capitalisme devant leurs étudiants. Les best-sellers ont comme thème l’anticapitalisme. Les hommes politiques nous racontent à longueur de jour les choses glorieuses que le gouvernement accomplira quand ils seront au pouvoir. Et tous les maux du monde que l’on rencontre chaque jour, même ceux qui sont causés directement par le gouvernement (comme les retards d’avion, la crise immobilière, la crise de l’école publique qui n’en finit jamais, le manque de soins de santé offerts à tous), auraient pour origine néfaste l’économie de marché.

Par exemple, l’administration Bush a nationalisé la sécurité des compagnies aériennes après le 11 septembre, et presque personne (sauf Ron Paul, bien entendu) n’a remis en cause l’idée que c’était nécessaire. Le résultat, c’est un désordre incroyable qui peut être constaté par chaque voyageur, alors que les retards s’accumulent et que les humiliations deviennent une partie intégrante du voyage par avion. Et pourtant, à qui nous en prenons-nous ? Lisez-donc les lettres aux rédacteurs de journaux. Lisez les montagnes d’articles écrits par les journalistes à ce propos. Le tort est porté aux compagnies aériennes privées. Soit la solution suivante : davantage de régulations, davantage de nationalisations.

Comment pouvons-nous expliquer ce spectacle désastreux ? Il existe deux facteurs principaux. Le premier, c’est que les gens ne comprennent pas le fonctionnement de l’économie et son élucidation des causes et des effets dans la société. Le second, c’est l’absence d’imagination renforcée par cette ignorance. Si vous ignorez les relations de cause à effet, il est impossible de comprendre intellectuellement les vraies solutions ou d’imaginer comment le monde fonctionnerait en l’absence de l’État.

Ces lacunes peuvent être comblées. Penser en termes économiques, c’est se rendre compte que la richesse n’est ni donnée ni un accident de l’histoire. Elle ne descend pas du ciel comme la pluie. C’est le résultat de la créativité humaine dans un environnement de liberté. La liberté de posséder des choses, de faire des contrats, d’économiser, d’investir, de s’associer, et de faire du commerce : ce sont là les clés de la prospérité.

Sans ces libertés, où serions-nous ? Dans un état de nature, c’est-à-dire une population diminuée qui se cache dans les cavernes et qui vit de ce qu’elle chasse et récolte. C’est le monde dans lequel les êtres humains se trouvaient avant que l’on ne fasse autrement ; et c’est un monde dans lequel nous pourrions retourner si quelque gouvernement arrivait à nous dérober notre liberté et nos droits de propriété privée de manière absolue.

Cela paraît être un argument simple, mais c’en est un qui échappe même à une grande partie du public éduqué. Le problème principal, c’est leur incapacité à comprendre que la rareté est un élément omniprésent dans le monde et la nécessité d’un système qui distribue rationnellement les ressources à des fins optimales socialement. Il n’existe qu’un système qui permette de faire cela, et ce n’est pas la planification centralisée, mais le système de prix offert par le marché libre.

L’État déforme le système de prix d’une myriade de façons. Les subventions court-circuitent les jugements du marché. Les interdictions de certains produits ont pour effet l’ascendance de produits et de services moins désirables à l’encontre de produits qui seraient plus désirables. D’autres régulations ralentissent les roues du commerce, contrecarrent les rêves des entrepreneurs, et déjouent les projets des consommateurs et des investisseurs. Et ensuite il existe une forme plus insidieuse de manipulation de prix : la gestion monétaire par une banque centrale.

Plus l’État est étendu, plus nous avons une qualité de vie réduite. Nous avons la chance dans notre civilisation que le progrès du marché libre aille de manière générale plus vite que la régression engendrée par l’accroissement de l’État parce que, si ce n’était pas le cas, nous serions de plus en plus pauvres chaque année, pas seulement en termes relatifs, mais également en pauvreté absolue. Le marché est intelligent et l’État est stupide, et à ces caractéristiques nous devons notre bien-être économique tout entier.

La deuxième partie de notre tâche éducatrice – imaginer comment un monde dirigé par le marché fonctionnerait – est beaucoup plus difficile. Murray Rothbard remarque que si l’État était le seul producteur de chaussures, la plupart des gens seraient incapables d’imaginer comment le marché pourrait le faire. Comment le marché pourrait-il offrir toutes les tailles de chaussures ? Ne serait-ce pas une dépense inutile d’argent de produire des styles différents pour plaire à tout le monde ? Qu’en est-il des chaussures de contrefaçon et des producteurs de chaussures de moindre qualité ? Et les chaussures sont, on l’accordera, trop importantes pour être à la merci des vicissitudes du marché anarchique.

Eh bien, tel est le cas de nos jours avec nombre de problèmes, notamment les soins de santé. Une des nombreuses objections à une société régie par le marché, c’est que les pauvres en pâtiraient et n’auraient personne pour s’occuper d’eux. Une des réponses que l’on peut apporter, c’est que les œuvres caritatives peuvent s’en occuper, et pourtant nous sommes forcés de constater que les œuvres caritatives s’occupent de tâches relativement minimes. Ce secteur-là n’est tout simplement pas assez grand pour s’occuper des problèmes là où l’État arrête de s’en occuper.

C’est alors que l’imagination devient une nécessité. Le problème, c’est que les services offerts par l’État ont pris la place de ceux offerts par le secteur privé et les ont conduits sous le seuil auquel on s’attendrait dans un système de marché libre. Avant qu’advienne l’ère de l’État-providence, les œuvres caritatives au XIXe siècle étaient une vaste opération comparable aux plus grandes industries en termes de taille. Elles s’agrandissaient en fonction de leurs besoins. Elles étaient surtout offertes par les églises à travers les dons des fidèles, et l’éthique était là : tout le monde donnait une partie du budget familial au secteur caritatif. Une nonne comme Mère Cabrini dirigeait un empire caritatif.

Mais ensuite, pendant l’ère progressiste, l’idéologie changea. On pensa alors que les œuvres caritatives devaient être considérées en tant que bien commun, et qu’elles devaient être professionnalisées. L’État commença à s’accaparer du terrain autrefois réservé au secteur privé. Et alors qu’on connut l’accroissement de l’État-providence tout au long du XXe siècle, la taille du secteur privé, si on les comparait entre elles, fut fort réduite. Même si on se trouve dans un état déplorable aux États-Unis, ce n’est rien en comparaison avec l’Europe, le continent qui a donné vie aux œuvres caritatives. Aujourd’hui, très peu d’Européens font des dons à des œuvres caritatives, parce que tout le monde pense que c’est le rôle de l’État, mais après des impôts et des prix très élevés, il ne reste plus grand chose pour faire des donations.

C’est la même chose dans toutes les sphères que l’État a monopolisé. Avant que Fed Ex et UPS arrivent sur le marché pour exploiter un vide juridique dans les services postiers, les gens ne pouvaient pas imaginer comment le secteur privé pouvait distribuer les lettres. Il existe encore d’autres lacunes dans les sphères de fourniture de la justice, de la sécurité, de l’école, des soins médicaux, de la politique monétaire, et de la fabrication de pièces de monnaie. Les gens sont atterrés lorsqu’on suggère que le marché devrait fournir tous ces services, mais uniquement parce que cela demande du travail mental et un peu d’imagination pour voir comment cela serait possible.

Une fois qu’on comprend l’économie, la réalité que tout le monde aperçoit prend un nouveau sens. Wal-Mart n’est pas un paria, mais une réussite glorieuse de la civilisation, une institution qui a fini par mettre fin à la grande peur omniprésente dans toute l’histoire humaine : la peur qu’il n’y aurait plus de nourriture. En fait, même les tout petits produits peuvent nous éblouir si l’on comprend l’incroyable complexité du processus de production et la manière dont le marché arrive à tout coordonner pour atteindre une perfection humaine. Les réussites du marché apparaissent soudainement en relief autour de vous.

Et ensuite vous commencez à voir l’invisible : à quel point nous serions davantage en sécurité si nous avions des agents de sécurité privés ; à quel point la société serait plus juste si la justice était privatisée ; à quel point nous aurions davantage de compassion si nos cœurs humains avaient acquis leur expérience de manière privée plutôt par le biais de bureaucraties gouvernementales.

Et qu’est-ce que cela change vraiment ? Le socialiste et le défenseur du marché libre observent les mêmes faits. Mais une personne qui a une connaissance de l’économie comprend leur pertinence et leurs implications. Par exemple, parmi tous les dirigeants politiques américains, seul Ron Paul comprend vraiment l’économie. C’est pour cela que nous ne devons jamais sous-estimer le rôle primordial de l’enseignement de l’économie. Les faits seront toujours de notre côté. La sagesse, par contre, peut être apprise. Acquérir une compréhension de la culture de la liberté et de ses implications, n’a jamais été aussi important que maintenant.

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