Tribune co-signée par Damien Theillier, président de l’Institut Coppet.*
La question mérite d’être posée alors que va se tenir le jugement devant le tribunal correctionnel des deux dirigeants d’Uber aujourd’hui. Sommes-nous revenus sous l’Ancien Régime? Nos dirigeants ont-ils le droit d’octroyer des privilèges à certaines corporations, aux dépens de l’intérêt général? Comment en sommes-nous arrivés à interdire un service commercial populaire? Les Français doivent se poser ces questions aujourd’hui.
Toute cette histoire débute avec une innovation disruptive qui change radicalement notre quotidien. Grâce aux smartphones et à Internet, nous pouvons commander un service de transport VTC en quelques clics. Le succès vient d’un ensemble de qualités (le prix est fixé à l’avance ; les chauffeurs sont courtois et disponibles à toute heure) et le service répond aux attentes des consommateurs. Logiquement, UberPop a acquis rapidement des parts de marché conséquentes. Les taxis auraient pu réagir en proposant un meilleur service mais leurs éminences grises ont préféré le copinage au jeu de la concurrence: la loi Thévenoud a été votée pour protéger l’activité des taxis. Le crime est double, car les conducteurs de taxis sont eux-mêmes amplement pénalisés par cette absurdité.
Aujourd’hui, il appartient aux Français de refuser le détournement de la chose publique au profit d’une corporation. La loi Thévenoud nous apporte-t-elle un bénéfice, en tant que consommateurs? Hélas non, c’est même tout l’inverse. La loi Thévenoud défend les intérêts d’une corporation au mépris de vos intérêts – pouvoir accéder à un transport efficace, moins cher, et plus cordial. Quand nos élus veulent limiter la concurrence entre les services, c’est bel et bien vous qui en payez les frais. Cette volonté d’évincer UberPop et les innovations disruptives ne sert que les cartels en place, détenteurs des monopoles octroyés par les gouvernements. Seuls les taxis bénéficient de la loi Thévenoud.
Or, rappelez-vous: la Révolution de 1789 a justement mis fin à cette connivence entre les corporations et le roi. Prenez par exemple, la nuit du 4 août, qui abolit les privilèges et les droits féodaux… ou la loi Le Chapelier qui supprima les corporations de métiers qui empêchaient tout un chacun de lancer librement son entreprise. Aujourd’hui, nous sommes en train de revenir aux abus de l’Ancien Régime et du «fait du prince», comme l’illustre Bernard Cazeneuve, qui condamne par avance Uber, considérant qu’il s’agit d’un «délit d’organisation d’activités illicites de taxis ou de services de transports».
Si vous n’utilisez pas ces services, cette question peut vous sembler triviale, mais elle dépasse la seule utilisation d’UberPop. Demandez-vous quelle société vous souhaitez? Une société où les richesses sont accumulées par quelques-uns grâce à une rente octroyée par le pouvoir politique? Ou une société libre où les entrepreneurs sont récompensés parce qu’ils ont su apporter un meilleur produit ou service aux consommateurs? Le clientélisme n’est pas récent en France. En 1960, le rapport Armand Rueff, remis à de Gaulle, dressait un portrait de la France au vitriol: “Certaines législations ou réglementations économiques ont actuellement pour effet, sinon pour but, de protéger indûment des intérêts corporatifs qui peuvent être contraires à l’intérêt général”. Il proposait de mettre fin à la connivence entre les gouvernements et certains intérêts particuliers. Depuis, les rapports se sont amoncelés et ont été enterrés presque immédiatement.
Finalement, ce sujet n’est-il pas une question de justice sociale? De la liberté d’entreprendre? De la liberté du consommateur de faire son choix en son âme et conscience? Voilà pourquoi il est aujourd’hui nécessaire de reconquérir notre liberté de choix. Nous devons, ensemble, demander le retour à une égalité de traitement devant la loi. Que devraient faire nos dirigeants? Rien de plus que protéger la liberté et la propriété privée, garantir la sûreté – ces droits garantis par la déclaration des droits de l’Homme de 1789. Qu’ils s’en tiennent à cela. Après tout, nous sommes assez grands pour choisir nous-mêmes quels transports nous devons prendre.
En outre, UberPop n’est que le début d’un nouveau modèle économique collaboratif et horizontal qui se développe dans tous les secteurs. Récemment, c’est encore la startup Wingly, qui propose un service de co-avionnage basé sur le modèle de BlaBlaCar mais appliqué à l’aviation légère, qui a dû faire face à une levée de boucliers de certains lobbies de l’aviation, notamment l’Union Syndicale du Personnel Navigant Technique. Pensez encore à AirBnB ou Djump. Les générations précédentes auraient-elles dû interdire l’électricité pour continuer à s’éclairer à la bougie de suif vendue à l’unité? Ou bien interdire l’automobile pour perpétuer l’usage des calèches? Une certitude s’impose: nos gouvernants ne pourront pas éternellement faire abstraction des innovations du XXIème siècle et devront rapidement s’y adapter.
Face au conservatisme de notre classe politique qui refuse de voir le monde changer, c’est d’une révolution dans nos façons de penser et d’agir dont nous avons besoin. Considérant l’émergence d’une génération d’actifs salariés le jour, chauffeurs VTC la nuit et freelance à leurs heures perdues, il est urgent d’adapter notre modèle social à cette nouvelle donne comme le propose Génération Libre dans un rapport sur le statut de l’actif. Le Free Startup Project #HackTheRules organise quant à lui cette année une dizaine de startups weekends indépendants en France avec des étudiants pour aider à la création de startups qui répondent à des problématiques sociales ou politiques. Parmi ses partenaires, la plateforme Slash qui permet de postuler facilement à des petits boulots en fonction de sa situation, ce qui ouvre de nouveaux possibles aux jeunes générations qui se transforment en digital nomades qui veulent entreprendre. L’Institut Coppet, pour révolutionner l’enseignement, met en place l’”école de la liberté” basée sur une pédagogie inversée où les étudiants participent à la production de leurs propres cours.
Le jugement en correctionnelle des deux dirigeants d’Uber doit nous faire réagir pour combattre la mauvaise image qu’il donne de la France: une certaine France passéiste, sclérosée et effrayée par son avenir.
Par Damien Theillier (Institut Coppet), Gaspard Koenig (Génération Libre), Christophe Seltzer (Students for Liberty France) et Thomas Harbor (Think Liberal Sciences Po)
* Initialement publiée le 30/09/2015 sur le site du Figaro
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