Francis Richard vient de publier une recension du roman de Joel Hirst, Les seigneurs du chaos : l’odyssée du djihad. Nous la republions ici en le remerciant et en invitant nos lecteurs à découvrir ce livre.
Les seigneurs du chaos: l’odyssée du djihad, de Joel D. Hirst
Comment expliquer qu’un jeune Touareg devienne un jour djihadiste? Qu’un jeune homme bleu, nomade du désert, devienne un jour sédentaire d’une cité? C’est, sous la forme romanesque, ce que raconte, avec toute sa connaissance du terrain, Joel D. Hirst dans Les seigneurs du chaos.
Le roman savant a l’avantage sur l’essai de personnaliser ce qui se passe dans la tête des protagonistes et, ce faisant, de l’humaniser en quelque sorte, autrement dit de le rendre compréhensible, sinon acceptable.
Le roman de Joel Hirst commence par l’épilogue de cette tragédie: Aliuf Ag Albachar, le Touareg de l’histoire, va mourir. Il a cru naïvement qu’était enfin venue l’heure de l’Azawad, cette terre mystique qui n’existait que dans l’imagination de son peuple.
Pour y parvenir, tombant dans le travers humain, trop humain, de vouloir imposer des idées aux autres par la force, il s’est tourné vers la violence; mais il existe toujours quelqu’un de plus violent. Comme il existe toujours dans les révolutions, serait-on tenté d’ajouter, un plus pur que le pur qui, à son tour, l’épure.
Tombouctou, la cité légendaire, a été fondée par le peuple touareg, qui s’en est retiré quand elle est devenue une ville animée. Les Touaregs l’ont en effet laissée aux grands empires noirs qui les ont remerciés en les opprimant, c’est-à-dire en faisant fi de leur fierté et de leur indépendance.
Quand Aliuf se rend avec sa mère à Tombouctou pour obtenir des papiers nécessaires pour aller à Tamanrasset, depuis une dune qui domine la ville, il prie silencieusement: Que Dieu me donne cette ville un jour et je la ferais servir à sa gloire.
Dans Tombouctou, Aliuf fait la rencontre de Salif, un noir dont le père est Peul et la mère Bozo. Salif, pour se désennuyer, cherche aux autres des ennuis. C’est ainsi qu’il passe à tabac Aliuf. A la troisième rencontre – c’est masculin -, ils sont amis.
Cette amitié, quelque temps plus tard, va faire basculer le destin d’Aliuf. En portant secours à Salif sur la route de Taoudeni, il va tuer deux soldats maliens et devenir fugitif avec lui. Grâce à ses relations, ils trouvent refuge à Tamanrasset.
Leurs chemins se séparent alors. Sous l’influence de Yattara, qui habite sous le même toit qu’eux, Salif devient combattant djihadiste, tandis qu’Aliuf refuse de les suivre, non pas par lâcheté, mais parce qu’il doute que ce soit la volonté d’Allah.
Pour savoir quelle est la volonté d’Allah, Aliuf va voir le vieil Imam de la mosquée fréquentée par Salif. Youness vient vers lui après avoir entendu leur conversation. De lui il apprend que, pour accomplir, la volonté d’Allah, il existe une autre voie que celle du djihad, celle de l’esprit.
Aliuf part donc pour Marrakech. Là-bas il reçoit l’enseignement de l’Imam Bouchtat. L’authentique musulmane attitude peut se résumer à cette phrase extraite d’un de ses cours: Il ne nous appartient pas de penser ou d’analyser, seulement de suivre.
Ce rejet de la philosophie spéculative, de la dialectique, du kalam, Issam Bouchtat l’exprime plus loin avec force, après qu’Aliuf a évoqué les enseignements multi-séculaires des grands philosophes et mystiques de son peuple, à Tombouctou, la ville des 333 saints:
Tout ce que vous pensez savoir, toutes les idées qui vous sont présentées comme la vérité sont les tentatives faites par les hommes pour interpréter le message de Dieu. Ils refusent d’accepter que leur devoir n’est pas d’interpréter, mais de lire, de comprendre et d’obéir.
Aliuf devient un sage religieux. Toutefois il est homme et ce sont des motifs personnels qui vont le faire d’abord se tourner vers la violence, puis s’en détourner, tant il est vrai qu’un homme n’agit pas seulement avec sa raison, mais avec son coeur.
Dans sa préface Benoît Malbranque, en guise de conclusion, écrit à propos du djihad: Par sa violence terrible, il nous épouvante et nous paraît irrationnel: car comment, autrement que par la folie, l’horreur associée au djihad pourrait-elle être commise? Mais le djihad a aussi ses racines, matérielles et intellectuelles, que ce roman essaye d’illustrer et de présenter.
On ne saurait mieux dire.
Francis Richard
Les seigneurs du chaos: l’odyssée du djihad, Joel D Hirst, 348 pages (traduit de l’anglais par M. Lassort et B. Malbranque) Institut Coppet
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