Son libéralisme ne fut pas fondé sur des principes abstraits mais sur une étude des conditions économiques et sociales qui rendirent possible le pluralisme intellectuel et politique. Comprendre avant de juger, telle serait la maxime d’Aron.
Bibliographie sélective
L’opium des intellectuels (1955), Hachette Littératures 2002. 337 pages. Avec une excellente introduction de Nicolas Baverez.
Sans doute le meilleur livre jamais écrit sur la gauche française. Outre la déconstruction des idéaux révolutionnaires, du matérialisme historique, du totalitarisme soviétique, de ses « hommes d’Eglise» (les communistes) comme de ses « hommes de foi » (les compagnons de route), L’opium des intellectuels met au jour les contradictions d’une gauche écartelée entre liberté, égalité, nationalisme, internationalisme. Ses adversaires lui ont donné raison, puisqu’à sa sortie, en 1955, Aron fut traité, entre autres, de « renégat », de « bouffon », de « penseur bourgeois ». « Appelons de nos vœux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme », conclut Aron.
Penser la liberté. Penser la démocratie (2005)
A l’occasion du centenaire de Raymond Aron en 2005, les éditions Gallimard ont publié chez Quarto (édition de poche) un volume réunissant les principaux ouvrages du philosophe et sociologue sur la démocratie.
– Une révolution antiprolétarienne. Idéologie et réalité du national-socialisme
– États démocratiques et États totalitaires
– L’Homme contre les tyrans
– Une révolution antitotalitaire : Hongrie 1956 – Polémiques
– La Tragédie algérienne
– La Révolution introuvable
– Dix-huit leçons sur la société industrielle
– La Lutte de classes. Nouvelles leçons sur les sociétés industrielles
– Démocratie et totalitarisme
– Les Désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité
– L’Aube de l’Histoire universelle
Nicolas Baverez, dans sa préface de Penser la liberté. Penser la démocratie, inscrit l’œuvre d’Aron dans la tradition du libéralisme politique français. Selon lui, sa conception de l’histoire est réaliste, probabiliste, comparatiste et dialectique :
Réalisme : c’est le refus de tout principe transcendant à partir duquel on pourrait juger moralement et abstraitement l’histoire. L’homme est dans l’histoire, l’historien aussi.
· Probabilisme : c’est le refus du déterminisme historique. Il n’y a pas de nécessité ou de loi qui régit l’histoire. Pas de providence.
· Comparatisme : c’est le refus de l’essentialisme. Il faut étudier les régimes politiques, non à partir d’une essence a priori mais à partir de la comparaison de leurs points communs et de leurs divergences.
· Dialectique : c’est le refus du manichéisme ou de la posture idéologique. Il faut assumer la complexité et l’incertitude propres à l’histoire et ainsi refuser de jouer les prophètes.
Selon Baverez, l’épistémologie d’Aron ne verse par pour autant dans un relativisme consistant à dissoudre dans l’histoire toutes les normes et les valeurs. Un tel relativisme ouvrirait la voie à la justification du totalitarisme. Mais il s’agit pour lui de reconnaître le pluralisme, la faillibilité, l’existence de vérités partielles.
Mémoires (1983), Robert Laffont, 2003
A la fois journaliste, sociologue, historien et philosophe, Raymond Aron retrace son itinéraire politique et intellectuel. Il analyse les grands événements qu’il a vécus en un demi-siècle. La montée de Hitler au pouvoir, le Front populaire, Munich, la débâcle, Vichy et la Résistance, le génocide, la guerre froide, ses polémiques avec Jean-Paul Sartre et la gauche, la construction européenne, la stratégie nucléaire, l’Algérie et la décolonisation, le gaullisme, Mai 68, Giscard et Mitterand. Un livre qui allie histoire, économie politique et philosophie.
« Ces Mémoires sont l’occasion d’y découvrir la trajectoire d’une conscience individuelle à travers les grandes idéologies du XXe siècle – nazisme, communisme, anti-colonialisme – toujours habitée par le doute. Augmentées d’une instructive préface de Tzvetan Todorov, ces Mémoires restent plus de vingt ans après leur publication l’un des témoignages les plus lucides sur les errements du XXe siècle. » Yves Fraillont
Essai sur les libertés (1965)
Aron y traite de Tocqueville, Marx et Hayek. C’est une tentative de conciliation de points de vue opposés, qui aboutit à un compromis bancal diront certains… Mais Aron nous conduit avec beaucoup d’intelligence et de pédagogie au cœur des grandes problématiques contemporaines.
Podcast 2000 ans d’histoire sur Raymond Aron
Citations de Raymond Aron :
« Tous les combats politiques sont douteux. Ce n’est jamais la lutte entre le bien et le mal. C’est le préférable contre le détestable. » (Le spectateur engagé)
« Avoir des opinions politiques ce n’est pas avoir une fois pour toute une idéologie. C’est prendre des décisions justes dans des circonstances qui changent. » (Le spectateur engagé)
« Jamais les hommes n’ont eu autant de motifs de ne plus s’entretuer. Jamais ils n’ont eu autant de motifs de se sentir associés dans une seule et même entreprise. Je n’en conclus pas que l’âge de l’histoire universelle sera pacifique. Nous le savons, l’homme est un être raisonnable mais les hommes le sont-ils ? » (Le spectateur engagé
« J’aime le dialogue avec les grands esprits et c’est un goût que j’aime répandre parmi les étudiants. Je trouve que les étudiants ont besoin d’admirer et comme ils ne peuvent pas normalement admirer les professeurs pque les professeurs sont des examinateurs ou parce qu’ils ne sont pas admirables, il faut qu’ils admirent les grands esprits et il faut que les professeurs soient précisément les interprètes des grands esprits pour les étudiants. » (Le spectateur engagé)
« Entre la tentation totalitaire et les aspirations libérales, la bataille continue, elle se poursuivra aussi loin devant nous que porte notre regard. Les libertés dont nous jouissons gardent la fragilité des acquis les plus précieux de l’humanité » (Citation figurant sur la 4ème de couverture du n° de Commentaire qui lui est consacré.
« On n’améliore pas le sort des hommes à coups de catastrophes, on ne promeut pas l’égalité par la planification étatique, on ne garantit pas la dignité et la liberté en abandonnant le pouvoir à une secte à la fois religieuse et militaire. Nous n’avons pas de chanson pour endormir les enfants. » . (L’Opium des intellectuels, p.302)
« Nous n’avons pas de doctrine ou de credo à opposer à la doctrine ou au credo communiste, mais nous n’en sommes pas humiliés, puisque les religions séculières sont toujours des mystifications. Elles proposent aux foules des interprétations du drame historique, elles ramènent à une cause unique les malheurs de l’humanité. Or la vérité est autre, il n’y a pas de cause unique, il n’y a pas d’évolution unilatérale. Il n’y a pas de Révolution qui, d’un coup, inaugurerait une phase nouvelle de l’humanité. La religion communiste n’a pas de rivale, elle est la dernière de ces religions séculières qui ont accumulé les ruines et répandu des flots de sang. […] Mais, réclamer des anticommunistes une foi comparable, exiger d’eux un édifice, aussi compact, de mensonges, aussi séduisants, c’est les inviter au fascisme. Car ils ont la conviction profonde qu’on améliore pas le sort des hommes à coups de catastrophes, qu’on ne promeut pas l’égalité par la planification étatique, qu’on ne garantit pas la dignité et la liberté en abandonnant le pouvoir à une secte à la fois religieuse et militaire. Nous n’avons pas de chanson pour endormir les enfants. » (L’Opium des intellectuels, p.302)
Littérature secondaire
Matthieu Laine, (2005), Raymond Aron, une attitude libérale, Le Figaro – 10 mars 2005
Olivier Meuwly, (2005), Raymond Aron : Portrait d’un penseur libéral qui échappe aux classifications hâtives, Sur Catallaxia.org
Gwendal Châton : « De l’optimisme au pessimisme ? Réflexions sur l’évolution tardive du libéralisme de Raymond Aron », paru dans les actes du colloque international « Raymond Aron : genèse et actualité d’une pensée politique » (ENS/Ulm), aux éditions de Fallois.
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