Préface aux Œuvres complètes de Tocqueville

Gustave de Beaumont, Préface aux Œuvres complètes de Tocqueville (1861).


PRÉFACE

Quand un homme, que ses écrits ont illustré, disparaît de ce monde et que la popularité de ses œuvres lui survit, le moment est venu de les rassembler et de les publier toutes ensemble.

Chacune d’elles semble acquérir un nouveau prix de sa réunion avec les autres. On aime à connaître tout ce qu’a pensé un auteur favori. Rien de ce qui est sorti de sa plume n’est indifférent. Alors même qu’on établit des degrés dans le jugement qu’on porte sur ses diverses productions, on n’en met aucune dans la sympathie qu’on leur accorde. L’écrivain regretté du public est comme un ami qu’on vient de perdre et dont on s’efforce de retrouver les traits. On lit et on relit ses écrits ; on les rassemble ; on recherche sa pensée sous toutes les formes qu’elle a prises pour s’exprimer, livres, discours publics, lettres particulières, notes fugitives ; on forme du tout un ensemble, d’où l’on extrait la physionomie particulière de l’auteur : comme ferait un sculpteur ou un peintre qui n’ayant plus le modèle sous les yeux, au moyen de traits épars recueillis çà et là, recompose une figure et crée encore un portrait fidèle.

Cette disposition du public est encore plus naturelle, quand celui qui la lui inspire s’offre à son souvenir sous des aspects plus divers ; lorsque l’écrivain dont la mémoire lui est chère a été tout à la fois homme de lettres et homme politique ; que, célèbre comme publiciste, il a joué un rôle dans l’État, et qu’il a, ne fût-ce qu’un instant, comme ministre tenu dans ses mains le pouvoir.

On aime à juger du même coup d’œil quelle influence eurent les spéculations du philosophe sur sa participation aux affaires ; si l’homme privé eut une autre morale que l’homme public ; comment il mit ses théories d’accord avec sa pratique et comment le penseur sut agir.

Alors on envisage l’écrivain sous toutes ses faces. On ne sépare point l’homme d’action du moraliste. Après avoir écouté le savant à l’Institut, on va l’entendre à la tribune. On juge ainsi le secours que les lettres prêtent à la politique, l’autorité que la pratique offre à la science et l’influence que la moralité privée exerce sur les vertus publiques.

L’édition dont ce volume forme le tome premier, contiendra les œuvres complètes d’Alexis de Tocqueville : celles qui ont déjà été publiées, et celles qui sont encore inédites.

Ces œuvres sont en petit nombre : car Tocqueville, dont l’esprit était toujours en travail écrivait peu, et il ne publiait pas tout ce qu’il écrivait ; mais il est permis de dire qu’il n’a publié que des chefs-d’œuvre.

On peut apparemment donner ce nom à ses deux grands ouvrages sur la Démocratie en Amérique, et à son livre l’Ancien Régime et la Révolution. Et si les deux volumes de Correspondance et d’Œuvres diverses, qui ont paru après sa mort, n’attestent pas la même puissance de composition et les mêmes efforts de génie que les précédents ouvrages, peut-être ne leur sont-ils pas inférieurs en mérite littéraire. Ils leur ressemblent du moins par le succès égal qu’ils ont obtenu.

Ce n’est pas le nombre des œuvres d’un grand écrivain qui fait sa puissance et la durée de sa gloire : c’est la fixité et la permanence du but vers lequel tendent toutes ses pensées, quand ce but est celui du bonheur de ses semblables et de leur dignité. Les hommes peuvent aimer un jour l’écrivain qui les intéresse et qui travaille à leur plaire tout en les méprisant ; mais ils ne gardent un souvenir durable que pour l’écrivain qui lui-même les aime, les estime, les charme sans les corrompre, les reprend sans les abaisser, aspire sans cesse à les grandir, et qui, mettant de nobles facultés au service de leurs destinées, consacre tout ce qu’il a d’intelligence et de cœur à les rendre tout à la fois meilleurs, plus heureux et plus libres. C’est ce caractère, particulier aux écrits de Tocqueville qui, malgré leur petit nombre, explique leur autorité et la renommée de leur auteur, grande en France, non moins grande à l’étranger ; renommée toujours croissante, et dont le bruit retentit partout où se fait un écho ; dans la presse quotidienne et périodique ; dans les journaux et dans les revues comme dans les livres ; à la tribune française comme dans le parlement anglais ; à Bruxelles, à Berlin, à Madrid et à Vienne, comme à Paris et à Londres ; partout enfin où la pensée qui se produit croit avoir besoin, pour se fortifier, d’une autorité universellement admise et respectée.

C’est cet effort continu de la pensée vers l’amélioration et la grandeur de ses semblables qui, également visible dans la Démocratie en Amérique, dans le livre l’Ancien Régime et la Révolution, et dans les deux volumes déjà publiés de Correspondance, établit entre ces ouvrages si différents par eux-mêmes un lien commun et explique leur succès égal et leur pareille popularité.

Cette unité morale qui relie entre eux tous les écrits de Tocqueville, est telle que, si dans la polémique qui chaque jour les invoque, on n’indiquait pas avec précision la source à laquelle on a puisé, la citation elle-même ne ferait point reconnaître le livre auquel elle a été empruntée. Les pensées extraites de la Correspondance ne sont point d’un autre ordre que celles qui sont tirées des grands ouvrages. Alors même que les extraits sont différents par la forme et par le ton du style, ils sont pareils par le fond du sentiment et de l’idée. Le même esprit anime tous les écrits de Tocqueville. Ils sont pleins de la même passion, et leur forme est toujours celle de ce style charmant et grave dont il lui était impossible de ne pas revêtir sa pensée.

Et si l’on osait ici porter un pronostic, on se permettrait de prédire aux trois volumes nouveaux que contiendra cette édition une faveur égale à celle de leurs devanciers.

Ces trois volumes se composeront :

1o D’un nouveau volume de Correspondance entièrement inédite ;

2o D’un volume intitulé : Mélanges littéraires, Souvenirs et Voyages ;

3o D’un volume intitulé : Mélanges académiques, économiques et politiques.

L’édition entière formera neuf volumes.

En tête des œuvres de Tocqueville devait naturellement se placer la Démocratie en Amérique.

Il n’y a plus rien à dire sur le mérite et sur le succès d’un livre qui a subi toutes les épreuves de la critique[1], et une épreuve plus décisive que toutes les autres, celle du temps ; qui, publié il y a trente ans, traduit dans toutes les langues d’Europe[2], a été réimprimé en France quatorze fois, et dont la dernière édition, exécutée dans le format des éditions populaires et tirée à un nombre immense d’exemplaires, est aujourd’hui complètement épuisée. Et jamais ce livre n’a été plus recherché qu’il ne l’est aujourd’hui. Jamais les idées qu’il exprime et les principes qu’il consacre n’ont eu plus de faveur dans le monde intellectuel. Chaque jour on voit se grossir le nombre de ceux pour lesquels il fait école. Ne serait-ce pas que la démocratie, dont Tocqueville annonçait l’avènement prochain et irrésistible, prend plus visiblement possession de la société et constate son empire par des signes chaque jour plus manifestes ? Ne devient-il pas ainsi plus important, aux yeux de chacun, de méditer le livre où en montrant les progrès de la démocratie, l’auteur en expose les dangers et les excès ? Cette bienveillance croissante des amis de la démocratie eux-mêmes envers Tocqueville ne vient-elle pas de ce qu’ils n’ont jamais mieux compris qu’aujourd’hui combien est nécessaire l’accord tant recommandé par Tocqueville de la démocratie et de la liberté ; de ce que jamais peut-être la question ne s’est posée plus étroitement que de nos jours entre une démocratie libérale et le despotisme démocratique ? N’est-ce pas qu’on se sent plus attiré vers l’auteur et ses idées, en contemplant les périls que son génie prévoyant avait signalés ?

Tout ce qui s’est passé en France en 1848 et en 1852, tout ce qui de notre temps même est en voie de s’y accomplir, toutes ces phases continues de la révolution démocratique qui suit son cours, rendent de plus en plus précieux un livre dont l’étude de cette révolution forme l’objet.

Il n’est pas jusqu’à la terrible conflagration dont les États-Unis sont en ce moment le théâtre qui ne contribue à en accroître le mérite, et à en justifier la popularité[3].

On a beaucoup admiré, et avec grande raison, la rare sagacité avec laquelle Tocqueville a analysé la société américaine et son gouvernement ; comment, au milieu du chaos que présentent à l’œil des peuples d’origines différentes, des coutumes opposées, des législations diverses et incohérentes, il est parvenu à créer en quelque sorte un code d’institutions parfaitement logique, inconnu jusqu’alors de ceux même qui lui obéissaient et qui, depuis, est resté pour eux la plus fidèle image de leur constitution.

Mais ce qui est peut-être plus digne d’admiration, parce que c’était une œuvre plus difficile et plus utile, c’est d’avoir à l’avance, au travers des images de prospérité et de puissance dont l’Union américaine présentait le magnifique spectacle, aperçu les symptômes de division et de déchirement qui pouvaient faire présager sa ruine. C’est cependant ce que Tocqueville avait entrevu avec une pénétration dont on demeure surpris, lorsqu’en présence de l’événement on lit les pages prophétiques dans lesquelles on le voit annoncé.

Quelques personnes s’imaginent peut-être que le brisement de la confédération américaine eût étonné Tocqueville. J’ose dire que cette révolution l’aurait profondément affligé mais non surpris.

Alors que cette lutte fatale n’était encore qu’imminente et prête à s’engager, un de ses amis de l’autre côté du détroit, lui ayant, dans une lettre, exprimé une certaine joie de la voir éclater et aboutir au démembrement de la confédération américaine, Tocqueville lui répond le 4 septembre 1856 :

« Je ne saurais désirer ainsi que vous ce démembrement. Un tel événement serait une grande blessure faite à l’humanité tout entière. Car il introduirait la guerre dans une grande partie de la terre où depuis près d’un siècle déjà elle est inconnue. Le moment où l’Union américaine se rompra sera un moment très solennel dans l’histoire[4]. »

Mais si la rupture de l’Union américaine l’eût contristé, elle ne l’eût point étonné. Il ne l’avait que trop prévue ; et cette catastrophe figure, dans tout ce qu’il a écrit, parmi les éventualités néfastes qu’il lui paraissait le plus désirable de prévenir et le plus difficile de conjurer.

Non seulement il avait vu dans l’établissement de l’esclavage en Amérique une plaie cruelle ; il y avait vu aussi un péril permanent, le plus grand de tous pour l’Union américaine[5]. Il avait fait plus : il avait aperçu la forme sous laquelle ce péril éclaterait avec ses fatales conséquences ; et il prédit l’événement, quand il montre le pouvoir fédéral aux États-Unis succombant peu à peu sous l’indépendance excessive des États particuliers, et marchant fatalement à sa ruine par la faiblesse et l’impuissance.

« Ou je me trompe fort, dit-il, ou le gouvernement fédéral des États-Unis tend chaque jour à s’affaiblir. Il se retire successivement des affaires ; il resserre de plus en plus le cercle de son action. Naturellement faible, il abandonne les apparences même de la force[6]…

On veut l’Union, mais réduite à une ombre. On la veut forte dans certains cas et faible dans tous les autres ; on prétend qu’en temps de guerre elle puisse réunir dans ses mains les forces nationales et toutes les ressources du pays, et, qu’en temps de paix, elle n’existe pour ainsi dire point ; comme si cette alternative de débilité et de vigueur était dans la nature.

Je ne vois rien qui puisse, quant à présent, arrêter le mouvement général des esprits. Les causes qui l’ont fait naître ne cessent point d’opérer dans le même sens. Il se continuera donc, et l’on peut prédire que, s’il ne survient pas quelque circonstance extraordinaire, le gouvernement de l’Union ira chaque jour s’affaiblissant[7]. »

« Si la souveraineté de l’Union, dit ailleurs Tocqueville, entrait aujourd’hui en lutte avec celle des États, on peut aisément prévoir qu’elle succomberait[8]. — L’Union, ajoute-t-il, ne durera qu’autant que tous les États qui la composent continueront à vouloir en faire partie[9]. »

Il ne manque pas non plus de gens qui s’imaginent que, l’union des États étant brisée, la république va périr aussi en Amérique. Je ne parle pas de ceux chez lesquels cette impression est une joie ; qui se souciant peu de savoir si les institutions républicaines en vigueur dans le nouveau monde rendaient heureux les peuples soumis à leur empire, ne voient dans ces institutions qu’une forme politique qui n’est pas de leur goût, et, dans leur ferveur monarchique, rêvent déjà à la place des démocraties libres des États-Unis, la formation sinon d’une autocratie unique, du moins de quelques grands États, placés sous la domination absolue d’un empereur ou d’un roi. Je ne m’occupe ici que de ceux qui, impartiaux envers la république américaine et plutôt bienveillants pour elle, croient voir sa ruine dans celle de l’Union. Et je dis que ceux qui mêlent dans leur esprit le sort de l’Union américaine, et celui de la république aux États-Unis, confondent deux choses très distinctes et qui ne sont point liées l’une à l’autre. Tocqueville les avait séparées avec grand soin, et avait établi cette distinction dans la partie même du livre où il prévoyait la rupture de la confédération.

« À la vérité, disait-il, le démembrement de l’Union, en introduisant la guerre au sein des États aujourd’hui confédérés et avec elle les armées permanentes, la dictature et les impôts, pourrait, à la longue, y compromettre le sort des institutions républicaines.

Mais il ne faut pas confondre cependant l’avenir de la république et celui de l’Union.

L’Union est un accident qui ne durera qu’autant que les circonstances le favoriseront. Mais la république me semble l’état naturel des Américains ; et il n’y a que l’action continue de causes contraires et agissant toujours dans le même sens, qui put lui substituer la monarchie[10]. »

Ainsi Tocqueville avait prévu précisément la lutte formidable dont nous sommes les témoins. Ah ! sans doute, tout en l’apercevant dans l’avenir telle qu’elle éclate sous nos yeux, il avait pu n’en pas prévoir tous les détails. Peut-être, en la jugeant terrible et sanglante, il ne pensait pas qu’elle dût être si longue et si cruelle. Peut-être n’avait-il pas soupçonné parmi quels gouvernements de l’Europe la liberté américaine trouverait des haines, et l’esclavage des sympathies. Mais la crise elle-même, à laquelle nous assistons, il l’avait prévue ; et ces immenses événements, inattendus pour le plus grand nombre, en présence desquels un livre de circonstance serait rentré dans le néant, viennent encore ajouter à l’autorité et à l’éclat d’un ouvrage écrit en vue de l’avenir, et dont l’avenir a si singulièrement justifié les prévisions.

On sait que le livre de la Démocratie en Amérique est divisé en deux parties : la première, où l’auteur décrit l’empire de la démocratie sur les institutions politiques des Américains ; la seconde, où il montre l’influence de la démocratie sur leurs mœurs. La première partie formera deux volumes, qui seront les tomes premier et deuxième de l’édition. Le tome troisième contiendra toute la seconde.

Cette seconde partie de la Démocratie en Amérique a eu, il faut le reconnaître, un moindre succès que la première. Elle n’a pas sans doute été moins achetée, mais je crois qu’elle a été moins lue. Beaucoup moins de feuilles périodiques en ont rendu compte. Elle renferme une si grande quantité d’idées condensées dans un étroit espace et toutes rigoureusement enchaînées les unes aux autres, que plus d’un lecteur recule, avant de s’engager dans un labyrinthe dont il craint de perdre le fil. Je ne sais plus quel écrivain a fait la remarque que, toutes les fois qu’on veut lire cet ouvrage d’un bout l’autre et d’une seule traite, on éprouve quelque fatigue, et que si on se borne à en lire une page prise au hasard, on ne ressent que le charme d’une œuvre supérieure. Il semblerait, dit-il, que le rayonnement continu des idées qui abondent dans ce livre, exerce sur l’esprit du lecteur l’effet produit par une vive lumière sur les yeux, que cette lumière attire et qui ne peuvent la regarder longtemps en face. Les meilleurs esprits et les meilleurs juges[11] persistent cependant à regarder cette seconde partie de la Démocratie comme l’œuvre de Tocqueville qui atteste le plus de puissance intellectuelle ; et elle sera peut-être son principal titre aux yeux de la postérité. Il en est d’elle comme de ces mines, dont la profondeur effraie et rebute d’abord, et qui à mesure qu’on les creuse, découvrent leurs trésors, et récompensent le labeur de l’ouvrier[12].

Immédiatement après les ouvrages sur l’Amérique, nous classons, en suivant l’ordre des publications antérieures, le livre intitulé : l’Ancien Régime et la Révolution, qui formera le tome quatrième.

La publication de ce livre fut pour Tocqueville un événement solennel. Tout le monde comprend que, lorsque après un silence de quinze années passées exclusivement dans l’action politique, l’auteur de la Démocratie en Amérique fit paraître un nouvel ouvrage, l’attention générale fut vivement excitée. Les conditions réciproques dans lesquelles s’étaient trouvés dans l’origine l’écrivain et ses juges avaient changé. Le public devant lequel comparaissait Tocqueville n’était plus le même public devant lequel l’auteur de la Démocratie avait comparu en 1835 et en 1839. Lui-même se montrait aux yeux de ce public sous un aspect nouveau. Il avait cessé d’être un publiciste étranger aux luttes et aux passions des partis ; et s’il est permis de penser que, chez quelques lecteurs, la sympathie politique inspirée par les derniers événements (1851 et 1852) ajoutait à la sympathie éprouvée pour l’homme de lettres, il faut admettre aussi que d’autres, placés sous l’influence d’un sentiment tout opposé, auraient vu, sans grand déplaisir, sinon la chute, du moins la diminution d’un écrivain qui ne s’était point rallié à leur cause et pour lequel, après tant d’éclatants succès, un échec ne serait après tout que l’épisode naturel des destinées littéraires.

La faveur qui accueillit le livre de l’Ancien Régime et la Révolution ne peut cependant se comparer qu’à celle dont la Démocratie en Amérique avait été l’objet[13]. La faveur fut la même en Angleterre[14] qu’en France. Il est même une partie du continent, l’Allemagne, où il eut encore plus de retentissement que n’en avaient eu les ouvrages sur l’Amérique : ce qui s’explique par l’état social et politique de ce pays, dont la révolution non encore achevée, aspirant à s’accomplir, porte sans cesse ses yeux vers la première révolution française, la grande révolution, selon l’expression des publicistes allemands, et vers l’assemblée constituante de 1789, la véritable, comme ils l’appellent[15].

En suivant toujours l’ordre chronologique des publications antérieures, nous placerons, après les ouvrages qui précèdent, les deux volumes de Correspondance et Œuvres inédites, qui parurent pour la première fois en 1860, et qui formeront les tomes cinquième et sixième.

On sait le succès qu’ont obtenu ces deux volumes de Lettres et de Mélanges. L’un des mérites de cette publication a été de jeter sur le talent et sur le caractère de Tocqueville un jour nouveau.

Bien des gens croyaient jusqu’ici que le talent de Tocqueville, monotone de sa nature, était exclusivement celui d’un génie austère et mélancolique. On ne voyait en lui que le penseur profond, mais un peu morose, ourdissant la trame toujours serrée de ses idées dans un style toujours grave. La publication de sa correspondance et de quelques pièces fugitives a révélé dans Tocqueville tout à la fois un autre style et un autre homme. Elle a montré non seulement que Tocqueville possédait une nouvelle supériorité dans les lettres, celle du genre épistolaire ; mais encore elle a fait voir dans l’écrivain l’homme jusqu’alors inconnu du plus grand nombre, l’homme bon, simple, naturel, accessible à toutes les impressions, prompt à ressentir toutes les joies de ce monde, sensible aux moindres comme aux plus grands intérêts de la vie.

Dès son apparition, ce livre reçut une immense publicité, à l’étranger comme en France. Une excellente traduction anglaise, due à la plume élégante d’un écrivain distingué[16], obtint en Angleterre et aux États-Unis le même succès que l’ouvrage original avait en France. Et telle fut la faveur avec laquelle l’ouvrage fut accueilli du public dans les deux mondes, que, au milieu de la multitude d’articles de journaux et de revues de tous les pays qui en ont rendu compte, on en trouverait à peine un seul d’où soit sortie une critique[17]. Toutes les voix du dedans et du dehors se sont confondues en un concert de bienveillance et d’éloges. Partout on a été frappé du contraste singulier qu’offrait cette correspondance, pleine d’idées neuves, d’aperçus fins et délicats, de jugements profonds élégamment exprimés, avec la plupart des correspondances de personnages illustres, publiées de notre temps, surtout à l’étranger, dans lesquelles on ne trouve rien de saillant, et dont il semble qu’on dût épargner la publication à la mémoire de leurs auteurs.

Quoique aujourd’hui on attache peut-être au style une moindre importance qu’on ne faisait autrefois, il est digne de remarque que le mérite de la correspondance de Tocqueville, sous ce rapport, n’a échappé à personne, pas plus à l’étranger qu’en France ; et s’il m’était permis de citer l’autorité d’un écrivain qui était, il est vrai, l’ami intime de Tocqueville, mais que tout le monde reconnaît en même temps pour un homme de lettres éminent et d’un goût exquis, je dirais qu’Ampère[18], si grand admirateur de toutes les œuvres de Tocqueville, plaçait ses lettres, sous le rapport du style, au-dessus de tout ce qu’il avait écrit, et prétendait que, dans ce genre, il n’y avait rien dans notre littérature qui leur fût supérieur.

Les tomes cinquième et sixième de la Correspondance et Mélanges, forment la dernière partie des œuvres déjà publiées.

Le premier des trois volumes nouveaux (le tome septième) se composera de nouvelles lettres, toutes inédites.

Le cours du temps a rendu possible aujourd’hui la publication de lettres dont, il y a quelques années, l’ajournement était nécessaire. On verra d’ailleurs paraître parmi les correspondants de Tocqueville des noms qui ne figurent point dans les premiers volumes, et qui étaient dignes d’y être placés.

Ces nouvelles lettres, comme on voit, formeront un volume à part et complètement distinct de la correspondance qui a été publiée antérieurement. Notre premier mouvement avait été de les fondre avec les précédentes, en plaçant chacune à sa date, et de donner ainsi à toute la correspondance de Tocqueville plus d’ensemble et d’unité. Mais la publication séparée que nous avons résolu d’en faire permettra de mieux juger le mérite de ces nouvelles lettres, précisément parce qu’elles se présenteront isolées de celles qui les ont précédées.

C’est le même motif qui nous a décidés à ne rien changer aux deux volumes de Correspondance déjà publiés, et à y laisser quelques morceaux littéraires, tels que : Quinze jours au désert, l’État de la France sous le Directoire et avant le 18 brumaire, etc., etc., lesquels se trouvent entremêlés dans la Correspondance, et qu’il eût été plus logique d’ôter de cette place pour les reporter dans le volume composé d’éléments analogues. Tout ce qui a déjà paru des œuvres de Tocqueville sera donc, dans l’édition des œuvres complètes, distribué de la même manière, et classé dans le même ordre où la publication en a été faite d’abord. Le lecteur distinguera ainsi du premier coup d’œil, et sans confusion possible, ce qui dans ces œuvres a déjà été publié et ce qui est nouveau.

Sous le titre de : Mélanges littéraires, Notes et Voyages, le tome huitième renfermera deux parties distinctes.

Dans la première, on trouvera tous les morceaux inédits qui se rapportent au livre l’Ancien Régime et la Révolution. On sait que le volume qui porte ce titre n’était, dans la pensée de l’auteur, que le tome premier d’un grand ouvrage, plus grand sans nul doute qu’aucun de ceux qu’il a exécutés, et dans lequel il devait non seulement parcourir toutes les phases de la révolution de 1789, mais encore tous les temps qui ont suivi cette grande époque : 1793, le Directoire, l’Empire ; l’Empire surtout. Il avait déjà préparé presque tous les éléments de cette œuvre immense, quand la mort l’a interrompu.

Cependant, en compulsant les matériaux qu’il avait réunis pour l’exécution de son entreprise, on aperçoit déjà çà et là quelques grandes lignes où se révèle le plan de l’auteur. Quelques pensées y apparaissent déjà, qui portent l’empreinte de son style. Quelques chapitres même se rencontrent non seulement esquissés, mais presque rédigés.

Parmi ces chapitres, deux étaient tellement finis, ou du moins si près de l’être, que nous avons pensé tout d’abord pouvoir les publier. Ils ont paru en 1860[19]. Mais notre première impression, vivement exprimée ailleurs[20], avait été de ne rien publier de plus de ces fragments. Il était évident pour nous que, quelque saillants qu’ils fussent, ces morceaux n’étaient point achevés. Le papier qui leur sert d’enveloppe porte écrits de la main même de Tocqueville, ces mots : Mon texte ébauché. Il nous semblait que nous ne pouvions publier de pareils fragments sans méconnaître la plus constante de ses traditions, et sans manquer en quelque sorte à la mémoire d’un écrivain qui poussait le respect pour le public jusqu’à ne vouloir lui livrer aucune œuvre qui n’eût atteint le degré de perfection dont elle était susceptible. Cependant, nous devons le reconnaître, partout, à l’étranger comme en France, notre réserve a été jugée excessive et nos scrupules exagérés. « Dût-on ne trouver dans ces fragments que la moitié de la pensée de Tocqueville, pourquoi, nous a-t-on dit, en priver le public ? Et quand ce ne seraient que des ébauches, n’auraient-elles pas encore leur prix, comme les esquisses trouvées dans l’atelier d’un grand peintre ? » La critique ne s’est pas bornée à l’expression de ces regrets ; elle a pris la forme même des reproches les plus vifs et des blâmes les plus amers. Il nous en coûte peu de nous avouer vaincus. Nous tenons seulement à répéter encore une fois que ces chapitres nouveaux, faisant suite à l’Ancien Régime et la Révolution, que nous prenons le parti de publier, ne sont point ce qu’ils eussent été s’ils eussent passé de la main de Tocqueville dans celle de l’imprimeur. On ne doit y voir que le premier jet de sa pensée, le dessin des lignes principales de son œuvre. Le petit nombre de développements qui s’y trouvent çà et là sont de la nature de ceux qui, dans le moment où un auteur conçoit son plan général, s’offrent à son esprit, et qu’il jette à la hâte sur le papier dans la crainte de ne pas les retrouver plus tard. J’ajoute que ce texte ébauché par Tocqueville, je le livre absolument tel que le manuscrit le présente, avec ses lacunes et même ses incorrections. Rien n’eût été plus facile que d’en mieux lier toutes les parties ; mais c’eût été altérer l’œuvre de Tocqueville que de la compléter. Nous avons sur ce point poussé le scrupule jusqu’à signaler, par la différence des caractères typographiques, ce qui, dans le manuscrit, paraît constituer le texte, et ce qui s’y rencontre comme des citations ou des notes dont Tocqueville n’avait encore ni arrêté le choix ni fixé la place.

Quel que soit le jugement que l’on porte sur ces fragments, leur lecture ajoutera certainement aux regrets qu’on éprouve de ce que ce travail de Tocqueville sur la Révolution française n’ait point été achevé. Tocqueville possédait pour l’exécution d’une telle œuvre un ensemble de conditions intellectuelles et morales, que peut-être ne réunira jamais au même degré aucun autre écrivain. Abordant tour à tour et successivement, sans parti pris d’avance, toutes les phases de cette grande époque, reprenant un à un tous les faits, soumettant tout à sa puissante analyse, il s’avançait pas à pas dans cette vaste arène semée de tant d’écueils, que tant de vives lumières éclairent déjà de leurs rayons, et que couvrent encore tant de profondes ténèbres ; passant tout au creuset de son admirable bon sens, avec une patience d’investigation que rien ne lassait, et avec un esprit assez haut pour rester toujours impartial au milieu des passions encore brûlantes de ses contemporains. Qui démêlera ce tissu de préjugés, de paradoxes, d’erreurs et de demi-vérités dont se composent jusqu’à présent les jugements portés sur cette époque de notre histoire ? Qui nous dira ce dernier mot, tant cherché, sur la Révolution française ? Comment ne pas éprouver ces regrets et cette douleur, quand on jette un coup d’œil sur les éléments qu’il avait déjà préparés pour la solution de ces grands problèmes ! Quels innombrables matériaux ! quelle multitude de documents déjà accumulés ! que de mailles déjà formées, destinées à se resserrer peu à peu, jusqu’à ce qu’elles formassent ce fin réseau à travers lequel ne pourrait se glisser ni un fait inexact, ni un jugement douteux !

J’ai entre les mains cet immense manuscrit : notes, extraits, réflexions, analyses de mémoires contemporains, vaste recueil de faits et de pensées déjà classés par ordre alphabétique, chaque fait se rapportant à une idée principale, chaque idée à un chapitre auquel elle est renvoyée par un signe. On ne saurait songer sans doute à publier de pareils matériaux, destinés à la construction d’un édifice dont le plan a été conçu, mais qui ne s’est point élevé. Il m’a semblé cependant que le lecteur ne lirait pas sans curiosité et peut-être sans intérêt quelques-unes de ces notes, où se révèle l’idée de l’œuvre qui se préparait. On en trouvera donc un petit nombre dans le tome huitième, à la suite des nouveaux chapitres inédits, faisant suite à l’Ancien Régime et la Révolution. Ce ne sont que des esquisses, des tâtonnements, mais où s’aperçoivent déjà le génie et le style de Tocqueville. Citons-en un exemple. Je trouve parmi les manuscrits une page datée de Sorrente, décembre 1850. C’est l’époque où Tocqueville avait conçu le plan de ce grand ouvrage ; alors que déjà il en traçait les vastes proportions, et qu’à travers les tableaux divers qui s’offraient en foule à son imagination, il rencontrait sans cesse la grande figure de Napoléon. Cette note est écrite sur un chiffon de papier ; elle est presque illisible. Je la déchiffre cependant au moyen d’un vrai travail hiéroglyphique.

« Sorrente, décembre 1850.

« …Ce que je voudrais peindre, c’est moins les faits en eux-mêmes, quelque surprenants et grands qu’ils soient, que l’esprit des faits, moins les différents actes de la vie de Napoléon, que Napoléon lui-même : cet être singulier, incomplet, mais merveilleux, qu’on ne saurait regarder attentivement sans se donner l’un des plus curieux et des plus étranges spectacles qui puissent se rencontrer dans l’univers.

Je désirerais montrer ce que, dans sa prodigieuse entreprise, il a tiré réellement de son génie et ce que lui ont fourni de facilités l’état du pays et l’esprit du temps ; faire voir comment et pourquoi cette nation indocile courait en ce moment d’elle-même au-devant de la servitude ; avec quel art incomparable il a découvert dans les œuvres de la révolution la plus démagogique tout ce qui était propre au despotisme, et l’en a fait naturellement sortir.

Parlant de son gouvernement intérieur, je veux contempler l’effort de cette intelligence presque divine grossièrement employée à comprimer la liberté humaine ; cette organisation savante et perfectionnée de la force, telle que le plus grand génie au milieu du siècle le plus éclairé et le plus civilisé pouvait seul la concevoir. Et, sous le poids de cette admirable machine, la société comprimée et étouffée devenant stérile ; le mouvement de l’intelligence se ralentissant ; l’esprit humain qui s’alanguit, les âmes qui se rétrécissent, les grands hommes qui cessent de paraître ; un horizon immense et plat, où, de quelque côté qu’on se retourne, n’apparaît plus rien que la figure colossale de l’empereur lui-même.

Arrivant à sa politique extérieure et à ses conquêtes, je chercherais à peindre cette course furieuse de sa fortune à travers les peuples et les royaumes ; je voudrais dire en quoi ici encore l’étrange grandeur de son génie guerrier a été aidée par la grandeur étrange et désordonnée du temps. Quel tableau extraordinaire, si on savait peindre, de la puissance et de la faiblesse humaines, que celui de ce génie impatient et mobile faisant et défaisant sans cesse lui-même ses œuvres, arrachant et replaçant sans cesse lui-même les bornes des empires, et désespérant les nations et les princes, moins encore par ce qu’il leur faisait souffrir que par l’incertitude éternelle où il les laissait sur ce qui leur restait à craindre !

Je voudrais enfin faire comprendre par quelle suite d’excès et d’erreurs il s’est de lui-même précipité vers sa chute ; et malgré ces erreurs et ces excès faire bien suivre la trace immense qu’il a laissée derrière lui dans le monde, non seulement comme souvenir, mais comme influence et action durable : ce qui est mort avec lui, ce qui demeure.

Et pour terminer cette longue peinture, montrer ce que signifie l’Empire dans la Révolution française ; la place que doit occuper cet acte singulier dans cette étrange pièce dont le dénouement nous échappe encore.

Voilà de grands objets que j’entrevois : mais comment m’en saisir ?… »

Ce ne sont que des notes ! mais combien de livres ne valent pas de pareilles notes. Je les donne d’ailleurs, bien moins comme des œuvres de Tocqueville, que comme un spécimen du travail préparatoire auquel il se livrait pour l’exécution de son ouvrage.

On vient de voir que c’est en 1850 que Tocqueville trace le plan de ce livre. C’est cependant jusqu’à une date bien plus éloignée qu’il faut remonter pour trouver l’époque à laquelle il en eut la première pensée. On a dit ailleurs[21] comment en 1836 une revue anglaise (the London and Westminster Review) publia en anglais un article intitulé : État social et politique de la France. Cet article anonyme, œuvre de Tocqueville, formait la première partie d’un travail où l’auteur devait exposer l’état de la France avant et depuis la Révolution de 1789. Le premier article seul parut. Tocqueville, qui avait promis le second, fut alors saisi par la politique pratique, qui lui enleva tous loisirs. Mais ce premier article suffit pour montrer de quelles idées l’esprit de Tocqueville était déjà en travail. Il est évident que dès cette époque (1836) Tocqueville méditait l’œuvre dont il devait, vingt ans après, reprendre l’exécution. Si l’on compare l’article du London and Westminster Review avec l’Ancien régime et la Révolution, on voit que la même pensée est au fond de l’un et de l’autre. Le même esprit domine dans les deux. L’article contient en germe tout ce qui sera développé dans le livre. On trouve dans le premier des idées plus dogmatiques, des propositions plus absolues ; dans le second, une étude plus mûrie des faits, des affirmations appuyées sur plus de preuves, les mêmes appréciations avec les tempéraments et les nuances dues à l’étude et à l’expérience. Du reste, dans le morceau écrit en 1836, la pensée de Tocqueville se montre peut-être plus vive et plus saisissante, parce qu’alors moins asservie aux faits et moins contenue par une longue méditation, elle s’abandonnait plus librement à son élan. Il est curieux d’observer, dans l’article de 1836, avec quelle puissance d’intuition la sagacité de Tocqueville avait dès lors pénétré les vérités que, vingt ans après, une étude approfondie rendait manifestes à ses yeux. Aujourd’hui nous pouvons offrir ce morceau au public français, grâce à deux circonstances heureuses. La première, c’est que nous y avons été autorisés par M. John Stuart Mill, l’illustre ami de Tocqueville, dont cet article était la propriété, et qui se l’était encore approprié par son admirable traduction. Nous avons eu un autre bonheur, celui de retrouver, parmi les papiers de Tocqueville, le manuscrit original de cet article. Nous avons pensé que le public mettrait du prix à connaître un écrit qu’on peut considérer à juste titre comme la préface d’un livre dont malheureusement nous ne posséderons jamais que des fragments. Le tome huitième commencera par ce morceau, après lequel viendront les chapitres inédits, puis les notes dont on vient de parler.

La seconde partie du tome huitième contiendra les souvenirs recueillis par Tocqueville dans ses voyages aux États-Unis, au Canada, en Angleterre, en Irlande, en Suisse, en Algérie et en Allemagne.

Ces souvenirs nous ont paru d’un grand intérêt ; et nous pensons que le lecteur en portera le même jugement. Ce sont les notes que Tocqueville prenait jour par jour et pour lui-même. Beaucoup d’entre elles sont écrites au crayon, toutes à la hâte ; aucune n’atteste le moindre effort de composition, et c’est ce qui nous semble en rehausser le prix. On sait comment Tocqueville exprimait sa pensée longtemps réfléchie : on verra dans ces notes de voyage quelle était sa première impression sur toutes choses. Ce qu’on estime le plus dans tout écrivain, c’est la sincérité ; et c’est pour cela qu’on attache tant de prix à sa correspondance privée, où l’on croit mieux voir le fond de son âme que dans le livre destiné au public. Mais cette sincérité est bien plus sûre encore dans les notes de voyage que dans les lettres. Quels que soient les abandons du style épistolaire, l’auteur d’une lettre doit toujours, en l’écrivant, tenir compte jusqu’à un certain point des sentiments et des idées, des préjugés même de celui auquel il l’adresse. Le voyageur, au contraire, en prenant ses notes, est affranchi de toutes réserves. Il n’est en face que de lui-même ; ce qu’il écrit, c’est son impression ; il la constate comme il l’éprouve, et à mesure qu’elle se produit : impression peut-être trompeuse, qu’une autre plus juste viendra rectifier, et qu’il notera non moins fidèlement.

Beaucoup de ces notes sont déjà vieilles de date. La plupart cependant paraîtront écrites d’aujourd’hui, tant Tocqueville jugeait de haut tout ce qui s’offrait à sa vue.

Enfin le tome neuvième et dernier, sous le titre de Mélanges académiques, économiques et politiques, contiendra principalement les travaux de Tocqueville à l’Institut et dans les assemblées parlementaires. Nous avons dû y placer tout d’abord son beau discours de réception à l’Académie française. Les paroles des membres de cette Académie ne sont recueillies que dans les circonstances solennelles. Nous donnons tous les discours que Tocqueville prononça comme président de cette compagnie. Il n’en est pas un seul qui ne soit saillant par quelque côté : les lieux communs les plus usés, les félicitations offertes par la compagnie au chef de l’État lors du premier jour de l’an ou à l’époque de sa fête, les obsèques officielles d’un confrère, la distribution des prix de vertu, tout devenait pour lui l’occasion d’une pensée originale ou d’un sentiment touchant. Personne ne lira sans émotion les paroles prononcées par Tocqueville sur la tombe de Ballanche.

Si nous en croyons M. Sainte-Beuve[22], Tocqueville parlait rarement dans le comité secret de l’Académie française. « Cependant, dit-il, je me souviens de l’y avoir entendu parler deux fois avec un talent remarquable. La première, il s’agissait d’un vote au sujet d’un ouvrage sur Poussin, qui était présenté pour l’un des prix que l’Académie décerne. M. de Tocqueville, favorable à l’auteur et au livre, en prit occasion d’exposer ses idées sur les beaux-arts et sur leur fonction dans la société. L’idée de moralité dominait sa pensée, le nom de Poussin y prêtait…

Une autre fois il s’agissait d’un livre sur l’Organisation des Conseils du roi, dans l’ancienne France. L’ouvrage était également présenté pour l’un des prix de l’Académie, et M. de Tocqueville ne s’y opposait pas ; mais l’auteur avait, à ce qu’il paraît, parlé trop peu respectueusement de Turgot, de ce premier essai de réforme sous Louis XVI. M. de Tocqueville en prit occasion de venger la mémoire de Turgot, d’honorer son intention généreuse et celle du monarque ami du peuple ; cela le conduisit à une profession libérale des mêmes sentiments, qu’il rattachait à une grande, à une sainte, à une immortelle cause, où toutes les destinées de l’humanité étaient renfermées et comprises. Il s’animait en parlant de ces choses. Il était pénétré ; sa main tremblait comme une feuille ; sa parole vibrait de toute l’émotion de son âme ; tout l’être moral était engagé, on l’écoutait avec respect, avec admiration… »

L’Académie française ne publie point le procès-verbal de ses séances, et ce récit charmant de M. Sainte-Beuve le fait regretter. Mais Tocqueville était également membre de l’Académie des sciences morales et politiques, dont tous les travaux sont livrés à la publicité. À diverses époques Tocqueville a lu, dans cette académie, un certain nombre de morceaux qui sont épars dans ses annales, et que nous avons réunis.

Quoique nous ayons établi une distinction entre les travaux académiques, économiques et politiques de Tocqueville, il arrive souvent à ces travaux de se confondre entre eux. C’est ainsi que la plupart des lectures faites par Tocqueville à l’Institut touchaient par un côté à l’économie politique et par l’autre à la politique même ; tandis que de certains travaux destinés à la tribune ou à la presse étaient empreints d’un caractère plutôt philosophique et moral. On ne saurait, en ces matières, qui toutes se tiennent les unes les autres, établir de classification absolue ; on ne peut que viser à un certain ordre. C’est ainsi qu’à la suite des mémoires lus par Tocqueville à l’Académie des sciences morales, nous avons placé une note de Tocqueville sur une question tout à la fois économique et politique, celle des colonies pénales.

Cette note, écrite en 1831, offrira peut-être à ceux qui la liront aujourd’hui tout l’intérêt de l’à-propos ; car la question des colonies pénales, tranchée mais non résolue, reste entière pour les esprits sérieux. Cet écrit faisait partie de l’ouvrage intitulé du Système pénitentiaire aux États-Unis, publié par Tocqueville et par l’auteur de cette préface[23].

Je ne fais qu’exprimer ma pensée sincère en déclarant ici qu’à mes yeux ce livre tirait sa plus grande valeur des notes qui y sont jointes. Or, toutes ces notes sont de Tocqueville, qui avait abandonné à son collaborateur la rédaction du texte. La principale était la note sur les colonies pénales, qui figure dans l’ouvrage sous le titre d’Appendice. Il convenait, à tous égards, de rendre à ce morceau remarquable la place qui lui appartient dans les œuvres de Tocqueville.

Quant à ses travaux à proprement parler politiques, et qui seront sans doute un jour recueillis intégralement, nous n’en donnons qu’un choix restreint, par lequel se terminera le tome neuvième.

Ce qui frappera tout d’abord le lecteur, c’est à quel point tous les sentiments, toutes les idées et toutes les passions de l’écrivain se retrouvent dans l’homme politique.

Combien d’écrivains de notre temps, et de tous les temps, n’entrent dans la carrière politique que pour y contredire ou au moins y oublier les principes qu’ils avaient jusque-là professés ! Cela s’appelle aborder la vie réelle, abandonner le monde des chimères et prendre les choses par leur côté pratique. En entrant dans la politique, Tocqueville n’est pas seulement resté fidèle aux théories qui lui étaient chères, mais encore il a cherché avec bonheur l’occasion de les faire prévaloir dans l’application. C’est ainsi qu’à peine arrivé à la Chambre des députés (1839), il y saisit la question de l’esclavage, mise à l’ordre du jour par la proposition de M. de Tracy, qui demandait son abolition dans nos colonies. Tocqueville avait vu aux États-Unis cette plaie hideuse de l’esclavage des noirs et l’avait stigmatisée dans ses écrits ; il la juge à la tribune de même que dans ses livres ; il est nommé rapporteur de la commission à laquelle la Chambre avait renvoyé l’examen de la proposition et rédige un admirable rapport, dans lequel la servitude humaine est à jamais flétrie, et qui, avec les travaux sur le même sujet de M. de Rémusat et de M. le duc de Broglie, forme un traité complet de la matière. Et non seulement il pose la question devant l’Assemblée qui lui en a donné le mandat ; mais encore comptant pour peu le succès moral de son rapport, s’il n’aboutit pas à une solution pratique, et convaincu que la majorité parlementaire ne peut être obtenue que par une une pression de l’opinion publique sur la Chambre, en même temps qu’il livre son rapport aux députés, il adresse au public, par la voie de la presse, une série d’articles, où il s’applique à démontrer la nécessité, l’urgence et les facilités de l’abolition de l’esclavage. Ces articles écrits avec une verve et un talent admirables parurent alors sous le voile de l’anonyme dans le journal le Siècle. On les trouvera réunis à la suite du rapport.

Le rapport de Tocqueville sur l’esclavage n’en amena pas immédiatement l’abolition ; mais il la rendait inévitable et prochaine. Quand de pareilles questions ont été ainsi posées, elles sont résolues. Mortellement atteinte, l’institution de l’esclavage dans les colonies françaises pouvait paraître encore vivante, parce qu’elle restait encore debout ; mais elle se tenait comme peut se tenir encore le chêne dont la racine est coupée. Elle est tombée au premier souffle de la révolution de Février, à laquelle sans doute personne ne reprochera cette ruine.

De même et quelques mois après seulement (1840), la question de la réforme des prisons étant portée devant le parlement, Tocqueville qui avait étudié ce sujet en Amérique et s’y était formé des convictions bien arrêtées, en porte l’expression vive devant la Chambre, est nommé rapporteur de la commission formée pour l’examen du projet de loi, et dépose le remarquable rapport qui fut pendant plusieurs années la base des discussions dans les deux Chambres, et qui restera le résumé le plus fidèle et le plus complet de la question pénitentiaire.

Il en fut encore de même lorsqu’en 1847 la Chambre fut solennellement saisie de la question d’Afrique par la présentation d’un projet de loi, qui proposait l’établissement de colonies militaires[24]. Il avait, dans le cours de ses voyages, observé beaucoup d’établissements de colonisation ; il avait en 1841 et en 1846, visité l’Algérie ; il avait vu nue et déserte cette terre jadis fertile, qui fut le grenier de Rome ; il avait cru apercevoir les causes du mal et les moyens d’y remédier. Ce qu’il pensait, il le dit à la Chambre avec la vivacité d’un témoin convaincu et l’autorité d’un économiste éclairé. Il fut nommé rapporteur, et son rapport, en présence duquel le ministère retira son projet, renferme l’exposé des vrais principes qui doivent diriger la France dans le gouvernement de ses possessions d’Afrique.

Quelque frappé qu’on puisse être d’abord de la différence des facultés qui sont nécessaires pour la composition de grands ouvrages tels que ceux de Tocqueville, et de l’aptitude que réclament les travaux législatifs, on aperçoit bientôt le lien qui unit ces œuvres si diverses de leur nature, et on comprend comment celui qui avait observé, dans les pays étrangers, les États à esclaves, le vice des prisons et les procédés de la colonisation, pourrait un jour, avec plus d’autorité qu’aucun autre, proposer à son pays l’abolition de la servitude dans les colonies, la réforme pénitentiaire, et celle du régime imposé à nos établissements d’Afrique.

Ainsi se convertissaient en applications pratiques un grand nombre des opinions théoriques que Tocqueville avait apportées à la Chambre. On comprend cependant qu’une pareille destinée ne pouvait échoir à ses opinions politiques proprement dites ; car ses principes politiques le séparaient de la majorité parlementaire, dont à cet égard il ne pouvait jamais être l’interprète ; et il n’avait, comme rapporteur, d’accès possible qu’auprès de ce petit nombre d’affaires, qui sont neutres de leur nature, et pour lesquelles seules l’opposition trouvait quelquefois grâce auprès de la majorité. Ces questions neutres sont les petites questions du moment, et celles que les partis dédaignent. Ce sont pourtant les grandes questions ; questions de morale, d’humanité, de justice sociale ; elles ne touchent pas les partis parce qu’elle sont au-dessus d’eux, et continuent d’exister, quand la trace même des partis a disparu.

C’est une heureuse fortune pour un homme politique d’avoir, dans le cours de sa carrière, rencontré sur son chemin une de ces grandes questions humaines qui ne meurent point, et d’y avoir attaché son nom. Les ambitieux vulgaires n’estiment guère le pouvoir que par la durée du temps pendant lequel ils l’occupent. L’homme politique digne de ce nom, compte non le temps qu’il a passé au pouvoir, mais ce qu’il y a fait. Les rapports de Tocqueville sur l’esclavage, sur la réforme pénitentiaire et sur l’Algérie, nous ont paru dignes de figurer parmi ses œuvres ; on les trouvera dans le tome neuvième.

Quant à ses discours à proprement parler politiques, nous en donnons, non la collection complète, mais seulement un choix. Nous croyons que le moment n’est pas encore venu de mettre dans tout son jour la véritable nuance qui caractérisa la politique de Tocqueville, durant le régime antérieur à 1848. La libre appréciation des partis de cette époque entraînerait une discussion des hommes et des choses, qui paraît aujourd’hui plus difficile et plus inopportune que jamais. Nous nous bornons donc à réunir ceux des discours de Tocqueville qui portent le moins l’empreinte des luttes de partis. On sera frappé en lisant ces discours, de la hauteur à laquelle Tocqueville se plaçait, quand il parlait à la Chambre. Nul peut-être n’a su aussi bien que lui signaler au gouvernement de son pays les périls qui le menaçaient, et à côté du danger, montrer les moyens de le combattre. Vaines paroles ! impuissantes même quand elles venaient des voix les plus amies, et qui dans la bouche d’un opposant n’excitaient que la défiance ou le dédain !

La dernière œuvre parlementaire de Tocqueville est son rapport du 8 juillet 1851, sur la révision de la constitution de 1848, dans lequel se trouvent tout à la fois mises en lumière les causes qui rendaient cette révision si nécessaire, et les circonstances extraordinaires qui la rendaient si difficile. Dernier et solennel témoignage d’honnêteté et de sincérité politiques d’un homme qui, dans tout le cours de sa carrière, n’a jamais dit une parole qui ne fût l’expression de sa pensée, ni fait un acte qui ne fût en harmonie avec ses autres actes.

Ainsi se montrent à la fin comme dans tout le cours de sa vie, cet accord des actions avec les discours, cette parfaite unité de sentiments, d’idées et de vues, qui distingue l’existence de Tocqueville, et qui, à l’éclat si rare du talent et du génie, ajoute la splendeur encore plus rare du caractère[25]. Un illustre écrivain allemand a dit : « Restez fidèles aux rêves de vos premiers ans. » Le rêve de Tocqueville, dès sa plus tendre jeunesse, fut de voir son pays grand et prospère sous un gouvernement libre. Il est demeuré fidèle à son rêve, et l’a emporté dans la tombe.

On voit maintenant de quels éléments se compose cette édition des œuvres complètes de Tocqueville.

Rien n’a été négligé pour donner à cette édition une valeur exceptionnelle, indépendante même des œuvres inédites qui en font partie. Les anciens ouvrages de Tocqueville ont été réimprimés avec un soin particulier. Beaucoup d’erreurs typographiques s’étaient glissées dans le texte de la Démocratie et de l’Ancien Régime. Ce qui s’explique par le grand nombre d’éditions qui s’étaient succédé, et dont la plupart n’avaient point été corrigées par l’auteur. J’ai voulu, et c’est un mérite trop modeste pour qu’il ne me soit pas permis de m’en vanter, corriger moi-même les épreuves de cette édition, et en écarter ces erreurs matérielles dont quelques-unes formaient de véritables contre-sens. Mon travail était d’ailleurs tracé par mon mandat.

Au moment de faire paraître cette édition, madame de Tocqueville pensant que la réunion et la publication de toutes les œuvres de son mari était le plus beau monument qui pût être élevé à sa mémoire, m’a chargé de rechercher parmi ses manuscrits inédits ceux qu’il pouvait convenir de livrer à la publicité. Il y avait là un choix et un classement à faire. À cela s’est bornée ma tâche.

Témoignage d’une confiance dont je serai toujours heureux et fier, ce mandat m’a imposé un travail, non exempt de quelques difficultés, mais qui, je l’avoue, a été pour moi plein de charme. Sans doute au milieu de mes recherches parmi ces manuscrits remis entre mes mains, à la vue de cette écriture amie, de ces dates marquées de tant de souvenirs, j’étais saisi d’une grande tristesse en songeant que celui dont la main avait tracé ces lignes n’était plus. Mais un autre sentiment venait aussitôt relever mon courage. Je me disais que si Tocqueville n’existait plus, sa pensée vivait toujours. Cette pensée, je la voyais sous mes yeux toujours aussi vive, aussi lucide, aussi profonde. Cette pensée, elle, est immortelle. C’est cette pensée que je recherchais avec bonheur, et que je m’appliquais à retrouver pour la transmettre, ou plutôt pour la rendre à l’humanité qui l’a inspirée et à laquelle elle appartient.

Je ne sais si je m’abuse, mais je crois fermement que ce monument sera durable. Les œuvres de Tocqueville sont un arsenal intellectuel dans lequel les amis de la liberté viendront pendant longtemps chercher des armes ; les hommes d’État, des maximes ; les âmes faibles, de l’énergie ; tous les penseurs, des idées.

Gustave de BEAUMONT.

Beaumont-la-Chartre, 25 mai 1864.

 

 

 

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[1] Il serait presque impossible de noter tous les journaux et revues qui, en Europe et en Amérique, ont rendu compte de la Démocratie, depuis que ce livre a paru ; et la difficulté serait plus grande encore de signaler les écrits de toute nature, livres ou brochures, dans lesquels l’ouvrage a été commenté ou invoqué. On se bornera à rappeler ici les noms de quelques-uns des écrivains qui, les premiers, proclamèrent le mérite de la Démocratie et prédirent son succès. Je les cite avec leurs articles sous les yeux : 

Léon Faucher (le Courrier français, du 24 décembre 1834) ;
Le vicomte de Blosseville (l’Écho français, 11 février 1835) ;
Lutteroth (le Semeur, 25 février 1835) ;
F. de Champagny (Revue européenne, 1er avril 1855) ;
Sainte-Beuve (le Temps, 7 avril 1835) ;
Salvandy (Journal des Débats, du 25 mars, du 2 mai et du 6 décembre 1835) :
Louis Blanc (Revue républicaine, du 10 mai 1835) ;
F. de Corcelle (Revue des Deux Mondes, du 15 juin 1835) ;
John Stuart Mill (London Review, octobre 1835) ;
Lockart (gendre de Walter Scott) (Quaterly Review, du 7 septembre 1836) ;
Sir Robert Peel (Banquet de Glascow, 13 janvier 1837) ;
Discours prononcé par sir Robert Peel, à l’occasion de sa réception comme recteur de l’université de cette ville, en présence de tout ce que l’Angleterre possédait de plus éminent dans les lettres, dans les sciences et dans la politique.
Blackwood’s Magazine (Edinburgh, mai 1835) ;
British and foreign Review, Boston (janvier 1836) ;
Edinburgh Review (octobre 1840) ;
Toutes les revues, tous les journaux du temps que le défaut d’espace ne permet pas de mentionner, le National, la Quotidienne, l’Écho de la jeune France, le Bon Sens, etc., etc., tiennent un langage uniforme que résume très bien ce mot adressé par Gentz à la Revue de Paris : « Le livre de M. de Tocqueville a eu une singulière destinée : il a plu à tous les partis. » (Numéro du 28 février 1836.)

[2] On sait que la première traduction anglaise de la Démocratie est due à M. Henry Reeve, aujourd’hui secrétaire du Conseil privé de la reine d’Angleterre. La première édition américaine qui parut aux États-Unis était accompagnée d’une préface de M. John Spencer, membre de la législature de l’État de New-York (1836).

[3] Une nouvelle édition de la traduction anglaise de M. Henry Reeve vient de paraître en Angleterre avec une préface où le traducteur signale le nouveau mérite d’opportunité que le livre de la Démocratie tire de ces événements.

[4] V. Lettre à M. Senior, du 4 septembre 1856, t. VI.

[5] « La question de l’esclavage, dit-il, était pour les maîtres au Nord une question commerciale et manufacturière ; au Sud, c’est une question de vie ou de mort. Dieu me garde de chercher, comme certains auteurs américains, à justifier le principe de la servitude des nègres. Je dis seulement que tous ceux qui ont admis cet affreux principe ne sont pas également libres aujourd’hui de s’en départir. » (T. II, p. 338)

[6] T. II, p. 397

[7] T. II, ch. x, p. 398. Quelles sont les chances de durée de l’Union américaine. Quels dangers la menacent.

[8] Ibid., p. 399.

[9] T. II, p. 335.

[10] T. II, ch. x, p. 399. Des institutions républicaines aux États-Unis. Quelles sont leurs chances de durée.

[11] « C’est dans le volume où il est traité de l’influence de la démocratie sur les mœurs, et où l’auteur a placé en finissant une vue générale du sujet de tout l’ouvrage, que, selon moi, M. de Tocqueville fait voir le plus de finesse et le plus de profondeur ; et ce volume restera peut-être, parmi tous ceux dont se compose la Démocratie en Amérique, comme son titre le plus singulier à l’admiration des hommes. » (Ampère, Correspondant du 2 juin 1859.)

[12] Dans l’étude remarquable qu’il a faite des ouvrages de Tocqueville, M. de Laboulaye, qui n’épargne pas les critiques à cette seconde partie de la Démocratie, la juge, sous quelques rapports, supérieure à la première. « J’en considère, dit-il, le dernier chapitre intitulé de l’Influence des idées démocratiques sur la société politique, comme le chef-d’œuvre de Tocqueville. » (Journal des Débats du 2 octobre 1859.) Cette partie de la Démocratie fut aussi, beaucoup moins que la première, analysée dans les revues étrangères. V. cependant un article remarquable du Blackwood’s Magazine (octobre 1840, numéro 300).

[13] Toutes les revues et tous les journaux n’eurent qu’une voix pour célébrer l’apparition du livre. Et si, dans leur examen, MM. Villemain, de Rémusat, de Pontmartin, Léon Pléc, Hauréau, etc., etc., n’apportèrent pas le même esprit et n’aboutirent pas à la même appréciation que MM. Nisard, de Parieu, Forcade de la Roquette, etc., etc., tous du moins s’unirent pour rendre hommage au talent du livre et au caractère de l’écrivain. « Les qualités de l’Ancien régime et de la Révolution, dit M. Nisard, sont les mêmes qui ont fait la juste renommée de la Démocratie en Amérique. Dans l’un comme dans l’autre ouvrage, ce qui domine, c’est l’observateur à la fois patient et pénétrant. » Voici, du reste, l’indication par ordre de dates des principaux articles qui, au moment où le livre parut, signalèrent sa publication : M. Villemain (Journal des Débats, du 1er juillet 1856) ;
M. de Pontmartin (l’Assemblée nationale, du 5 juillet 1856) ;
MM. Texier et Léon Plée (le Siècle, des 6, 18, 19, 21 et 27 juillet 1856) ;
M. Hauréau (l’Illustration, du 19 juillet 1856) ;
M. de Rémusat (Revue des Deux Mondes, du 1er août 1856) ;
M. Laurentie (l’Union, des 16 août et 4 septembre 1856) ;
M. E. Despois (Revue de Paris, du 1er octobre 1856) ;
M. Forcade de la Roquette (Revue contemporaine, du 15 décembre 1856).
M. Frédéric Passy (Journal des Économistes, janvier 1857) ;
M. Lavertujon (la Gironde, du 29 janvier 1857) ;
M. Nisard (la Patrie, du 6 mars 1857) ;
En France, l’Ancien Régime et la Révolution a déjà été réimprimé quatre fois. Cette édition sera la cinquième.

[14] Voyez the Saturday Review (28 juin 1856). (Pour les revues et les journaux anglais on ne peut indiquer les auteurs des articles, qui paraissent toujours anonymes).
The Athæneum (9 août 1856) ;
The Illustraded Times (16 août 1856) ;
The Examiner (2 août 1856) ;
The Press (2 août 1856) ;
The Spectator (2 août 1856) ;
The Leader (9 août 1850) ;
The Economist (9 août 1850) ;
The Litterary Gazette (9 août 1850) ;
The Times (3 et 10 septembre 1856) ;
Fraser’s Magazine (septembre 1856) ;
The Edinburgh Review (octobre 1856) ;
London Litterary Journal (15 novembre 1856) ;
The Monthly Review (novembre 1850).
L’Ancien Régime et la Révolution a été traduit en anglais par M. Henry Reeve, traducteur de la Démocratie. « Ce livre, dit une revue de Londres, est l’ouvrage historique le plus philosophique qui ait paru depuis Burke. »

[15] V. la Gazette d’Augsbourg (Allgemeine Zeitung) (10 juillet, 22, 24, 25, 27 et 31 août 1856) ; 

Die Kölnische Zeitung (15 juillet 1856) ;
Das Deutsche Museum (4 septembre 1856) ;
Der Grenzbote (7 novembre 1856) ;
Das Jahrhundert (6 décembre 1856). 

Parmi les publications étrangères dont le livra a été le sujet, nous citerons encore les articles qu’ont publiés la Bibliothèque universelle de Genève (décembre 1856), articles de M. W. de la Rive, et la Revista contemporanea de Turin (du 25 juillet 1856), article écrit par Ampère. 

[16] Le Traducteur de la correspondance de Napoléon avec le roi Joseph. Tout le monde sait que cet écrivain anonyme n’est autre que mademoiselle Senior.

[17] Indiquons seulement les principaux organes de la presse quotidienne et périodique, auxquels on fait ici allusion : 

Le Correspondant, du 25 décembre 1860 (article de M. Albert Gigot). Le Correspondant avait peu de temps auparavant, le 2 juin 1859, publié une charmante notice d’Ampère sur Tocqueville. La même revue fit paraître, le 25 avril 1861, un travail très remarquable du comte Louis de Kergorlay, intitulé : Étude littéraire sur Alexis de Tocqueville, et que nous mentionnons ici parce que, si la publication des Lettres de Tocqueville n’était pas précisément le sujet de cette étude, elle en était l’occasion.
Le Moniteur universel, des 31 décembre 1860 et 7 janvier 1861 (articles de M. Sainte-Beuve) ;
La Revue contemporaine, du 31 décembre 1860 (article de M. de Parieu) ;
Le Journal des Débats, du 4 janvier 1861 (article de M. Prévost Paradol) :
La Critique française, du 15 janvier 1861 (article de M. Élias Regnault) ;
Le Siècle, du 21 janvier 1861 (article de M. Taxile Delort) ;
L’Opinion nationale, du 5 mai 1861 (article de M. Jules Levallois) ;
Le Temps, du 7 mai 1861 (article de M. Scherer) ;
La Revue de l’Instruction publique, du 9 mai 1861 (article de M. Mourin) ;
La Revue britannique (août 1861), de M. Pichot (emprunté à la Revue d’Édimbourg) ;
La Revue des Deux Mondes, des 1er et 15 octobre 1801 (articles de M. de Rémusat) ;
Le Progrès de Lyon, du 12 janvier 1860 (de M. Jourdan).

Revues et journaux étrangers :
The Saturday Review (13 janvier 1861) ;
The Litterary Examiner (2 février 1861) ;
The Patriot (7 février 1861) ;
The National Review, avril 1861 (article attribué à M. Greg) ;
The Edinburgh Review, avril 1861 (article attribué a M. Henry Reeve) ;
The Tablet (27 juillet 1861) ;
The Quaterly Review, juillet et octobre 1861 (article attribué à M. Monkton Milnes) ;
The Globe (7 octobre 1861) ;
The Critic (12 octobre 1861) ;
The Litterary Gazette (12 octobre 1861) ;
The Spectator Gazette (12 octobre 1861) ;
Bill’s Weekly Messenger (12 octobre 1861) ;
John Bull (9 novembre 1861) ;
Mac-Millan’s Magazine (novembre 1861) ;
The Weekly Review (15 novembre 1861) ;
The Scotsman (11 décembre 1861) ;
The Caledonian (décembre 1861) ;
Die Zeit (21, 22 et 23 juin 1861), etc., etc., etc.
The new Englander, octobre 1862 (article attribué au révérend Ray Palmer. D. D.).

[18] Ampère ! au moment où j’écris ces lignes, Ampère, le savant ingénieux, l’érudit agréable, le voyageur véridique, l’ami fidèle, dont le cœur était intarissable comme l’esprit, Ampère n’est plus ! La mort vient de le frapper prématurément comme Tocqueville, sans merci pour tant de qualités charmantes, sans pitié pour ses amis.

[19] V. Correspondance et mélanges publiés en 1860. Ces chapitres figurent dans le tome V sous le titre de Fragments d’un ouvrage qui devait faire suite à l’Ancien régime et la Révolution.

[20] V. Notice sur Alexis de Tocqueville, t. V.

[21] Notice sur Alexis de Tocqueville, t. V.

[22] Moniteur, du 7 janvier 1861.

[23] Du Système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France.

[24] Sous le titre de Camps agricoles.

[25] C’est sans doute cette pensée qui a inspiré l’auteur d’un article publié par une revue anglaise, peu de temps après la mort de Tocqueville, et où je trouve les lignes suivantes : « Il y a une entière disproportion entre l’existence de Tocqueville et le vide occasionné par sa mort. Un homme d’une naissance distinguée mais non illustre ; d’une fortune indépendante mais médiocre ; célèbre comme voyageur, et qui n’a exploré que des pays connus ; auteur d’un seul grand ouvrage complet et d’un autre seulement commencé, remarquable comme orateur, mais sans grande influence sur le parti de l’opposition, avec laquelle il votait, et à laquelle il n’appartenait qu’à demi ; ministre pendant quelques mois d’une république qu’il n’avait ni fondée ni appelée de ses vœux ; cet homme disparaît au milieu de sa carrière ; et l’événement est considéré non seulement comme un malheur national, mais comme une catastrophe qui touche aux plus chers intérêts de l’humanité tout entière.
Son nom est voué au respect et son caractère à l’admiration, non seulement par les amis personnels qui ont subi le prestige de ses charmantes qualités, et par le groupe d’adeptes qui s’étaient attachés à ses principes, mais par les hommes d’État eux-mêmes dont il condamnait les actes, par les philosophes dont il contestait l’autorité, par les hommes religieux dont il n’avait pas toujours obtenu l’entière sympathie. » (Quarterly review, juillet et octobre 1861.)

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