L’École du « Public Choice »
Par Henri Lepage
Henri Lepage, Demain le libéralisme, chapitre V,
Édition numérique réalisée par Monica Somandroiu, Institut Coppet
BLACKSBURG, Virginie… à 500 kilomètres au sud-ouest de Washington, une petite ville universitaire typiquement américaine, nichée sur les flancs verdoyants des monts Appalaches. Un peu à l’écart des bâtiments ultra-modernes du Campus, une vieille maison que l’on croirait directement sortie d’Autant en emporte le vent. Il y a une dizaine d’années, c’était encore la résidence du président de l’Université ; mais celui-ci l’a abandonnée pour des lieux plus sûrs aux grands moments de la contestation étudiante. Aujourd’hui, le bâtiment est affecté à l’un des départements autonomes du Virginia Polytechnic Institute and State University : le « Center for Study of Public Choice » (Centre d’études des choix collectifs). C’est là que professent James Buchanan et Gordon Tullock.
« Public Choice », Buchanan, Tullock… ces noms n’évoquent pas grand-chose de ce côté-ci de l’Atlantique, même chez les économistes professionnels. C’est dommage : car James Buchanan et Gordon Tullock, coanimateurs du « Center for Public Choice », figurent en effet parmi les pionniers d’une toute nouvelle discipline scientifique qui a moins de quinze ans d’âge et qui fonde son essor sur l’application des outils et de la méthodologie économiques à l’analyse des phénomènes politiques. En renouvelant l’approche économique traditionnelle des problèmes de « choix collectifs », et en ouvrant de nouvelles voies pour l’exploration des mécanismes dynamiques qui gouvernent l’évolution des sociétés « démocratiques », ils contribuent à jeter les fondements d’une nouvelle vision « libérale » des problèmes d’économie publique.
Qu’est-ce que le « Public Choice » ?
Qu’est-ce que le « Public Choice » ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de faire un rapide rappel historique de la façon dont la théorie économique tient compte de l’existence d’un Etat qui exerce des responsabilités « publiques ».
Point de départ : la théorie libérale traditionnelle, celle qui sert encore de base à tout l’enseignement universitaire et scolaire. Issue des travaux de l’Anglais Marshall, du Français Walras, et de l’Italien Pareto, cette théorie explique le fonctionnement des marchés où sont échangés des biens et marchandises. C’est un modèle abstrait qui ne prétend pas décrire tous les rouages de l’économie concrète, mais tente d’expliquer les mécanismes qui, dans une situation de concurrence pure et parfaite, déterminent les volumes de production, les prix, et la façon dont se déroulent les processus d’allocation des ressources. C’est le B.A.BA de la théorie économique sur laquelle est fondée toute la doctrine « libérale » traditionnelle.
Dans ce schéma, l’État est pratiquement absent. L’Administration publique y trouve difficilement sa place. Certes, dès la fin du XIXe siècle, des pionniers comme les Suédois Knut Wicksell (1896) et Erik Lindahl (1919) ou les Italiens Mazzola, Pantaleoni, Sax et de Viti Marco essaient d’étendre le schéma d’analyse marginaliste classique à la compréhension des mécanismes qui gouvernent le fonctionnement des activités publiques. Mais leurs travaux restent pratiquement inconnus. Par définition, l’Etat est considéré comme une activité « improductive », un poids certes inévitable mais dont il faut limiter la pression sur l’économie. L’Etat n’est présent que par la théorie des « finances publiques » qui se préoccupe de mesurer les conséquences de la fiscalité sur le fonctionnement des marchés « privés », et qui reste fondée sur le dogme que le meilleur impôt est celui qui est « économiquement le plus neutre possible » (attachement à l’impôt « proportionnel »).
Tout cela change au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lorsque les économistes occidentaux découvrent, d’une part, les théories keynésiennes, d’autre part, les travaux d’un autre grand économiste anglais de l’avant-guerre, Arthur Pigou. Alors que jusque-là le marché était paré de toutes les vertus, cette fois-ci les économistes se concentrent sur l’analyse de ses imperfections. Tout le monde connaît aujourd’hui plus ou moins bien l’essentiel de l’apport de John Meynard Keynes. Point n’est besoin d’y revenir[1]. En revanche, l’apport de Pigou est beaucoup plus mal connu bien qu’il soit le véritable fondateur des conceptions modernes de l’« Economie mixte ».
Auteur d’un ouvrage fondamental intitulé The Economics of Welfare (l’économie du bien-être), publié à Londres en 1920, Arthur Pigou est sinon l’inventeur du concept d’« externalités » (que l’on trouve déjà chez un auteur très classique comme Alfred Marshall), du moins le premier à avoir introduit les notions d’externalités et de coûts sociaux comme base de l’économie publique. A ce titre, il est le père des théories qui servent de fondement au développement des interventions collectives dans l’économie. L’apport de Pigou est simple. Il part d’une constatation : à savoir que les marchés sont loin d’être aussi parfaits que ceux que décrit la théorie néo-classique. Des gaspillages apparaissent du fait que les agents économiques ne sont pas en mesure de prendre en compte, dans leurs décisions, un certain nombre de conséquences non-marchandes de leurs actes qui constituent pourtant un « coût » pour la société (exemple des phénomènes de pollution). Autrement dit, le libre fonctionnement des mécanismes de marché n’entraîne pas nécessairement des résultats aussi optimaux » que le suppose l’approche classique. La solution du marché n’est pas toujours la meilleure possible ». Des interventions collectives » doivent intervenir pour corriger les « défauts » qui, dans l’allocation des ressources, résultent des écarts existant entre les hypothèses du modèle de la concurrence parfaite et la réalité : présence de monopoles et de positions dominantes ; non-indépendance des choix individuels, problème des « biens publics » qui ne peuvent pas être vendus individuellement sur le marché et qui sont « consommés » collectivement, etc. L’extension du rôle économique de l’Etat est alors légitimée par la nécessité d’internaliser » les externalités croissantes qui résultent du fonctionnement des systèmes industriels. C’est à lui que revient la responsabilité de veiller à ce que, en corrigeant les « défauts du marché, l’utilisation des ressources de la société soit bien, du point de vue de la collectivité, la plus « efficace » possible.
Cette théorie du « bien-être » a constitué, depuis la guerre, l’un des champs d’activité privilégiés de la recherche économique. Toute une littérature bourgeonnante a été consacrée depuis vingt ans à l’analyse des imperfections du marché, à l’approfondissement de la rationalité des interventions publiques (théorie des biens publics » et théorie des « choix collectifs illustrées par les travaux des deux prix Nobel américains Paul Samuelson et Kenneth Arrow), ou encore à la mise au point de nouveaux outils d’intervention collective plus « efficaces » (cf. toutes les nouvelles recherches tournant autour de l’« économie de l’environnement »). Ceci dit, une nouvelle génération d’économistes apparaît depuis une dizaine d’années qui, sans contester le bien-fondé de l’intervention collective dans l’économie, et sans nier les apports considérables des théoriciens du « welfare » (mot anglais correspondant à notre expression d’économie du « bien-être »), s’efforcent d’en mettre en lumière les limites et les lacunes. Et c’est là que nous retrouvons les théories du « Public Choice ».
Que disent ces nouveaux économistes ? Essentiellement ceci : « C’est très bien de mettre en lumière les imperfections de nos systèmes de marché. C’est très bien d’approfondir les recherches sur la logique de l’intervention collective, et de perfectionner les outils dont dispose la puissance publique. Mais encore faut-il être sûr que l’État fait bel et bien le meilleur usage possible des instruments qu’il a à sa disposition. Or, qu’est-ce qui nous le garantit ? Qu’est-ce qui garantit d’abord que les décisions qu’il prend sont bien celles qui correspondent effectivement le mieux possible à la structure des préférences de la collectivité ? Qu’est-ce qui garantit ensuite que, même si les décisions sont les bonnes, celles qui correspondent le mieux possible à l’intérêt collectif, les résultats de l’action de l’État seront effectivement conformes aux intentions du législateur ? L’État n’est pas une construction divine, dotée du don d’ubiquité et d’infaillibilité. C’est une organisation humaine, où les décisions sont prises par des êtres humains comme les autres, ni meilleurs, ni plus mauvais, eux aussi susceptibles de se tromper, et dont l’action est elle-même conditionnée par des règles et des structures qui sont des « fabrications » humaines et qui ne sont pas nécessairement plus infaillibles que celles de n’importe quelle autre organisation sociale quelle qu’elle soit. Tant que le rôle de l’Etat dans l’économie restait relativement limité, de telles questions n’avaient qu’un intérêt marginal. En revanche elles deviennent essentielles dès lors que l’intervention de l’Etat prend une place déterminante dans le fonctionnement des économies modernes.
Or, ce que nous constatons, c’est que sur ces sujets-là la théorie économique moderne est pratiquement muette. Les économistes se comportent comme s’ils faisaient deux poids, deux mesures selon que ce qu’ils analysent ressort de l’économie privée ou de l’économie publique. D’un côté, il y a des individus menés par leur intérêt égoïste et étroitement individuel, les « agents économiques », consommateurs, chefs d’entreprise… dont il convient de corriger les motivations par un encadrement collectif incarnant l’intérêt général ; de l’autre, l’Etat, supermachine divine, reflet des intérêts de la collectivité, animé par des fonctionnaires qui n’ont pour motivation que l’affirmation et le respect de l’intérêt public. C’est de cette fiction qu’il faut sortir. Non pas pour remettre en cause le principe de l’intervention de l’État, mais pour faire prendre conscience à nos contemporains que si le marché est un mécanisme d’allocation des ressources hautement imparfait, l’État lui non plus n’est pas exempt d’imperfections. Ce que nous voulons, c’est appliquer à l’État et à tous les rouages de l’économie publique exactement les mêmes techniques qui ont été utilisées depuis vingt-cinq ans pour recenser les défauts et les défaillances de l’économie de marché. Non pas pour retomber dans une vision manichéenne des choses qui consisterait, comme on l’a fait et on continue encore de le faire pour le marché, à dénoncer le « vicieux » État face au « vertueux » Marché, mais simplement pour réintroduire un peu de bon sens et ne choisir l’État que lorsqu’il est prouvé ou évident que la solution du marché est réellement plus couteuse que la solution de l’intervention publique. Notre objectif est en quelque sorte d’inverser la charge de la preuve : au lieu de partir du principe que toute intervention est légitime dès lors que l’on a recensé une série d’imperfections du marché ; nous voulons que l’on soit sûr que les imperfections des mécanismes étatiques ne seront pas supérieures aux imperfections auxquelles on désire porter remède ».
Telle est en quelque sorte la Charte des nouveaux économistes membres de la « Société du Public Choice », une société savante dont le siège est précisément à Blacksburg, et qui publie une revue trimestrielle Public Choice dont les lecteurs sont à 45 p. cent des économistes professionnels, et à 45 p. cent des universitaires en sciences politiques (une dizaine d’abonnés en France, mais beaucoup d’Anglais et d’Allemands). Partant de là, nous sommes mieux à même de comprendre ce que représente ce mouvement scientifique. Comme l’explique James Buchanan dans la préface de l’ouvrage qu’il a édité en collaboration avec Robert Tollison Theory of Public Choice[2] :
« Le Public Choice n’est pas autre chose qu’un effort de formulation d’une théorie générale de l’Économie Publique qui permette de faire dans le domaine des choix collectifs ce qui a été fait depuis longtemps au niveau de la micro-économie des marchés. Il s’agit de compléter la théorie de la production et de l’échange des biens ou services marchands par une théorie équivalente, et autant que possible compatible, du fonctionnement des marchés politiques. Cette théorie constitue un effort pour former les modèles de simulation des comportements sociaux dont nous disposons aujourd’hui et présentent la caractéristique de traiter les mécanismes de la décision humaine de façon différente suivant que l’individu agit sur un marché économique ou un marché politique. Alors que tous les modèles traditionnels traitent les décisions économiques comme des variables endogènes au système, mais prennent les décisions politiques comme des facteurs exogènes sur la logique et la production desquels on refuse de s’interroger, l’esprit du Public Choice est de réintroduire ces deux aspects des comportements humains dans le modèle unique qui tienne compte de ce que ceux qui subissent les effets des décisions politiques sont aussi ceux qui choisissent les décideurs qui décident pour eux. »
L’économie du politique
Concrètement, par quoi cela se traduit-il ? Pour répondre à cette question, il est indispensable de rappeler un instant ce sur quoi repose la théorie moderne des marchés.
Nous perdons souvent de vue que, au départ, la science économique est fondée sur un modèle simple de comportement humain dont l’objectif est de représenter la façon dont sont prises, dans la société, les décisions de consommer ou de produire les biens et services marchands. Ce modèle est fondé sur un postulat : à savoir gue la motivation principale qui mène tous les agents économiques est la recherche de l’intérêt individuel. Ce paradigme de l’Homo œconomicus ne signifie pas que l’on considère systématiquement que tous les hommes sont des monstres d’égoïsme. Il n’érige pas ce vice en vertu ; il aboutit seulement à poser comme principe que l’homme, lorsqu’il est confronté à un choix entre plusieurs alternatives dont les conséquences sur son « bienêtre » seront différentes, préférera choisir la solution qui lui rapportera un « plus » plutôt que la solution qui se traduira .pour lui par un « moins » ; et donc une toute décision humaine, aussi banale soit-elle, implique toujours un calcul, parfois explicite, souvent implicite, de ses coûts et avantages.
Partant de là, le modèle se construit en cherchant à identifier les contraintes qui pèsent sur tous les comportements individuels. Ces contraintes, ce sont les systèmes de sanctions et de récompenses qui caractérisent toute vie collective et qui sont déterminés par la structure de l’organisation dans le cadre de laquelle l’individu agit. Elles représentent une sorte de système de portes ouvertes et de portes fermées qui canalise les efforts que déploient les individus pour accroître le montant global de leurs satisfactions (ce que les économistes expriment par leur formule « maximer son utilité »), le rôle de ces canalisations étant de faire en sorte que tout en agissant pour eux les individus agissent dans le sens le plus favorable aux intérêts « collectifs » de la communauté à laquelle ils appartiennent.
Une fois les systèmes de contraintes identifiés, on a un ensemble complexe qui permet de relier les décisions concernant la consommation, la production, les prix, les salaires, les investissements, etc. aux motivations individuelles des agents économiques et qui fait dépendre la « qualité » sociale des décisions prises (dans quelle mesure coïncident-elles avec l’intérêt général de la collectivité ?) de l’efficacité du système de sanctions et de récompenses à canaliser les intérêts individuels dans un sens convergent avec l’intérêt général.
Tel est le véritable modèle de base de la théorie économique. Il a pour caractéristique d’être un modèle « dynamique », et « fermé » : s’il étudie la façon dont les préférences individuelles des agents déterminent la structure de la production finale, il tient également compte des effets de rétroaction que cette structure finale exerce sur les demandes primaires. Le fonctionnement du système économique modifie en effet l’équilibre général des prix et des coûts ; ce qui entraîne une transformation de la matrice des coûts-avantages qui canalise les intérêts individuels, et donc une modification de la structure même de ces intérêts qui se répercute ensuite au niveau des nouvelles décisions prises par les différents agents économiques en fonction de la façon dont ceux-ci sont affectés par les changements de l’équilibre des coûts[3]. La théorie dite libérale traditionnelle n’est qu’un cas particulier de ce modèle général : une situation « parfaite » dans laquelle les caractéristiques du système de contraintes associé aux formes capitalistes de propriété (concurrence, profit, faillite) font quela structure des intérêts particuliers s’ajuste automatiquement de manière à coïncider avec ce qui est le meilleur pour la société ; d’où la fameuse phrase d’Adam Smith qui dispense chacun de se préoccuper de l’intérêt général puisque la structure des intérêts particuliers intègre automatiquement les conditions de l’optimum social.
Certes, ce modèle est loin d’être parfait. Ce n’est qu’une « représentation » de la réalité. Il ne prétend pas refléter toute la réalité. Mais jusqu’à présent, pour comprendre le fonctionnement des marchés de biens et services marchands, on n’a pas encore inventé d’outil qui soit meilleur et qui passe mieux que lui l’épreuve de la vérification empirique. C’est donc, même s’il n’exprime pas toute la complexité des relations humaines et des mécanismes de la décision, un modèle acceptable, une « suffisamment bonne » appréciation de la réalité.
Ce rappel ayant été fait, il nous est facile de revenir au Public Choice. Celui-ci n’est autre qu’une entreprise qui vise à développer un modèle analogue permettant de décrire les mécanismes décisionnels qui président, dans nos sociétés « démocratiques », à la production et à la répartition des « biens publics » (pris au sens de tout ce qui est « produit » par l’Etat et les Administrations : défense, justice, solidarité, redistribution…). Il ne s’agit plus de comprendre comment sont prises les décisions de production de biens industriels, mais d’essayer d’expliquer pourquoi une certaine population, par la voie de ses institutions politiques (directes ou représentatives), choisit telle structure de budget plutôt que telle autre, tel taux de pression fiscale plutôt que tel autre, ou encore tel type de système de prévoyance (entièrement nationalisé) plutôt que tel autre (fondé sur le mutualisme volontaire et l’initiative privée), etc. et cela dans le cadre d’un schéma complexe qui, comme dans le cas des marchés privés :
– Intègre la prise en compte des motivations et des intérêts particuliers des différents acteurs du jeu (intérêt des citoyens qui sont les destinataires de ces produits et expriment leurs désirs par la voie des élections ; intérêts aussi des représentants politiques, des hommes de gouvernement et des fonctionnaires qui forment en quelque sorte le corps des « producteurs » travaillant pour les citoyens-consommateurs).
– Tienne compte des effets de rétroaction du produit final sur la structure des préférences des citoyens et sur les stratégies individuelles des agents de l’Etat : exemple d’une réforme fiscale, décidée par le Gouvernement et votée par le Parlement, dont l’effet est de modifier le fonctionnement des marchés privés (action sur la propension à épargner par exemple), mais qui réagit également, d’une part, sur les sentiments des électeurs (si elle fait trop de mécontents…), d’autre part, sur la structure globale du système de contraintes décisionnelles de la société (accroissement du nombre de fonctionnaires, extension de la logique bureaucratique au détriment du marché).
– Permette de mesurer l’efficacité « sociale » relative de tel « produit » par rapport à tel autre, et donc (toute institution étant un « produit » de l’activité publique : une constitution, une administration, un règlement), d’apprécier le degré d’optimalité de telle institution ou de telle autre ; le degré d’efficacité ne se mesurant pas par des chiffres ou des rendements, mais par la réussite (ou l’échec) de l’institution en cause à contraindre les finalités individuelles de s’aligner sur l’intérêt général.
Comme l’écrit l’économiste anglais Arthur Seldon, dans sa préface à l’édition britannique d’un petit livre de Gordon Tullock[4] publié par l’Institute of Economie Affairs (Londres) :
« Ce qui intéresse l’économiste du Public Choice, ce n’est pas de savoir s’il est « meilleur » que l’Etat produise telle « quantité » de défense nationale, de solidarité ou de redistribution plutôt que telle autre ; ce n’est pas de savoir si tel impôt est, par nature, plus « juste » que tel autre, ou telle loi meilleure que telle autre mais de comprendre pourquoi une collectivité choisit ceci plutôt que cela. Son objectif est de comprendre comment fonctionnent les processus de décision qui gouvernent la production et l’allocation des produits publics. Son sujet est de savoir comment s’organise, se structure l’appareil de production collectif, quels y sont les systèmes de contrainte, de sanction ou de récompense qui déterminent ou influencent l’action individuelle de tous ceux qui concourrent au processus de production collective, quelles sont les finalités qui s’en dégagent aux différents échelons[5], etc… l’Etat y est analysé comme une mécanique dont on décompose les différents mécanismes, de la même façon que les économistes ont depuis longtemps décortiqué tous les aspects du fonctionnement des marchés privés. Ce qui importe, c’est comment leurs actions rétroagissent sur le « bien-être » de la société, et non de savoir comment ils devraient se comporter en principe. Il s’agit d’une approche « positiviste » de l’étude des mécanismes sociaux et politiques qui rompt avec l’approche « normative » adoptée depuis trente ans par la science économique ou les autres sciences sociales comme la philosophie, la sociologie ou la science politique. »
Pour effectuer un tel travail, la première démarche consiste à rechercher quels sont les systèmes de finalité qui gouvernent l’action des principaux agents en cause (ce que l’économiste appelle dans son jargon les « fonctions d’utilité » individuelles ou collectives). Mais nous avons vu que cette recherche est inséparable d’un autre problème : celui de l’identification des systèmes de contraintes qui pèsent sur les individus. C’est en effet la structure des systèmes de sanctions et de récompenses qui détermine l’échelle des finalités individuelles que les agents en cause vont plus ou moins privilégier dans leur stratégie globale d’amélioration de leur « bien-être ». De ces deux questions découle une première caractéristique du mouvement du Public Choice : la production de toute une nouvelle génération de modèles économiques qui tentent d’expliquer les comportements observés des décideurs publics (les élus, les partis politiques, les gouvernements, les agents fonctionnaires de l’Etat) par une analyse rationnelle des motivations et des contraintes qui conditionnent leurs attitudes et leurs choix décisionnels.
C’est ainsi qu’avec les travaux de Gordon Tullock (1965), de William Niskanen (1971), d’Albert Breton (1974), de Thomas Borcherding (1976) et de quelques autres… l’un des aspects les plus originaux et les plus passionnants de la littérature du Public Choice est la construction de toute une série de modèles qui constituent l’embryon d’une théorie générale de la bureaucratie.
Tous ces modèles sont fondés sur l’extension du paradigme de l’Homo œconomicus aux comportements et attitudes des individus face à des choix « non marchands ». Ils partent du principe que l’homme n’est qu’un, que ce n’est pas le fait d’avoir un poste de P.D.G. ou un titre de directeur de ministère qui change quoi que ce soit à la « nature humaine ». Pour eux, où qu’il soit, qu’il soit salarié d’une entreprise privée ou appointé par une administration, l’individu reste le même : s’il en a la possibilité, il choisira de préférence la décision susceptible de lui rapporter une satisfaction personnelle plus grande (en termes matériels ou en termes purement psychologiques : prestige, carrière…) même si cette décision est moins conforme à l’intérêt général qu’une autre décision qui lui rapporterait une « plusvalue » personnelle moindre. Comme l’explique Gordon Tullock :
« Ce qui différencie une entreprise capitaliste d’un service administratif, ce n’est pas que les individus s’y comportent de façon différente ; mais le fait que les règles du jeu, les contraintes institutionnelles qui délimitent leur degré d’autonomie dans la poursuite de leurs objectifs personnels sont beaucoup plus rigoureuses dans l’entreprise privée que dans l’administration. D’où le résultat paradoxal que c’est dans l’entreprise que les actes individuels, toutes choses égales par ailleurs, ont le plus de chances de coïncider avec l’intérêt général, cependant que c’est dans les bureaux administratifs que les individus ont le plus de possibilités de laisser libre cours à la maximation de leurs intérêts individuels, que ceux-ci convergent ou non avec l’intérêt général. »
Cela peut paraître paradoxal, mais rejoint un sentiment que beaucoup partagent intuitivement. Le mérite de ces nouveaux économistes est d’étayer ce qui n’était qu’un sentiment par une démonstration logique et rationnelle, susceptible d’être vérifiée empiriquement[6].
Ces modèles complètent ceux plus anciens d’Anthony Downs (1957) et de William Riker (1962) qui présentent l’homme politique comme un « entrepreneur » (a political entrepreneur) et débouchent sur une véritable théorie du comportement des partis politiques ; elle aussi vérifiable empiriquement comme le prouvent, par exemple, les nombreux travaux américains consacrés à l’analyse des phénomènes de « logrolling », c’est-à-dire de marchandage entre les différents partis politiques lorsqu’il s’agit de faire passer de nouvelles législations (voir également les applications qu’un Professeur de la London School of Economies, Morris Perlman, fait de ces théories pour expliquer les caractéristiques de la situation britannique, notamment son haut niveau d’inflation). L’homme politique y est vu comme un individu ni plus altruiste, ni moins altruiste que ses concitoyens, qui cherche avant tout à augmenter le nombre de ses électeurs en leur offrant le « panier » (basket) de « consommations collectives » qu’ils désirent et qui « travaille » sur un marché électoral qui a certes ses caractéristiques propres mais qui joue le même rôle que le marché économique : adapter l’offre de biens publics (décidée par les représentants élus) à la demande des citoyens.
Bien des éléments permettent d’assimiler les institutions politiques à un « marché » comme un autre où s’instaurent des relations d’échange contractuelles et où tout fonctionne sur la base d’élémentaires calculs de coûts-avantages individuels. Il n’y a pas de raison de penser que le comportement de l’individu-citoyen, dans l’isoloir, est fondamentalement différent de celui de l’individu-consommateur dans un supermarché : toutes choses égales par ailleurs, il n’est pas absurde de considérer qu’en règle générale il votera plutôt pour l’homme politique dont il espère que l’action se traduira pour lui par un « plus » personnel que pour celui dont le programme lui coûterait plus cher (en termes d’impôts supplémentaires) qu’il ne lui rapporterait. Un certain nombre d’études empiriques montrent que les modèles politiques fondés sur l’idée que l’électeur se comporte comme un individu rationnel qui, dans son choix, tient compte non seulement des « bénéfices » qu’il compte retirer de l’action publique, mais aussi des retombées fiscales des programmes pour lesquels il vote, ont un fort pouvoir explicatif.
Qu’on lise par exemple l’étude déjà ancienne de James Buchanan[7] (1965), où le leader du Public Choice examine les « raisons » rationnelles du mauvais fonctionnement de la médecine nationalisée britannique à laquelle 1’« électeur » anglais ne donne pas les moyens financiers de « produire » la quantité et la qualité de prestations que le même électeur demande au National Health Service en tant que client subventionné consommant une médecine gratuite.
Par ailleurs il est certain qu’il existe d’assez fortes analogies entre le chef d’entreprise qui subit la sanction du marché et l’homme politique dont la réélection dépend de la satisfaction de ses clients les électeurs.
Cela dit, marché économique et marché politique fonctionnent de façons très différentes. L’une des caractéristiques du marché politique est que les biens qui y sont produits et achetés ne peuvent faire l’objet d’une consommation individuelle. Ce sont par définition des « biens collectifs » vendus en lots à des groupes de consommateurs dont aucun ne peut dire explicitement quelle quantité il désire. Pour savoir quelle est la « demande » il faut passer par des procédures d’agrégation des préférences individuelles qui révèlent ce que désire le groupe concerné. C’est le rôle des procédures électorales que de révéler, soit de façon directe (référendums), soit par l’intermédiaire de la désignation de représentants élus, la quantité et la qualité de biens publics que la population désire.
Entre le « consommateur » (l’électeur) et le « producteur » (l’Etat) intervient donc un intermédiaire technique : le régime électoral. Celui-ci n’est pas neutre. Il existe un nombre infini de techniques électorales possibles : suffrage universel ou censitaire, règle d’unanimité, scrutin majoritaire, scrutin proportionnel, règle de la majorité relative, de la majorité absolue, de la majorité des deux tiers. Suivant le système adopté, la matrice coûts-avantages qui conditionne le comportement « intéressé » des électeurs, du personnel politique ou des partis sera chaque fois différente. Il faut s’attendre à ce que, toutes choses égales par ailleurs, chaque système électoral révélera une image différente de la structure de la « demande » du corps électoral.
Sur le plan scientifique, une question importante est donc de bien connaître toutes les propriétés des différents systèmes électoraux. C’est là un domaine qui depuis longtemps intéresse les économistes ; de grands économistes « néo-classiques » orthodoxes comme Samuelson, Arrow ou Baumol y ont apporté d’importantes contributions, sans compter les travaux plus anciens de Wicksell, Lindahl et Hotelling (1929) mais auquel le Public Choice apporte une dimension nouvelle depuis que, dans leur livre The Calculus of Consent paru en 1962, James Buchanan et Gordon Tullock ont ajouté une nouvelle pièce à la théorie des choix collectifs, en ébauchant les principes d’une théorie des choix institutionnels.
L’analyse des systèmes de vote pose en effet trois séries de questions :
– La première est d’identifier quel est, toutes choses égales par ailleurs, le meilleur système électoral possible. C’est l’analyse comparative des systèmes de choix collectifs marquée notamment par les travaux de Duncan Black (1948), inventeur du théorème du « votant médian » (théorème qui explique pourquoi les systèmes électoraux de type majoritaire aboutissent à faire que la politique choisie est celle qui correspond aux préférences de l’électeur « médian », et qui montre comme cela correspond à une solution qui est loin d’être optimale pour la société). La réponse à la question posée est qu’en théorie, la meilleure des lois électorales possibles c’est la règle de l’unanimité (difficile à respecter en raison des « coûts de transaction » prohibitifs qu’impose la recherche de l’unanimité) ; et que dans la réalité tout dépend de la structure des coûts de communication et de transaction qui grève le processus de formation des majorités politiques.
– Sachant qu’aucune loi électorale n’est parfaite et ne permet donc pas d’atteindre l’optimum social dont rêve tout économiste), une seconde façon de prendre le problème consiste à essayer de voir comment le choix de différentes règles collectives est susceptible d’engendrer, toutes choses égales par ailleurs, différents choix politiques. Exemples : quelles conséquences le passage d’un système majoritaire à un système proportionnel entraîne-t-il au niveau des principaux choix fiscaux et budgétaires (taille du budget, composition) ? Quelles seront les répercussions d’une politique développant le rôle des taxes parafiscales sur le comportement « producteur » des principaux acteurs publics et sur l’évolution de l’attitude des citoyens vis-à-vis des différents programmes politiques qui lui sont proposés ? Quelles relations existe-t-il entre l’évolution de nos institutions politiques et sociales et l’adoption, après la guerre, de politiques fiscales de type keynésien ? (autrement dit, quel est l’élément « rationnel » qui fait que nous sommes tous devenus keynésiens ? voir sur ce sujet le nouveau livre de James Buchanan et Richard Wagner : Democracy in Deficit : the Political Legacy of Lord Keynes).
– Enfin une dernière attitude est de se demander pourquoi la société se dote de tel système de choix collectifs plutôt que de tel autre, et d’essayer de relier ce choix à des facteurs économiques explicatifs (en termes de calculs coûts-avantages). Pourquoi par exemple le scrutin majoritaire est-il le système électoral le plus répandu alors qu’il est particulièrement « coûteux » pour les minorités qui subissent la dictature de la majorité, et que, socialement, il serait préférable de lui substituer des majorités pondérées plus importantes ? Qu’est-ce qui explique que la société ne choisisse pas ce qui en théorie serait le meilleur pour elle ? C’est le domaine de la théorie économique des institutions dont l’objectif est, d’une part, d’expliquer « rationnellement » les choix du passé, d’autre part, d’éclairer la société sur les choix des meilleures règles institutionnelles possibles.
Toute décision politique constitue en effet un acte économique : elle modifie l’allocation des ressources de la société, à laquelle elle apporte certains « bénéfices » (amélioration du degré de satisfaction global des citoyens) à un certain « coût » (en termes de ce qu’une autre allocation des ressources aurait pu lui apporter : ce que les économistes appellent un « coût d’opportunité »). Une « bonne » décision ou une « bonne » politique est une politique qui rapporte à la société plus qu’elle ne lui coûte. La « meilleure » politique possible est celle qui apporte à la société plus que ce que peuvent lui rapporter (net des coûts) toutes les autres politiques possibles. De la même façon, l’institution sociale la meilleure possible est celle qui « produira » plus de « bonnes politiques » et de « bonnes décisions » que toutes les autres formes institutionnelles possibles. Lorsqu’il est clairement apparent que la société ne choisit pas les solutions institutionnelles qui seraient les meilleures pour elle (par exemple la situation actuelle où l’Etat intervient dans des domaines où le marché serait une meilleure solution), le problème qui se pose est de savoir pourquoi. La réponse peut être :
– Soit que les coûts du changement d’institution sont trop importants par rapport aux gains sociaux à en attendre (ce qui nous ramène à la théorie de l’innovation institutionnelle de Douglass North évoquée dans les précédents chapitres).
– Soit que quelque chose quelque part ne fonctionne pas et fausse le fonctionnement du système au profit de quelques intérêts privilégiés qui utilisent l’Etat à leur avantage et au détriment de la collectivité (tout en prétendant généralement travailler pour elle). Ce qui nous amène à l’un des principaux enseignements de l’Ecole du Public Choice : à savoir que lorsque l’on constate qu’une politique ne donne pas les résultats prévus (comme par exemple les politiques de lutte contre la pauvreté et de redistribution des revenus), au lieu de chercher immédiatement les moyens d’une politique « meilleure », il vaut mieux d’abord commencer par s’interroger sur les raisons institutionnelles qui font que précisément c’est cette politique qui a été sélectionnée (au profit de qui ?), et réfléchir en priorité à la façon d’améliorer l’efficacité de nos systèmes de choix collectifs. C’est là que l’économiste a un rôle social à jouer, et cela en dehors de tout jugement de valeur personnel.
Et nous revenons au problème évoqué au début, des « government failures », c’est-à-dire de l’analyse « positive » (objective) des imperfections de la machine étatique et administrative, pendant, dans le domaine des biens collectifs, de l’analyse « positive » des imperfections du marché privé. Le circuit est bouclé. Avec la théorie des votes, la théorie des coalitions politiques, la théorie de la bureaucratie, la théorie des choix institutionnels, etc. nous avons tous les éléments d’un instrument complexe qui permet non seulement de se faire une représentation théorique de la façon dont fonctionnent, dans nos démocraties occidentales, les processus de choix collectifs, mais aussi d’analyser de manière scientifique :
a) la logique d’action de nos mécanismes politiques ;
b) les avantages comparés de différentes solutions institutionnelles (le marché n’étant qu’une forme institutionnelle parmi les autres modes d’organisation des choix collectifs ou individuels, en concurrence avec les formes d’organisation étatiques ou bureaucratiques).
Un néo-libéralisme « scientifique »
Reste maintenant à voir ce que ces nouveaux économistes, à cheval sur l’économie, la sociologie, la science politique, l’histoire et aussi la philosophie (cf. tous les travaux récents de James Buchanan sur la théorie de l’Etat et ses réponses au fameux livre de John Rawls Une théorie de la justice), apportent à l’idéologie libérale.
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I. – Les travaux du « Public Choice » contribuent à renforcer la validité scientifique du paradigme de l’« Homo œconomicus ».
Lorsque nous avons dit que l’électeur, lorsqu’il fait son choix, intègre non seulement les « bénéfices » qu’il attend de l’Etat mais aussi les « coûts » fiscaux liés à la politique pour laquelle il vote, nous n’avons pas voulu dire que tous les individus agissaient ainsi en faisant un calcul économique explicite. Ce serait certainement faux. Conformément à l’approche de l’analyse « positiviste », l’idée est seulement de voir si cette démarche rationnelle prêtée à l’individu a une puissance explicative suffisante pour servir de base à une représentation simplifiée de la façon dont se font les choix humains. Ce qui compte ce n’est pas tant le « modèle » lui-même, que de voir s’il « marche » -c’est-àdire s’il permet effectivement de décrire une réalité statistique que l’on peut vérifier par des études appliquées. Si par exemple les tests montrent que le modèle du bureaucrate « maximisant la dimension de son budget » a effectivement une forte valeur explicative au vu des données dont on dispose sur la politique des grands services publics, cela ne signifie pas que tous les fonctionnaires, dans la réalité, n’ont qu’un objectif : maximer l’« output » de leur service ; mais que, parmi toutes les autres hypothèses de comportement possibles (par exemple que le fonctionnaire n’agit qu’en fonction de l’intérêt général), celle-ci est probablement celle qui en moyenne approche le mieux la réalité, et donc celle sur laquelle on peut bâtir les politiques les plus efficaces possibles.
A cet égard, les travaux du Public Choice s’intègrent dans le vaste mouvement de vérification empirique du paradigme de l’Homo œconomicus entrepris depuis vingt ans par les économistes américains de l’Ecole de Chicago qui testent systématiquement son applicabilité à toute la sphère des décisions humaines et des relations sociales : théories de la famille, théories du mariage, théorie de l’altruisme et de la charité, théorie du capital humain et de l’éducation, théorie de la pratique religieuse, etc. Il n’est pas possible de dire définitivement si ce paradigme exprime effectivement le tréfonds du comportement humain. De toute façon, depuis Thomas Kuhn[8] nous savons que les paradigmes scientifiques n’ont qu’une valeur relative, même lorsqu’ils sont scientifiquement et expérimentalement démontrés. Peut-être un jour trouverons-nous un autre paradigme humain plus « performant », Cela dit, pour l’instant, ce que nous constatons, c’est que la réussite des économistes à appliquer le paradigme de l’Homo œconomicus à une multiplicité de situations humaines et sociales de type non marchand (comme le domaine politique), tendent à confirmer l’hypothèse que de tous les outils actuellement à la disposition des chercheurs en science sociales l’outil économique est probablement le plus efficace.
Ceci est très important, car nous ne devons pas perdre de vue les liens très étroits qui existent entre la doctrine du libéralisme politique et le paradigme scientifique qui sert de base à la théorie économique. Fondamentalement, le libéralisme n’est pas autre chose qu’une philosophie des systèmes sociaux fondée sur une certaine vision des comportements humains : la vision « économique », C’est ce que beaucoup de libéraux, contaminés à leur insu par la théologie marxiste et la critique paramarxiste des fondements de l’analyse économique, oublient. Mais ce que précisément les travaux des économistes, comme ceux du Public Choice, devraient nous aider à redécouvrir. Car dans leur cas l’engagement libéral est moins le résultat d’une conception politique « a priori » que la conséquence de leur démarche. Scientifique ; c’est leur démarche scientifique qui les conduit à suggérer des remèdes « libéraux » comme étant les meilleures politiques possibles pour la société, et non leurs partis pris idéologiques.
Il est vrai que les anti-libéraux contesteront toujours le caractère « scientifique » de la démarche économique. Mais ce que précisément nous démontrent tous ces modèles et tous ces travaux c’est que l’économie est bel et bien devenue une science à part entière, et le paradigme de l’Homo œconomicus un paradigme scientifique aussi valable que bien des « lois » physiques que l’on dit scientifiquement établies. Comme l’a fort bien résumé Milton Friedman à l’occasion de la réception du prix Nobel :
L’Homo œconomicus est peut-être un être mythique, une invention des économistes : mais il ne l’est ni plus ni moins que bien des lois physiques concernant le comportement des atomes ou des électrons. Comme lui, celles-ci ne sont bien souvent que des lois statistiques portant sur un comportement « moyen » qui ne prétend pas décrire le comportement réel de chaque particule.
Aujourd’hui le vrai combat philosophique et politique se livre au niveau de deux paradigmes scientifiques. Un pseudo-paradigme, le paradigme marxiste, essaie de s’implanter. Il s’impose d’autant plus facilement que les libéraux ont perdu conscience de leur base paradigmatique. Les économistes néo-libéraux américains, notamment et surtout ceux du Public Choice en raison de leur sujet privilégié : l’Etat, nous apportent de nouveaux éléments pour démontrer la supériorité du paradigme libéral sur le paradigme marxiste, et montrer pourquoi la société a tout à perdre et rien à gagner à choisir de nouvelles institutions inspirées par le paradigme marxiste en lieu et place du paradigme libéral.
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II. – Les travaux du « Public Choice » rétablissent un « pont » entre les comportements individuels et les choix collectifs.
En ce sens, ils comblent l’une des lacunes les plus importantes de la théorie libérale classique, lacune qui jouait contre les idées libérales dans la mesure où les libéraux n’avaient rien de « solide » à opposer à la confiance aveugle de leurs adversaires dans les vertus de l’action collective. Le problème est recentré sur le vrai terrain : celui du choix le meilleur possible entre deux systèmes d’allocation des ressources de la société ayant chacun ses avantages mais aussi ses inconvénients. On sort du vieux manichéisme traditionnel. Mais l’apparition de ce « pont » offre un autre intérêt : celui de nous faire enfin échapper à l’hypothèque que fait peser depuis vingt ans sur toute la, pensée politique moderne l’existence du fameux théorème d’Arrow.
Qu’est-ce que ce théorème ? Nous avons précédemment évoqué les travaux effectués au lendemain de la guerre par les économistes pour explorer la logique des différents systèmes de révélation des préférences collectives, et voir quelle était la meilleure façon d’arriver à agréger les préférences individuelles en une « fonction collective » (analyse comparative des systèmes de vote). Nous n’avons pas précisé que tous ces travaux ont été dominés par une contribution scientifique particulièrement importante, celle de Kenneth Arrow qui, en 1950, démontra l’impossibilité logique d’arriver à des systèmes de choix collectifs qui soient parfaitement cohérents[9]. Celui qui devait recevoir le prix Nobel démontrait qu’aucun système de vote ne permettait de passer de façon satisfaisante de l’individuel au collectif, et donc que la démocratie parfaite n’existait pas. Comme l’a fort bien résumé Joseph Fontanet dans son livre Le Social et le Vivant : une nouvelle logique politique[10].
« Arrow a, en somme, confirmé qu’une simple addition ne peut suffire à établir un ordre collectif cohérent entre des préférences individuelles elles-mêmes classées selon des critères divergents. Il a démontré en gros que, si les individus n’ont pas les mêmes critères de classement de leurs préférences, et s’il y a plus de deux votants et plus de deux options, il est impossible d’instituer une procédure de vote qui aboutisse à un choix collectif cohérent. En un pareil cas, qui est celui d’une population idéologiquement divisée, une décision collective rationnelle ne peut provenir que d’une autorité publique qualifiée. La tentative de dégager l’utilité publique par l’agrégation des préférences individuelles, grâce à une procédure de vote, a donc échoué. Dans une telle situation, le gouvernement n’est donc pas un simple commissaire-priseur chargé d’expliciter les préférences collectives latentes des individus. Ces préférences collectives sont si ambiguës et parfois si incohérentes qu’il a une vaste marge d’initiative pour les assembler et les coordonner. »
Le « paradoxe d’Arrow » a pour résultat de conforter l’idéologie libérale : il jette d’emblée une suspicion sur tout ce qui vient de l’État puisqu’il démontre que la véritable démocratie n’existe pas et ne peut pas exister. C’est une arme contre toutes les idéologies « étatisantes ». Mais il a aussi un effet exactement inverse : celui de légitimer l’existence d’une élite particulière détentrice de « l’intérêt général et donc, de nous prédisposer à tomber dans le piège qui consiste à voir dans les individus qui font l’Etat (ses élus, ses ministres, ses fonctionnaires) d’abord les agents de l’intérêt général, avant de voir les hommes eux-mêmes et les règles qui conditionnent leur comportement. Malgré la défiance qu’il suggère à l’encontre de toute solution étatique, l’une des conséquences du « paradoxe d’Arrow » est de nous conduire à une acceptation trop passive des processus modernes d’extension du phénomène étatique.
Les travaux des économistes du Public Choice ne remettent pas en cause le contenu du théorème. Mais ils attirent notre attention sur les dangers d’une pensée politique qui s’arrête au « paradoxe d’Arrow ». A quoi servirait en effet d’avoir des systèmes parfaits de révélation des préférences collectives si simultanément nous ne nous préoccupons pas de la manière dont les agents de l’Etat traduisent ces préférences en actions ? Le problème de la révélation des préférences n’est qu’une partie d’une question beaucoup plus vaste qui englobe tous les aspects de la « production » publique. S’il est vrai que le passage des préférences individuelles aux « fonctions collectives » est apparemment insoluble, il ne faut pas oublier l’autre aspect du mécanisme : celui de l’ « offre » et de la capacité qu’ont les « offreurs », camouflés derrière le paravent de leur mission publique, d’intégrer dans leurs définitions de l’intérêt général une forte dose de préférences personnelles. Ce problème est au moins aussi important que le premier. Malheureusement, l’effet d’hypnose qu’exerce sur la pensée politique moderne le fameux théorème d’Arrow aboutit précisément à l’escamoter dans la mesure où il renforce la dimension « publique » des agents de l’Etat au détriment de leur dimension « privée ». L’apport du Public Choice est de nous inciter à redresser la balance, et de nous faire prendre conscience que la démocratie ne se réduit pas à l’existence d’un pluralisme politique et au contrôle des citoyens sur les décisions de leurs représentants : elle dépend aussi de l’efficacité de la société à s’assurer que le comportement de ses agents publics est bien le meilleur possible.
Quoi qu’il en soit, un certain nombre de travaux menés à Blacksburg permettent d’imaginer qu’un jour viendra peut-être où la pensée politique pourra enfin remiser cet encombrant « paradoxe d’Arrow » au magasin des accessoires inutiles. Gordon Tullock et Nicolaus Tideman viennent en effet de présenter à la convention annuelle de l’American Economic Association (réunie en septembre 1976 à Atlantic City) une nouvelle technique de révélation et d’agrégation des préférences collectives qui permet de contourner les obstacles logico-mathématiques mis en lumière par Kenneth Arrow dans son étude critique .des systèmes de vote. Il s’agit de ce qu’ils ont baptisé le « demand revealing process », une technique à laquelle nous pourrions donner le nom de « vote payant », et dont Gordon Tullock a récemment donné, en France, à l’occasion d’un séminaire du CREDOC, un exemple d’application au problème des politiques de redistribution des revenus[11].
III. – Les travaux du « Public Choice » nous permettent de mieux comprendre les causes de ta croissance moderne du phénomène étatique.
Au début du XIXe siècle, les recettes fiscales de l’Etat représentaient en moyenne 8 à 10 p. 100 du revenu national des pays européens. Aujourd’hui, l’Etat absorbe entre 30 et 50 p. 100 des ressources nationales. Pourquoi cette croissance ? Pourquoi cet extraordinaire développement de l’appareil étatique au détriment du secteur privé ? Il s’agit bien évidemment d’un phénomène de civilisation. Mais peut-on se contenter d’une telle réponse ? Peut-on se contenter des réponses traditionnelles qui expliquent l’emprise croissante du Léviathan moderne par une succession d’accidents historiques comme la dépression des années 30, les guerres, ou encore le développement du phénomène urbain ? N’y aurait-il pas une raison beaucoup plus profonde, beaucoup plus simple qui permettrait de comprendre pourquoi, depuis plus d’un siècle, les citoyens de nos démocraties occidentales choisissent toujours plus d’Etat ? L’un des apports les plus originaux des travaux du Public Choice est de donner une série d’explications rationnelles de la croissance du phénomène étatique. Explications qui se résument en une proposition très simple : à savoir que les démocraties occidentales sont prisonnières d’une technologie politique « archaïque » dont la logique est de faire que l’État moderne ne peut que croître et se développer au seul bénéfice d’une catégorie privilégiée de citoyens, la bureaucratie. Dans son livre De l’État[12], le philosophe marxiste Henri Lefebvre écrit qu’il est pour le moins paradoxal de voir l’Etat disparaître de la littérature contemporaine, en tant qu’objet de recherche et de réflexion, alors même que son pouvoir et son emprise sur nos sociétés sont plus grands que jamais. Un tel jugement fait bon marché de toutes les recherches faites depuis quinze ans aux Etats-Unis ; recherches qui jettent une lumière nouvelle sur les origines du phénomène étatique et bureaucratique moderne.
Pour comprendre ce que la recherche économique peut apporter à la compréhension d’un tel sujet, il faut repartir des travaux menés depuis la guerre pour mettre en lumière les « imperfections » des mécanismes de l’économie de marché. L’une des caractéristiques de ces travaux est de montrer que si l’économie de marché ne permet pas toujours d’aboutir à l’allocation des ressources la meilleure possible, cela provient non pas du comportement égoïste des agents économiques qui ne tiendraient pas compte, dans leurs calculs, des incidences « sociales » de leurs décisions, mais du fait que les contraintes qui règlent le fonctionnement de nos institutions économiques ne fonctionnent pas avec toute l’intensité idéale du modèle théorique : et cela parce que, contrairement à ce que suppose le modèle de base de la théorie économique, l’information est elle aussi une ressource couteuse.
Nous avons vu que toute l’économie de marché repose sur un système complexe de mécanismes de sanctions et de récompenses qui font que automatiquement les stratégies individuelles des agents économiques sont contraintes de s’aligner sur ce qui convient le mieux à l’intérêt général. A leur tour, ces mécanismes reposent sur les rôles clés joués par un certain nombre d’agents (les actionnaires de l’entreprise par exemple) dont on considère qu’ils se comportent comme des individus maximisateurs, réglant leur conduite et leurs décisions sur l’objectif simple qui consiste à maximer leur « utilité » personnelle. C’est cette maximation de leurs intérêts individuels qui sert de régulateur à l’ensemble du système et contraint les autres finalités à coïncider avec l’intérêt de la collectivité. Cependant, toute décision n’est en fait qu’un acte économique qui « consomme » de l’information : pour sanctionner un manager qui ne se comporte pas de manière à accroitre le profit de ses actionnaires, encore faut-il que ceux-ci soient en mesure d’avoir toutes les informations nécessaires pour bien savoir comme se comporte le manager en question ; et cela représente une « dépense », en temps par exemple, qui aboutit, si elle est trop élevée, à ce que l’actionnaire acceptera volontiers de ne pas exercer un contrôle aussi rigoureux qu’il le devrait sur l’action de ses mandataires, quitte à toucher un dividende inférieur à celui auquel il aurait pu prétendre. En contrepartie, le manager disposera d’une liberté d’action individuelle plus grande que celle dont il dispose dans le modèle idéal ; liberté dont il pourra profiter pour accroitre un certain nombre de variables personnelles au détriment de la recherche du profit maximal. A partir de ce moment-là tout se détraque. Si les actionnaires ne jouent pas le rôle qui leur est dévolu, si les managers cherchent à accroître d’autres variables que le profit, la concurrence n’est plus la même ; elle ne joue plus le rôle clé qui est le sien. Toute une série de « bruits » entrent dans le fonctionnement du système. Le fonctionnement du marché entraînera une allocation des ressources de la société moins optimale que celle qui aurait dû prévaloir. La prise en compte des « coûts de l’information » aboutit donc à identifier toute une série de circonstances qui permettent d’expliquer pourquoi le marché n’est pas toujours aussi « efficace que le suppose le modèle. Plus les « coûts d’information seront élevés, plus il y a de chances pour que les décideurs privés prennent leurs décisions sur la base d’informations imparfaites, plus il est probable que le marché sera un mauvais instrument d’allocation des ressources, et plus le recours à l’intervention compensatrice de l’État sera alors légitime. Nous avons là la justification économique de l’intervention de l’Etat dans le fonctionnement des marchés et dans la vie économique.
Mais il ne faut pas s’arrêter là. Dans le domaine public, le problème est le même. Les décisions sont prises par des individus qui ont eux aussi leurs intérêts personnels, et qui agissent en fonction d’informations qui sont plus ou moins parfaites ; et cela dans le cadre d’un système de contraintes qui a ses particularités par rapport au système de sanctions et de récompenses qui caractérise le marché privé. De la même façon que l’on a identifié les sources d’imperfection qui se glissent dans le fonctionnement de l’économie de marché, il convient d’essayer de voir quels sont, dans les rouages de l’Etat et de l’économie publique, les facteurs de déviation qui aboutissent à ce que l’action de l’Etat ne sera pas toujours aussi « efficace » qu’elle devrait l’être ou pourrait l’être théoriquement. C’est le domaine des « government failures » évoqué précédemment et qui représente le domaine d’application le plus important des nouvelles théories économiques de ‘l’Etat.
Garant de l’intérêt général, le rôle de l’État est de combler les lacunes de l’économie de marché, et de faire en sorte que l’efficacité sociale des décisions prises par les divers agents économiques soit plus grande que ce qu’elle serait si l’État n’intervenait pas. Sinon, à quoi servirait l’Etat ? Cependant, il est évident que toutes les politiques appliquées par les pouvoirs publics ne correspondent pas toujours à cet objectif. Certaines ont un effet nettement contraire : elles diminuent l’efficacité de la société, au lieu de l’améliorer. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi : comment se fait-il que des actions publiques sont entreprises alors même qu’elles se traduisent par un « moins » pour la société au lieu d’un « plus » ? Si nous avions des institutions parfaites, le problème ne se poserait pas. Qu’est-ce qui fait qu’il se pose ? Quels sont les rouages défectueux ? Que pouvons-nous faire pour y remédier et nous assurer que l’État remplit bien sa mission ?
Les travaux du Public Choice nous apportent deux grandes réponses.
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La première nous est donnée par les théories de la bureaucratie. Celles-ci démontrent pourquoi les solutions bureaucratiques, toutes choses égales par ailleurs, débouchent nécessairement sur un usage des ressources de la société moins efficace que le recours au marché (d’où l’idée que le recours au « service public » n’est à conseiller que lorsque le marché est de toute évidence totalement défaillant, et à déconseiller lorsque le marché n’est que moyennement défaillant). Les raisons de cette situation sont au nombre de trois :
– L’absence de concurrence. Les caractéristiques particulières du système de contraintes encadrant l’activité personnelle des fonctionnaires (disparition de la notion de profit) font que les agents de l’Etat disposent d’une liberté de maximer leurs propres objectifs personnels plus grande que celle dont disposeraient des managers placés dans des circonstances identiques. Cela se traduit par le fait que les fonctionnaires ne subissent pas, la même pression à la minimisation de leurs coûts de production. La société paie tes services qu’ils rendent plus cher qu’elle ne devrait les payer.
– Toutes les administrations ne sont pas indifférentes aux problèmes de coûts. Certains services publics sont parfois au moins aussi, « performants » que bien des entreprises privées (voir par exemple les coûts de production de l’EDF qui sont parmi les meilleurs du monde occidental, même par rapport aux Etats-Unis où une large part de la production électrique est encore assurée par des firmes privées, parfois, en concurrence avec des établissements publics). Il existe cependant une autre forme de gaspillage, moins visible, mais non moins coûteuse : c’est la logique qui conduit les « bureaux » à surproduire les services dont ils sont les fournisseurs. L’un des grands mérites des modèles économiques appliqués à l’étude de la logique du comportement bureaucratique est de nous rappeler que ce n’est parce qu’ils ne peuvent pas faire de bénéfices, et a fortiori de super-bénéfices, que les services publics jouissant d’un monopole de marché n’en tirent pas profit. Bien des « bureaux » se comportent en fait comme des monopoles qui spolieraient leurs actionnaires-propriétaires en réinvestissant leurs super-bénéfices dans une politique de sur-investissement. Autrement dit, la logique de la fonction publique est de produire « plus » que ce qui correspondrait à la meilleure allocation économique des ressources de la société. Toutes choses égales par ailleurs, les responsables qui prennent les décisions dans les services de l’État sont mus par une logique qui les conduit à se fixer des objectifs de production supérieurs à ceux qui résulteraient du fonctionnement du marché concurrentiel dominé par la règle du profit. Ce surplus de production représente un gaspillage social, analogue à bien des gaspillages privés dénoncés avec véhémence par les critiques de l’économie capitaliste contemporaine : il absorbe dans la production d’un produit public des ressources dont la rentabilité sociale aurait été plus grande si ces ressources avaient été utilisées pour la production d’autres produits (aussi bien publics que marchands). Comme dans le cas des monopoles privés, il représente une subvention implicite de la collectivité à certaines catégories privilégiées de producteurs, subvention dont le consommateur – en l’occurrence le contribuable – fait naturellement les frais.
– Il est vrai que le fonctionnaire n’est pas libre d’agir à sa guise. Il est soumis au contrôle politique des élus et représentants des citoyens. Ce contrôle s’exerce à l’occasion des débats budgétaires annuels. Il résulte également de l’autorité que les ministres exercent sur leurs administrations respectives, ainsi que, le cas échéant, de la nomination de commissions d’enquête parlementaires. Dans le cas des entreprises du secteur public ou para-public, il s’exerce par l’intermédiaire d’une tutelle administrative dépendant du pouvoir politique. Cela dit, là encore les modèles économiques révèlent pourquoi toutes ces formes de contrôle sont en général parfaitement inefficaces. Pour bien contrôler l’action de ses agents administratifs, il faudrait que le pouvoir de tutelle connaisse parfaitement les conditions de production des services qu’il surveille. Or, ces renseignements, ce sont les services contrôlés qui les lui fournissent.
Il y a toutes chances pour que, sauf abus majeurs caractéristiques, ce soient les « contrôleurs » qui soient manipulés par les « contrôlés ». Ceux-ci se trouvent, vis-à-vis du pouvoir de tutelle, dans une position qui leur permet pratiquement d’imposer (implicitement bien entendu) la politique qui leur convient le mieux. S’il existait une certaine concurrence entre plusieurs administrations pour la fourniture des mêmes prestations publiques, la position des « contrôlés » serait moins forte : les « offres » des services concurrents permettraient aux autorités de tutelle ou de contrôle de tester l’authenticité des renseignements fournis par le service en cause ; en l’absence d’une telle concurrence, ce n’est pas possible. Résultat : les décisions du pouvoir politique sont biaisées en faveur des intérêts de la bureaucratie, au détriment des intérêts plus généraux de la collectivité. La plupart des études empiriques confirment cette thèse en montrant que les attitudes des représentants du pouvoir politique coïncident généralement bien davantage avec la défense des intérêts de l’administration contrôlée qu’avec celle des intérêts de la collectivité stricto-sensu.
Globalement, cela se traduit par trois conséquences : Chaque administration ou service public poursuit davantage la politique que ses chefs ont décidée à partir de leur propre conception de l’intérêt général, que celle qui correspond réellement à la maximation de l’utilité collective (sans qu’il s’agisse de mettre en cause l’honnêteté de ces fonctionnaires : chacun croit authentiquement qu’il défend effectivement la cause de la société du mieux qu’il peut ; ce qui fait problème, ce ne sont pas les hommes, mais la logique du système de contrainte interne à la bureaucratie qui fait que les agents de l’Etat n’ont pas sur leurs épaules le poids d’un système qui, comme le profit dans le secteur privé, leur révèle la véritable direction de l’intérêt général).
Nous sommes actuellement contraints de « consommer » davantage de services collectifs que, toutes choses égales par ailleurs, nous n’en demandons réellement (Milton Friedman va jusqu’à expliquer que la dimension des budgets publics est probablement double de ce qui correspondrait à la dimension optimale » des dépenses publiques[13]).
Enfin nous vivons dans une société où la bureaucratie prélève au bénéfice .du « bien-être » de ses membres, et au détriment du « bien-être » des autres catégories de la population, davantage de ressources que la valeur réelle des services qu’ils rendent à la collectivité : l’Etat prélève plus sur celle-ci qu’il ne lui rapporte.
Les théories de la bureaucratie débouchent donc sur deux conclusions importantes :
– 1) plus la société compte de fonctionnaires, plus il y a de chances pour que le « prélèvement bureaucratique » augmente et que l’Etat croisse au détriment du reste (accroissement du poids « électoral » des fonctionnaires qui sont par ailleurs directement motivés pour avoir une activité politique plus développée et plus efficace que les autres catégories de citoyens puisque la maximation de leur bien-être dépend de la façon dont le pouvoir politique perçoit leurs demandes : plus l’Etat croit, plus il y a de chances pour qu’il croisse encore davantage) ;
– 2) le choix d’une solution « bureaucratique » ne doit jamais constituer qu’un véritable second best : c’est la solution qui ne s’impose que lorsqu’il est prouvé que toutes les autres solutions ne peuvent vraiment pas fonctionner.
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La seconde réponse du Public Choice aux questions que pose l’intervention de l’État nous est fournie par toutes les études faites autour de la notion d’égalité des choix dans les processus politiques de révélation des préférences collectives. L’explication de la croissance de l’Etat par le rôle de la bureaucratie n’est en effet pas suffisante. Elle explique pourquoi l’« offre » de services publics est supérieure à la quantité qui correspondrait à la solution optimale pour la société. Mais elle n’explique pas pourquoi c’est cette solution qui finalement est acceptée par le corps social, par l’intermédiaire de ses structures représentatives. Comme le fait remarquer l’un des grands économistes américains contemporains, Allan Meltzer :
« Dans une démocratie, c’est toujours l’électeur qui a le dernier mot. Comment se fait-il que celui-ci accepte passivement cette oissance du phénomène bureaucratique, alors qu’elle se fait à son détriment [14]?
La réponse qu’apportent les économistes du Public Choice à cette question a trois aspects :
Le premier réside dans les caractéristiques propres aux systèmes électoraux de type majoritaire. L’analyse comparative des systèmes de vote aboutit en effet à montrer, pour des raisons assez complexes que nous ne pouvons pas expliciter ici, que la règle majoritaire conduit à l’adoption d’un grand nombre de politiques qui ne remplissent pas les conditions de l’efficacité sociale.
Toute politique a des effets de redistribution, sinon explicites, du moins implicites : rarissimes sont les mesures législatives réellement neutres, qui affectent également tous les citoyens de telle façon que tout le monde y gagne (ou y perd) dans les mêmes proportions. La plupart des actes législatifs ou des actes de gouvernements aboutissent, compte tenu de leur financement, à prendre dans la poche de l’un ce que l’on donne à l’autre, même si globalement ils contribuent à améliorer le fonctionnement de l’économie et permettent de dégager une plus-value » sociale supplémentaire qui augmente le « bien-être » global de la société ; la distribution de cette plus-value n’est jamais parfaitement proportionnelle au sacrifice fait par chaque contribuable.
Il existe en fait deux catégories de politiques : les « bonnes », celles qui apportent plus à certains éléments de la population qu’elles ne retirent (en termes de sacrifices de satisfactions) aux autres : dans ce cas, la loi a un bilan positif, elle améliore le « bien-être » global de la société en étant source, chez les uns, d’une satisfaction supplémentaire plus grande que le sacrifice demandé aux autres. Les « mauvaises » politiques, celles qui apportent aux catégories de la population qu’elles avantagent moins qu’elles ne coûtent (toujours en termes d’ « utilité » individuelle et non en termes purement financiers) aux autres éléments de la population qui financent le programme : politiques purement « redistributives » qui réduisent le « bien-être » global de la société en imposant aux uns un sacrifice plus grand que le volume supplémentaire de satisfactions apporté aux autres.
Ce que montrent les travaux souvent très sophistiqués consacrés à cette question, est que la loi majoritaire est insuffisante pour garantir à la société que le corps législatif votera davantage de lois « bonnes » que de lois « mauvaises ». Cela notamment en raison des mécanismes de « logrolling » évoqués précédemment. En raison des mécanismes de marchandage auxquels se prêtent nos institutions parlementaires et politiques, un grand nombre de groupes de pression minoritaires sont en effet en mesure de faire adopter des politiques qui imposent à la collectivité une somme de coûts individuels supérieure à la somme des gains réalisés, et qui aboutissent donc à une accumulation de mesures purement « redistributives qui améliorent le bien-être de certains sans augmenter le bien-être total de la collectivité. Pour empêcher ce phénomène, il faudrait, nous disent les spécialistes du Public Choice, avoir recours à des systèmes de majorités nettement supérieures à celles qui sont généralement utilisées dans nos démocraties occidentales.
– Le second aspect est lié au fait que, comme sur les marchés privés, l’information n’est pas un bien gratuit, mais une ressource fort coûteuse. Comment se fait-il en effet que, dans un système démocratique, des minorités soient en mesure de faire adopter des politiques qui réduisent le bien-être global de la société ? Le problème est simple : il vient de ce que, face à la loi, il existe en réalité deux catégories de citoyens : d’une part, ceux qui bénéficieront plus des effets redistributifs de la loi que celle-ci ne leur coûtera individuellement (les agriculteurs bénéficiaires de l’impôt sécheresse, par exemple) ; d’autre part, ceux qui ne retireront aucun bénéfice de la loi, mais qui assureront l’essentiel de son financement et en supporteront donc la plupart des coûts (les contribuables).
L’une des accusations que ses adversaires font à l’économie de marché est qu’elle repose sur un modèle idéal qui suppose que tous les agents économiques ont une capacité d’accès égale à l’information. Ce n’est pas vrai, expliquent-ils, et ceci fausse le caractère soi-disant parfaitement démocratique des relations d’échange entre deux individus supposés égaux. Conséquence : la remise en cause du dogme de l’efficacité du marché en tant que meilleur système de révélation des choix et des besoins des individus. Ils n’ont pas tort ; mais ils oublient que le problème est exactement le même dans le domaine des choix politiques, et que ce n’est pas parce que nous obéissons à la règle démocratique par excellence, « un homme, une voix », que le marché politique » est nécessairement plus égalitaire que le marché. Il faut en effet tenir compte d’une donnée fondamentale : en règle générale le nombre des bénéficiaires d’une mesure politique est petit par rapport au grand nombre de personnes qui en supportent les coûts.
Mettons-nous à la place des premiers. L’enjeu personnel lié au vote de la loi qui les concerne est important : si cette loi n’est pas votée, cela se traduira pour eux par une « perte » importante. Ils sont donc fortement motivés pour s’informer exactement sur les données du vote qui les concerne, et pour essayer d’utiliser toutes les possibilités d’action que leur offre le système politique afin d’influencer le résultat final. Ils seront prêts à consacrer à cette action des ressources personnelles importantes, jusqu’à un montant qui soit égal au bénéfice escompté du passage de la loi (lobbying).
Mettons-nous ensuite à la place des seconds. Si l’enjeu est important pour les bénéficiaires qui ne sont que quelques milliers ou quelques centaines de milliers, il est tout à fait marginal pour les contribuables qui, eux, sont plusieurs millions. La loi ne leur plaît peut-être pas, mais, en admettant que cette loi soit repoussée, cela ne leur permettra jamais que d’économiser quelques dizaines ou centaines de francs. Qui plus est, quand on est un parmi des millions d’autres électeurs, le sentiment qui prédomine est celui de l’impuissance: chaque vote individuel a peu de chances de modifier le résultat de la consultation électorale. Sachant que l’action politique est quelque chose de coûteux, chaque individu est peu motivé pour essayer d’obtenir les moyens d’agir sur le résultat final. Son intérêt est de rester un « agent » politique passif qui vote plus en fonction de ses « convictions émotives » ou des influences qu’il subit qu’en être réellement informé de l’enjeu des processus politiques qui se déroulent devant ses yeux, de façon souvent occultée.
Résultat : le « pouvoir politique » n’est pas plus également réparti que n’est le « pouvoir économique ». Les structures actuelles de nos systèmes démocratiques aboutissent à donner plus de « pouvoir » aux intérêts corporatifs qu’aux intérêts des contribuables. Un déséquilibre s’établit entre ceux qui sont motivés pour pénétrer les arcanes des processus politiques et ceux pour qui l’enjeu est trop mineur pour faire de même.
– Le troisième aspect est directement lié au précédent. Si l’enjeu individuel des contribuables est généralement beaucoup plus faible que celui des intérêts qui vont bénéficier des prébendes de l’Etat, à cela s’ajoute un autre facteur décisif (et qui n’est qu’une autre forme des problèmes posés par le coût de l’information) : il est beaucoup plus coûteux lorsque l’on est nombreux de s’organiser pour agir et défendre ses intérêts que lorsque l’on n’est qu’un tout petit nombre. Nous avons là une deuxième source de déséquilibre. L’intérêt du « bénéficiaire » de l’action publique est généralement important, et il lui est relativement facile de s’entendre avec ceux qui sont dans le même cas que lui parce qu’ils ne sont pas très nombreux. A l’inverse, l’intérêt du contribuable à essayer de s’entendre avec ses congénères pour monter une coalition efficace est beaucoup moindre, cependant que le coût d’une telle opération est infiniment plus élevé. Résultat : dans les démocraties occidentales, les coalitions politiques favorables à l’augmentation des dépenses de l’Etat seront toujours beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus efficaces que toutes les coalitions de contribuables qui pourraient tenter de s’opposer à l’augmentation de ces dépenses.
Que tout citoyen soit à la fois un « bénéficiaire » de l’action publique et un « contribuable » ne change rien au raisonnement. Dans l’affectation de ses ressources individuelles il sera rationnellement conduit à privilégier son action « corporatiste » au détriment de ses intérêts de « contribuable ». Il lui paraît beaucoup plus important, et économiquement moins coûteux, de s’organiser de façon que l’Etat prenne les mesures redistributives qui le concerne, et de militer pour qu’il en prenne d’autres en sa faveur, que de s’organiser de façon à limiter les dépenses de l’Etat. Le calcul rationnel de ses intérêts individuels le conduit à favoriser l’augmentation de son bien-être individuel par une augmentation des contributions redistributives de l’Etat, par rapport à l’augmentation similaire qui pourrait résulter d’une diminution des prélèvements publics.
Ainsi, comme l’écrit Allan Meltzer[15] :
« La diffusion des coûts de l’action publique et la concentration des bénéfices qu’elle distribue forment l’une des raisons principales de l’expansion du rôle de l’Etat dans nos pays modernes. Cette concentration des bénéfices et cette diffusion des coûts créent davantage d’incitation l’accroissement des dépenses de l’Etat qu’à leur réduction. Les hommes politiques savent qu’ils peuvent gagner plus de voix supplémentaires à un moindre coût en proposant de nouveaux programmes de dépenses qu’en se faisant les avocats d’une réduction des dépenses publiques. Ils savent aussi que défendre un programme de réduction des dépenses de l’Etat leur rapportera moins de voix supplémentaires que cela ne leur en coûterait en raison du fait que les gains ainsi réalisés par le contribuable-électeur moyen seront inférieurs aux coûts ressentis par les bénéficiaires des programmes de dépenses éliminés. Si la situation était exactement l’inverse, à savoir concentration des coûts et dispersion des bénéfices, alors il y a toutes chances de penser que les coalitions en faveur de la réduction des interventions économiques de l’Etat seraient plus efficaces que celles demandant son extension. Il est vrai que de nombreux candidats, lors de chaque élection, promettent de réduire les impôts, d’améliorer l’efficacité du fonctionnement des services publics, d’éliminer les gaspillages bureaucratiques, etc. Mais une fois élus, leurs promesses sont rarement accomplies. Ils continuent de répéter les mêmes discours, mais font davantage diligence pour réaliser les aspects « dépensiers » de leur programme électoral que pour mettre en œuvre leurs propositions d’économies. La raison là encore vient de ce qu’il est plus coûteux de maintenir en activité une coalition « anti-dépensière » qu’une coalition « dépensière ».
Parce que le fardeau fiscal est dispersé, chacun de nous n’a finalement que peu de chose, individuellement, à gagner à un effort d’économies de la part de l’Etat. En revanche, parmi nous, quelques-uns ont beaucoup à gagner au maintien des dépenses de l’Etat ou à leur accroissement. Les bénéfices de nouvelles mesures de dépenses peuvent être calculés de façon à profiter en priorité aux électeurs qui ont vo pour le candidat ou dont dépend sa réélection. Dans ces circonstances, les coalitions d’intérêts en faveur de programmes dépensiers ont toutes chances d’être plus efficaces que les coalitions qui au contraire recherchent une diminution des dépenses de l’Etat. Elles sont moins coûteuses à organiser et à faire fonctionner.
Qui plus est, la vie politique agit comme un « marché concurrentiel » : elle exerce une sélection naturelle au profit des coalitions d’intérêts efficaces ; elle élimine les coalitions les moins efficaces. Les membres de groupes agissant en faveur d’une réduction des dépenses de l’Etat et d’une diminution de ses activités peuvent toujours être « achetés » individuellement par la promesse de nouvelles prébendes spécifiques. Le seul problème rencontré par l’homme politique est d’identifier le type de prébende qui sera le plus efficace. Au total, nos mécanismes politiques font que rares sont les associations de citoyens qui ont intérêt à militer pour l’élimination des gaspillages administratifs, la réduction des impôts et la diminution de l’intervention publique dans l’économie. Je suis convaincu qu’il existe un vice fondamental dans la façon dont fonctionnent nos démocraties parlementaires. C’est ce vice qui est responsable de la croissance du phénomène étatique. Parfois, l’Etat croît plus vite, parfois il croît moins vite ; mais en moyenne il ne cesse de croître. Cela n’a rien à voir avec les guerres, ou la grande dépression des années 1930, comme on nous l’explique bien souvent. Le problème est beaucoup plus fondamental. Il est lié à l’histoire et aux caractéristiques de notre technologie politique. »
***
Pour conclure, nous rappellerons qu’en définitive, l’approche du Public Choice conduit la nouvelle génération d’économistes américains considérer que les difficultés des sociétés occidentales contemporaines révèlent moins une faillite de l’économie de marché que les faillites de nos mécanismes politiques. Conçus au siècle dernier, dans le cadre d’une technologie politique adaptée aux débuts de la Révolution industrielle, et n’ayant guère évolué depuis, ceux-ci sont affectés d’une série de déséquilibres internes qui font que l’Etat ne peut que croître aux dépens du marché et de la société civile. Comme l’explique James Buchanan dans son dernier livre The Limits of Liberty[16] : Le défi de notre époque n’est pas économique mais d’ordre institutionnel et politique. Il est d’imaginer une nouvelle technologie politique, de nouveaux modes d’expression démocratique qui permettent de domestiquer la montée envahissante d’une caste de bureaucrates privilégiés.
En un sens, le diagnostic des économistes du Public Choice rejoint celui des contestataires gauchistes et des partisans de l’autogestion, mais en s’appuyant sur une démarche scientifique qui explique que les remèdes proposés soient aux antipodes de ceux présentés par les jeunes contestataires appartenant aux mouvements socialistes « radicaux ». Sur le plan politique, leurs travaux permettent de mieux comprendre l’apparition des « libertariens », ces nouveaux anarcho-capitalistes qui présentent la particularité de concilier une critique radicale de la société capitaliste contemporaine avec un plaidoyer forcené pour l’économie de marché. L’essor des idées libertariennes n’est pas lié, comme le suggère Joseph Fontanet dans son livre déjà cité, à la faillite du paradigme individualiste de l’économie publique, mais au contraire à sa habilitation scientifique par les théories du Public Choice.
[1] Voir Henri Lepage, « Faut-il tuer Keynes ? » Réalités, septembre 1976.
[2]James Buchanan et Robert Tollison : Theory of Public Choice : Political Applications of Economics, The University of Michigan Press, 1972. (Il s’agit d’un recueil d’articles.)
[3] Autrement dit, la « demande » conditionne l’ « offre », mais à son tour l’« offre » réagit sur la « demande », ce que beaucoup d’économistes oublient souvent. Les marxistes n’ont pas complètement tort lorsqu’ils évoquent le rôle des « offreurs » sur la formation des préférences des consommateurs. Mais le mécanisme n’est pas du tout celui qu’ils décrivent. L’influence de l’offre n’est pas directe (la « manipulation de la clientèle par la publicité ») mais indirecte : elle passe par les modifications de coûts et de prix qui résultent du jeu du marché.
[4] Gordon Tullock, The vote Motive (avec un commentaire de Morris Perlman). lnstitute of Economie Affairs, Hobart Papers, 1976.
[5] Cf. par exemple l’étude de Raymond Courbis : « Un processus collectif de choix : l’exemple de la planification française », Revue d’Economie Politique, mai-juin 1977.
[6] Cf. par exemple tous les travaux actuellement consacrés à l’analyse critique du fonctionnement de diverses agences de « régulation », fédérales américaines : F.T.C., F.H.A., O.S.H.A, F.C.C., etc. ou ceux qui analysent les performances comparées des entreprises privées ou publiques ; Cf. également des études canadiennes centrées sur l’explication du comportement de certaines administrations ou entreprises publiques : banque centrale, Air Canada.
[7] Reproduite dans Buchanan et Tollison, 1972, op. cit.
[8] Thomas Kuhn, La structure .des revolutions scientifiques, op. cit.
[9] Le paradoxe d’Arrow démontre en quelque sorte que si une majorité de citoyens préfère la solution A à la solution B, et si la solution B est éplement préférée à la solution C, il ne s’ensuit pas nécessairement que mis en position de choisir entre A et C les citoyens choisiront nécessairement A préférence à la solution C. Ce paradoxe avait déjà été identifié par le Français Condorcet au XVIII” siècle. Il revient à Arrow d’en avoir assuré la conceptualisation théorique dans le cadre de la théorie générale du Welfare. Ses travaux ont été les premiers à introduire un doute quant à la rationalité des décisions collectives
[10] Librairie Plon, 1977.
[11] Pour l’explication du mécanisme du « Demand Revealing Process », voir le chapitre VII, page 247.
[12] Collection 10.18, Union générale d’Editions, 1976.
[13] Milton Friedman, Contre Galbraith page 55, Editions Economica. Association pour l’Economie des Institutions, 1977.
[14] Allan Meltzer, « The Decline of the Liberal Economy » , dans Vie et Sciences Economiques, janvier 1977.
[15] Allan Meltzer, « The Decline of the Liberal Economy », op. cit.
[16] James Buchanan, The Limits of Liberty: Between Anarchy and Leviathan, University of Chicago Press, 1975.