Frank Hollenbeck enseigne la finance et l’économie à l’Université Internationale de Genève. Il a précédemment été Senior Economist au Département d’Etat, Chief Economist chez Caterpillar Overseas, et directeur associé d’une banque privée suisse.
Article traduit du Ludwig von Mises Institute.
En novembre, la Banque centrale européenne (BCE) a surpris les marchés en baissant son taux de refinancement à 0,25% pour éviter une terrible déflation et a annoncé qu’elle chercherait à garder « l’augmentation des prix stable autour de 2% », pourcentage qui est manifestement un objectif et non un plafond. La récente domestication des chiffres de l’inflation est « inquiétante » pour beaucoup d’économistes et a accru les réclamations en faveur de plus d’agressivité de la part de la BCE. Les banquiers centraux et les économistes s’en remettent toujours à l’idée que l’économie peut être gérée en manipulant les prix globaux.
La plupart des économistes diront qu’un peu d’inflation est une bonne chose. Si un entrepreneur fait une erreur et produit quelque chose à un coût supérieur au prix de vente, une augmentation de tous les prix peut rendre cette mauvaise décision profitable. Il pourra vendre ses coûteux stocks. En d’autres mots, un peu d’inflation est une bonne chose pour certains économistes car elle permet aux entrepreneurs qui ont pris de mauvaises décisions, aujourd’hui et probablement demain, de voir un autre jour. Il est surprenant, cependant, de voir des supporteurs du marché libre soutenir une telle logique. Le capitalisme est un système de pertes et de profits dans lequel les entrepreneurs qui survivent sont les plus capables d’être en adéquation avec les besoins de la société. Les pertes sont en fait plus importantes que les profits puisqu’elles servent à écarter ceux qui ne satisfont pas assez bien les consommateurs, permettant aux ressources d’être affectées là où on en a le plus besoin. Le mouvement relatif des prix les uns par rapport aux autres peut condamner certaines entreprises, mais les prix relatifs, et non les prix agrégés, sont une clef pour comprendre l’économie.
Un seul exemple pourra éclairer les choses. Supposons que nous avons une économie très simple avec seulement deux produits, des pommes et des oranges. Nous supposons qu’à très court terme il n’y a pas d’effet sur la production. Nous commençons avec 10 pommes et 10 oranges et 20$. Supposons que le croisement de l’offre et de la demande pour les oranges détermine un prix de 1,20$. Cela fixera simultanément le prix des pommes à 0,80$. C’est uniquement dans cette situation que nous n’avons aucun excès de monnaie ni de produits.
Le prix relatif entre les oranges et les pommes reflète la demande de la société pour les deux produits, conformément à leur abondance relative, ou leur offre. Maintenant, supposons que les goûts changent et que les gens veulent plus de pommes. L’effet de court terme sera une augmentation du prix des pommes, si l’offre de monnaie reste constante, et une diminution du prix des oranges. On suppose que le nouveau prix d’équilibre pour les pommes comme pour les oranges soit 1$. C’est une augmentation de 25% du prix des pommes, et une baisse de 16,7% de celui des oranges. L’économie subit une inflation des prix de 8,3%, calculée comme la moyenne pondérée des deux produits. Bien sûr, nous aurions pu débuter l’exemple avec d’autres prix relatifs et créer une situation de déflation tout aussi facilement.
Dans le monde réel, si le prix du pétrole augmente, le prix des autres biens et services doit baisser si l’offre de monnaie reste constante. À court terme, les autres biens et services sont vendus à perte. Leurs coûts de production ne sont plus adaptés puisque ce sont désormais des coûts irrécupérables. À long terme, l’impact final de la hausse du prix du pétrole sur l’inflation dépendra de l’élasticité de l’offre et de la demande de nombreux produits et services. L’inflation générée par les coûts est une conception populaire mais erronée. Une augmentation générale des prix, d’autre part, est un phénomène monétaire.
Nous sommes maintenant dans une meilleure position pour comprendre la stupidité d’un objectif de politique monétaire de 2% d’inflation pour toute l’économie. Dans notre exemple des pommes et des oranges, est-ce que la banque centrale devrait diminuer l’offre de monnaie afin de changer les niveaux de prix absolus et relatifs des pommes et des oranges pour porter le taux d’inflation de 8,3% à l’objectif de 2% ? Si, à la place, nous avions créé un exemple avec de la déflation, est-ce que la banque centrale devrait intervenir pour augmenter l’offre de monnaie afin de contrecarrer ce qui est essentiellement un changement de prix relatifs ? Dans une économie capitaliste, d’aussi importantes variations des prix relatifs ne sont pas rares.
Avec la Chine et l’Inde qui sont entrées dans le circuit ces trente dernières années en produisant de gros volumes de produits bon marché, la moyenne des prix devrait avoir baissé spectaculairement, comme cela s’était produit durant la révolution industrielle du XIXe siècle. Un prix moyen stable masque un énorme changement dans les prix relatifs. Le prix des produits et services qui ne sont pas produits dans des pays émergents à bas coûts, comme la santé et l’éducation, ont enregistré une inflation galopante tandis que l’indice général des prix a à peine bougé.
Supposons que la société veuille consommer plus aujourd’hui et moins demain. Dans des circonstances normales, l’indice des prix à la consommation augmenterait tandis que les prix des biens d’investissement baisserait. Ce changement des prix relatifs, en même temps qu’une hausse des taux d’intérêt (c’est-à-dire le prix de la préférence temporelle) agissent comme des stabilisateurs automatiques, atténuant l’impact sur l’économie du changement des préférences. Une politique de banque centrale modifiant l’offre de monnaie pour corriger ce qui est un problème de prix globaux imaginaire ajouterait simplement de l’instabilité au processus d’ajustement. En visant un agrégat, les banques centrales créent une distorsion dans les prix relatifs et interfèrent dans l’efficacité de l’allocation des ressources et des biens et services.
La récente initiative de la BCE de baisser son taux de refinancement a été menée pour contrer un changement de prix relatif causé principalement par l’appréciation de l’euro, mais c’est une interférence totalement injustifiée dans la fonction d’allocation des ressources des prix.
La monnaie est une mesure de la valeur, comme une règle mesure la longueur. Changer la longueur de la règle, ou constamment manipuler l’offre de monnaie, peut uniquement mener au chaos. Est-ce que le rôle de la BCE est vraiment de « micro-gérer » chaque changement mensuel d’un indice imparfait ? Ne réalise-t-elle pas que changer constamment l’étalon de mesure rend les décisions entrepreneuriales encore plus difficiles ?
Revenir à l’étalon or, en finir avec les réserves fractionnaires, et fermer la banque centrale, apporterait finalement la stabilité à l’offre de monnaie et, en conséquence, la stabilité à l’économie mondiale.