Le libéralisme officiel à l’Académie des sciences morales et politiques

L’Académie des sciences morales et politiques a accompagné la croissance et le développement du libéralisme français pendant près d’un siècle, et aujourd’hui ses volumes de Séances et travaux sont d’une lecture instructive et enrichissante pour ceux qui aspirent à marcher sur les traces des esprits supérieurs qui y siégèrent. Cependant cette histoire et cet héritage n’est pas sans ambiguïtés. Tous ces auteurs qui ont œuvré pour la liberté du travail et de la pensée ont constitué une aristocratie de l’intelligence, à l’abri de privilèges et de dotations publiques. S’ils ont accompagné le progrès, en promouvant de leur place des réformes utiles, ils l’ont peut-être aussi entravé, en donnant à leur libéralisme un caractère officiel, et en limitant les potentialités d’institutions concurrentes, qui auraient mûri sous l’atmosphère vivifiante de la liberté.    

Des largesses de l’État envers les industries privées

Dans un article plein de hardiesse, Louis Reybaud examine tour à tour les différentes formes prises par l'aide publique à l'industrie : primes, subventions, prêts d'argent, garanties d'un minimum d'intérêt, indemnités. S'il les traite une à une, c'est pour les rassembler ensuite dans une condamnation globale, car les largesses de l'État envers les industries privées aboutissent d'un côté, à une dilapidation de l'argent des contribuables, de l'autre à des entreprises mal conçues, mal combinées, et dont on chercherait en vain le principe vivifiant.

Sur le prix des enterrements et l’alternative de la mort à bon marché

« Non seulement la vie coûte cher en France, écrit Gustave de Molinari en 1851, mais la mort même y est renchérie par des monopoles et des privilèges. » Les enterrements, en effet, sont l’objet de multiples règlements et de taxes, qui pèsent d’un poids particulièrement lourd pour le pauvre peuple, obligé d’abandonner les siens dans des fosses communes et d’en accompagner les dépouilles dans un cortège minimaliste. Les concessions même sont révoquées et révocables, et on trouble la propriété privée dans le dernier lieu de sa manifestation ; c’est le communisme jusque dans la mort.

Le Japon. L’éveil d’un peuple oriental à la civilisation européenne

À la fin du XIXe siècle, le Japon, de même que la Chine, se réveille, porté par une population laborieuse et les acquis techniques, économiques et industriels de l’Occident. Tandis qu’à l’ouest on débat de la journée de 8 heures et de droits sociaux étendus, cette concurrence nouvelle prépare de grandes déconvenues, écrit Paul Leroy-Beaulieu en 1890. « Dans quelques dizaines d’années, ces deux méconnus [le Japon et la Chine], pourvus enfin de nos connaissances techniques et de nos machines, montreront aux nations européennes amollies ce que peuvent les peuples qui n’ont pas perdu la tradition du travail. »

Réponse à M. Léon Say

Dans le Journal des économistes de septembre 1884, Ernest Martineau avait réclamé contre le libellé d’une question à la Société d’économie politique, portée par Léon Say, sur le motif qu’elle se fondait sur le postulat erroné que la liberté produit des torts, qu’il peut être dès lors souhaitable ou nuisible de combattre. Léon Say ayant répondu entre temps que son opinion n’était pas que la liberté produit des torts, Martineau peut se féliciter de cet accord sur ce point qu’il considère comme important.

La question de la paix

Dans cet article, Frédéric Passy revient sur les nouveaux développements des idées de pacifisme et d’arbitrage, qui lui sont chères et qu’il a défendues toute sa carrière durant. En 1895, la question de l’Alsace-Lorraine, qui a fait naître des tensions réelles mais dont il ne faudrait pas, dit-il, s’exagérer la portée, est surtout posée, et elle doit être résolue comme les autres par l’arbitrage. La concorde et la paix européenne, surtout, sont à fonder, si l’on veut éviter un embrasement généralisé.

Du paupérisme et des secours publics dans la ville de Paris

Dans cet article du Journal des économistes, M. Vée, maire du Ve arrondissement de Paris, étudie les formes de l'assistance publique dans la capitale. Il ne cache pas, toutefois, sa préférence pour les mécanismes variés et progressifs de la charité légale. « Aux rapports libres, généreux, spontanés, qui ennoblissent celui qui donne et moralisent par la reconnaissance dont ils le pénètrent celui qui reçoit », clame-t-il aux philanthropes maladroits, « ne substituez pas imprudemment et sans nécessité l'action compassée et si souvent aveugle de la charité légale ou administrative, de cette charité prétendue qui enrégimente les citoyens sur les rôles de parias qu'elle appelle des indigents. »

La colonne Vendôme

Lors des soulèvements de la Commune de Paris, en 1871, de nombreux monuments sont endommagés, détruits ou pillés. La colonne Vendôme, érigée jadis par Napoléon avec le métal des armes des vaincus de ses armées, a été abattue. La paix civile revenue, il est décidé qu’elle sera reconstruite — choix que Paul Brandat et Frédéric Passy, deux militants pacifistes, condamnent dans deux lettres, réunies en brochure. Les idées de fausse gloire nationale, de supériorité de la force sur la loi, associées à cette colonne, doivent être répudié dans le domaine des idées et des faits, si la France et l’Europe entière ne veut pas sombrer et se consummer elle-même par le feu et par le fer.

La profession d’avocat est-elle constituée en France en conformité des principes de l’économie politique ?

En 1887, la Société d’économie politique examine la question de la liberté du métier d’avocat, pour savoir s’il relève d’une activité économique comprise dans la sphère privée, ou si c’est un ministère tenant de si près à la magistrature, que des règles spéciales doivent impérativement l’encadrer. Selon certains membres, comme Alphonse Courtois ou Frédéric Passy, les justifiables auraient tout avantage à tirer parti de la liberté du métier d’avocat ; d’autres membres, cependant, tiennent pour le maintien des règles, qui permettent, disent-ils, d’éviter qu’un avocat libre, sans mœurs ni savoir, ne vienne perturber le fonctionnement de la justice, bien public par excellence.

La Russie et les États-Unis au point de vue économique

En 1854, Gustave de Beaumont a perdu la passion de l’écriture, et ses années de voyages et de complicité avec Tocqueville, qui furent pour lui fructueuses, sont désormais derrière lui. Pour la Revue des Deux Mondes, il livre toutefois un article comparant la situation de la Russie et des États-Unis. Les deux nations sont entreprenantes, conquérantes même. Leur principe d’action, toutefois, est précisément opposé : si les Américains s’accroissent, fondent des villes, défrichent des terres sous l’impulsion de la liberté et de l’initiative individuelle, tout se fait en Russie au rythme de la machine bureaucratique. Cette société figée et silencieuse n’est pas plaisante à observer, juge Beaumont, et le développement de son influence en Europe est même une source de crainte.

Défense de la liberté du travail

Après Vincent de Gournay et la poignée d’auteurs qu’il mit à l’œuvre sur ce thème, les Physiocrates furent de grands défenseurs de la liberté du travail, condamnant le système des corporations et les innombrables règlements qui entravaient l’activité productive en France. Dans un chapitre de sa Première introduction à la philosophie économique (1771), Nicolas Baudeau reprend cette critique des règlements et défend dans toute sa rigueur une politique de liberté du travail.

La bibliothèque nationale et le communisme

Dans un passage de ses Soirées de la rue Saint-Lazare (1849), prochainement rééditées dans le volume 6 de ses Œuvres complètes, Gustave de Molinari offre une critique très vive de la Bibliothèque nationale et des institutions culturelles publiques ou subventionnées. La gratuité des bibliothèques, écrit-il, c’est du communisme, et dans l’intérêt même de la diffusion des lumières, il est urgent de fermer les bibliothèques publiques.

Le monopole de l’État sur le pétrole

Dans cet article de juin 1906, Yves Guyot critique les propositions faites pour transformer l’industrie du raffinage de pétrole en un monopole d’État. Il y voit un non respect de la propriété et des lois sur l’expropriation légale, ainsi qu’une source d’embarras futurs pour les finances publiques, l’État ayant prouvé à de nombreuses reprises qu’il était toujours mauvais industriel.

Les devoirs et les droits des nations envers les étrangers

En 1887, Paul Leroy-Beaulieu témoigne dans son journal l’Économiste français de son désarroi et de sa désapprobation face à la tendance croissante des nations les plus riches à se barricader et à rejeter l’immigration étrangère. À part le cas des individus dangereux, comme des mendiants, des bohémiens et des saltimbanques, qu’on peut avec justice vouloir proscrire, les frontières nationales doivent être ouvertes, soutient-il, et il faut simplifier grandement la voie de la naturalisation.

Introduction au Dictionnaire de la tradition libérale française

L’ambition de ce dictionnaire est d’examiner, sur la base de la plus complète documentation, l’état des esprits libéraux sur l’ensemble des questions qui peuvent avoir une résonance actuelle, ou qui ont eu une importance passée. Il comprendra aussi bien des entrées pour chacun des penseurs importants de la tradition libérale française — du physiocrate Louis-Paul Abeille à l’économiste et juriste Louis Wolowski —, que des articles thématiques sur des sujets tels que ceux du premier volume : les accidents du travail, l’Algérie, l’avortement, l’anarchie, ou les attributions de l’État. L’objectif est d’éclairer la route par la mobilisation de l’héritage intellectuel global qu’a laissé cette masse incroyable de penseurs féconds. « Le premier besoin pour demeurer ou pour devenir un peuple libre », écrivait en son temps Gustave de Beaumont, « c’est de comprendre la liberté, et les conditions auxquelles on la garde après l’avoir conquise. » (L’Irlande, etc., 1845, p. xviii) À ce titre, l’opinion des maîtres peut servir. 

Pourquoi les libéraux français n’ont-ils pas aimé les États-Unis ?

Traditionnellement vantés comme des modèles de libéralisme, l’Amérique et les Américains ont surtout été traités élogieusement par les libéraux qui n’en avaient qu’une connaissance de seconde main. Ceux qui, à différentes époques, ont voyagé aux États-Unis — Volney en 1795-1798, Beaumont et Tocqueville en 1831-1832, Molinari en 1876 — sont revenus désabusés. Malgré des occasions innombrables et faciles, Dupont (de Nemours) reste le seul à s’y être installé durablement.

L’amortissement de la dette est-il préférable à la réduction des impôts?

En matière de finances publiques, le plus sage et le plus juste est de s’abstenir de faire des dettes, et de payer celles qu’on a contractées. Seulement, dans la situation où la France  et les principales nations de l’Europe se sont placés, d’une dette considérable jointe à une fiscalité déjà très forte, la question de la marche à suivre n’est pas aisée à clarifier. Pour Frédéric Passy et quelques autres, parlant à la Société d’économie politique (janvier 1877), c’est surtout affaire de circonstances et de mesure : quand le système fiscal est défectueux, par exemple, sans doute il serait maladroit de s’appuyer dessus pour réduire drastiquement la dette, et il convient donc dans ce cas de réformer l’impôt, avant d’amortir la dette.

L’alcool et l’alcoolisme vus par les libéraux français

Au XIXe siècle, les libéraux français assistent à l’accroissement d’un mal social particulièrement pernicieux : l’alcoolisme. Face à cette menace, ils proposent des solutions fondées principalement sur l’initiative individuelle et l’association volontaire. Si un débat existe parmi eux sur le recours à l’État et à l’impôt, ils se retrouvent à l’unisson pour combattre les projets de prohibition ou de monopole de l’alcool.

Factum de la France contre les demandeurs en délai pour l’exécution du projet traité dans le Détail de la France ou le nouvel ambassadeur arrivé du pays du peuple

Pierre de Boisguilbert, « Factum de la France contre les demandeurs en délai pour l’exécution du projet traité dans le Détail de la France ou le nouvel ambassadeur arrivé du pays du peuple », 1705 — [Archives du ministère des affaires étrangères, France article 1138, Affaires intérieures 398, f°79-220. (Microfilmé) — Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique, INED, 1966, vol. I.] — Transmis en 1705, mais composé peut-être dès 1695.

Les libéraux français et la colonisation du Viêt Nam

La colonisation française au Viêt Nam est un phénomène politique sur lequel les libéraux ont fait entendre une voix dissonante, et qui ne s’explique bien rétrospectivement que dans le cadre de ses conditions historiques particulières. Au sein de l’Indochine française (Liên bang Đông Dương, 聯邦東洋), les Français établissent successivement leur domination sur les trois régions viêtnamiennes de l’Annam (Trung Kỳ, 中圻) au centre ; du Tonkin (Bắc kỳ, 北圻) au Nord, et de la Cochinchine (Nam Kỳ, 南圻) au Sud. Si dès 1883 Paul Leroy-Beaulieu pousse de ses vœux la conquête décisive, avant de se désintéresser de cette colonie, Frédéric Passy et Yves Guyot s’y opposent fermement, par la plume ou à la tribune. Pendant plus de trente ans, Gustave de Molinari tâche aussi de décourager les artisans de la colonisation au Viêt Nam, en présentant ses aspects honteux.