Le Journal des économistes, une plateforme de débats

Le Journal des économistes (fondé en 1841), organe de l’école libérale française d’économie politique, qui accueillit certaines des plus grandes contributions d’auteurs comme Frédéric Bastiat, Gustave de Molinari, Charles Coquelin, Joseph Garnier, Adolphe Blanqui, J.-G. Courcelle-Seneuil, et tant d’autres du même calibre, passe traditionnellement pour représenter la voix de l’orthodoxie libérale et radicale dans un paysage académique en construction et provisoirement sans grand concurrent. Cette image qui lui est restée ne correspond pas, néanmoins, à la réalité. Loin d’avoir constitué un véhicule de dissémination d’une doctrine libérale pure, fixée dans le marbre, et qu’il ne se serait agit que de clamer sur tous les tons, le Journal des économistes accordait en vérité une large place au débat contradictoire et accueillait avec bienveillance les doctrines les plus opposées. De fait, la position libérale radicale, brillamment portée par plusieurs esprits de premier rang, dont le nom est resté célèbre, était à peine dominante dans ses pages. Des démarches concurrentes, réformistes, modérées, conservatrices, parfois même distinctement interventionnistes, trouvaient aussi bien leur place, donnant au recueil un caractère unique.

Les chemins de fer constituent-ils un monopole naturel ?

Devant la Société d’économie politique (1883), le socialiste Charles Limousin détaille les raisons pour lesquelles, selon lui, l’industrie des chemins de fer doit échapper à la fois à la liberté absolue et à la mainmise absolue de l’État, qui serait du communisme (qu’il repousse), et il finit par recommander des dispositions spéciales pour les employés actuels de la régie des chemins de fers français. Le reste de l’assemblée ne se prononce pas sur le premier point, malgré les oppositions connues de certains ; mais sur le second, le droit commun est préféré.

Idées d’un citoyen presque sexagénaire sur l’état actuel du royaume de France, comparées à celles de sa jeunesse (1787)

À la veille de la Révolution française, le physiocrate Nicolas Baudeau poursuit sa critique des institutions financières de l’Ancien régime, dont il réclame le renversement ; non toutefois, dans une optique républicaine ou démocratique, mais comme moyen de sauver une monarchie qui lui paraît le fondement naturel d’une économie libre et prospère.

Mirabeau, un économiste grand seigneur, par L. Cabantous

Le marquis de Mirabeau, bras droit de Quesnay au sein de l’école physiocratique, fut comme son mentor un homme à paradoxes, fait remarquer Louis-Pierre-François Cabantous dans une conférence de 1867. « Singulier mélange d'obstination aristocratique et de zèle novateur, il réunit tous les contrastes dans sa personne et dans sa conduite. » Il est, selon l’auteur, le représentant de ces économistes grands seigneurs, libéraux par tempérament mais sans consistance.

La tendance à une moindre inégalité des conditions

Dans son livre remarquable, De la répartition des richesses et de la tendance à une moindre inégalité des conditions, Paul Leroy-Beaulieu s’attache à récuser les prophètes de malheur qui promettent à l’ouvrier une condition de plus en plus déplorable, face à la richesse croissante des propriétaires terriens et des industriels. Dans la conclusion de son volumineux ouvrage, il revient sur quelques-unes des raisons qui prouvent, selon lui, que l’avenir amènera une inégalité toujours moindre des conditions, du moins si l’État ne vient pas paralyser ce mouvement.

Des anciennes corporations d’arts et métiers en France

Sous l'Ancien régime, l'artisanat et le commerce étaient enserrés dans le système ultra-réglementaire et monopolistique des corporations, qui paralysait le progrès économique et asservissait producteurs et consommateurs. À ceux qui réclamaient en son temps un retour à la réglementation des métiers, Charles Renouard traçait, dans le Journal des économistes de mars 1843, le sinistre tableau des corps d'Ancien régime. — « Pour être fort contre le monopole, écrivait-il, il faut étudier le passé, le remuer souvent, en tracer des tableaux fidèles. Le passé abonde en enseignements profitables aux esprits les plus progressifs ; il permet à qui le connaît de demander à ceux qui le regrettent et le réclament en quelle année de toute notre histoire ils prétendraient se placer pour y trouver à l'industrie une condition meilleure qu’aujourd’hui. »

Oeuvres complètes de Gustave de Molinari (Volume 6)

Œuvres complètes de Gustave de Molinari, sous la direction de Mathieu Laine, avec le soutien de M. André de Molinari, et avec des notes et notices par Benoît Malbranque. — Volume 6. Après les tremblements de la révolution de 1848, Gustave de Molinari renouvelle la défense de la liberté et de la propriété, notions si attaquées, en étendant le champ d'application du libéralisme traditionnel. Ses théories dites anarcho-capitalistes, sur la privatisation des fonctions régaliennes de l'État et la liberté des gouvernements, sont exposées dans le Journal des économistes puis la même année dans les Soirées de la rue Saint-Lazare, et font date dans l'histoire du libéralisme.

Sur les lavoirs publics subventionnés

« Si l’État intervient pour créer ou pour subventionner des établissements de bains et des lavoirs publics, voici ce qui arrivera infailliblement : en butte à cette concurrence nouvelle, l’industrie privée ira sans cesse déclinant ; à mesure que les établissements subventionnés se multiplieront, on verra se fermer les établissements libres. L’État finira nécessairement par devenir le seul laveur et le seul baigneur de France. Or, comme l’État n’est mû dans cette affaire que par un louable désir de philanthropie, comme son intention est de laver et de baigner à perte, il sera obligé de demander aux contribuables de combler le déficit de ses établissements de bains et de ses lavoirs. En d’autres termes, on prendra sur la nourriture, le vêtement, le logement de tous les contribuables les moyens de laver et de baigner, à moitié prix ou gratis, une partie de la population. Est-ce là une philanthropie bien intelligente ? Que feraient de plus les communistes ? »

Idées sur les innovations anti-monarchiques proposées aux notables

À l’aube de la Révolution française, le camp des économistes libéraux, issus de François Quesnay et de sa doctrine, reste fracturé par des divergences profondes de doctrine. Nicolas Baudeau, jadis fondateur et directeur du périodique commun, les Éphémérides du Citoyens, poursuit alors sa lutte contre les idées républicaines et anti-monarchiques portées par Turgot et quelques-uns de ses proches, comme Condorcet ou Du Pont de Nemours.

Y a-t-il lieu, pour parer aux dangers de l’alcoolisme, de restreindre la liberté du commerce des boissons ?

Devant les progrès de l’alcoolisme, les sociétés de tempérance et la force des gouvernements offraient deux réponses assez distinctes. Étudiant la question en 1885, les libéraux de la Société d’économie politique ne se montrent guère favorable à une prohibition ; mais les bornes exactes de l’intervention de l’autorité font débat. Selon les uns, l’État peut légitimement contrôler le nombre des débitants de boissons alcoolisés, et il peut surveiller la production des alcools les plus dangereux ; pour d’autres, en dehors de prononcer une interdiction aux mineurs et de sanctionner les fraudes, l’État doit rester en retrait. « Il est souverainement injuste, dit notamment Arthur Raffalovich, de donner à une majorité le droit de contrôler les goûts de la minorité et de la priver de l’usage modéré des boissons, parce qu’il y a des ivrognes. »

Un antécédent du XVIIIe siècle à la pétition des chandelles de Bastiat

Dans son livre sur François Quesnay, Gustave Schelle indiquait déjà que « Le Trosne écrivit des articles qui, par leur verve, peuvent être rapprochés des pamphlets de Bastiat ». Au-delà du style de Le Trosne, un article rappelle particulièrement Bastiat. En 1765, Le Trosne insère en effet dans le Journal des l’agriculture, du commerce et des finances, une Requête des rouliers d’Orléans à l’effet d’obtenir le privilège exclusif de la voiture des vins de l’Orléanais. Le titre même de l’article nous rappelle la Pétition des marchands de chandelles. Le Trosne fournit comme Bastiat une requête fictive soi-disant présentée devant l’assemblée (municipale, dans le cas du physiocrate français), pour promouvoir le libre-échange et condamner les règlements.

La recherche de la paternité des enfants naturels et la population

La loi, qui sanctionne les mariages, se désintéresse assez de les voir ou non productifs. Mais lorsqu’il y a séduction par une fausse promesse de mariage, et a fortiori lorsqu’il y a enlèvement, viol, la loi ne peut pas détourner le regard et protéger l’inconduite des hommes, comme elle l’a fait trop longtemps. — C’est le sens de l’article qu’Adolphe Blaise consacre au sujet dans le Journal des économistes de janvier 1879 : appuyer les efforts législatifs entrepris récemment pour réformer la législation d’impunité masculine issue de la Révolution, et soutenir les filles-mères en permettant la recherche de la paternité et l’accomplissement forcé des devoirs du père.

Note sur la condition sociale et politique des nègres esclaves et des gens de couleur affranchis

En 1835, tandis que son compagnon de voyage publie la première partie de sa Démocratie en Amérique, Gustave de Beaumont se charge de raconter, par le roman, la condition des noirs aux États-Unis. Au-delà des péripéties même de l’histoire de Marie, il insère la longue note suivante, aperçu très éclairant et très raisonné de ce qu’est la servitude des noirs esclaves et de ce que la société devient pour eux lorsqu’ils sont affranchis. Il avertit des dangers qui se préparent pour le pays, lorsque viendront aux prises ces « deux races ennemies, distinctes par la couleur, séparées par un préjugé invincible ».

L’immigration et l’éventualité de la dénationalisation de la France

Au début du XXe siècle, la France, dont la natalité est en baisse, a recours à l’immigration pour soutenir sa population. En sociologue et en économiste, Paul Leroy-Beaulieu étudie ce mouvement et ses conséquences dans son ouvrage sur La question de la population (1913). Selon lui, l’agglomération d’individus étrangers ou naturalisés, dans des villes particulières où ils conservent leur culture et leur langue, fait courir au pays un risque de « dénationalisation » qui se matérialisera rapidement, en quatre ou cinq générations.

L’industrie et les taxes douanières

Deux ans après la débâcle de la guerre franco-prussienne et les troubles de la Commune de Paris, l’économie française est encore en convalescence quand Paul Leroy-Beaulieu écrit le premier éditorial de son journal L’Économiste français. Évoquant la réforme des traités de commerce, alors pendante, il recommande la prolongation du régime de libre-échange inauguré en 1860 comme une mesure temporaire de bon-sens, qui doit permettre le rétablissement de la fortune publique et privée, mise à mal par les récents évènements.

Les quarantaines sanitaires

Au XIXe siècle, l’état de la science et les conditions des communications entre les peuples sont tels, que les autorités qui ont à charge de prévenir et de limiter les conséquences des épidémies font reposer une bonne part de leur attention sur le système des quarantaines. Contrôler et isoler les personnes douteuses, ce n’est pas éradiquer le mal, ou s’en préserver : c’est faire un pari, accepter un accommodement compris comme raisonnable, comme ailleurs on s’y résigne, contre des forces naturelles que l’on ne saurait vaincre. Dans cet article publié dans le Dictionnaire de l’économie politique (1853), Louis Reybaud retrace l’histoire de cette méthode de protection et en souligne les difficultés intrinsèques, quand les épidémies sont si imprévisibles, si inarrêtables, et que les spécificités de climat ou de mœurs rendent les règles fixes si maladroites.

Jules Simon – L’Ouvrière (1861)

Jules Simon étudie dans ce livre les conditions économiques et sociales des ouvrières, depuis l’avènement de la grande industrie et l’extinction du travail à domicile par les progrès du machinisme. Ces conditions nouvelles, il en expose les effets, bons et mauvais, actuels et futurs. En libéral conservateur, il place ses espérances, non dans l’assistance publique généralisée ou dans des atteintes portées au principe de la propriété, mais dans les mœurs et la structure familiale.

Les nouvelles perspectives budgétaires de la France

Analysant en janvier 1874, pour son journal L’Économiste Français, les dernières discussions sur le budget, Paul Leroy-Beaulieu prend un ton critique, au vu de l’impréparation et de la timidité des mesures proposées. Au lendemain d’une guerre perdue, dit-il, la sécurité ne peut être compromise, et pour en garantir les ressources, rien ne vaut une réforme audacieuse et courageuse des impôts.

Laissons Faire, n°41, janvier 2022

Au programme de ce nouveau numéro : René Descartes, de la liberté divine à la liberté humaine, par B. Malbranque. — Débat sur le ministère Turgot à l'Académie des sciences morales et politiques (1877). — La bibliothèque nationale et le communisme, par Gustave de Molinari (1849). — Recension critique : Jean-Baptiste Say, Œuvres complètes, volume III. Catéchisme d’économie politique et opuscules divers, Economica, 2020.

Mémoire sur faciliter et avancer la levée d’un grand nombre de charges (1691)

Dans ce mémoire, joint à sa première lettre au ministère, Boisguilbert attaque un premier pan des erreurs administratives que l’ancienne monarchie commettait dans la perception des droits et la police des fonctions publiques. Observant que des titulaires de charge les abandonnent fréquemment pour éviter d’en payer les frais, ou que les jeunes avocats se perdent dans une jeunesse licencieuse, pour apprendre un droit romain qui n’est pas même la base de la législation sur laquelle ils auront à exercer, il commande de répondre à l’un et l’autre abus par des réformes.