La crémation

Après avoir défendu à la tribune cette cause qui était pour lui une conviction, et qu’il matérialisera lui-même par ses dernières volontés, Frédéric Passy prenait la parole en 1895 devant la Société de crémation, pour cette pratique de l’incinération qu’il défendait contre les dangers sanitaires des enterrements. Naturellement, dans cette cause, il invoquait la liberté, non la contrainte : il voulait rendre autorisée cette pratique mal considérée par quelques églises officielles, fondant son espoir dans la tolérance et la promotion des idées.

La gratuité de l’usage des canaux et rivières navigables

Devant la Société d’économie politique, dont les principaux membres libéraux étaient ce jour-là absents, Charles-Mathieu Limousin pose la question de la légitimité de la gratuité des canaux et rivières navigables. Ces voies de communications nécessitent des frais de construction et d’entretien : ainsi n’est-ce pas faire du protectionnisme, que de ne pas faire contribuer financièrement l’usager, quand il paye directement pour les autres formes de transport, notamment les chemins de fer ? N’y a-t-il pas là privilège, et donc abus ? N’y a-t-il pas aussi injustice, quand les contribuables des régions très faiblement arrosés de canaux et rivières paient leur quote-part pour les régions qui en sont richement dotés ? 

Sur l’ouvrage de M. Dunoyer : De la liberté du travail

Devant l’Académie des sciences morales et politiques, Adolphe Blanqui présente les travaux de son collègue Charles Dunoyer sur La liberté du travail. L’ambition de Dunoyer, dit-il, a été de développer la science sociale dans sa globalité, et d’offrir une réfutation complète des velléités socialistes et étatistes qui se développent, en réaffirmant de manière solide et vigoureuse les principes de la liberté humaine.

Les débuts de la guerre de sécession américaine

En 1861, les États abolitionnistes du Nord des États-Unis sont en conflit ouvert avec les États esclavagistes du Sud. L’issue que prendra la lutte qui s’engage, Henri Baudrillart la devine : l’institution de l’esclavage est une plaie morale et économique qui rendra le Sud finalement impuissant dans la bataille, dans une guerre qui n’en sera pas pour autant la moins coûteuse en hommes et en capitaux. Il note toutefois que les États du Nord ne recherchent pas l’abolition de l’esclavage partout en Amérique par égard pour les Noirs, mais d’abord pour des raisons économiques : car quant à la fraternité des races, elle y est encore bornée à quelques individus d’exception. 

L’impôt sur les riches (1907)

« Ce qu'il faut faire ? nous l’avons dit et répété bien des fois, est fort simple : laisser en repos les capitalistes, les rentiers, les contribuables. Le « quelque chose » à faire, c'est prendre la résolution de s'arrêter dans la voie des dépenses ; c'est laisser le pays un peu tranquille ; c'est ne pas inquiéter à chaque instant les capitalistes, les rentiers, les « riches », prétendus riches ; ce qu'il faut faire ? C'est laisser reposer le contribuable de même que le laboureur laisse reposer son champ pour ne pas l'épuiser. »

Oeuvres complètes de Gustave de Molinari (Volume 7)

Œuvres complètes de Gustave de Molinari, sous la direction de Mathieu Laine, avec le soutien de M. André de Molinari, et avec des notes et notices par Benoît Malbranque. — Volume 7. La république menacée (1850). Après avoir imaginé la privatisation des gouvernements dans deux contributions fameuses, Gustave de Molinari devait affronter, en journaliste de tous les jours, les déceptions du suffrage universel et les dangers de l’agitation socialo-communiste. Sans grand enthousiasme, mais parce que la survie de la civilisation en dépendait, il se ralliait politiquement au camp de l’ordre, représenté par la figure sans cesse montante et dominante du président bientôt empereur, Louis-Napoléon Bonaparte.

L’interdiction de la pornographie est-elle contraire aux principes du libéralisme ?

En 1891, la Société d'économie politique met à l'ordre du jour la question de la littérature pornographique. Tous les membres présents, dont Léon Say et Frédéric Passy, se prononcent pour l'interdiction. Cette curieuse unanimité illustre les limites de l’adhésion des économistes du XIXe siècle à l’interprétation pleine et entière du laissez-faire laissez-passer.

Un discours de M. Bright

En 1883, John Bright, l’ancien compagnon d’armes de Richard Cobden au sein de l’Anti-corn-law-league, cette association victorieuse qui inaugura une ère de libre-échange en Angleterre, revient dans un discours sur les accomplissements du passé et les fruits qu’ils ont portés. Ce discours est aussi pour son traducteur, Ernest Martineau, l’occasion d’insister sur les bienfaits de cette politique du libre-échange intégral et radical, qu’il promeut lui-même en France, quarante ans après ses maîtres intellectuels.

Lettre sur la paix

Quelques années avant la guerre franco-prussienne de 1870, les difficultés s’amoncellent déjà et font craindre à l’horizon la rupture de la paix. Pour Frédéric Passy, plus tard premier Prix Nobel de la paix (1901), l’heure est urgente : il faut, dit-il, se liguer pour la paix, promouvoir l’idée de la paix et la faire dominer les esprits, si l’on veut s’épargner les désastres de la guerre.

L’énigme de l’échec russe de Lemercier de la Rivière

Brouillé avec le ministère de son pays et laissé sans ressources après l’intendance en Martinique, le physiocrate Lemercier de la Rivière connut une gloire littéraire immense avec la publication de L’ordre naturel et essentiel des sociétés politiques (1767). Recommandé par Diderot, il fut invité à la cour de Russie par Catherine II pour participer à la réforme des lois. Ce fut un échec, dont on s’est longtemps mal expliqué les causes, et qu’un récent livre tâche d’examiner. Sa conclusion est que Catherine II, qui se piquait de philosophie et de modernisme, recula vite devant l’énergie réformatrice du physiocrate ; en politique avisée, elle se voulait avant tout pragmatique et méfiante.

La liberté d’écrire sur les affaires de l’État

« Il ne faut pas s'y tromper : toutes les grandes opérations, en matière d'administration, ont besoin d'être aidées de l'opinion publique, ou du moins ne peuvent réussir si elles ont l'opinion publique contre elles. Or, il n'y a point de moyen plus prompt pour diriger cette opinion, que la voie de l'impression, surtout lorsqu'on ne veut montrer aux hommes que la vérité, et qu'on ne cherche que leur bonheur. »

La rapide croissance des dépenses publiques en France

Dans son article hebdomadaire de L'Économiste Français (11 mai 1878), Paul-Leroy Beaulieu attaque la folie dépensière des gouvernements de son temps. « La Chambre cède à un entraînement imprudent vers les augmentations de dépenses, écrit-il ; elle ne tient qu'un compte médiocre du contribuable ; il semble que ce personnage soit pour elle un être abstrait, qui n'ait ni chair ni os, qui ne subisse aucune privation, aucune gène et dont on puisse tirer, sans manquer à la justice, tout ce qu’il peut produire. »

Chômage des dimanches et jours fériés, par Charles Renouard (1865)

« Ayons des jours périodiques de repos légal, car ils sont indispensables à l’ordre civil des sociétés ; félicitons-nous de pouvoir, dans leur désignation, concilier avec les conseils de la science économique le respect dû aux préceptes religieux ; encourageons, propageons et pratiquons l’obéissance à des règles dont la vie de tout le monde doit se trouver bien ; mais reconnaissons qu’il n’est, à ces fins, ni juste, ni utile de pousser la loi à sortir de sa sphère, et d’ériger en délits ou contraventions des actes dont il serait sage de s’abstenir, mais qui, considérés en eux-mêmes, n’apportent à la liberté et aux droits de personne ni blessure ni entrave. »

Le problème du pétrole en France

Il y a un siècle, la fin du premier conflit mondial démontrait, outre le besoin d’une organisation de la paix mondiale, la fragilité de l’équilibre économique de la plupart des nations européennes, fortement dépendantes, pendant la paix mais surtout en cas de guerre, des approvisionnements en pétrole des États-Unis ou d’ailleurs. Aux yeux de nombreux économistes libéraux français, des impératifs de sécurité nationale semblaient légitimer un contrôle réglementaire de l’État sur la production et l’importation de pétrole en France. Un tel contrôle serait aussi un moindre mal, disait-on, en comparaison d’un monopole public sur le pétrole, dont l’idée était alors agitée.

Éloge du divorce

Dans un passage de son roman Delphine (1803), très fortement teinté par les récriminations proto-féministes faites à la société du temps, Germaine de Staël proposait un authentique éloge du divorce. Elle le représentait comme la liberté donnée à des couples malheureux de vivre un avenir plus serein, et arguait en sa faveur en rejetant cette morale du sacrifice que le christianisme répand, disait-elle, à sa suite.

Les désavantages politiques de la traite des nègres

Dans la deuxième livraison de son périodique publié sous forme de volume (pour éviter la censure des journaux proprement dits), Charles Dunoyer examine la question de l’esclavage des Noirs dans les colonies. Il le repousse aisément comme une monstruosité au point de vue de la morale et du droit. Politiquement, cependant, il note que l’abolition, qui est dans l’intérêt économique de l’Angleterre, n’est pas autant dans le nôtre, à cause de circonstances particulières à nos colonies et à notre commerce. Mais il n’en recommande pas moins chaudement la suppression immédiate de l’esclavage. 

Quels reproches peut-on faire à l’Exposition universelle ?

En 1867, Paris accueille pour la deuxième fois l’Exposition universelle. Cet évènement divise toutefois au sein des libéraux français : si certains y trouvent un symbole de fraternité des nations et de libre-échange, qui ne peut pas être acheté trop cher, d’autres lui reprochent son coût, son organisation, et ses conséquences économiques. Comme plus tard pour les Jeux Olympiques, on lui reproche ses larges subventions publiques, que les principes du libéralisme devraient, dit-on, toujours condamner.

Laissons Faire, n°42, février 2022

Au programme de ce nouveau numéro : Le Journal des économistes. Caractère et historique de cette publication jusqu’au début de l’année 1847, par Benoît Malbranque. — Lettre inédite sur l’individualisme, par Yves Guyot (vers 1902). — Des largesses de l’État envers les industries privées, par Louis Reybaud (1842). — L’immigration et l’éventualité de la dénationalisation de la France, par Paul Leroy-Beaulieu (1913). — Recension critique : Œuvres complètes d’Alexis de Tocqueville. Tome XVII, Correspondance à divers, volume 1 sur 3, Gallimard, juin 2021.