Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5
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1780
253. — LETTRES À DU PONT DE NEMOURS
CCLXIII. (Épidémie de grippe. — La guerre.)
Paris, 4 janvier.
Vous avez été inquiet de moi, mon cher Du Pont, comme je l’ai été de vous, parce que la poste me fait parvenir vos lettres comme les miennes, deux à deux. Je suis fort aise que vous soyez moins mécontent de votre santé[1] et je trouve Mme Du Pont fort raisonnable de vous retenir dans ce moment-ci.
Mme Douet[2], son fils et son mari viennent d’avoir chacun une fluxion de poitrine. Nous avons craint un moment pour Mme Douet, mais elle est beaucoup mieux.
M. Blondel a aussi un gros rhume avec de la fièvre, ce qui malheureusement empêche Mme Blondel de ménager, comme elle le devrait, un rhume très fort qu’elle a aussi.
Je crains bien que Mme Albert n’ait aussi une maladie grave. Depuis trois jours, elle a une forte toux avec de la fièvre, et le mal était même augmenté hier. Pour moi, je tousse toujours et mes pieds ont de petits renflements qui suffisent pour m’empêcher de marcher.
Deux vaisseaux et une frégate de la flotte de M. d’Estaing sont arrivés à Cadix, ainsi que le vicomte de Noailles. Il n’y a plus que Le Tonnant dont on a point de nouvelles. Il transpire que la Martinique est bloquée par l’amiral Parker avec 19 vaisseaux. On craint fort que M. de Grasse ne tombe au milieu de cette escadre supérieure ; ce qu’il y a de pis, c’est que nos Iles sont très mal pourvues en hommes et en vivres. On s’était déterminé par cette raison à faire partir de l’Ile d’Aix un convoi de vivres avec six vaisseaux de guerre, les six ou sept autres qu’on envoie n’étant pas prêts. On a donné contre-ordre et l’on fera partir le tout ensemble[3]. On dit à présent qu’on n’a point encore de nouvelles du départ de l’amiral Rodney. Voilà tout ce que je sais de nouveau.
CCLXIV. (Santé de Turgot. — Sa maison.)
Paris, 25 mars.
Vous aurez, mon cher Du Pont, voyagé un peu fraîchement. Je souhaite que vous soyez arrivé sain et sauf et sans encombre et que vous ayez trouvé votre monde en bonne santé. La mienne continue à cheminer lentement. J’ai cependant encore mes pâtes[4] la nuit et je ne marche point. Je vais tous les jours à ma maison qui n’avance pas et qui vous donnera du temps pour faire vos avoines. Ce qui me fait grand plaisir, c’est que j’aurai place pour mes livres amplement.
Rien de nouveau en politique…
CCLXV. (Santé de Turgot. — Sa maison. — Le duc de La Rochefoucauld.)
Paris, 28 mars.
Je n’ai que le temps, mon cher Du Pont, de vous demander de vos nouvelles et de vous dire que le progrès de ma santé se soutient sans accélération. Ma maison n’avance pas davantage et je suis à présent bien sûr de n’y pouvoir loger que la semaine prochaine, et plutôt à la fin qu’au commencement. Rien de nouveau d’ailleurs.
Le mariage de M. de La Rochefoucauld se fait aujourd’hui…
CCLXVI. (La maison de Turgot. — Mémoire de Du Pont sur les cuirs.)
Paris, jeudi 30 mars.
Vous devez avoir reçu de mes nouvelles, mon cher Du Pont, et j’ai reçu votre lettre. Je vois avec plaisir que vous êtes arrivé sans accident, mais je suis bien fâché du retard que j’ai causé à vos plantations. Mes arrangements vont bien lentement par une foule de petites réparations imprévues qui me retardent et qui me constitueront plus en dépense que je n’avais compté.
Je ne me porte pas encore assez bien pour pouvoir aller chez Mme Albert et je n’ai pas entendu parler de son mari depuis votre départ.
J’ai reçu vos cuirs. J’ai lu la copie jusqu’à l’article du Languedoc. Je n’ai vu jusqu’ici que peu d’observations importantes à faire, mais un grand nombre de fautes de copiste, qui exigeront une révision exacte et une nouvelle copie plus correcte. Mandez-moi si vous voulez que je vous envoie ce paquet ou que je le garde, car j’ai oublié ce que vous m’avez recommandé à ce sujet.
CCLXVII. (Le Mémoire de Du Pont. — La maison de Turgot. — La Charmante. — Le Trosne.)
Paris, 1er avril.
J’ai achevé, mon cher Du Pont, la lecture de votre Mémoire. Il est bien et n’a besoin de corrections que pour de légers détails. L’essentiel est que la marche en soit bonne et qu’il n’y ait point de bouleversements à faire. J’y ai donné quelques coups de crayon.
Je ne sais point encore ni quand je marcherai, ni quand j’irai m’établir chez moi.
N’avez-vous pas emporté la clef de ma commode ? J’aurais assez aimé que vous me l’eussiez laissée ; j’aurais pu en transporter les papiers dans la grande armoire de ma chambre.
Nous venons de perdre une frégate, La Charmante, qui allait de Lorient à Brest. On n’a pu sauver que 34 hommes de l’équipage. Je ne sais si le capitaine s’est sauvé. C’était un de nos meilleurs marins, M. Mingaud, qui avait pris l’Ardent.
Avez-vous pensé à mander à Le Trosne que, ni Mme d’Enville, ni M. de Condorcet n’avaient reçu le présent qu’il leur destinait ?
J’ai envoyé chez M. et Mme Albert ; ils étaient sortis. On a dit qu’ils se portaient bien.
CCLXVIII. (Écrit de Condorcet. — Maison de Turgot. — Sa santé).
Paris, 4 avril.
Qu’est-ce que vous avez donc emporté de M. de Condorcet que vous lisiez avec plaisir ? Il n’a rien fait de nouveau. Est-ce que par hasard vous auriez négligé de me rendre ce que je vous avais prêté pour le lire en deux heures ? Cela n’est réellement pas bien. C’est ainsi qu’on perd les choses les plus précieuses et qu’on divulgue les plus secrètes. Cela m’apprendra à être plus réservé à prêter aux gens qui ne savent pas qu’on doit rendre sur-le-champ.
Puisque vous ne partez pas avant le 10 avril, il ne vous en coûtera pas beaucoup de différer jusqu’au 15 ou 16. Alors, j’espère pouvoir vous livrer l’appartement de la rue des Petits-Augustins ; au surplus, je vous manderai le jour précis où je pourrai m’établir dans ma nouvelle maison. Je compte que le bas sera prêt très promptement.
J’ai quitté hier mes pâtes qui étaient entièrement séchées. Je ne marche pourtant point encore.
CCLXIX. (Maison de Turgot. — Les receveurs généraux.)
Paris, 8 avril.
Je ne suis point encore sûr, mon cher Du Pont, de pouvoir être établi samedi dans ma maison ; je l’espère pourtant, mais je vous manderai positivement jeudi mes arrangements. Je vous conseille de ne pas venir à Paris avant que je vous aie fait place. Vous trouverez l’appartement suffisamment meublé pour placer toutes vos affaires.
Je suis fâché de ce que vous me mandez d’un de vos amis et de la santé de sa femme[5]. Je n’ai pas encore pu les aller voir parce que je suis toujours réduit à la manière de marcher que vous m’avez vue. M. Le Trosne est à Paris ; ainsi, vous n’avez que faire de lui écrire. Je vous envoie son supplément que vous aviez laissé sur ma table.
J’y joins le Journal de médecine et un Mémoire, avec une lettre que j’ai ouverte attendu que je voyais qu’il s’agissait d’une affaire qui devait être jugée le lendemain. Vous n’avez rien à y faire et le procureur vous instruira sans doute du jugement.
J’oubliais de vous dire que les receveurs généraux vont être supprimés. Le projet n’était d’abord que de les dédoubler ; le supplément de finance des conservés devenait un emprunt, parce que le remboursement des supprimés était remis aux calendes genevoises. On n’en conserve à présent que 12 à qui on compte aussi demander de l’argent. Au reste, il faut attendre l’édit.
CCLXX. (Albert. — Les négligences. — Parades. — La guerre. — Mme Blondel. — Santé de Turgot.)
Paris, 10 mars.
J’ai envoyé votre lettre à M. Albert, mon cher Du Pont ; on m’a fait dire que Mme Albert allait mieux, mais je n’ai pas encore pu aller chez elle.
Dans le reproche que je vous ai fait, il ne s’agissait pas tant de besognes abandonnées que de besognes condamnées au secret, et le reproche tombait sur ce que cette négligence à ne pas rendre et à déplacer sans avertir tend aux oublis, aux indiscrétions, et à donner de l’inquiétude pour des choses qu’on cherche vainement et qu’on est très affligé de croire perdues. Le mal peut être très petit, mais le danger peut être très réel.
J’avais oublié de vous mander que le fameux M. de Parades[6], qui passait pour le successeur du fameux M. de Pezay, est à la Bastille. Il faisait le métier d’espion et l’était à la fois de la France en Angleterre, et de l’Angleterre et de l’Espagne en France. C’est du moins ainsi qu’on raconte la chose. Cela devrait bien dégoûter d’employer de pareilles espèces.
L’escadre de M. de Serray est, dit-on, prête à appareiller avec M. Rochambeau[7] ; mais on a embarqué deux régiments de moins, Anhalt et Deux-Ponts. On prétend que c’est faute d’un nombre suffisant de vaisseaux de transport.
Mme Blondel vous fait bien des compliments. Elle m’a chargé de vous envoyer l’affiche ci-jointe. Si, sans vous gêner et sans vous déplacer, vous pouvez lui procurer des renseignements sur le vrai revenu et la valeur de la terre dont il est question, elle vous sera bien obligée. Il faudrait savoir aussi quelle est la situation et la position du château, si elle est salubre, agréable, etc. Elle voudrait bien pouvoir engager M. Blondel à acheter une terre, mais elle n’a pas beaucoup d’espérance d’y réussir.
Depuis hier, je me soutiens sur mes jambes, mais sans pouvoir encore marcher. Je crains bien de ne pouvoir être encore cette semaine dans ma maison et d’être obligé d’attendre jusqu’au commencement de la semaine prochaine. Je vous le manderai.
Je vous ai parlé d’indiscrétion au commencement de ma lettre. Je ne veux pas oublier de vous avertir qu’en me parlant ouvertement, comme vous l’avez fait dans une de vos dernières lettres, sur un de nos amis, vous avez mis ou du moins risqué de mettre M. d’Oigny dans notre confidence.
CCLXXI. (La maison de Turgot.)
Jeudi 17.
Rien de précis encore, mon cher Du Pont, sur mon établissement ; peut-être après-demain vous en dirai-je davantage. Je compte pourtant sur le milieu de la semaine prochaine. J’ai déjà transporté les papiers de la grande armoire que je vous laisse. Si vous m’aviez laissé la clé de ma commode, j’aurais mis vos papiers dans cette armoire. J’emporterai cette commode dont vous n’aurez aucun besoin, ayant plus d’armoires qu’il ne vous en faut pour mettre toutes vos affaires et celles de Mme Du Pont.
Je ne sais rien de nouveau depuis ma dernière lettre. Je vous embrasse et vais presser mes ouvriers.
CCLXXII. (Accident de Du Pont. — La maison de Turgot. — Mme Albert. — Mme d’Enville.)
Paris, 15 avril.
Vous avez vraiment couru un grand danger, mon cher Du Pont, et je conçois les alarmes de Mme Du Pont ; je les aurais partagées si j’avais été sur le lieu, à moins que je n’eusse prévenu le danger en vous aidant un peu plus spirituellement que le maladroit qui avait fait séparer les deux échelles.
Je compte coucher dans ma maison jeudi ; cependant j’attends encore une réponse du comte Jules qui pourrait me retarder.
En ne partant de chez vous qu’après avoir reçu ma lettre de mardi, vous ne courrez aucun risque. La commode a sa place dans mon salon et je ne vous la laisserai point, parce que vous aurez des armoires de reste. Ce qui m’avait fait désirer la clé était le besoin que j’avais eu de quelques morceaux de gomme élastique. Je vous rendrai une visite dans laquelle je déménagerai tout cela avant de faire remuer ma commode.
J’ai vu Mme Albert qui m’a parlé de ce qui l’avait inquiétée. Cela va mieux et il paraît qu’on se repent un peu. Cependant, il faut toujours suivre la même marche. J’ai trouvé sa santé un peu meilleure que je ne le craignais. Elle a fait inoculer ses enfants mercredi ; cette circonstance empêchera vraisemblablement Mme Du Pont de la voir ce voyage-ci.
Je commence depuis deux jours à marcher, mais c’est encore avec peine. Mme d’Enville a beaucoup souffert depuis deux jours ; elle a rendu hier huit petites pierres. Elle était mieux au soir.
CCLXXIII. (La maison de Turgot.)
Paris, 18 avril.
Je n’ai que le temps, mon cher Du Pont, de vous remercier de la part de Mme Blondel.
Ce n’est que samedi que j’irai définitivement à ma maison ; ainsi, arrangez-vous là-dessus.
Je marche avec des béquilles. Mme d’Enville va mieux.
CCLXXIV. (La maison de Turgot. — Sa santé. — Mme Blondel. — La petite culture.)
Rue de Bourbon, 25 avril.
Je suis établi ici de samedi, mon cher Du Pont, comme je vous l’avais annoncé. Je ne vous ai point récrit parce que je comptais sur votre arrivée. Ce rhume qui vous avait pris si vivement et qui ne vous avait pas empêché d’aller voir le Perthuis m’avait cependant inquiété.
Mme Blondel est bien fâchée que vous ayez couru ce risque pour elle. Cette terre ne convient aucunement à ses vues, ne fut ce que parce qu’elle est trop petite. Je n’aurais pas cru que la petite culture eût poussé des golfes aussi près de Paris que vos cantons.
Je commence à marcher passablement avec mes béquilles. Il fait un temps bien détestable pour les pauvres convalescents. Le Mercure vous apprend les nouvelles et je ne sais rien de plus nouveau.
CCLXXV. (Du Pont. — Lettre de Turgot à M. N. — La guerre.)
Paris, 4 mai.
Comme vous n’êtes point arrivé avant-hier, mon cher Du Pont, je crains que vos malades ne vous retiennent longtemps et j’attends avec impatience des nouvelles des suites de cette maladie. Je souhaite fort qu’elle ne soit point contagieuse et que votre brave charretier s’en tire.
Je suppose que vous avez l’Avis au peuple sur sa santé, de Tissot ; avec ce livre et la boîte de Lassone[8], vous vaudrez presque un médecin. L’essentiel est de s’assurer du caractère de la maladie ; si elle est inflammatoire, auquel cas les saignées sont nécessaires ; ou putride, auquel cas les saignées sont mauvaises et il faut des acides, des eaux acidulées, ne fut-ce qu’avec du vinaigre et du sucre et rendre les boissons agréables afin que le malade boive beaucoup.
Je ne sais si je vous ai mandé qu’il courait une brochure intitulée Lettre de M. Turgot à M. N…[9]. On m’y fait parler bien platement et dire beaucoup d’injures, même à Mme N…
On n’a point encore de nouvelles du départ de notre flotte, mais on croit celle de M. Guichen arrivée à bon port à la Martinique.
Clinton est devant Charlestown avec 6 000 hommes. Les Américains en ont 5 000 dans la place, mais il est fort à craindre qu’ils ne se rendent. Ce sont là d’étranges fondateurs de république.
Je ne marche point encore sans béquilles.
CCLXXVI. (Mémoire de Du Pont. — Santé de Turgot.)
Paris, 6 mai.
Comme j’espère vous voir demain, mon cher Du Pont, je ne vous écris qu’un mot pour vous dire que je n’ai entendu parler de rien sur l’affaire à laquelle vous avez travaillé. Je continue à faire de petits progrès. Je me réjouis fort de ce que vous êtes rassuré sur vos malades.
CCLXXVII. (Catéchisme d’économie politique. — Santé de Turgot.)
Paris, 23 mai.
Voici, mon cher Du Pont, ce paquet que M. Franklin vous avait envoyé pour avoir votre avis et qui vous a tant fait rire que vous n’avez pas pensé à le remettre dans votre poche. La première page que je ne crois pas tirée de votre Table, m’en a donné une assez mauvaise idée. L’auteur me paraît fort loin de savoir mettre, dans l’expression de ses idées, cette précision et cette justesse qui est l’âme d’un catéchisme.
Rien de nouveau depuis votre départ, sinon que j’ai senti très fort le petit changement de temps de ces deux derniers jours. Hier au soir, j’avais beaucoup de peine à marcher et j’avais des ressouvenirs de ma sciatique. Je suis mieux ce matin.
CCXXVIII. (De Royer. — Le chevalier de Pougens. — Le Trosne. — La guerre. — Le pont de la place Louis XV. — Mme Blondel. — Santé de Turgot.)
Paris, 27 mai.
Je vous renvoie, mon cher Du Pont, vos deux lettres de Prost de Royer[10], qui m’en avait écrit autant.
J’ai vu ce chevalier de Pougens[11] qui est, en effet, intéressant par le courage qui lui fait entreprendre un aussi vaste ouvrage dans un état aussi fâcheux. Si vous voyiez son Prospectus et sa personne, je crois que vous ne partageriez pas dans son entier l’enthousiasme de son ami. Le jeune homme a une grande ardeur pour la gloire et regrette beaucoup que son état lui interdise d’autres carrières. Il a une érudition à la Scaliger, avec un mélange de vanité naïve, de pédanterie, d’affectation, de philosophie, d’envie de briller par le style, d’étonner par l’universalité des connaissances, de capter les louanges par les louanges. Tout cela jette beaucoup de confusion dans ses idées et dans sa manière d’écrire, et j’ai peur que l’ouvrage n’en souffre.
Je ris des propositions de Royer, il est comme Le Trosne. Il imagine que si l’on avait le temps de travailler, on ne travaillerait pas pour soi. Il ne sait pas que les sciences sont encore un pays neuf où chacun trouve des terres à défricher et où les gens qui veulent faire fortune ne trouvent point d’ouvriers et sont forcés d’acheter des esclaves.
Je ne vous parlerai point de la lettre de Clinton que les Américains prétendent avoir interceptée. Vous la verrez dans le Mercure d’aujourd’hui et vous en jugerez.
On assure que nous allons avoir un pont à la place de Louis XV, ce qui sera commode aux habitants de la rue de Bourbon.
Il est heureux que les voleurs soient aussi poltrons, car ils feraient bien du mal. Si les fripons couraient d’aussi grands dangers, ils n’en feraient pas tant.
Je n’ai pas vu M. Blondel depuis votre départ. Mme Blondel est à Mousseaux, toujours dans le même état de santé, c’est-à-dire souffrant de temps en temps, mais mieux en total que l’année passée.
J’ai été, au commencement de la semaine, assez fatigué. Le mauvais temps m’avait fait reculer de beaucoup. Depuis avant-hier le chaud est revenu et j’ai regagné un peu plus que je n’avais perdu.
Je n’ai point revu Monsieur ni Madame Albert.
CCXXIX. (Santé de Turgot. — Mort de Le Trosne. — Le marquis de Pombal.)
Paris, 30 mai.
J’ai reçu votre lettre du 27, mon cher Du Pont, depuis ma dernière. J’ai éprouvé un grand bien-être du retour de la chaleur. Je mets des souliers et n’ai plus besoin que de m’appuyer très légèrement sur ma canne.
M. Albert a dîné hier chez moi. Il se porte bien, sa femme est à Limours, chez Mme de Chavannes. L’air de la campagne lui fait du bien.
J’étais sur le point d’écrire au pauvre Le Trosne pour lui proposer de venir aussi dîner chez moi, lorsque j’ai reçu un billet d’enterrement. Mercredi, il s’était couché ne se croyant qu’un gros rhume et la fièvre. Ce rhume était une fluxion de poitrine si violente qu’il est mort le vendredi. On dit qu’il s’était baigné imprudemment.
La lettre de Clinton n’a point été imprimée dans le Mercure ; apparemment que M. de Vergennes aura, comme moi, suspecté son authenticité.
La reine du Portugal fait, dit-on, publier qu’on a trouvé dans les papiers de M. de Pombal, qu’elle avait fait arrêter il y a quelques mois, des preuves que la fameuse conjuration du duc d’Aveiro était une invention du marquis de Pombal. Je suis porté à le croire, mais je doute que Pombal en ait conservé la preuve dans ses papiers…
CCLXXX. (Santé de Turgot. — Sa maison.)
Paris, 1er juin.
Je vous ai mandé, mon cher Du Pont, la mort du pauvre Le Trosne ; je ne sais depuis rien de nouveau.
Le chaud m’est toujours très favorable et je commence à oublier de temps en temps ma canne pour marcher.
J’espère commencer la semaine prochaine le déménagement de mes livres…
CCLXXXI. (Mémoire de Du Pont. — La maison de Turgot. — La guerre.)
Paris, 6 juin.
Voici, mon cher Du Pont, votre Journal de médecine. J’ai vu hier M. Blondel qui est si occupé des projets de règlements qu’il n’a pas pu encore examiner votre travail.
En réponse aux nouvelles de vos récoltes et de vos vaches, je vous dirai que je vais enfin commencer après-demain le transport de mes livres. J’espère qu’il pourra être assez prompt. Mes jambes vont assez bien.
Le Courrier de l’Europe nous a appris la nouvelle du combat de Rodney avec M. de Guichen ; c’est à peu près le second tome d’Ouessant, succès indécis et du monde tué. Rodney se donne l’avantage. Il faut attendre la relation de M. de Guichen, qui n’est point arrivée.
Mme Albert est revenue de la campagne. J’y ai été hier sans la trouver. Elle part incessamment pour Saint-Maur…
CCLXXXII. (La vie. — Mme Albert. — Santé de Turgot. — La guerre.)
Paris, 10 juin.
Voilà, mon cher Du Pont, une lettre arrivée pour vous. J’ai reçu la vôtre et je me réjouis avec vous de ce que vous n’avez point été grêlé. J’ai bien peur que cette année, où nous aurons un été chaud précédé d’un printemps humide, ne soit fâcheuse pour beaucoup de laboureurs, qui, comme vous le dites, ne sont pas plus pêcheurs que vous.
Votre remarque sur les découpures de votre vie m’a fait rire. Il n’y a point d’hommes dont la vie ne soit ainsi coupée de bien et de mal ; mais ordinairement, il n’y a pas tant de régularité. Les vies ordinaires sont déchirées en tous sens ; la vôtre a été jusqu’ici festonnée à la grecque.
J’ai vu M. Albert, mais Mme Albert était sortie et précisément je l’ai trouvée écrite chez moi. Ainsi, je ne puis rien vous dire de sa santé. Elle ne tardera pas à s’établir à Saint-Maur. Le froid ne m’a fait aucun mal et le transport de mes livres que je commence me fera, à ce que j’espère, du bien.
Je ne crois pas qu’on ait encore reçu la relation de M. de Guichen, quoiqu’il soit arrivé une seconde corvette, par laquelle il n’écrit que peu de lignes et se réfère à ce qu’il a mandé par sa première dépêche. Cependant, il y a à parier, d’après ce peu de détails, qu’il ne présente pas son combat comme une victoire. On dit que le mari de Mme de Seguin était sur la flotte et qu’il a été tué…
CCLXXXIII. (La guerre. — Émeute à Londres.)
s. d.
J’ai reçu, mon cher Du Pont, votre lettre que l’abbé Roubaud m’a fait remettre. Je suis fâché, mais non étonné, que votre professeur de Nemours ait saigné du nez à vos propositions et je n’en ai pas plus mauvaise idée de lui
Je suis encore moins étonné de la conduite du dieu mugissant des bords du Nil qui, de mouche du coche, est devenu insecte fouillem… Je connais cet homme dès longtemps et sa ressemblance de caractère avec un de ses compatriotes qui faisait de sa brutalité un moyen de fausseté.
Rien de nouveau encore sur l’escadre de Guichen. Il semble, en effet, qu’il aurait dû avoir une victoire complète, surtout Rodney se plaignant d’avoir été mal secondé ; apparemment que nous avions le désavantage du vent.
On dit qu’il y a eu une émeute à Londres, excitée par ce fou méchant, ce Lord Gordon, qui s’est fait l’apôtre de l’intolérance protestante. On dit que la chapelle de l’ambassadeur de Sardaigne a été pillée et Milord Stormont insulté par la populace. Il ne résultera rien de cette émeute ; mais où en est encore le genre humain, puisque ce siècle nous fait voir à Londres même un pareil fanatisme ?
Le transport de mes livres est dans sa plus grande activité.
CCLXXXIV. (La guerre. — L’émeute de Londres.)
Paris, 17 juin.
On n’a point encore la relation de M. de Guichen, mon cher Du Pont. Il est vraisemblable que le bâtiment qu’il envoyait a été pris par les Anglais. Celui qu’on a reçu avait été expédié depuis. Il est étonnant que M. de Guichen n’y ait pas mis un duplicata de ses premières dépêches.
Le grand objet est à présent l’émeute de Londres ; on dit que l’opposition s’est ralliée à la première sédition en faisant demander qu’on fasse droit sur les pétitions des comtés, que les mouvements s’étendent dans les provinces, qu’il y a à Londres déjà 40 maisons brûlées, que d’un autre côté le Lord Gordon est à la Tour de Londres. J’attends le Courrier de l’Europe ou le Mercure pour fixer mon opinion.
CCLXXXV. (La guerre. — L’émeute de Londres. — La veuve de Malabar.)
Paris, 20 juin.
Voilà, mon cher Du Pont, deux lettres pour vous. Je ne sais rien de nouveau.
Les bruits qui ont couru d’une défaite de Clinton, de sa mort, de la délivrance de Charlestown, n’ont d’autre fondement qu’un bruit qui, suivant le rapport d’un capitaine américain parti de New-London au commencement de mai, courait alors à Boston.
On a aussi répandu avec moins de fondement encore la nouvelle de la prise de Saint-Christophe et d’un second combat de M. de Guichen plus décisif en notre faveur que le premier.
L’émeute de Londres est finie du moment que les troupes ont eu l’ordre de tirer. Lord Gordon est à la Tour, mais on aura, dit-on, peine à le condamner, parce qu’il n’est convaincu que d’avoir ameuté 40 000 hommes avec des cocardes, mais non d’avoir participé aux violences commises par ces 40 000 hommes et par les autres brigands qui s’y sont joints.
Mes livres seront tous transportés aujourd’hui et les tablettes demain, si la pluie n’y met obstacle.
J’ai vu et lu La Veuve de Malabar ; cela est détestable, malgré quelques vers énergiques. M. de La Harpe a dit à Lemierre qu’il enfonçait les portes de l’Académie ; je croirai plutôt qu’il limera les serrures avec ses vers.
CCLXXXVI. (La guerre. — L’émeute de Londres. — Le Noir et le prince de Conti. — Mme de Seguins. — Le bien et le mal. — Le suicide.)
Paris, 22 juin.
Voici encore, mon cher Du Pont, une lettre arrivée pour vous. On est toujours dans la même attente sur les détails de l’affaire de M. de Guichen. Celle des émeutes de Londres est tout à fait finie. Il paraît que les magistrats civils ont fait leur devoir comme l’honnête M. Le Noir a fait le sien en 1775. Lord Gordon n’est pas un personnage aussi considérable que le prince de Conti défunt, mais en revanche, la religion n’était pas en jeu chez nous, aussi n’a-t-on pas brûlé de maisons à Paris comme à Londres. Mais j’ai bien peur qu’à Londres le gouvernement ne fasse la sottise de céder au peuple en révoquant le bill, comme on eût fait à Paris, si l’on eût cru bien des gens qui se croyaient fort sages.
Je n’ai point de nouvelles de Mme de Seguins depuis qu’on dit son mari mort ; c’est, en effet, une fort jolie veuve, mais l’héritage de M. de La Brillane la met à son aise sans la rendre très riche. Je ne crois pas que son mari fût un homme très aimable, mais il est toujours honnête de présumer que le compliment doit être de condoléance.
Je pense, comme vous, qu’à tout prendre, il y a plus de bien que de mal dans la vie ; mais quant à la comparaison d’individu à individu sur la proportion de l’un à l’autre de ces deux ingrédients, c’est une chose aussi cachée que les intérieurs.
Je ne crois pas même que les suicides soient une exception à la proposition générale que nous croyons vous et moi. Je suis même persuadé qu’un grand nombre de gens qui ne se tuent pas sont plus malheureux que plusieurs de ceux qui se tuent, dont plusieurs se tuent parce qu’ils s’exagèrent leurs maux, par un faux point d’honneur, parce qu’ils se sont échauffé la tête d’une sorte de fanatisme athée, fort bizarre, mais réel, enfin dont un très grand nombre ne se tueraient certainement pas s’ils avaient la patience d’attendre que le temps adoucît leur malheur. Aussi détestai-je cordialement les prédicateurs du suicide que je regarde comme des assassins publics, ainsi que les prédicateurs de l’homme duelliste.
Je n’aime pas trop le retour de votre professeur de Nemours après sa répugnance. S’il n’est pas bien convaincu, il n’a pas dû avoir cette répugnance et, s’il l’est, il n’a pas dû en revenir, car encore que vous ayez pu lui dire d’assez bonnes raisons, ces raisons sont beaucoup moins claires que celles dont il n’a pas été frappé.
Je verrai après-demain Mme Blondel, qui est revenue de Saint-Maur à Paris pour deux jours seulement.
Tous mes livres sont chez moi, une partie sont sur le plancher en attendant que les bibliothèques de l’hôtel de Brou soient remontées dans la rue de Bourbon.
À propos, savez-vous qu’à présent que mon déménagement est fini, je réforme un de mes chevaux à qui je destine pour invalides les travaux champêtres du Bois des Fossés ? Il ne vaut pas grand chose, mais il ne vous coûtera rien et pourra vous faciliter votre voyage à Auch, parce qu’il fera le travail de celui qui voyagerait.
CCLXXXVII. (La guerre. — Les finances américaines. — Mme de Seguins. — Mme Helvétius et Franklin. — Mme Blondel. — Le marquis de Mirabeau.)
Paris, 24 juin.
Eh bien, mon cher Du Pont, voilà encore ces Américains qui se font prendre prisonniers avec 16 000 hommes de garnison, 400 pièces de canon, de bonnes fortifications, une barre défendue par dix ou douze bâtiments armés, qui ont laissé passer sous leur canon une flotte qui n’a pu passer qu’en mettant ses canons à fond de cale. Et ces gens-là prétendent à l’honneur de défendre la cause de la liberté ! Ils viennent aussi de faire banqueroute, car, dans leurs arrangements de finance, ils reçoivent une piastre en argent pour équivalent de 40 piastres en papier… M. de Rochambeau trouvera les Anglais revenus en force à la Nouvelle-York.
On m’a dit aujourd’hui que l’on avait nouvelle du 9 mai de la Martinique, que M. de Guichen était en vue, se disposant à rentrer dans la baie du Fort-Royal. Je regarde la campagne comme à peu près finie de ce côté.
J’ai reçu une lettre de Mme de Seguins. Il s’en faut beaucoup qu’elle reste une riche veuve, car son mari avait mangé sa dot et avait trouvé son propre bien mangé d’avance par ses parents ; sans la succession de M. de La Brillane, elle n’aurait rien du tout.
J’ai vu une de nos amies[12] que j’ai trouvée en assez mauvais état. Sa tranquillité a encore été troublée et toujours d’après les mêmes errements. Je vous conterai tout cela quand je vous verrai. Elle prend le parti d’aller passer l’été à Tours chez une parente ; elle y mène sa fille aînée. Elle s’établira à la campagne pour ne s’y occuper que de sa santé et de sa fille, pour oublier, s’il se peut, tous les tracas dont elle a été tourmentée. Je trouve ce parti très raisonnable et très propre, non seulement à sa propre tranquillité, mais encore à la rétablir dans l’autre tête[13] qui s’est agitée si mal à propos. Je tâcherai de les aller voir tous deux après-demain. Pour elle, son départ est fixé à lundi. Elle m’a chargé de bien des choses pour vous.
Je n’ai pas pu m’acquitter de votre commission auprès de M. Blondel. Je le vois très peu parce qu’il ne loge pas avec sa mère, qui est toujours à Mousseaux.
Je ris un peu de ce que vous me dites sur M. de Mirabeau. Je suis un peu curieux de son livre, mais il est plaisant que ce soit lui qui, après avoir donné aux idées le vernis ridicule d’une secte, veuille aujourd’hui en renier la livrée. Il est aussi plaisant que moi qui ai toute ma vie détesté les sectes, qui n’ai jamais été encyclopédiste, ni économiste, j’aie plus que personne essuyé le double reproche d’être l’un et l’autre.
Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse et vous fais mon compliment d’avoir trouvé quelqu’un pour vous aider dans l’éducation de vos enfants.
CCLXXXVIII. (L’émeute de Londres. — La goutte. — Franklin. — Mme d’Enville. — Mante.)
Paris, 28 juin.
J’ai reçu, mon cher Du Pont, la lettre où vous vous livrez à votre indignation sur la sédition fanatique de Londres. Cela prouve ce que nous savions déjà, que les hommes sont encore bien loin d’être instruits et, ce que bien des gens ne savent pas si bien, c’est qu’il n’y pas de plus grand ennemi de la liberté que le peuple. Votre indignation vous mène pourtant un peu loin, je conviens avec vous qu’il faut, pour faire du bien aux hommes, être maître et il ne faut prendre que des moyens doux. Je crois que, quand on est sage et ferme, on n’a pas besoin d’être dur.
Je n’ai pas pu aller dimanche à Saint-Maur. Il m’est revenu un peu d’enflure et de sensibilité au genou et, en conséquence, je vais remettre aujourd’hui du levain afin que cela ne devienne pas plus sérieux.
Rien de nouveau d’Amérique. J’ai donné hier à dîner à Franklin ; mais je ne lui ai parlé ni de Charlestown, ni de la banqueroute du papier-monnaie.
M. de Guichen est, dit-on, de retour de la Martinique et l’on ne voit pas que Rodney, qui est à Sainte-Lucie, se soit mis en devoir de lui barrer le chemin. La flotte de Geari est devant Brest.
Mme d’Enville est revenue hier de La Roche-Guyon assez contente de son état, quoiqu’elle n’ait pas rendu sa dernière pierre.
À propos de pierre, Mante est sorti de chez le frère Côme parfaitement guéri d’une pierre énorme qui s’est brisée pendant l’opération. Cent honnêtes gens en seraient morts. Je souhaite que les malades que vous traitez soient aussi heureux.
CCLXXXIX. (La goutte. — Mme d’Enville. — La guerre.)
Paris, jeudi 29 juin.
Voici, mon cher Du Pont, un avertissement imprimé pour vos affaires de la direction d’Olonne.
Mon genou va mieux. Il y a ce matin peu d’enflure et peu de chaleur ; ainsi, j’espère que ce petit retour ne sera rien. Je pourrais sortir si je voulais, mais j’attendrai que tout soit passé. Je mets du levain à mon pied gauche et je me suis mis à la diète pour ne pas prendre du café.
Mme d’Enville est beaucoup mieux, M. Tronchin croit même qu’elle n’a point cette grosse pierre qu’il avait soupçonnée. Elle en rend encore de temps en temps de petites.
Il n’y a point de nouvelles depuis la prise de Charlestown. Il faut voir ce que feront les Anglais. J’imagine qu’ils retourneront à la Nouvelle-York pour tenir tête à notre secours.
CCXC. (L’abbé de Véri. — L’abbé Garrel. — Condorcet. — Albert — La guerre. — J.-J. Rousseau.)
Paris, 25 juillet.
J’ai de vos nouvelles, mon cher Du Pont, par l’abbé de Véri qui vous a rencontré en chemin et qui, d’abord, ne vous a pas reconnu parce que vous aviez deux chevaux.
Vous aurez le temps, à votre retour, de mettre en ordre les notes de l’abbé Garrel, mais vous aviez promis quelque chose à M. de Condorcet que vous n’avez pas tenu. Je ne me souviens plus de ce que c’était.
Je n’ai point vu M. Albert, quoiqu’il m’eût promis de venir me demander à dîner ; je lui écrirai sur votre observation. Je comptais qu’il serait venu hier.
La jonction des deux flottes de Guichen et de Solano ne s’est pas confirmée, mais la Belle-Poule a été prise par un vaisseau anglais de 74, sur les côtes de Bretagne.
J’ai lu le dialogue : Rousseau juge de Jean-Jacques ; ce sont les mêmes extravagances que vous avez vues avec des morceaux très éloquents. Cela est bien affligeant.
CCXCI. (La guerre. — Joseph II.)
Paris, 27 juillet.
Je vois, mon cher Du Pont, que je ne vous ai pas fait un grand présent ; il faut voir ce que vaudra le régime du vert auquel vous voudrez mettre ce pauvre animal[14]. Je vous attendrai lundi.
Voici une lettre qui est venue pour vous.
L’on croit que M. d’Estaing est destiné à aller remplacer M. de Guichen à la Martinique. On m’a dit hier soir qu’il avait versé auprès de Bordeaux et qu’il s’était blessé assez grièvement.
On m’a dit aussi que l’Empereur, dans son voyage de Mohilow à Moscou, avait été attaqué par une horde d’haidamakis, espèce de Cosaques brigands, et qu’il s’en était tiré non sans combat et sans danger. Je ne vous réponds pas de cette nouvelle. Adieu, je vous embrasse.
Mille remerciements à Mme Du Pont de son souvenir.
CCXCII. (Mme de Pailli. — Les récoltes.)
Au Tremblay, 10 août.
Je croyais, mon cher Du Pont, vous voir encore avant votre départ et savoir de vous des nouvelles de vos voyages à Saint-Maur, mais j’ai su que Mme de Pailli[15] vous avait enlevé.
Pour moi, je suis venu passer la semaine chez ma sœur et j’ai fort mal pris mon temps, car la pluie n’a presque pas cessé hier et avant-hier. Il fait aujourd’hui un peu plus sec, mais je crains que cela ne dure pas. La moisson est à peine commencée et les blés souffriraient d’être serrés par un temps aussi humide. Je ne savais rien de nouveau quand je suis parti de Paris et je n’imagine pas que depuis il soit survenu de grands événements.
CCXCIII. (Voyage de Du Pont. — Recommandations.)
Au Tremblay, 11 août.
Ce n’est assurément pas pour la cérémonie, mon cher Du Pont, que j’aurais été bien aise de vous voir avant votre départ, mais bien pour causer avec vous du résultat de vos promenades. Vous avez très bien fait d’aller au plus pressé, et d’aller, avant toute chose, au secours d’un malheureux.
Je présume d’après votre lettre, quoique vous ne l’articuliez pas, que votre voyage est décidé et, par conséquent, ou par antécédent, vous avez reçu réponse de votre président. Je vous souhaite un bon voyage, mais je ne puis vous procurer les cartes que jusqu’à Limoges. Les autres ne sont pas encore gravées. Mais voici une lettre de recommandation que Grand m’a envoyée pour des banquiers de ses amis. Je ne me rappelle pas d’en avoir à Toulouse ; ainsi, je ne vous offre point de lettres. Il serait possible que vous trouvassiez à Auch, M. Tressaguet[16] qui fait sa tournée et dont le département comprend cette généralité ; pour l’intendant, je l’ai nommé, mais je ne l’ai pas revu depuis. Cependant, voici à tout hasard une lettre dont vous ferez usage si vous le jugez à propos.
Mme Blondel est à la campagne chez Mme Douet, sa sœur. Mme de Sommery est partie.
Adieu, je vous embrasse et vous souhaite une bonne santé. Si vous passez à Brive, vous pourriez voir de ma part l’abbé Salès, mon ancien subdélégué, et lui faire bien des compliments et amitiés de ma part. C’est un galant homme qui vous recevra très bien dès que vous lui aurez prononcé mon nom. Je ne crois pas que le père de Cabanis y soit. Il y a aussi M. Dubois de Saint-Hilaire, et à une lieue, le vicomte d’Aubusson, mais vous n’aurez pas le temps de voir tout le monde.
CCXCIV. (Voyage de Du Pont. — La guerre.)
Paris, 15 août.
Me voici revenu du Tremblay, mon cher Du Pont, en assez bonne santé. Je vois que votre départ n’est pas encore si prochain et que j’aurai le temps de vous envoyer les cartes, mais n’oubliez pas de me les rapporter exactement et ayez-en soin.
Si vous aviez une occasion, je vous les enverrais dans leur étui et je serais plus sûr de leur conservation. M. Albert m’a envoyé le certificat ; je l’adresse à M. Gudin suivant vos intentions.
Je ne sais rien de nouveau. On avait dit que M. de Serray était arrivé à Rhode-Island ou à Boston ; il a seulement été vu à quelque distance des côtes d’Amérique. On avait dit Rodney battu ; cela ne s’est pas confirmé.
En soignant vos malades, prenez garde de le devenir.
CCXCV. (Voyage de Du Pont. — La guerre. — L’Arioste. — Court de Gébelin. — L’abbé Salès.)
Paris, 17 août.
Voilà, mon cher Du Pont, votre Journal de médecine et une lettre de la petite poste. Je hasarde, par un paquet séparé, les seules feuilles que j’aie de votre route et que je vous recommande comme la prunelle de vos yeux. Il faut beaucoup d’attention pour les plier et les déplier sans les gâter. Je sais que vous n’êtes pas fort susceptible de ces attentions fines ; je fais, en vous les envoyant, un sacrifice dont vous devez me savoir gré. Si on ne veut pas les faire partir à la poste, on me les rapportera.
Nous venons encore de perdre une frégate, La Nymphe ; on dit que c’est à l’abordage ; les trois premiers officiers ont été tués.
Je n’aurais pas soupçonné votre ami Gebelin d’aimer tant l’Arioste. Je ne sais si je vous ai dit que je lui avais donné ma voix pour l’étranger qu’on propose à la pension[17]. Mais j’ai vu au comité que plusieurs ont dit d’une manière assez tranchée qu’il n’était pas éligible ; ainsi je crois qu’il n’y a rien à faire à cet égard…
(Suivent des observations sur la traduction de l’Arioste.)
J’écrirai dimanche à l’abbé Salès à Brive, je lui annoncerai votre passage, mais sans l’assurer que vous l’irez voir, ce qui vous laissera toute liberté. Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse. Donnez-moi de vos nouvelles et marquez-moi quand vous aurez la réponse de votre président.
CCXCVI. (Voyage de Du Pont. — L’Arioste. — La guerre. — J.-J. Rousseau. — L’abbé Rochon.)
Paris, 22 août.
Voici, mon cher Du Pont, deux lettres qui, venant par la petite poste, ne sont point de votre président. Je commence à croire qu’il vous fera voyager dans l’hiver, ce qui serait assez désagréable. On ne m’a point remis la clé de votre grande armoire et vous la trouverez telle que vous l’avez laissée. Quand vous reviendrez soit avant, soit après votre voyage, nous discuterons vos deux stances de l’Arioste, car il faut avoir pour cela l’original à la main.
Point de nouvelles de la mer depuis la prise de la Nymphe. On regrette beaucoup le capitaine, le chevalier du Rumain qu’on croit tué avec les trois premiers officiers. On en saura des nouvelles plus sûres par l’Angleterre.
Les quatre premiers volumes de Rousseau paraissent. Il y a un fragment de la suite d’Émile, qui, malgré quelques gaucheries, aurait fait un ouvrage très intéressant. Ce morceau est très éloquent.
L’abbé Rochon a montré sa jolie machine à l’Académie[18] ; elle y a été fort applaudie…
CCXCVII. (Voyage de Du Pont. — Court de Gebelin. — J.-J. Rousseau. — Mme d’Enville.)
Paris, jeudi 24 août.
Voici, mon cher Du Pont, une lettre pour vous, mais c’est toujours de la petite poste. Il vous faudra, comme vous le dites, un habit d’hiver pour votre voyage, mais ce n’est pas l’habit qui sera le plus grand inconvénient.
J’admire que votre ami Gebelin veuille raisonner contre les gens qui ont fait l’observation dont je vous ai fait mention et qu’il imagine qu’en pareille matière les raisonnements fassent quelque chose dès qu’on ne consent pas à ignorer l’obstacle et qu’on le met en discussion, il devient invincible.
J’ai commencé hier la lecture des Mémoires de Rousseau. Cela est fort agréable. Je ne crois pas ses Confessions si candides qu’il le dit dans son avertissement. J’entendrai samedi la continuation. Ils ne sont que jusque en 1742, temps de son arrivée à Paris. On croit que la fameuse seconde partie a été brûlée ; c’est la seule chose qui puisse me consoler de ce qu’elle ne paraît pas. La première fournira le dernier volume de ses Œuvres et sera publiée dans seize mois.
Rien de nouveau. J’ai la clé de votre armoire. Vous aurez la ressource de mettre vos effets dans les armoires qui restent à la maison.
Mme d’Enville est arrivée de Liancourt assez bien, après y avoir rendu une pierre assez grosse.
CCXCVIII. (Voyage de Du Pont. — L’abbé Salés. — J.-J. Rousseau.)
Paris, 26 août.
Bon voyage donc, mon cher Du Pont, puisque votre président vous appelle. Bonne santé et prompt retour. Je ne vous écrirai pas demain à Toulouse, à moins qu’il n’y ait d’ici à demain de bien grandes nouvelles ; mais peut-être à Auch mardi. Vous ferez bien des compliments de ma part à Brive, à l’abbé Salès si vous le voyez, à M. Dubois de Saint-Hilaire et autres gens de ma connaissance, si vous les voyez.
J’ai demandé à l’abbé Salès deux petites caisses de raisin pour Mme Blondel. Si par hasard, vous ne reveniez pas avant la maturité du raisin et que vous repassiez par le même chemin, vous pourriez vous charger de ces deux petites caisses et les apporter plus vite que les rouliers et plus doucement que les diligences.
J’entendrai ce soir la fin de la première partie des Confessions de Jean-Jacques. Cela est charmant pour le style…
CCXCIX. (La guerre. — J.-J. Rousseau. — Voyage de Du Pont.)
Dimanche 27.
Je n’avais point compté vous écrire, mon cher Du Pont, mais voici une lettre pour vous et j’y joins un bulletin qui vous apprendra un avantage assez considérable et plus réel qu’une victoire.
Je n’ai entendu et n’entendrai que le commencement des Mémoires[19] de Rousseau. La seconde séance n’a pas été aussi agréable que la première et Rousseau s’y peint véritablement sous de fort vilains traits.
Vous ai-je dit que M. Tressaguet devait, dans sa tournée, aller à Auch ? mais peut-être ne le rencontrerez-vous pas.
CCC. (Lavoisier. — La guerre.)
Paris, 29 août.
Voilà, mon cher Du Pont, deux lettres pour vous ; j’ai envoyé à votre beau-frère celle que vous m’avez adressée pour lui et j’y ai joint une lettre de recommandation pour M. Lavoisier.
N’ayez point d’inquiétude sur votre armoire de l’hôtel de La Rochefoucauld. Je vous observais seulement que vous auriez pu en mettre le contenu dans celles de la maison. Au reste, grâce à lenteur de mes ouvriers, je n’en ai pas encore besoin.
Rien de nouveau ; je ne crois pas qu’on ait encore d’Espagne la nouvelle directe de la prise du convoi anglais. On l’a su par l’Angleterre où les frégates convoyantes l’ont apportée ; comme elles se sont sauvées, elles ne peuvent dire ce qui a été pris, mais on croit que tout ce qui composait le convoi doit l’avoir été à très peu près. Cela est d’autant plus important qu’outre la valeur des vaisseaux, il y avait des munitions et des recrues, soit pour l’Inde, soit pour l’Amérique, mille hommes de recrues pour les troupes, des matelots de recrues pour la flotte de Rodney, des agrès pour réparer ceux qu’il a perdus ou usés…
CCCI. (Voyage de Du Pont. — L’Arioste. — La guerre.)
Paris, 3 septembre.
Je suppose, mon cher Du Pont, que cette lettre vous trouvera encore à Auch et je risque, en conséquence, deux lettres arrivées à la suite de beaucoup d’autres que je vous ai déjà fait passer ; vous avez là un correspondant aussi pressé que fécond.
Je suis fâché que vous n’ayez pas trouvé l’Arioste à Orléans, car, quand on voyage et qu’on n’aime pas l’histoire naturelle, on n’a rien de mieux à faire que des vers ou des systèmes.
Le silence des lettres d’Espagne de mercredi avait fait douter de la prise du convoi anglais, mais l’ambassadeur d’Espagne a reçu un courrier. Il y a 56 vaisseaux de pris. Vous verrez le détail dans le Mercure qui, certainement, se trouve à Auch.
On a des nouvelles de Boston qui annoncent l’heureuse arrivée de M. Serray à Rhode-Island et du débarquement de M. Rochambeau. L’amiral Graves est aussi arrivé à la Nouvelle-York. On a des nouvelles de M. de Guichen du 15 juillet. Il partait de la Martinique pour commencer ses opérations. Il n’avait pu partir plus tôt parce qu’il avait beaucoup de malades sur l’escadre espagnole.
Mme Blondel vous fait ses compliments. Mme d’Enville est à la Roche-Guyon. J’irai y passer une douzaine de jours…
CCCII. (Voyage de Du Pont.)
Paris, 5 septembre.
Je vous adresse, mon cher Du Pont, cette lettre à Limoges doutant si elle part à temps, pour vous joindre à Auch. Ce sera la dernière que je vous écrirai jusqu’à ce que j’aie reçu de vos nouvelles.
Depuis avant-hier, je n’ai rien appris qui mérite de vous être mandé.
L’Eychoisier est à la première poste en revenant de Limoges ; autrement, la Maison rouge. Ainsi vous pourriez, en arrivant à la fin du jour à Limoges, gagner quelque chose en couchant à L’Eychoisier.
CCCIII. (Voyage de Du Pont. — Les vaisseaux de Cook. — Le Parlement anglais.)
Paris, 10 septembre.
Je hasarde encore, mon cher Du Pont, ce paquet pour satisfaire à l’impatience de ce correspondant si fécond qui me ruine en ports de lettres de la petite poste, si bien qu’à son empressement et en appliquant mes règles générales, je suis fort tenté de croire qu’il n’a que des fadaises à vous dire, d’autant encore qu’il me paraît ignorer votre voyage.
Dans l’incertitude où vous recevrez cette lettre, je ne vous dis rien, ni sur l’Arioste, ni sur le Limousin, etc. ni sur celui qui en dirige les chemins, etc.
Je vous dirai seulement que les deux vaisseaux du capitaine Cook sont arrivés ; ainsi, l’on aura bientôt le détail intéressant des découvertes de ce pauvre capitaine et de son successeur, le capitaine Clerke, qui est mort aussi.
Le roi d’Angleterre dissout le Parlement. Il se croit apparemment sûr que le parti de la Cour dominera dans les élections.
Je pars vendredi pour La Roche-Guyon, laissant, à mon regret, les peintres encore dans ma maison.
CCCIV. (Voyage de Du Pont.)
Paris, 15 septembre.
Vous méritez bien d’être grondé, mon cher Du Pont, mais cela n’est bon à rien. Quelle extravagance de voyager ainsi sans s’arrêter d’un bout du Royaume à l’autre J’ai hésité mardi si je ne vous écrirais pas encore à Limoges et vous étiez au Bois des Fossés. Vous risquez de devenir malade, et vous seriez bien avancé avec votre diligence.
Votre correspondant si pressé est aussi bien payé de son impatience ; ses lettres courent le monde avec les miennes. En voici pourtant une que je crois venir de la même boutique. J’y joins le Journal de médecine et quelques exemplaires de ce Mémoire sur la goutte que m’avait donné Franklin. L’expérience m’en paraît un peu risquable.
Je vais demain à La Roche-Guyon, jusqu’au 30 ou au 1er octobre. Ainsi, arrangez-vous pour venir vers ce temps ou du moins pour m’attendre si vous venez plus tôt. Nous causerons alors vers, prose, Limousin, Jean-Jacques Rousseau, etc., etc.
À présent, je ne puis que vous embrasser. Il est tard, je tombe de sommeil et je ne suis pas comme vous. Quand je voyage, il faut que je dorme. Portez-vous bien. Mille compliments à Mme Du Pont.
CCCV. (Voyage de Du Pont. — Le centre de la France. — Les Mirabeau.)
La Roche-Guyon, 20 septembre.
Je ne vous conseille pas, mon cher Du Pont, d’essayer souvent votre thermomètre à l’eau bouillante ; il peut très bien se casser avant qu’on ait pu prévoir cet accident. Vous essayez votre corps comme on éprouve les fusils en faisant supporter une charge beaucoup plus forte que celle qu’ils sont destinés à porter. Il en crève beaucoup à l’épreuve et ceux qui résistent sont fort affaiblis et deviennent souvent incapables de résister à la charge ordinaire.
Vos raisonnements sur le Berry me paraissent fondés sur une physique à la Buffon. Je n’ai point vu les environs d’Aubigny, mais je ne crois point que la plaine de Vatan soit un aussi mauvais pays que vous l’avez cru. Un pays vraiment mauvais, c’est la Sologne, dépôt sablonneux entre la Loire et le Cher ; mais fût-il plus mauvais encore, je ne vois pas qu’il doive faire exception aux principes généraux. Avec de bonnes lois, tout s’arrange mieux possible et s’arrange de soi-même. Sans de bonnes lois, rien ne s’arrange.
Je suis ici emprisonné par la pluie ; si cela dure encore, voilà bien de l’eau dans notre vin et une bien belle vendange perdue…
Qui est donc ce correspondant si pressé ? Serait-ce un des messieurs de Mirabeau ? ou le père ou le fils[20] ?
Bien des compliments à Mme Du Pont. Je compte toujours être à Paris au commencement d’octobre. Cependant, je tâcherai de ne pas partir par un temps humide.
CCCVI. (Santé de Turgot.)
À La Roche-Guyon, 26 septembre.
Voici, mon cher Du Pont, un paquet que je vous avais adressé à Limoges. Il est trop tard pour vous l’envoyer au Bois des Fossés, et autant vaut pour votre pauvre correspondant que vous le receviez à Paris. J’espère vous y embrasser bientôt. En conséquence, je n’entamerai point de dispute avec vous pour justifier ce que j’ai dit de votre physique.
Je ne me trouve point mal de mon voyage. Cependant, je suis hors d’état de faire de l’exercice à pied. Je me dédommage en montant à cheval…
CCCVII. (Démission du Ministre de la Guerre. — L’Arioste.)
Paris, 21 décembre.
Avant tout, mon cher Du Pont, il faut vous apprendre la démission de M. de Montbarrey. Son successeur n’est pas encore nommé, et c’est une grande affaire, car il s’agit de savoir s’il sera nommé par M. de Maurepas ou par le parti contraire. Le retard du choix prouve, ou que la chose est balancée, ou que le choix regarde un absent, ce qui fait penser que c’est M. de Vogué, choisi par M. de Maurepas.
J’ai reçu, suivant l’usage, le paquet d’Essonnes après celui de Fontainebleau. J’ai envoyé votre lettre à Gebelin qui ne me paraît pas un homme bien dispos. Il m’a cependant mandé qu’il aurait un privilège.
(Suivent des observations sur la traduction de l’Arioste.)
Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse. Mille compliments à Mme Du Pont. Je souhaite fort que vos soins rétablissent promptement sa santé et qu’elle vous renvoie promptement pour voir l’effet de votre traduction.
C’était probablement le fils aîné, alors au Donjon de Vincennes.
Le Vicomte de Maulde m’a mandé qu’il était fait brigadier.
CCCVIII. (Le Ministre de la Guerre. — La guerre. — L’Arioste.)
Paris, 23 décembre.
Point encore de ministre. Les avis sont partagés entre M. de Vogué, le baron de Breteuil ou un Conseil de guerre.
Point de nouvelles non plus de M. d’Estaing.
On avait dit M. Lenoir renvoyé et on lui donnait comme successeur M. de Calonne, ou M. Sénac, ou M. D’Agay, mais ce bruit, sans être éteint, ne s’est pas confirmé…
(Suivent des observations sur la traduction d’Arioste.)
CCCIX. (Le Ministre de la Guerre. — La guerre. — L’Arioste.)
Lundi, 24 décembre.
M. de Ségur est ministre de la guerre. Ainsi la société de la Reine l’a emporté sur M. de Maurepas. Je ne sais si celui-ci restera pour attendre encore quelques nouveaux soufflets.
Point encore de nouvelles de M. d’Estaing ; on dit pourtant qu’il a été rencontré à la hauteur du cap Finistère, mais il y a longtemps.
Parlons d’autres choses.
(Suivent des observations sur la traduction d’Arioste.)
CCCX. (Le Ministre de la Guerre.)
Mardi matin, 25 décembre.
Il paraît que M. de Maurepas reste courageusement. Il n’est pas de ceux dont Racine a dit :
Loin de la cour des rois, qu’il s’écarte, qu’il fuie.
Mais il est de ces sages qui savent essuyer un contre-temps.
Rien de M. d’Estaing et les vents sont toujours au nord ou à l’est.
CCCXI. (L’Arioste. — La guerre.)
Paris, 27 décembre.
(La lettre commence par des observations sur la traduction de l’Arioste.)
… On n’a toujours point de nouvelles de M. d’Estaing ; mais il y en a une autre bien fâcheuse, c’est la déclaration de guerre de l’Angleterre à la Hollande. Les Anglais seront maîtres de Saint-Eustache, du Cap et des possessions des Indes avant que les Hollandais aient pu donner des ordres pour se mettre en défense, et leur chute accélérera les malheurs que nous devons attendre. La perte de Saint-Eustache réduira nos îles et nos flottes aux approvisionnements portés d’Europe. Celle du Cap fera tomber l’Ile de France et nous serons privés, par l’interruption de la navigation des Hollandais, de tous les approvisionnements nécessaires à nos armements.
Je viens de perdre Mme de Beauvilliers, ma cousine germaine, presque subitement.
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[1] Desnaux écrivait à Du Pont le 1er janvier :
« M. Turgot va toujours assez bien ; il n’a même presque plus de toux, mais il est dans la plus grande inquiétude de ne point recevoir de vos nouvelles. Il craint toujours que votre rhume ne soit dégénéré en maladie. Il prie Mme Du Pont de lui donner des nouvelles de votre santé si vous ne pouviez pas lui en donner vous-même. »
Turgot écrivait aussi à son frère, le Marquis, le 6 janvier :
« Je suis depuis deux mois retenu par la goutte et cela commence à m’importuner d’autant plus que j’approche du moment où il faudra m’arranger pour ma nouvelle maison. »
[2] Sœur de Mme Blondel. M. Douet était fermier général.
[3] On devait envoyer à l’Ile de France les corps de Lauzun et d’Esterhazy.
[4] Autour des pieds.
[5] Mme Albert.
[6] Richard, se disant comte de Parades, maître du camp de cavalerie, fut arrêté sous l’inculpation de trahison et mis à la Bastille, le 5 avril 1780, en même temps que son frère, ex-apothicaire à Phalsbourg. Ce frère sortit de la Bastille le 13 juillet ; Parades fut gardé jusqu’au 15 mai 1781.
[7] Rochambeau, devenu lieutenant général.
[8] Médecin de Louis XVI.
[9] Necker.
[10] Jurisconsulte.
[11] Fils naturel du prince de Conti, de l’Académie des Inscriptions, né en 1755, aveugle à 24 ans, archéologue.
[12] Mme Helvétius.
[13] Franklin.
[14] Le cheval que Turgot avait donné à Du Pont.
[15] Amie du marquis de Mirabeau.
[16] Ingénieur des ponts et chaussées.
[17] À l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
[18] Des Sciences.
[19] Les Confessions.
[20] C’était probablement le fils aîné, alors au Donjon de Vincennes.
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