Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5
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1779
252. — LETTRES À DU PONT DE NEMOURS
CCXIX. (La guerre. — Médée, de Clément.)
Paris, 19 février.
Voici, mon cher Du Pont, différentes lettres qui sont arrivées pour vous. Mandez-moi des nouvelles de votre rhume ; je crains que le voyage ne l’ait augmenté. Pour moi, je me porte toujours fort bien.
Rien de nouveau de M. d’Estaing, mais on est persuadé qu’il n’a pu rien faire. L’affaire de Keppel paraît de plus en plus tourner à sa gloire[1].
On donnera vendredi une pièce nouvelle de M. Clément, c’est Médée, tragédie…
CCXX. (Questions diverses. — La guerre. — L’abbé Rochon.)
Paris, 20 février.
Non vraiment, mon cher Du Pont, vous ne m’aviez pas dit qu’il ne fallait vous écrire que par Nemours, et je vous ai envoyé par Château-Landon votre Journal de médecine avec une lettre. J’ai fait signer à M. de Saint-Victour le certificat, mais je doute qu’il soit utile à M. Gudin[2], car l’arrêt n’a pour objet que les commis supprimés par les opérations de M. Necker, et la suppression des messageries est du temps de M. de Clugny.
Je n’ai lu de vos Mémoires sur la société que le vôtre dont j’ai trouvé toutes les idées fort bonnes. J’ai fait part à M. Blondel de votre besoin de la carte de France. Il ne croit pas qu’on vous la donnera à vous, mais voilà la tournure qu’il vous conseille de prendre. C’est d’écrire à M. Necker et de lui faire part très simplement de l’embarras que vous éprouvez dans votre travail et du besoin que vous auriez de la carte de France, en le priant de vous faire communiquer les cartes qui sont dans les bureaux du Commerce, s’il y en a. Cette lettre sera renvoyée au Comité et M. Blondel proposera d’en prendre une souscription pour le bureau dont les cartes vous seront communiquées.
Je prends bien part à vos peines et surtout à la maladie de Victor. S’il avait un point de côté, j’ai vu de très bons effets de l’application du suif chaud sur la partie. On en imbibe un linge ou un papier gris.
M. de La Fayette est arrivé. Il n’a permission que de voir ses parents. Deane et Leslie écrivent les uns contre les autres. J’ai bien peur que la révolution de l’Amérique ne soit encore une fausse espérance.
Adieu, je vous embrasse bien vite, car l’abbé Rochon est loin et la lampe de Capi est allumée.
CCXXI. (Le Trosne. — La guerre. — Franklin. — Les Muses rivales, de La Harpe. — Médée.)
Paris, 23 février.
Je vous envoie, mon cher Du Pont, une lettre que Le Trosne m’a adressée pour vous. Envoyez-moi votre réponse décachetée afin que je puisse la lire et que celle que je lui ferai s’y accorde, car je crois qu’il vous consulte sur le même objet que moi.
Vous avez dû recevoir ma réponse sur la carte de France ; quoiqu’écrite fort à la hâte, il me semble que je n’ai rien à y ajouter. Donnez-moi des nouvelles de vos enfants et de votre santé. La mienne continue d’être bonne.
Rien encore de M. d’Estaing. Je crois vous avoir mandé que Deane et Leslie s’accusent réciproquement. Les Américains sont déjà terriblement Européens. En attendant, le bonhomme Franklin a la goutte et fait de petits contes fort jolis.
On donne toujours les Muses rivales avec le plus grand succès, quoique La Harpe s’en soit déclaré l’auteur. C’est une espèce d’apothéose de Voltaire. La Harpe a voulu expier la sottise qu’il avait faite de parler de Zulime si hors de propos.
On a aussi joué Médée, de M. Clément, qui est tombée avec ignominie…
La lettre de M. Le Trosne s’est égarée sur ma table, ce sera pour jeudi.
CCXXII. (Du Buat. — Franklin. — La guerre. — Affaires extérieures.)
Paris, 27 février.
Voici, mon cher Du Pont, trois lettres pour vous. Vous n’aurez point celle de Le Trosne ; elle est tombée de ma table dans la manne aux papiers de rebut, et Martin ayant pris dans celle-ci une poignée de papiers pour allumer le feu, il est probable que la lettre est brûlée.
Je ne lirai point Du Buat[3] ; il ne faut pas joindre au mal de l’ennui celui de se donner de l’humeur.
Qu’appelez-vous un sonnet ? On ferait un poème de douze chants de cette belle nomenclature. Comment l’engeance n’en pullulerait-elle pas ?
Notre sol est si bien fumé, il y a tant d’âmes pourries, et l’eunuque blanc bostangi vachi a si grand soin d’arroser les grains et de tenir la terre meuble, que ce serait un miracle si elle n’égalait pas la fertilité de la terre d’Égypte lorsque Moïse la couvrait d’insectes.
Franklin a toujours la goutte. Il y a de bien mauvaises nouvelles de M. d’Estaing. Non seulement il n’a point pris Hatham et son convoi, mais celui-ci est allé débarquer à Sainte-Lucie avec ses dix régiments. M. d’Estaing a essuyé un coup de vent et ses vaisseaux sont arrivés l’un après l’autre à la Martinique. Il a appris la prise de Sainte-Lucie ; il a voulu en chasser les Anglais ; il a échoué avec une perte avouée de plus de sept cents hommes. Ses vaisseaux même ont été maltraités. Sainte-Lucie est un excellent port au vent de la Martinique. Lorsque Byron sera joint à Barrington M. d’Estaing sera très faible et la Martinique exposée.
Ce qu’il y a de pis, c’est l’encouragement des Anglais et le découragement des Américains, qui sont fort divisés.
Une consolation est la paix d’Allemagne, qu’on dit faite, L’Empereur ne garde que cent villages. Les droits de l’Électrice de Saxe sont liquidés et hypothéqués sur le surplus de ce qu’avait pris l’Empereur. Le roi de Prusse ne gagne rien que l’assurance de la succession d’Anspach…
CCXXIII. (La goutte. — La guerre.)
Paris, 4 mars.
J’ai eu, mon cher Du Pont, un petit mouvement de goutte dont M. Desnaux vous a instruit. Je me hâte de vous tirer d’inquiétude. Ce n’est plus rien et je sortirai aujourd’hui sans pourtant aller à la réception de M. Ducis[4].
Les détails qu’on reçoit de l’affaire de Sainte-Lucie sont de plus en plus désastreux et d’autant plus qu’il paraît que le succès était sûr si M. d’Estaing eût voulu combattre avec ses vaisseaux, mais il s’est conduit en lâche et en imbécile. Je le croyais mauvaise tête et vil, mais je le croyais du moins audacieux et brave.
On dit la Géorgie prise par les Anglais. Ce n’est pas une province bien considérable, mais c’est toujours un échec, un grand encouragement pour les uns, un grand découragement pour les autres…
CCXXIV. (Mante. — La guerre. — Paix en Allemagne. — Du Buat.)
Paris, 13 mars.
Voici, mon cher Du Pont, les crayons que vous me demandez et une brochure que ce malheureux Mante vous envoie. Il tâche de gagner quelque argent dans sa prison en traduisant quelques ouvrages français. Il a traduit votre Tableau. Quoique fripon, sa situation fait pitié.
Je vous envoie aussi une lettre d’un officier sur l’affaire de Sainte-Lucie. Je dois vous dire que bien des gens prétendent qu’en effet les Anglais ne pouvaient être attaqués par mer. On dit que l’escadre de M. Fernai n’ira plus aux Indes et qu’on va l’envoyer à nos Iles pour soutenir celle de M. d’Estaing et défendre nos possessions.
Adams est parti jaloux de Franklin et ulcéré de ce que celui-ci est nommé seul ministre plénipotentiaire à la Cour de France. Tout cela va mal ; cependant la paix d’Allemagne est faite, et c’est un grand bien.
Je n’ai ni lu, ni lirai M. Du Buat, mais on m’en a montré quelques passages et entre autres celui qui me regarde. Il me semble que c’est un fou méchant, malade, de la maladie que j’appelle ambition désappointée ou rentrée. Ce virus s’est tourné chez lui en rage et il vomit sa bave sur tout ce qu’il rencontre. Il attaque trop fortement tout ce qu’il y a de gens puissants pour lui supposer un projet d’intrigue. Il me semble plutôt à l’époque du désespoir et de l’impénitence finale qu’à celle du péché.
Mme Blondel vous dit mille choses.
CCXXV. (La goutte. — L’anglaise. — La charité.)
Paris, mardi 16.
Depuis que je ne vous ai écrit, mon cher Du Pont, j’ai eu une rechute de goutte accompagnée depuis huit jours de douleurs de dos et de ventre qui m’ont beaucoup tourmenté, empêché de dormir pendant trois nuits et de ne rien faire. J’en suis encore fatigué, quoique je sois beaucoup mieux.
On ne sait encore rien d’Amérique ; je ne réponds point à vos réflexions sur Iconderosa qui sont fort justes, mais dont les Insurgents ne profiteront point. Au reste, le nom de Sinclair est écossais.
Vous avez fixé la pension de miss Sheppard un peu haut. On vit très bien à 20 sols par jour ; ainsi, 10 écus ou 30 francs par mois auraient suffi en outre du logement. Mais miss Sheppard est une drôlesse qui nous a trompés et qui est toujours avec le misérable qui l’a perdue. Je suis occupé de la renvoyer en Angleterre. Cela me serait plus aisé si vous étiez ici. Si elle refuse, je l’abandonnerai entièrement.
En vérité, d’être toujours attrapé rebute et finit par rendre dur. Il y a pourtant des malheureux dignes d’être secourus, mais comment les distinguer ?
CCXXVI. (Le Trosne. — Mante. — Les Mirabeau.)
Paris, 18 mars.
Voilà, mon cher Du Pont, les deux Journaux de médecine de février et de mars. Si vous avez celui de janvier, il ne vous en manque point. Je suppose que l’on n’avait pas fait le paquet que je croyais vous avoir envoyé. Pour la lettre de Le Trosne, elle est absolument perdue.
Je vous envoie encore la traduction que ce malheureux Mante a faite de votre Table raisonnée afin que vous l’examiniez. Je présume, d’après la lecture des premières lignes, que vous ne serez pas fort content de son discours préliminaire. Il est à souhaiter que vous puissiez lui faire quelques observations afin que cela soit bien fait.
Rien de nouveau ; on dit que l’escadre destinée pour les Indes sera envoyée aux Iles. Adams est parti ulcéré et jaloux à l’excès de Franklin.
Il court un Mémoire de Mme de Cabris contre le Bailli de Mirabeau. Cette affaire se présente sous un jour bien odieux. Il faut suspendre son jugement, mais, en tout, j’ai mauvaise idée des deux frères.
Je n’ai que le temps de vous dire que je me porte bien.
CCXXVII. (La guerre. — Le Trosne.)
Paris, 23 mars.
Voici, mon cher Du Pont, une lettre pour vous ; les nouvelles se contrebalancent, car si, d’un côté, nous avons perdu Pondichéry[5] avec 700 hommes de garnison après un siège de 62 jours, si cette prise a été précédée de la prise de Chandernagor et devait bientôt l’être de celle de Mahé, si 29 vaisseaux des Iles ont été conduits en Angleterre et peut-être autant à la Nouvelle-York, si l’on croit M. d’Estaing à Saint-Domingue loin du danger de rencontrer Byron, mais avec des maladies effroyables sur sa flotte qui lui ont enlevé 1 500 hommes de l’autre, M. le duc de Lauzun, avec un détachement de troupes porté par une escadre de sept bâtiments, a pris le fort et les établissements anglais sur la rivière du Sénégal, avec toute la garnison consistant en 25 hommes dont 9 en état de combattre, attendu que le reste était attaqué d’une maladie épidémique ; on y laisse 300 hommes de garnison.
Je n’ai point lu la lettre de Le Trosne ; mais je conjecture que ce qu’il vous écrivait rentrait dans le sens d’une première lettre, puisqu’il prétend que vous lui avez répondu.
CCXXVIII. (La guerre. — Agathoclès.)
Paris, 1er juin.
Vous me demandez des nouvelles, mon cher Du Pont ; il n’y en a point. On ne sait de M. d’Estaing autre chose, sinon qu’il est à la Martinique réuni avec M. de Grâce et qu’il prétend avoir moins de malades que Byron.
Agathoclès a été joué hier avec quelque succès. Il était précédé d’un discours de M. d’Alembert pour préparer le public à la bienveillance. On l’affiche pour demain. Je n’y ai point été.
CCXXIX. (La guerre. — Les Fastes, de Lemierre.)
Paris, 9 juin.
Voici, mon cher Du Pont, deux lettres qui sont venues pour vous. J’ai fait part de vos instructions à Durand qui conduira vendredi votre cheval à Magny et vous attendra.
Rien de nouveau, si ce n’est le départ de la grande flotte ; on croit à Brest qu’elle est partie pour se joindre à la flotte espagnole. La déclaration de l’Espagne n’est cependant pas encore publique.
On dit que M. d’Orvilliers[6] est maréchal de France.
Les Fastes, de M. Lemierre[7], paraissent. L’ouvrage est bien fait et marche bien, ce qui n’est pas un mérite commun. Il y a de la variété, souvent de l’énergie et de l’originalité ; quelques vers vraiment beaux qui contrastent avec un style contraint, barbare et sans harmonie dont ils interrompent la continuité. Le ton de l’ouvrage est honnête, ce qui n’empêche pas que l’auteur ne fasse dire aux cultivateurs qu’ils ne demandent pas mieux que de travailler aux chemins sans salaire. Mais l’auteur est ami de M. Séguier.
CCXXX. (La guerre. — La maison de Turgot. — Les manufactures de porcelaine.)
Paris, 24 juin.
Voilà, mon cher Du Pont, deux lettres pour vous et une espèce de bulletin de ce qui s’est passé en Angleterre lorsque la déclaration de l’Espagne a été annoncée aux deux Chambres. Tout est plus détaillé dans le Courrier de l’Europe, ainsi que la Déclaration ou manifeste de l’Espagne ; mais cela est trop long à copier. Au reste, cette déclaration est assez mal faite. Au lieu de partir de ses engagements avec la France, il n’est question que de vieux griefs récapitulés et renouvelés qui ne disent autre chose, sinon qu’on veut faire la guerre.
Je cherche toujours une maison et ne sais encore à quoi me déterminer.
Rien de nouveau, si ce n’est qu’on a saisi les manufactures de porcelaine en vertu du privilège de Sèvres et de la défense faite aux autres de vendre autre chose que du blanc ou du camaïeu. Il est vrai que ces manufactures ne s’étaient établies que sur la foi de la tolérance promise par M. Bertin et exécutée pendant plusieurs années ; ceux qui disent autrement sont des économistes pires que les Encyclopédistes.
CCXXXI. (La maison de Turgot. — La guerre.)
Paris, 29 juin.
Je suis enfin décidé pour une maison, mon cher Du Pont, c’est celle de la rue de Bourbon que j’achète. C’est un peu lourd pour moi ; mais je ne serai plus sujet aux déménagements. J’espère, quoique la maison ne soit pas grande, pouvoir vous y conserver une chambre. Ma bibliothèque sera plus difficile à loger que vous, mais j’en viendrai à bout.
Je me porte bien et il y a longtemps qu’il n’est plus question de ma brûlure, ni de goutte.
Huit vaisseaux espagnols ont joint notre flotte en attendant le reste. On annonce toujours la descente mais je n’y crois point encore.
CCXXXII. (La maison de Turgot. — La guerre.)
Paris, 3 juillet.
Je ne conçois pas, mon cher Du Pont, que vous n’ayez pas encore de mes nouvelles. Je vous ai mandé l’achat que j’ai fait de la maison, rue de Bourbon[8]. Cela est très cher, mais j’y serai très bien et j’espère pouvoir vous y donner un logement.
Je ne l’aurai qu’au mois de janvier. Dans l’intervalle, je logerai à l’Hôtel de la Rochefoucauld, et M. de Maurepas a l’honnêteté de me laisser la galerie, moyennant quoi je ne serai pas obligé de transporter mes livres deux fois.
Je remettrai votre lettre à M. Albert, et si je ne puis y aller moi-même, je la lui enverrai. Il me semble vous avoir fait mes principales réflexions de vive voix sur les objets de cette lettre. Au surplus, je vous en dirai peut-être davantage quand j’aurai causé avec M. Albert.
Mme d’Enville est partie ainsi que Mme de Sommery.
Mme Helvétius et Mme Blondel vous font bien des compliments.
Je vous ai mandé la jonction des huit vaisseaux espagnols à notre escadre. Je ne vous dirais rien de plus que vous ne puissiez apprendre par la gazette.
CCXXXIII. (Du Pont. — La guerre.)
Paris, 10 juillet.
La raison du défaut de lettres patentes n’est pas trop bonne, mon cher Du Pont, car si vous en aviez eu, vous n’auriez pas eu besoin d’acheter votre charge. Je ne sais au reste si ces lettres patentes qui seraient une grâce beaucoup plus considérable que celle que vous demandez, ne souffriraient pas de quelque difficulté à l’enregistrement. Quant à moi je sais bien que je trouverais moins d’embarras à donner la noblesse qu’à reconnaître qu’un autre souverain l’a donnée. Au surplus, vous avez interrogé la franchise du personnage. Il vous répondra. Peut-être n’aimera-t-il pas l’interrogation que sa conscience pourra bien lui faire regarder comme une ironie, quoique vous n’y ayez pas pensé ? Comme vous, j’espère peu et, comme vous, je pense qu’il n’y a point de nouvelles démarches à faire.
J’ai envoyé votre lettre à M. Mion, en voici une qui est venue pour vous.
On assure que les deux flottes sont entièrement jointes. L’amiral Hughes a été repoussé à la barre du Sénégal, et depuis son départ, deux frégates que M. de Vaudreuil[9] avait laissées en suivant sa route pour l’Ile-de-France ont détruit tous les établissements anglais sur les rivières de Gambie et de Sierra Léone et ont pris plusieurs bâtiments de commerce chargés de 6 à 800 noirs et de dents d’éléphants. D’un autre côté, il est arrivé 29 vaisseaux de Saint-Domingue dans les ports de l’Océan. On dit qu’il en est arrivé un plus grand nombre à Marseille. On prétend aussi que nous avons pris une flotte marchande de la Jamaïque, mais ce dernier article est fort incertain… Voilà le temps remis au beau, mais j’ai grand peur qu’il ne soit trop tard.
CCXXXIV. (La guerre. — Divers.)
Paris, 12 juillet.
Voici, mon cher Du Pont, deux paquets pour vous. Rien de nouveau que ce que je vous ai mandé et qui est dans la Gazette de France. On disait pourtant hier que les Anglais ont abandonné Sainte-Lucie, mais je ne regarde pas cela comme certain.
Je me propose d’aller dîner jeudi chez M. Albert et je lui demanderai des nouvelles de l’objet sur lequel vous lui avez écrit.
Le temps s’est un peu remis, je souhaite que ce ne soit pas trop tard pour vos récoltes.
CCXXXV. (Suppression des trésoriers de la Maison du Roi. — Emprunt en Hollande. — La guerre. — Projet de descente en Angleterre.)
Paris, 15 juillet.
Voila, mon cher Du Pont, un billet qui ne paraît pas fort important.
Rien de nouveau que la suppression des trésoriers de la Maison du Roi. C’est le second volume de l’opération de l’année dernière. On crée un trésorier unique pour tout ce département.
On dit aussi qu’on a emprunté en Hollande 83 millions à 3 p. 100 ; bien entendu que le capital est fourni en effets publics de l’Angleterre perdant 40 p. 100. Ainsi, on reçoit 49 800 000, dont on paiera 5 p. 100 d’intérêt, et on constitue l’État débiteur de 83 millions.
La position de la flotte n’est pas entièrement certaine. On dit pourtant M. d’Orvilliers aux Sorlingues et joint à vingt vaisseaux espagnols[10]. On travaille toujours à préparer la descente.
CCXXXVI. (Les dames. — La guerre.)
Paris, 20 juillet.
Je vais dîner à Saint-Maur[11] aujourd’hui, mon cher Du Pont. Je remettrai votre lettre en mains propres. J’ai profité de la liberté que vous m’avez donnée de la lire. La plus grande partie de ce que vous dites dans votre fragment est vrai.
Je vous envoie vos lettres et réponses. Je vous trouve galant comme les Amadis et j’ai un peu souri en songeant à qui ces grands compliments s’adressent. Ce n’est pas que je ne pense qu’il faut avoir tous les égards possibles pour les belles dames.
On attend toujours des nouvelles de nos flottes. Je ne sais point encore si la jonction est complète. Je le crois cependant. Le commandant de la flotte du Ferrol a été plusieurs jours sans vouloir effectuer cette jonction, quoique le vent fût très favorable. M. d’Orvilliers a été obligé d’envoyer un courrier à Madrid. Le Roi d’Espagne a envoyé ordre de casser sur-le-champ le commandant de sa flotte. Cela ne promet pas une grande harmonie entre les deux flottes…
CCXXXVII. (La guerre.)
Paris, 4 septembre.
Voici, mon cher Du Pont, votre Journal de médecine. Vous êtes parti si tard que vous aurez eu bien de la peine à vous rendre le lendemain. Je souhaite que vous n’ayez pas été fatigué.
Rien de nouveau. Il est parti un convoi pour la flotte qui porte de l’eau pour trois semaines. Mais plus on avance dans la saison et moins il y a d’apparence qu’on fasse dans cette campagne quelque chose de sérieux.
Un M. de Glessmeur, jeune officier commandant le lougre l’Espiègle, est entré avec pavillon anglais dans le port de Plymouth, où il a vu onze vieux vaisseaux embossés et prêts à nous recevoir ; il est ressorti sans avoir été découvert et a encore trouvé le moyen d’enlever dans la rade un petit corsaire. Il avait été de l’expédition où le capitaine Marion[12] avait été mangé par les Nouveaux-Zélandais.
CCXXXVIII. (Santé de Turgot. — La guerre.)
Paris, 9 septembre.
J’ai passé avant-hier la matinée dans mon lit, mon cher Du Pont, parce que j’étais très enrhumé. Cela s’est passé au moyen du respirateur qui est vraiment une très bonne invention. Je ne vous en parle que parce que ce rhume m’a fait oublier que c’était votre jour de poste.
J’avais des lettres à vous envoyer, un tome de la Bibliothèque de Romains et, ce qui est plus précieux pour votre patriotisme, une relation de la prise de la Grenade et du combat de M. d’Estaing contre Byron.
Vous aurez aujourd’hui la relation imprimée de la Gazette, ouvrage du héros, qui, comme César, écrit lui-même ses victoires, mais avec un peu moins de simplicité. Chacun a son style. Ce combat naval est bien peu décisif, mais nos vaisseaux se sont très bien battus, c’est-à-dire la division de M. de la Motte-Picquet ; il n’y a eu que huit vaisseaux qui aient soutenu l’effort des Anglais et même quelques-uns des plus petits, parce qu’on n’avait point eu le temps de se mettre en ordre de bataille. M. d’Estaing, averti dès la veille par des signaux de Saint-Vincent, était resté tranquillement à l’ancre, parce que, dit-il, le vent rendait les mouvements trop difficiles, comme s’il espérait qu’ils devinssent plus faciles en présence de l’ennemi.
Quand Byron est arrivé, on a manœuvré comme une armée surprise ; on a coupé les câbles ; on a combattu comme on se trouvait, les petits vaisseaux comme les gros. Aussi, nous avons perdu beaucoup de monde et de très bons officiers.
Je regrette infiniment le pauvre petit Marguerie, que vous avez pu voir chez moi. C’était peut-être l’officier le plus instruit de toute la marine. Si l’avantage avait été aussi décidé que l’annonce M. d’Estaing, il serait inconcevable qu’il n’en eût pas mieux profité pour disperser la flotte et en prendre une partie. Le vrai est que notre avantage consiste à avoir résisté et à avoir peut-être plus maltraité les Anglais qu’ils ne nous ont maltraités. C’en est assez pour réhabiliter la réputation de bravoure de M. d’Estaing et peut-être pour lui faire pardonner de n’avoir pas obéi à l’ordre qui lui avait été envoyé de revenir avec douze vaisseaux. Cette consolation est venue fort à propos pour couvrir et adoucir la douloureuse issue de la campagne de M. d’Orvilliers, lequel va rentrer à Brest, à ce qu’on dit, pour reprendre des vivres pour deux mois et ressortir en octobre où il agira, comme vous imaginez bien, avec beaucoup plus de facilité qu’en août. La vérité est que les maladies[13] le forcent à rentrer et qu’il est fort à craindre qu’elles ne gagnent la flotte espagnole si on la fait aussi entrer dans la rade de Brest. Il faut qu’elle prenne ce parti ou qu’elle retourne à Cadix, ce qui n’est pas sans danger, Hardy[14] tenant alors la mer avec des forces supérieures…
CCXXXIX. (Mme Blondel. — La guerre.)
Paris, 11 septembre.
Mme Blondel s’est cassé avant-hier la jambe, mon cher Du Pont, en tombant de cheval. Malheureusement la fracture, qui est des deux os, est très près de l’articulation, ce qui rendra la cure très longue ; d’ailleurs, point d’accident, point de fièvre. Elle était aussi bien qu’elle pouvait être hier au soir. J’ajouterai chez elle, avant de cacheter ma lettre, des nouvelles de la nuit.
J’achève ma lettre au coin de son lit. Elle est très tranquille et n’a pas eu la moindre apparence de fièvre. Elle vous dit mille choses.
CCXL. (Mme Blondel.)
Paris, jeudi 16 septembre.
J’ai eu tort, mon cher Du Pont, de laisser passer mardi la poste sans vous donner des nouvelles de Mme Blondel. Elle est toujours sans fièvre et, par conséquent, bien, mais elle souffre quelquefois et cette nuit, entre autres, n’a pas été bonne. Hier, elle avait dormi et avait passé la journée très bien ; cela dépend du temps et du hasard des positions lorsqu’on arrange son bandage et sa jambe.
La flotte de M. d’Orvilliers doit être rentrée, car elle n’attendait le 10 qu’un vent favorable. On joue la comédie d’annoncer qu’elle ressortira[15], mais la quantité de malades et l’impossibilité de les remplacer mettent à toute entreprise ultérieure un obstacle invincible.
CCXLI. (Mme Blondel. — La guerre.)
Paris, 18 septembre.
Mme Blondel est toujours sans fièvre, mais elle a toujours de temps en temps des douleurs qui troublent son sommeil. Ses nuits sont alternativement bonnes et mauvaises. Celle d’avant-hier avait été assez agitée. Celle d’hier s’est passée très tranquillement. Cette nuit avait été assez agitée, mais beaucoup moins que celle d’avant-hier. Les chirurgiens sont contents de l’état de la jambe ; le gonflement est presque entièrement passé.
Voilà, mon cher Du Pont, tout ce que je puis vous mander. Je me suis acquitté de votre commission. Du reste, rien de nouveau. On parle de nouveaux avantages de Byron. Cette nouvelle vient de Hollande et n’est pas sûre. On craint aussi que l’Ile-de-France ne soit attaquée. Je ne sais si l’on a nouvelle que la flotte de Brest soit effectivement rentrée.
CCXLII. (Mme Blondel. — La guerre.)
Paris, 23 septembre.
Je continue, mon cher Du Pont, à vous donner des nouvelles de Mme Blondel. Toutes les inquiétudes sont dissipées ; elle est parfaitement bien. Elle a dormi cette nuit cinq heures. Il n’y a plus que de la patience à avoir. Malheureusement, la guérison sera longue.
Vous savez que M. d’Orvilliers est remplacé par M. du Chaffault. Il paraît qu’il a, par une fausse manœuvre, laissé échapper la flotte de Hardy, pouvant engager le combat du moins avec l’arrière-garde, ce qui aurait forcé Hardy à sacrifier cette arrière-garde ou à engager un combat général…
Voilà un mauvais temps pour les vendanges, après en avoir eu un si beau pour mûrir le raisin. Il est bientôt temps que vous veniez pour vous établir à l’hôtel de Mirabeau.
CCXLIII. (Mme Blondel. — L’hôtel de La Rochefoucauld. — Le capitaine Paul. — La guerre. — Réponse à un auteur.)
Paris, 7 octobre.
Vous avez eu, mon cher Du Pont, un bien beau temps pour votre voyage. Je crains cependant pour vous le froid de la nuit. Mandez-moi si vous êtes arrivé en bonne santé.
Mme Blondel est toujours dans le même état, faisant des progrès vers sa guérison, mais souffrant régulièrement toutes les nuits de ses nerfs. Elle est assez calme le jour.
Je suis établi au petit hôtel de La Rochefoucauld et je m’y trouve assez bien. Le transport de ma pendule m’a procuré l’occasion de voir Le Jay[16] dont vous aviez oublié de me parler. Il m’a dit que vous aviez vu ma montre montée et allant. Il me la promet dans quatre jours mais je l’attends dans quatre ans.
Le capitaine Jones[17] a pris deux frégates anglaises qui convoyaient des vaisseaux chargés de bois et de mâture sortant de la mer Baltique, mais il a trop souffert dans le combat pour prendre les vaisseaux convoyés ; six sont échoués et ont péri sur la côte de Norvège. Les Anglais vont mettre beaucoup de vaisseaux aux trousses du capitaine Jones, mais les nuits sont longues, surtout dans le Nord.
Vous avez vu dans le Courrier de l’Europe la perte de la flotte américaine qui attaquait Penob et celle de ce fort de Long-Point qu’ils avaient surprise. Il faut voir ce que M. d’Estaing fera pour eux…
Je n’ai point reçu le double du paquet qu’on vous a donné. Peut-être l’auteur a-t-il pensé qu’il ne me plairait pas sous sa nouvelle livrée. En tout cas, dans mon premier mouvement, j’ai fait d’avance mon remerciement[18] qui n’est pas fait non plus pour plaire.
CCXLIV. (Mme Blondel. — Divers. — La guerre.)
Paris, 9 octobre.
Rien de nouveau, mon cher Du Pont ; Mme Blondel a été hier transportée sur un lit de sangle pour faire son lit, ce qui lui a occasionné un grand bien-être. Elle a cependant encore souffert dans l’après-midi, mais le bulletin annonce qu’elle a passé une bonne nuit.
Mme d’Enville est arrivée hier au soir, ainsi que l’abbé Rozier que je n’ai pas encore vu.
Je n’ai pas pu aller voir Mme Albert, mais j’irai aussitôt que je serai entièrement quitte de mon déménagement.
Il est arrivé hier un courrier de Brest pour annoncer le résultat de la conférence de M. de Vaux avec les officiers de mer. Ce résultat est, à ce qu’on croit, qu’il n’y a rien à faire[19]. La difficulté sera de renvoyer les Espagnols chez eux sans risque. Le risque de les garder dans un climat humide et froid et dans un lieu infecté de maladies serait encore plus grand.
Que parlez-vous de votre médiocre santé ? Vous seriez-vous enrhumé en chemin ?
CCXLV. (Mme Blondel. — La guerre.)
Paris 12 octobre.
Mme Blondel a souffert cruellement avant-hier, mon cher Du Pont. Il paraît qu’outre le changement de temps, le desséchement de ses bandages et leur resserrement y avaient contribué. Il est certain qu’en la pansant de nouveau, sa douleur s’est passée. Les deux dernières nuits ont été assez bonnes. Elle est au trente-troisième jour ; on compte qu’il en faut encore dix-huit ou vingt pour que le calus soit tout à fait consolidé.
J’irai samedi dîner chez M. Albert. Mme Albert doit venir à Paris aujourd’hui.
La flotte doit, dit-on, sortir pour reconduire les Espagnols. Ce qu’on peut faire de mieux est certainement de les renvoyer chez eux où ils pourront veiller sur leurs propres côtes. Les maladies réduisent notre flotte à dix-neuf vaisseaux. Encore est-il fort douteux qu’on puisse faire sortir ce nombre, car celui des malades augmentant, il y en a plus de 9 000. Il y a aussi des dysenteries parmi les matelots rassemblés au Havre.
On espère que la flotte marchande de soixante-trois vaisseaux, débouquée par M. d’Estaing, arrivera à bon port. Trois vaisseaux, meilleurs voiliers et armés à moitié en guerre, sont arrivés à Bordeaux avec trois vaisseaux de la flotte de la Jamaïque qu’ils ont pris. Hopkins en a, dit-on, pris une dizaine.
L’abbé Rozier est revenu enchanté des vignobles qu’il a vus.
CCXLVI. (Mme Blondel. — La Réponse à un auteur. — La guerre.)
Paris, samedi 16.
Depuis dimanche au soir, mon cher Du Pont, Mme Blondel est très tranquille et a de bonnes nuits ; la voilà au trente-sixième jour.
Je n’ai nullement compté sur la parole de Le Jay et je crois que je n’aurai jamais cette montre commencée depuis cinq ans et demi.
Je vais dîner à Saint-Maur, je vous manderai l’état où j’aurai trouvé Mme Albert.
Je n’ai point eu occasion d’employer la lettre dont vous ne me parliez point ; j’imagine que l’homme s’est rendu justice et ne m’enverra pas son ouvrage.
Les officiers destinés à l’embarquement ont ordre de rejoindre leurs corps. Voilà une plaisante comédie. L’embarrassant est de pouvoir renvoyer les Espagnols chez eux sans risquer qu’eux ou nous soient attaqués après la séparation. Le seul parti raisonnable est pourtant de les renvoyer tous. M. d’Aranda[20] est allé à Brest les voir.
CCXLVII. (Mme Albert. — Mme Blondel. — La guerre.)
Mardi, 19 octobre.
Je vous dois, mon cher Du Pont, des nouvelles de mon dîner à Saint-Maur. Elles vous feront plaisir, car j’ai trouvé Mme Albert beaucoup mieux. Le lait passe bien et fait du bien. Elle n’éprouve plus aucun symptôme fâcheux. Elle a la plus grande répugnance pour le voyage de Roussillon ; elle craindrait que M. Albert ne fût tenté d’y rester. Celui-ci n’est pas inquiet et croit que ces crachements de sang ne sont point occasionnés par un commencement de mal de poitrine. Beaucoup de femmes sont sujettes à cet accident sans que leur santé en soit affectée, et Mme Blondel m’a dit qu’en effet il n’y avait aucune inquiétude à avoir. Le mari et la femme vous font mille compliments. Mme Blondel est à son quarantième jour, mais sa jambe restera encore quelques jours emmaillotée.
Notre flotte va sortir pour reconduire les Espagnols. Je crains bien que nous ne fassions la sottise d’en garder la plus grande partie.
La flotte marchande, débouquée par M. d’Estaing, a été dispersée par un coup de vent, le 17 septembre, près des Bermudes. Il a même péri quelques bâtiments. On a appris ce désastre par quelques vaisseaux de cette flotte qui sont arrivés à Brest.
Il perce qu’on a de mauvaises nouvelles de M. d’Estaing dont la flotte est, dit-on, hors d’état d’agir et ruinée par les maladies…
CCXLVIII. (Santé de Turgot. — Mme Blondel. — Franklin. — La poste.)
Paris, 27 octobre.
J’ai reçu, mon cher Du Pont, vos deux lettres du 16 et du 20. Je ne me portais point mal lorsque vous me proposiez de venir à Paris me servir de garde-malade et jouer aux échecs au coin de mon lit. Je me porte aussi assez bien à présent, mais dans l’intervalle je viens d’avoir une assez forte secousse de colique d’estomac qui me faisait trop souffrir pour pouvoir même mal, jouer aux échecs. J’avais, dans mon régime, mangé trop de fruits ; mais je ne répondrais point que la goutte n’ait aussi joué son rôle dans cette aventure. J’en suis quitte, mais encore obligé à une très grande diète, qui ne m’empêchera pas d’aller dimanche à La Roche-Guyon pour y passer quelques jours.
Je laisse Mme Blondel en bon état. On met demain sa jambe en liberté et vous écris ce soir pour pouvoir assister demain à cette cérémonie.
J’ai monté ce matin à cheval : j’ai été à Passy et à Auteuil.
Franklin a été malade ; il est à présent rétabli et j’ai été fort content de lui.
Notre flotte est sortie, celle de Hardy aussi, mais je ne crois pas que celui-ci ait envie de nous attaquer, à moins que ce ne soit après notre séparation. Mais alors, nous tâcherons de l’éviter, du moins à ce que j’imagine.
Vous êtes fécond en ressources ; je ne me donnerai pas plus la peine de critiquer votre politique que celle de nos ministres, car elle ne vaut pas mieux. Je vous souhaite patience et santé et vous embrasse. Mille compliments à Mme Du Pont.
Voici une lettre pour vous.
J’imagine que le paquet dont on m’a rayé le contreseing aura été contresigné par Martin[21], parce qu’étant pressé de sortir, je l’avais laissé à faire, et qu’apparemment M. Desnaux n’était pas venu avant l’heure de la poste. Dans la règle étroite, il n’y a que moi ou M. Desnaux dont on connaisse le contreseing à la poste. Peut-être aussi y avait-il un Journal dans le paquet et je crois me le rappeler ; ces Messieurs imaginent qu’on les frustre par là d’un abonnement. Cependant, l’adresse de la lettre insérée dans le paquet étant de ma main, ces Messieurs auraient pu avoir l’honnêteté d’être moins pointilleux sur ce que le contreseing n’en était pas, mais comme vous avez renoncé à la descente en Angleterre, j’ai renoncé à calculer l’honnêteté des gens, ni même leurs honnêtetés.
CCXLIX. (Du Pont. — Mme Blondel. — La guerre.)
Paris, 30 octobre.
Je vous envoie, mon cher Du Pont, un mémoire sur la dysenterie épidémique assez bien fait pour ne rien dire de bien précis. Cependant, un homme un peu au fait du langage des médecins, peut en tirer quelques résultats assez bons pour se rendre utile dans le fléau qui ravage à présent nos campagnes. Vous en tirerez le parti que vous pourrez, si le mal s’approche de chez vous.
Je suis à présent bien et vais passer une dizaine de jours à La Roche-Guyon.
Mme Blondel vient d’avoir un peu de fièvre de rhume à force de s’éventer. Elle est quitte de cette bourrasque. On a défait ses bandages, mais elle n’a pas encore la faculté de remuer, même dans son lit. Elle est précisément comme ces gens qui ont le pouvoir prochain des Thomistes, qui n’est jamais réduit en acte. Il faut que les liqueurs reprennent leur cours et les muscles leur souplesse.
Notre flotte n’est point sortie. Celle de Hardy est dehors avec 37 vaisseaux seulement, ayant été obligée de désarmer le surplus à cause des maladies qu’elle a aussi.
CCL. (Santé de Turgot. — Sa montre.)
La Roche-Guyon, 3 novembre.
J’ai reçu, mon cher Du Pont, votre lettre du 27 ; vous n’aviez pas encore reçu celle où, en vous parlant de ma santé, je vous donnais l’explication de mon silence. Mon estomac va bien et je ferai ici le plus d’exercice que je pourrai pour achever de le fortifier.
Avant de quitter Paris, j’ai fait une expédition chez le pauvre Le Jay ; j’ai trouvé la montre comme vous l’avez laissée. Heureusement, elle était montée. Je l’ai mise dans ma poche en lui disant que je le dispensais du surplus de l’ouvrage et que je paierais la montre comme si elle était finie. Je l’ai laissé étonné comme un fondeur de cloche. Il faut que vous me mandiez les conventions que vous avez faites avec lui pour le paiement définitif, afin que je l’exécute ponctuellement.
CCLI. (Santé de Turgot.)
Lundi 8, à la Roche-Guyon, par Bonnières et non par Mante.
Je reçois votre lettre, mon cher Du Pont, et j’y réponds bien brièvement en vous apprenant que je suis ici avec la goutte au genou et au pied gauche depuis trois jours. Je fais venir ma berline, où l’on peut voyager couché, dans l’intention de retourner à Paris, aussitôt que mon état le permettra[22]. Je vous embrasse et vous fais compliment sur le courage de Mme Du Pont.
CCLII. (Les poudingues. — Santé de Turgot. — La liberté du commerce.)
La Roche-Guyon, 15 novembre.
Vous pouvez hardiment, mon cher Du Pont, briser vos tables de grès et vos poudingues de cailloux roulés[23] ; vous en laisserez toujours assez pour la curiosité des physiciens qui visiteront vos cantons et qui, quelques efforts qu’ils fassent, ne parviendront jamais à donner ou plutôt à deviner l’histoire des bouleversements successifs qui ont constitué chaque canton de la surface de la terre, individuellement dans l’état où il est aujourd’hui. Au reste, les cailloux n’ont pas été roulés en masse et c’est postérieurement à l’époque à laquelle ils ont été roulés, qu’ils ont été réunis en poudingues, tantôt par un ciment calcaire, tantôt par un ciment de sable changé depuis par l’infiltration en véritable grès. Votre pays est vraiment curieux et j’ai beaucoup regretté que le mauvais temps ne m’ait pas permis d’examiner en détail les beaux rochers qui sont sur le grand chemin entre Nemours et l’endroit où l’on se détourne pour aller au Bois des Fossés[24].
Ma goutte va très bien ; je crois en être quitte, du moins pour le côté gauche ; mais il est possible que le droit ait son tour. J’ai impatience d’être de retour à Paris, mais je n’ai encore osé m’embarquer par le temps abominable qui n’a pas cessé depuis quelques jours. Je plains les pauvres gens qui sont sur la mer.
Mme Blondel me mande qu’elle va très bien.
Savez-vous que le Parlement d’Irlande demande la liberté absolue du commerce, d’un ton à n’être pas refusé ?
Les pauvres Anglais sont bien punis de toutes les bêtises qu’ils ont dites sur le commerce et de leurs réglementations politiques. Comment se tirer des intérêts des villes de Liverpool, Leeds, etc., et de la facilité qu’auront les Irlandais de faire tout le commerce, parce qu’ils ont des ports plus à la portée de l’Amérique et des Indes, etc., etc. ? Quand M. Necker et M. de Vergennes les aideraient de leur sublime politique, ils n’en seraient que plus enfoncés dans le bourbier. Faudra-t-il que les Anglais deviennent économistes ?
CCLIII. (Santé de Turgot. — Sa montre.)
La Roche-Guyon, 18 novembre.
Je reçois votre lettre du 12, mon cher Du Pont. Je serais bien fâché que vous quittassiez vos affaires pour venir ici. Je compte d’ici à deux jours me remettre en chemin pour Paris où j’espère que ce qui me reste de sensibilité aux pieds se dissipera bientôt. Restez donc chez vous à finir tranquillement vos affaires et n’ayez aucune inquiétude de moi. Répondez-moi à Paris et n’oubliez pas de me répondre sur l’article des conventions que vous avez faites avec Le Jay, à qui je veux payer sa montre comme s’il me l’avait livrée finie. Pourquoi donc n’avez-vous pas répondu à ce que je vous avais écrit sur ce sujet ?…
CCLIV. (Santé de Turgot. — Un spéculateur. — Mme Blondel. — L’abbé Rozier. — Mante.)
Paris, samedi 20 novembre.
Vous devez, mon cher Du Pont, recevoir une lettre de moi de la Roche-Guyon par ce même courrier. Celle-ci est pour vous annoncer mon arrivée à Paris en bonne santé, quoique je ne sois pas encore en état de sortir, mais l’accès est sur sa fin et je m’en croirai quitte à très bon marché. Il ne faut point que vous quittiez vos affaires pour me tenir compagnie, mais quand vous serez à Paris, je vous ferai lire le Mémoire de ce malheureux Garent, qui vous fera connaître le danger des spéculations. Cet homme est exactement ruiné par une spéculation dans laquelle il est démontré qu’il devait gagner six pour cent.
Je ne sais rien de nouveau qui puisse vous intéresser. Mme Blondel fait tous les jours quelques toises de chemin avec deux béquilles…
Êtes-vous content de Victor et d’Irénée ?
Savez-vous que l’abbé Rozier a un très bon bénéfice et va s’établir cultivateur dans les provinces méridionales ? Savez-vous qu’enfin M. de Boisgelin a consenti à laisser sortir de prison ce malheureux Mante auquel on devait faire ces jours-ci l’opération de la pierre ?
CCLV. (Santé de Turgot.)
Paris, 23 novembre.
Voici, mon cher Du Pont, deux lettres qui me sont arrivées pour vous. Depuis que je vous ai écrit, j’ai un peu plus souffert de la goutte qui s’est jetée sur le genou et sur la cheville du pied droit, ce qui me met fort mal à mon aise par la difficulté de trouver une position supportable. Je suis cependant assez bien parvenu à dormir une partie de la nuit. Le temps qu’il a fait est fort mauvais pour les goutteux et je ne le crois pas trop bon non plus pour les travaux de la campagne[25].
CCLVI. (Santé de Turgot. — Albert. — Feutry. La montre. — La guerre.)
Samedi, 27 novembre.
D’après ce que vous me marquez, mon cher Du Pont, je suis fort aise d’avoir mis obstacle à votre retour, car je sais combien il est désagréable d’être arriéré de besogne jusqu’à un certain point. Ce n’est pas que je n’aie été assez mal à mon aise depuis quelques jours, mais depuis hier et surtout aujourd’hui, je suis, sensiblement mieux et je crois mon mal à la fin.
J’ai vu M. et Mme Albert qui sont à Paris. M. Albert, gros et gras, Mme Albert fort contente de sa santé, à ce qu’elle me dit et je lui ai trouvé effectivement fort bon visage.
Votre idée sur le pauvre diable de Feutry peut avoir du bon quoiqu’il y ait bien des si et des mais ; mais non omnia possumus omnes. Au reste, je vous écrirai sur cet objet quand je pourrai écrire plus longuement sans me fatiguer.
Je ne suis plus étonné que ma montre ne finit point, puisque vous aviez repris le train de donner des acomptes à ce malheureux Le Jay auquel, si je m’en souviens, j’avais dit qu’il avait reçu 7 louis et rien au delà ; vous m’apprenez que vous avez porté ces 7 louis à 10 et que sur ces 10, il ne lui reste plus dû que 42 livres. Au surplus, j’en suis débarrassé pour jamais. Il aura ses 42 livres. M. Desnaux vous remettra le surplus, ainsi que le montant des autres petites avances que vous avez oubliées, et que vous ou Mme Du Pont pourrez vous rappeler, car il n’est pas juste que, si je paie cette montre beaucoup plus qu’elle ne vaut, vous en payiez aussi votre part ; elle ne m’a point encore été remise, mais je l’aurai incessamment et je crois qu’elle ira bien.
Je vous envoie le Mémoire de M. Garent, que je vous prie de me rapporter quand vous reviendrez.
On ne sait encore où est M. d’Estaing ; on croit cependant qu’il revient avec ses premiers vaisseaux. On en envoie 10 autres pour le remplacer et 4 ou 6 000 hommes aux Iles. On croit aussi qu’on va faire une expédition pour l’Inde ; c’est un peu tard.
Mme Blondel fait toujours de petits progrès bien lents.
CCLVII. (Santé de Turgot. — Sa montre.)
Mardi, 30 novembre.
J’ai fait beaucoup de progrès et même, depuis samedi, mon cher Du Pont. Cependant cette nuit a été moins bonne que les précédentes. J’imagine qu’il faut l’attribuer au mauvais temps.
Je n’ai point encore ma montre, mais je l’aurai cette semaine. M. Robin est en admiration de la perfection avec laquelle elle est exécutée dans toutes ses parties, mais il croit que l’échappement n’est pas bon et la rendra sujette à s’arrêter souvent d’elle-même. Cet échappement, d’ailleurs par sa nature, n’est point et ne peut être parfaitement au repos. Quoi qu’il en soit, je m’en servirai dans cet état ; sauf, si l’inconvénient prévu arrive, à faire substituer un autre échappement…
CCLVIII. (Traduction de l’Arioste. — La guerre.)
Paris, dimanche 12 décembre.
(La lettre renferme des observations sur la traduction de l’Arioste, dont Du Pont s’occupait alors.)
Je joins ici une lettre que le vicomte de Maulde a apportée ici après votre départ ; il voulait vous prier de la faire remettre à son adresse.
On est toujours inquiet de M. d’Estaing ; on a pourtant de ses nouvelles du 5. Il était à 200 lieues à l’ouest de Bordeaux.
M. d’Olavidès est à Toulouse. Il est sorti d’Espagne sous prétexte de prendre les eaux de Bagnères. Il a, dit-on, 40 000 livres de rente viagère en France et l’on croit qu’il pourrait bien s’y fixer.
Nous prenons le grand deuil mercredi.
Mardi.
J’ai reçu votre lettre. Je saurai si la place de l’école gratuite est vacante, si un engagement que j’avais avec M. Le Vieux est rempli.
CCLIX. (Santé de Turgot. — La guerre.)
Mardi, 14 décembre.
Je vous prie, mon cher Du Pont, de me mander des nouvelles de votre rhume dont je suis d’autant plus inquiet que votre seconde journée a été bien mauvaise. Pour moi, je suis toujours à peu près au même point. Ma toux ne diminue point du tout et je ne puis point encore marcher[26].
M. de Bougainville[27] n’est point arrivé, comme on l’avait cru. Il n’y a d’arrivé[28] que M. d’Estaing, sur le Languedoc, et le vaisseau la Provence qui est arrivé le même jour que lui. Il paraît qu’il a attaqué le général Prévôt, retranché à Savannah[29], sans avoir de canons ; la grande mer ne lui a pas permis de les débarquer. On évalue la perte à 600 hommes environ, tant tués que blessés ou prisonniers, 43 officiers dont 9 tués dans l’action.
Suivant ce qu’on m’a mandé de Brest, la flotte a été séparée aux approches de Saint-Domingue, sans avoir pu même y débarquer les troupes que cette colonie avait fournies pour l’expédition. Ce serait fort fâcheux…
CCLX. (Santé de Turgot. — Mme Helvétius. — La guerre. — Les frais de réception de Du Pont.)
Samedi, 18 décembre.
J’ai envoyé, mon cher Du Pont, vos lettres à leurs adresses. C’est quelque chose que votre rhume ne soit pas empiré par le voyage. Je vous exhorte toujours à beaucoup de ménagement tant pour vous que pour Mme Du Pont.
Quant à moi, j’ai toussé hier et ma goutte est revenue au genou gauche. Cela n’est pas bien vif, mais il est bien désagréable de ne point envisager de fin.
Ma réponse à Mme Helvétius a été remise dès le lendemain de votre départ. Quoi que vous en disiez, c’est une grande duperie d’être plus galant, et je suis bien sûr qu’on ne m’en aurait pas plus de gré.
M. d’Estaing n’est point encore arrivé[30]. On dit qu’il est assez malade, tant de faiblesse que de scorbut. Les vaisseaux de son escadre arrivent successivement, mais ils ne sont pas encore tous arrivés.
Il faut que vous me mandiez quels seraient les arrangements pour rembourser à courts termes l’argent qu’on vous prêterait pour payer vos frais de réception. Je vous fais cette demande parce que Mme de Sommery, que j’avais priée de me chercher en Normandie une vingtaine de mille francs pour employer à l’acquisition de ma maison, en a trouvé assez aisément et même un peu davantage. Quelques-uns de ces billets doivent être remboursés assez promptement et, si vous pouviez prendre des arrangements convenables, je pourrais les prendre en mon nom et vous les prêter sur des billets pareils.
CCLXI. (De Graslin. — Deshauserayes. — La guerre. — Mme Blondel. — Mme Du Pont.)
s. d.
Je reçois à la fois, mon cher Du Pont, vos deux lettres du 18 et du 21. Mme Du Pont a toute raison de ne vouloir pas vous laisser revenir à Paris et de vous obliger à ménager votre rhume. Ce qu’il y a de mieux est de prendre des bains sudorifiques ; du thé léger mêlé avec du safran est fort bon pour cela.
L’arrangement dont vous parlez de faire des billets l’un pour janvier 1782 et l’autre pour 1783 suffirait, mais il faudra qu’ils soient en mon nom parce que ce n’est qu’à moi qu’on prêtera et que j’en fasse d’autres pour les prêteurs de Normandie qui ne connaîtront que moi.
Votre plaisanterie sur Graslin ne me paraît pas tout à fait aussi piquante qu’il le faudrait. Au surplus, je tiendrai conseil avec M. Condorcet et je me déciderai d’après ses réflexions et les miennes.
J’ai vu dans la lettre de M. Cousin que M. Deshauserayes[31] me citait en témoignage. Je le connais, en effet, comme un homme savant en hébreu, chaldéen, syriaque, arabe, persan, chinois, etc., mais je n’ai jamais vécu avec lui de façon à connaître son caractère. Vous faites très bien de vouloir voir l’homme qu’on vous propose.
Je suis aujourd’hui tout à fait bien et, s’il ne me survient pas de nouvel orage, je n’ai plus qu’à prendre patience, en attendant que mon pied reprenne de la force.
M. d’Estaing a été, dit-on, fort bien reçu du Roi. On dit aussi qu’il se plaint vivement de M. de Sartine[32]. On n’a point encore nouvelle que toute sa flotte soit arrivée.
Mme Blondel commence à sortir et je l’ai vue plusieurs fois.
Adieu, mon cher Du Pont, je vous embrasse. Mille compliments à Mme Du Pont, à qui je souhaite une meilleure santé.
Absolvi tityrum.
CCLXII. (Santé de Turgot. — Mme Helvétius. — La guerre.)
Paris, 28 décembre.
Je suis beaucoup mieux, mon cher Du Pont, et il ne me manque plus exactement que de pouvoir marcher, car pour la toux, je suis persuadé qu’elle ne se dissipera actuellement que quand j’aurai pu lui faire prendre l’air. J’attends avec impatience des nouvelles de la vôtre. Le temps qui s’est mis à la gelée doit être meilleur pour votre santé que le temps humide que nous avions précédemment.
J’ai tenu conseil avec M. de Condorcet et le résultat a été de ne point envoyer la petite lettre[33].
Il a couru hier une nouvelle de la prise de Gibraltar ; elle était si bien circonstanciée dans tous les détails qu’on ne pouvait presque refuser de la croire. Elle n’est cependant pas vraie et il est, au contraire, très vraisemblable que l’amiral Rodney arrivera à temps pour ravitailler la place.
Les restes de la flotte de M. d’Estaing n’arrivent point et l’on est inquiet. Le vaisseau Le Fier, qui convoyait cette flotte marchande qui a été dispersée par un coup de vent, a été obligé de retourner à la Martinique et la frégate l’Alcmène a été prise avec 7 ou 8 vaisseaux du convoi. On est d’autant plus inquiet des vaisseaux de l’escadre de M. d’Estaing qui manquent, que l’on sait qu’ils avaient très peu de vivres.
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[1] Un procès lui avait été intenté.
[2] Gudin de la Brenellerie, auteur dramatique, parent de Du Pont.
[3] Les Éléments de la politique
[4] À l’Académie française.
[5] 17 octobre 1778.
[6] L’amiral d’Orvilliers commandait une flotte de 30 vaisseaux de ligne qui devait aller chercher la flotte espagnole et revenir avec elle sur l’île de Wight et Portsmouth, avec un corps d’armée de 40 000 hommes sous les ordres du lieutenant général de Vaux.
[7] De l’Académie française.
[8] On voit que Turgot ne trouva pas facilement la nouvelle demeure dont il avait besoin. Dans la correspondance qu’il adressa à la duchesse d’Enville, correspondance dont nous n’avons pas eu communication, mais dont M. Omont, conservateur des manuscrits à la Bibliothèque Nationale, possède une copie, on lit, d’après les quelques fragments qui ont été publiés par Georges Villain :
6 avril 1779. « Je suis à la recherche d’une maison, mais je ne vois rien encore qui me convienne. »
10 avril. « Je n’ai encore rien trouvé pour me loger. M. de Montesquiou ne demande que 210 000 livres de sa maison qui danserait en entier dans mon jardin. Cela me fait craindre de ne pouvoir loger ma bibliothèque dans le faubourg Saint-Germain qu’à des pris exorbitants. »
10 juin. (Au sujet d’une maison appartenant à Mme de la Rivière et dont les droits de propriété pouvaient être contestés). « Je ne puis donc y penser, ce serait m’exposer à changer encore de maison au premier moment ; j’ai été voir hier le château de Coq ; mais il sera peut-être difficile d’y faire les arrangements nécessaires pour m’y établir solidement. Ainsi, vous me trouverez probablement dans la même incertitude. »
Cette incertitude dura peu, puisque seize jours après, Turgot signa l’acte d’acquisition de l’hôtel de Viarmes ; la correspondance avec la duchesse d’Enville ne fait pas allusion à cet achat, car elle ne reprend que le 18 octobre suivant.
C’est seulement dans une lettre du 11 juin 1780, que Turgot parle de son installation. « Le temps… convient bien au transport de la bibliothèque, qui ne commencera que demain ».
- Ernest Coyecque a fait des recherches aux Archives de la Seine (registres d’insinuation et archives domaniales), aux archives de l’enregistrement de la Seine et des différentes études de notaires en vue de déterminer l’emplacement de l’immeuble acheté par Turgot. Il a constaté qu’il était maintenant la propriété du comte de Lévis-Mirepoix, n° 121, rue de Lille (nom que porte, depuis 1830, l’ancienne rue Bourbon Saint-Germain).
Turgot paya en dehors du prix d’achat une somme de 20 000 livres pour « les glaces, tableaux, boiseries, ornements, sculptures, marbres et autres décorations existant dans la maison », ainsi que pour une concession de 12 lignes d’eau accordées par la Ville de Paris au père du vendeur, Jean-Baptiste-Élie-Camus de la Guibourgère, seigneur de Viarmes, qui avait été prévôt des marchands de 1758 à 1763.
L’acte de vente, passé devant Me Armand (étude Lefebvre en 1839), porte que Turgot doit payer sur le prix d’achat une somme totale de 98 000 livres aux créanciers du seigneur de Viarmes. Comme Turgot mourut le 21 mai 1781, moins de deux ans après la conclusion de l’acte, il devait encore à son décès 77 000 livres.
Les héritiers de Turgot cédèrent l’immeuble au marquis d’Autichamp, le 9 mai 1781.
[9] De Rigaud, marquis de Vaudreuil, qui fut lieutenant général et député aux États généraux.
[10] La jonction s’opéra le 26 juillet.
[11] Chez Albert.
[12] Marion-Dufresne mort à Tacouri.
[13] Le vaisseau La Ville de Paris perdit 280 hommes. D’Orvilliers vit mourir son fils unique.
[14] Amiral anglais.
[15] Elle ne ressortit point. D’Orvilliers abandonna le service.
[16] Horloger.
[17] Paul Jones, dit le capitaine Paul.
[18] Projet de lettre ainsi conçu : « Je vous dois, Monsieur, des remerciements du paquet que vous avez eu la bonté de faire remettre chez moi et je m’empresse de m’en acquitter. Je ne l’aurais pas d’abord reconnu ; mais vous avez cru devoir vous conformer à la maxime de prendre les couleurs du saint du jour. Cela fait honneur à votre prudence et je l’admire infiniment.
« J’ai l’honneur d’être avec toute la considération due à vos talents et à vos connaissances, Monsieur, votre…, etc. »
[19] Quant à une descente en Angleterre.
[20] Ambassadeur d’Espagne.
[21] Son domestique.
[22] Turgot eut une crise violente. Le 18, Desnaux écrivait à Du Pont : « Nous avons été dans l’inquiétude ici samedi et dimanche dernier, n’ayant point reçu de nouvelles de M. Turgot pendant deux jours ; mais dimanche au soir, nous en avons reçu de très bonnes, ainsi que lundi et mardi. J’en ai reçu hier de sa main ; il me mande qu’il va beaucoup mieux, mais qu’il a encore l’orteil droit assez douloureux et qu’il attend un temps moins mauvais pour revenir à Paris. »
[23] Les poudingues formant le sol du Gâtinais.
[24] Nom de la propriété de Du Pont.
[25] Desnaux écrivait à Du Pont le 25 :
« Quoique M. Turgot soit un peu moins souffrant aujourd’hui qu’il ne l’a été avant-hier et hier, il a cependant de la peine encore à trouver une position supportable. Il a pu, malgré cela, dormir quelques heures cette nuit. »
[26] Desnaux écrivait à Du Pont le 16 :
« M. Turgot a eu hier au soir un ressentiment au genou et au pied droit et cela n’a pas eu de suite ; il a fort bien dormi, il se trouve assez bien ce matin ».
[27] Alors chef d’escadre.
[28] À Brest.
[29] En Géorgie. D’Estaing avait mis 400 hommes de troupes à terre.
[30] À Versailles.
[31] Leroux-Deshauserayes, orientaliste.
[32] Le bruit courait que d’Estaing remplacerait Sartine au ministère la marine.
[33] Probablement à Mme Helvétius.
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