Œuvres de Turgot – 250 – Lettres à Caillard, 1778

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1778

250. — LETTRES À CAILLARD

XXVI. (Santé de Turgot. — Les bourses de collège. — Boisgelin. — Irène, de Voltaire. — Gluck et Piccini. — Desmarets. — Vers métriques.)

[D. D., II, 835.]

13 février.

Vous devez me trouver bien paresseux, M., d’avoir laissé passer des mois entiers sans vous remercier de votre attention à enrichir ma bibliothèque de morceaux précieux qui la rendent une des plus complètes dans la partie des langues ; heureusement, vous me connaissez assez pour être sûr que mon silence ne vient d’aucune altération dans mes sentiments, et que je n’en suis pas moins reconnaissant de ceux que vous me conservez. Je sais aussi que vous avez des motifs d’être un peu indulgent en matière de paresse.

Les attaques fréquentes de goutte que j’ai eues depuis quelque temps ont un peu contribué à augmenter la mienne, par la grande perte de temps que m’occasionnent d’un côté le soin de ma santé et de l’autre les soins de mes amis, dont le chancelier Bacon disait, avec tant de raison : amici fures temporis.

Malgré la lenteur de mes remerciements, j’espère que vous n’en aurez pas moins pensé à me compléter les Mémoires de Pétersbourg[1], c’est-à-dire à me procurer le 14e et le 15e volumes, et ceux qui ont paru depuis le 16e. Je voudrais bien qu’on pût y joindre l’ouvrage d’Æpinus, intitulé Tentamen theoriæ electricitatis et magnetismi ; c’est un in-4° imprimé à Pétersbourg.

M. votre frère a dû vous mander dans le temps l’obstacle qui s’opposait à votre projet pour l’obtention d’une bourse. À l’exception de celles qui sont à la nomination de quelques familles, ces bourses se disputent au concours, et M. votre frère m’a dit que l’enfant n’était point encore assez avancé pour s’y présenter : s’il y a quelque moyen de réussir dans la suite, j’y ferai, avec bien du plaisir, tout ce qui dépendra de moi et de mes amis. L’archevêque d’Aix est à présent à Paris ; vous aurez appris, par la gazette, le cordon bleu de son frère. C’est une grande joie pour eux, et, en effet, il était important qu’il eût cette petite fortune avant de présider aux États de Bretagne, pour qu’on n’y dise pas qu’il vendra la province pour avoir le cordon bleu. Sa santé est assez bonne.

Une autre nouvelle est l’arrivée de Voltaire à Paris, pour faire jouer sa nouvelle tragédie d’Irène ; je l’ai vu, et l’ai trouvé tel que je l’avais vu il y a dix-huit ans. Son arrivée fera un peu diversion aux disputes entre la musique de Gluck et celle de Piccini, qui ont divisé nos gens de lettres en deux partis aussi acharnés l’un contre l’autre que les jansénistes et les molinistes.

Vous m’avez demandé des nouvelles de Didon ; il était bien juste que mon nouveau loisir lui fût consacré ; aussi l’ai-je terminée entièrement, non sans quelque peine, car je n’avais jusque-là travaillé qu’à bâtons rompus, et quand j’ai voulu me commander de finir, j’ai vu que j’y perdais beaucoup de temps ; je ne suis pourtant point fâché d’avoir terminé ce travail, piquant par sa singularité.

M. de La Rochefoucauld a dû vous écrire sur la traduction du Voyage au nord de l’Écosse, que vous lui avez envoyée. Desmarets s’est chargé de veiller sur les gravures et sur l’impression ; malheureusement, Desmarets est un peu paresseux ; il se laisse prévenir sur sa découverte des volcans, et un nommé Faujas va nous donner la description de ceux du Veslay.

Je n’ai point eu occasion de voir M. de Vérac parce que depuis qu’il est ici j’ai été retenu plusieurs mois chez moi par la goutte ; j’espère cependant le voir avant son départ pour Copenhague. Je profite de l’occasion d’un voyageur qui retourne à Berlin, et qui mettra cette lettre à la poste en Allemagne.

Nous sommes depuis quelque temps incertains entre la paix et la guerre ; toutes les circonstances tendent à la guerre ; mais il est vraisemblable que les deux cours craignent de s’y engager. Je crois que, quoi qu’il arrive, les Américains sont à présent assurés de leur liberté…

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[1] Par De Boisgelin.

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