Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5
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1776
237. — OUVRAGES, PAMPHLETS, CHANSONS, ÉPIGRAMMES DE L’ANNÉE 1776.
I. — Pamphlets.
1. Le supplice de l’envieux, anecdote chinoise dans la Correspondance Métra (II, 416). C’est une réponse au pamphlet de Blonde contre de Vaines.
2. L’Ami du peuple français, ou Mémoire adressé à M. Turgot par le fils d’un laboureur. Limoges, 1776, in-8°.
3. Mémoires concernant l’administration des finances sous le ministère de M. l’abbé Terray, (Londres, 1776, in-18) reproduit sous le titre de : Mémoires de l’abbé Terray, Contrôleur général des finances, avec une relation de l’émeute arrivée à Paris en 1775.
(La relation contenue dans ces Mémoires est en général exacte.)
4. Les mannequins, conte ou histoire, comme l’on voudra. — (Ce pamphlet a été attribué, sans preuve d’ailleurs, à Monsieur, Comte de Provence ; il est possible qu’il soit sorti de son entourage. On y trouve le portrait ci-après de Turgot) :
« La Perse venait de perdre un bon Roi, c’était la meilleure pâte humaine que la nature eût pris plaisir à composer, mais elle ne s’était pas entendue avec les destinées qui, par une étrange méprise, en avaient fait un Roi…
Son successeur était dans cet âge heureux où le cœur est si vivement porté vers la gloire, si doucement ému par la sensibilité, où les intentions sont si bienfaisantes et la confiance si facile, qu’on espérait tout du jeune Sophi…
Le grand trésorier du dernier règne ne convenait pas aux mœurs du nouveau ; il avait le tort d’avoir sacrifié l’honneur à l’ambition…
Il y avait en Perse un homme gauche, lourd, épais, né avec plus de rudesse que de caractère, plus d’entêtement que de fermeté, plus d’impétuosité que de tact, plus d’inquiétudes que de vues. Charlatan d’administration, ainsi que de vertus, du reste, sauvage par amour-propre, timide par orgueil, aussi étranger aux hommes qu’il n’avait jamais connus qu’à la chose publique qu’il avait toujours mal devinée. Il s’appelait Togur. C’était une de ces têtes demi-pensantes, dont les réservoirs étaient ouverts à toutes les visions et à toutes les manies gigantesques : elles s’y établissaient si bien, qu’elles s’y incrustaient en quelque sorte. On le croyait profond, il n’était que creux. Mais des mœurs adaptées aux circonstances et aux mouvements dominants des esprits étaient faites pour séduire. Il rêvait nuit et jour philosophie, liberté, produit net ; c’étaient les délires à la mode, le cri du ralliement des prétendus penseurs. Togur était prôné, célébré par cette tourbe audacieuse qui maîtrise l’opinion des sots, et son nom, porté jusqu’aux pieds du trône par une échelle de petits échos, avait fait une espèce de fortune. »
5. Écrits de Voltaire. Lettre du Grand Inquisiteur de Goa à celui de la Chine.
Ce pamphlet contre le Parlement fut écrit lorsque la Diatribe au rédacteur des Éphémérides eut été condamnée au feu.
II. — Catalogue des livres nouveaux qui se trouvent chez l’abbé Baudeau, secrétaire perpétuel de la franche loge des économistes, sous la protection de M. Turgot, le très vénérable Grand Maître[1].
[Correspondance Métra, 1er janvier 1776.]
Paragraphe sur la patience de Louis XVI, par le très honnête et très puissant seigneur, M. de Vaines, lecteur du Roi.
Deux volumes sur le Moyen de s’enrichir aux dépens d’autrui, par les Srs Vaines et Lacroix.
Trois volumes, in 8°, pour servir d’interprétation à l’Arrêt du Conseil de septembre 1774, sur la Liberté du commerce des blés, par les frères Baudeau, Roubaud et Morellet.
Éloge de M. Turgot, par une compagnie de monopoleurs, brochure in-12 avec cette épigraphe :
Beati oculi qui vident quod non videtis.
Additions au Code Français ou nouveaux moyens pour faire tous baux, contrats, et autres traités quelconques, tant avec le Roi qu’avec les particuliers, ouvrage fait par M. Turgot, revu et corrigé par les frères de Vaines et Lacroix.
La pudenda, ou nouveau projet de messageries au profit du frère la Croix, ouvrage composé par un trépassé en Prusse.
Antigunaika, ouvrage composé par M. Turgot, avec une préface du frère orateur Diderot.
Lettres du petit Albert à son arrière-cousin le lieutenant de Police de Paris avec cette épigraphe :
« En l’autre monde hélas ! je formais des souhaits
Vous êtes, etc., etc., etc…. »
Consultation de médecine sur les délires de M. Turgot, lorsqu’il était intendant de Limoges et moyens inutiles employés à sa guérison.
L’homme au masque, ou l’art de paraître ce qu’on n’est pas, ouvrage dédié à M. Turgot. 2 vol. in-12.
Le ministre des postes, ou les préjugés ramenés, avec cette épigraphe :
Nuls aux Conseils des rois ne pourront être admis
S’ils ne sont reconnus pour être nos amis.
Préceptes de Gouvernement, par M. d’Alembert, avec cette épigraphe :
Un roi qui fait son devoir, est le plus malheureux des Rois.
Le nouveau Machiavel ou entretien nocturne des frères Turgot, d’Albert et du Maréchal de Biron.
Le cadastre ou nouveaux moyens de frapper les fondements de la monarchie française, ouvrage composé par M. Turgot.
La nouvelle tactique de Jean Farine, mise en exécution par Charles Sanson, exécuteur des hautes œuvres, sous les ordres du maréchal de Biron.
Le voyage du Tremblay ou lettres cabalistiques entre le vénérable Turgot et le frère de Vaines.
Projet présenté au Roi, par la franche loge des économistes pour faire agréer à S. M. leurs instituts et pour les faire succéder à ceux de la compagnie des Jésuites, attendu l’intimité et les rapports qui se trouvent entre les principes d’Ignace et ceux des frères économistes.
Les cinquante Martyrs de l’Isle Adam, ou le gouvernement de M. Turgot.
L’anticolbert, ou les moyens de détruire le commerce et les manufactures de France, par M. Turgot.
Voyage du petit Trudaine dans les pays étrangers, avec la relation de ses aventures en Hollande, ainsi que l’histoire qui arriva à Utrecht à M. le grand maître de sa Maison, pour avoir voulu faire donner à un Batave en paiement cent coups de canne, à quoi sont jointes les réflexions de M. de Trudaine sur les Hollandais, au sujet de la correction donnée au maître et au valet par les magistrats d’Utrecht.
Les regrets de M. Trudaine, ou l’intrigue manquée, ouvrage composé par M. de la Vrillière, la Sabathin, et M. de Trudaine. 2 vol. in-12 sans privilège.
Les intrigues ou la manière d’abuser de la confiance du Roi, ouvrage classique par MM. Turgot, Diderot et d’Alembert. 9 volumes, in-8°.
Progrès de la raison ou recherches du vrai, par M. Turgot, avec cette épigraphe :
Tous les hommes ne sont que des instruments passifs entre les mains des ministres, et ces derniers peuvent disposer à leur gré de la vie de tous les êtres.
La passion de la gloire, ou le moyen d’en acquérir sans beaucoup de vertu, ouvrage par M. Turgot.
Les contradictions, ou remèdes de M. Turgot sur la réputation future. 10 volumes in-8°.
L’intendant de Limoges à Paris, ou la vie est un songe, dédié M. Turgot.
Le philosophe moderne, ou moyens de secouer les préjugés honnêtes, par le frère de Vaines, dédié à M. Turgot.
Commentaire de M. Turgot sur les mots : justice, liberté, humanité et patriotisme. Il prouve que ces mots n’étaient que des êtres imaginaires qui ont toujours été inconnus au Prince de Machiavel et à lui.
Les mondes modernes ou les éléments du despotisme oriental adaptés au gouvernement français, par M. Turgot.
Lettres de l’ombre de Wolf à M. Turgot, où il lui offre ses services pour prouver aux Français que, malgré toutes les sottises qu’il fait, qu’il a faites, et qu’il fera, tout est bien. 7 vol. in-12.
Le Télescope ou la Philosophie des Gouvernements modernes, par Diderot et d’Alembert.
L’instinct de la nature ou l’art de conserver certains êtres par la destruction des autres, principe mis en pratique par MM. le Maréchal de Biron, Turgot et d’Alembert.
Lettre de M. Turgot au frère de Vaines sur les médisances que le public se permet contre lui.
Lettre de l’ombre de Cartouche au frère de Vaines, avec cette épigraphe :
Toute l’adresse git à bien cacher son jeu.
Vous possédez cet art, mon sublime neveu.
Excommunication prononcée par la sublime loge de la franche économie, le très vénérable Turgot présent, contre M. Linguet pour avoir divulgué les secrets de l’ordre et fait voir la lumière aux profanes.
Projet de médailles pour les frères économistes, avec cette légende :
Post lucem tenebrœ.
Réponse de M. Turgot aux parents des deux victimes qui ont été justiciées pour avoir pris dit pain, avec cette épigraphe :
La raison du plus fort est toujours la meilleure.
Discours de M. Turgot au conseil du Roi, lors des émeutes qu’il y eut pour la cherté des blés dans le Royaume. L’exorde commence ainsi : « Il est notoire, Sire, que ce sont mes ennemis qui fomentent ces émeutes et il faut, en attendant qu’on les connaisse, punir sans distinction. Vos sujets ont encore trop d’aisance, et les particuliers trop de richesses. J’ai d’excellents moyens pour ployer toute cette populace et l’accoutumer au joug. Le plus fort rempart d’un monarque, c’est la pauvreté de ses sujets ; une fois accoutumée à ramper, la nation fera par devoir ce qu’elle faisait par amour pour son Prince. Il faut que V. M. croie que la sagesse réside avec toute sa splendeur dans les principes des économistes et de moi, et qu’elle se soumette avec toute raison aux décrets émanés de notre scientifique loge. »
Le coup de Jarnac ou les ruses découvertes, ouvrage de M. de Sartine, dédié à M. Turgot.
Correspondance entre M. d’Oigny et M. Turgot ou… Surintendance des Postes.
La censure moderne ou le manuscrit volé, ouvrage de M. Turgot, dédié à Me Linguet.
III. — Poèmes.
Épître à Turgot par Voltaire
Philosophe indulgent, ministre citoyen,
Qui ne cherche le vrai que pour faire le bien,
Qui d’un peuple léger, et trop ingrat peut-être,
Préparais le bonheur et celui de son maître,
Ce qu’on nomme disgrâce a payé tes bienfaits.
Le vrai prix du travail n’est que de vivre en paix.
Ainsi que Lamoignon[2], délivré des orages,
À toi-même rendu tu n’instruis que les sages ;
Tu n’as plus à répondre aux discours de Paris.
Je crois voir à la fois Athènes et Sibaris
Transportés dans les murs embellis par la Seine ;
Un peuple aimable et vain, que son plaisir entraîne.
Impétueux, léger et surtout inconstant,
Qui vole au moindre bruit et qui tourne à tout vent,
Y juge les guerriers, les ministres, les princes,
Rit des calamités dont pleurent les provinces,
Clabaude le matin contre un édit du Roi,
Le soir s’en va siffler quelque moderne, ou moi,
Et regrette à souper, dans ses turlupinades,
Les divertissements du jour des barricades.
Voilà donc ce Paris, voilà ces connaisseurs
Dont on veut captiver les suffrages trompeurs ! …
Sur Necker par Voltaire.
Je l’aimai lorsque dans Paris
De Colbert il prit la défense,
Et qu’au Louvre il obtint le prix
Que le goût donne à l’éloquence.
À M. Turgot j’applaudis,
Quoiqu’il parût d’un autre avis
Sur le commerce et la finance.
Il faut qu’entre les beaux esprits,
Il soit un peu de différence :
Qu’à son gré chaque mortel pense
Qu’on soit honnêtement en France
Libre et sans fard dans ses écrits.
On peut tout dire, on peut tout croire ;
Plus d’un chemin mène à la gloire
Et quelquefois au paradis.
Les « Mois » par Roucher.
…Tu le savais aussi[3], toi qui nous as fait voir
L’âme d’un citoyen au séjour des esclaves ;
Turgot, sage Turgot ! De cruelles entraves
Enchaînaient dans leur course et Bacchus et Cérès.
Quelle main osera les venger ? Tu parais,
Et soudain je les vois, pour enrichir le prince,
Librement circuler de province en province
Le commerce renaît, prend un vol plus hardi,
Et les moissons du Nord nourrissent le Midi.
Ministre, de qui Rome eût adoré l’image,
Au nom du laboureur, je viens te rendre hommage,
Ton éloge en ce jour me doit être permis.
Quand la faveur des rois te faisait des amis,
Je me suis tu ; mon vers, suspect de flatterie,
Eût été vainement l’écho de la patrie.
Mais lorsque tu n’as plus d’autre éclat que le tien,
Lorsque de ton pouvoir mon sort n’attend rien,
Je puis, libre de crainte ainsi que d’espérance,
Bénir mon bienfaiteur et l’ami de la France.
IV. — Chansons.
1
Les édits de Turgot.
(Chansonniers historiques, IX, 82.)
Enfin, j’ons vu les édits
Du Roi Louis Seize;
En les lisant à Paris
J’ons cru mourir d’aise ;
Nos malheurs ont eu leur fin,
Ça, chantons le verre en main
Vive Louis Seize
O gué,
Vive Louis Seize !
Je n’irons plus aux chemins,
Comme à la galère,
Travailler soir et matin
Sans aucun salaire ;
Le Roi, je ne mentons pas,
A mis la corvée à bas.
Oh ! la bonne affaire.
Il ne tient qu’à nous demain
En toute franchise,
D’aller vendre bière et vin
Tout à notre guise ;
Chacun peut, de son métier,
Vivre aujourd’hui sans payer
Jurés, ni maîtrise, …
On dit que le Parlement
Dedans cette affaire,
Aux vœux du Roi bienfaisant
Se rendit contraire.
Du peuple pauvre et souffrant,
Le père, il se dit pourtant :
Le beau fichu père, …
2
Le système de Turgot.
Inonder l’État de brigands,
Multiplier les mendiants,
Des malheurs augmenter la somme
Et soulever les paysans
Sont des résultats effrayants
Du système de ce grand homme,
Dont les fous sont partisans.
Riez, chantez, peuple de France,
Vous recouvrez la liberté ;
Quant à votre propriété,
Le prince en garde la finance
Et de ce fortuné bienfait,
Zéro sera le produit net.
3
Le Ministère de Turgot.
Sous le ministère Turgot
Nous vivons à l’aventure
Sans savoir quoi mettre au pot,
Turelure,
Ne buvant que de l’eau pure,
Robin turelurelure.
Le ministre gros et gras
Et d’une épaisse encolure
Veut détruire tous États,
Turelure,
Même la magistrature, …
Sous le règne de Louis
Nous n’aurons plus de dorure,
Son ministre nous réduit,
Turelure,
À nous habiller de bure,
Condorcet, son chevalier,
Mais de fort triste figure,
Prétend pouvoir allier,
Turelure,
Avec le vrai l’imposture, …
On y remarque ces mots :
Danville a forcé nature
Pour convaincre tous les sots,
Turelure,
Qu’on n’entend pas la culture, …
Morellet ab hoc, ab bac,
Met son esprit en torture
Pour nous prouver que d’un sac,
Turelure,
On tire double mouture, …
Baudeau, le plus fortuné
De cette manufacture
Nous dit en illuminé,
Turelure,
Hors le Roi tout est roture, …
Ô royaume infortuné,
Dans quelle mésaventure
Turgot t’a-t-il plongé,
Turelure,
Toi et ta race future, …
4
La Philosophie Turgotine[4].
[Gravure, 4 p., s. l. n. d. Chansonniers historiques, IX, 86.]
Vivent tous mes beaux esprits
Encyclopédistes
Du bonheur français épris,
Grands économistes ;
Par leurs soins au temps d’Adam
Nous reviendrons, c’est leur plan,
Momus les assiste,
Ô gué,
Momus les assiste,
On verra tous les États
Entre eux se confondre,
Les pauvres sur leurs grabats
Ne plus se morfondre.
Des biens on fera des lots
Qui rendront les gens égaux ;
Le bel œuf à pondre…
Puis devenus vertueux
Par philosophie.
Les Français auront des dieux
À leur fantaisie.
Oui, nous verrons un oignon
À Jésus damer le pion ;
Ah ! quelle harmonie !
Ce n’ai pas de nos bouquins
Que vient leur science :
Eux seuls, ces fiers paladins,
Ont la sapience.
Les Colbert et les Sully
Nous paraissent grands, mais fi !
Ce n’est qu’une ignorance.
Du même pas marcheront
Noblesse et roture ;
Les Français retourneront
Au droit de nature.
Adieu, Parlement et lois,
Les princes, les ducs, les rois,
La bonne aventure.
Alors d’amour sûreté
Entre sœurs et frères,
Sacrements et parenté
Seront des chimères.
Chaque père imitera
Noé quand il s’enivra ;
Liberté pleinière…
Puissent des novations
La fière séquelle
Nous rendra des nations
Le parfait modèle !
Et cet honneur nous devrons
À Turgot et ses compagnons
Faveur immortelle !
À qui devrons-nous le plus ?
C’est à notre maître,
Qui, se croyant un abus,
Ne voudra plus l’être.
Ah ! qu’il faut aimer le bien
Pour de roi n’être plus rien !
J’enverrais tout paître,
Ô gué,
J’enverrais tout paître !
5
Les Ministres.
[Chansonniers historiques, IX, 94.]
Que notre roi consulte Maurepas.
Qu’il soit son mentor et son guide,
Qu’à tous les conseils il préside,
Cela ne me surprend pas ;
Mais qu’à Turgot ce mentor s’abandonne,
Qu’il laisse ce ministre fou,
Dont tout le public est si soul,
À notre État casser le cou,
C’est là ce qui m’étonne.
Que Lamoignon trouve aussi peu d’appas
Au ministère qu’il occupe
Qu’aux amusements de la jupe,
Cela ne me surprend pas ;
Mais qu’un mortel qui pense et qui raisonne.
Qui n’est ni bête, ni cagot,
Se laisse traiter d’ostrogoth
Pour soutenir son cher Turgot,
C’est là ce qui m’étonne.
6
Turgot.
[Chansonniers historiques, IX, 100.]
Fougueux, vain, rétif et brutal,
Il mord, il rue, il heurte, il casse ;
Est-ce un mulet ? est-ce un cheval ?
Point du tout, c’est un homme en place.
Un peu d’avoine, un peu de foin
Mènent un ministre bien loin.
Esprit, savoir, vertu, bon sens,
Il croit que c’est son apanage ;
Mais il veut les garder longtemps,
Car il en fait fort peu d’usage.
Voulant nous donner du nouveau,
Il unit dans son ministère,
Pour chancelier, l’abbé Baudeau,
Et pour subdélégué Voltaire.
Rien de rien, tout mal, calcul fait,
Voilà, soit dit, sans nul reproche,
De ses projets le produit net,
Aussi s’en va-t-il par le coche :
Un peu d’avoine, un peu de foin
Mènent un ministre bien loin.
7
La disgrâce de Turgot.
[Chansonniers historiques, IX, 102.]
En tout temps, en tous lieux à se nuire acharnés
Légers, méchants, cruels, pusillanimes,
Par le crime ou l’erreur les mortels entraînés
Sont dupes ou fripons, oppresseurs ou victimes.
Qui les rendra jamais meilleurs ou plus heureux ?
Les insensés repoussent la lumière ;
Que reste-t-il à l’homme vertueux,
Quand, au bout d’une longue et pénible carrière,
Sur ses travaux il détourne les yeux ?
Des regrets près de lui dans un calme stupide,
Les objets de ses soins demeurent endormis
Et soumettent un col timide
Au joug qui les tient asservis.
Le crime cependant, l’intérêt et l’envie
Veillent pour exciter le désordre et l’abus,
Et la vertu du sage, inutile, avilie,
Est pour la fraude active un triomphe de plus.
Toi, qui promis de beaux jours à la France,
Qui fis marcher la Liberté
Sur les pas de la Bienfaisance
Et près du trône asseoir la Vérité ;
Quant à l’homme de bien tu rendais l’espérance,
Quand le pervers épouvanté,
Poursuivi par l’intégrité,
Voyait approcher la vengeance ;
Par une douce erreur séduit
Au bonheur enfin j’osais croire ;
Prestige trop flatteur qu’un instant a détruit,
Dont je conserve à regret la mémoire,
Et qu’il faut oublier puisqu’il s’évanouit.
Il est donc vrai ! toute illusion cesse,
Le bien n’est parmi nous connu, ni désiré ;
L’homme, artisan de sa détresse,
À des tyrans s’est lui-même livré.
J’ai vu de nos revers le plus triste présage,
Oui, j’ai vu le méchant triomphant, honoré,
Jouir des disgrâces du sage,
Et du malheur public qu’il avait préparé ;
Je l’ai vu prêt à ressaisir sa proie.
Que contre lui défendaient les vertus ;
Par les cris insolents d’une odieuse joie
Nous annoncer, Turgot, qu’il ne te craignait plus.
Le vil brigand qui cache au fond de sa tanière
Ce que son crime lui produit,
Du jour qui nous protège adore la lumière
Il triomphe dès qu’il fait nuit.
8
Deux gens de Bien.
[Chansonniers historiques, IX, 104.]
Deux gens de bien se trouvaient à Versailles ;
Deux à la fois, c’était grande trouvaille ;
Aussi chacun était émerveillé,
Mais tout fripon craint d’être surveillé :
Des Parlements la vénale canaille,
Des financiers la basse valetaille,
D’Oigny, Sartines et la fourbe prêtraille,
Ont si bien fait que l’on a renvoyé
Deux gens de bien.
Allez, fripons, et faites bien ripaille ;
La Cour sera votre champ de bataille.
Pour vous exprès tout y sera trié :
Ministres, ducs, tout est appareillé ;
Grâce à vous, il n’est plus à Versailles
Deux gens de bien.
9
Sur les Ministres.
[Correspondance Métra, II, 405.]
M. de Malesherbes fait tout.
M. de Sartines doute de tout.
M. Turgot brouille tout.
M. de Saint-Germain renverse tout.
M. de Maurepas rit de tout.
—————
[1] Ce catalogue paraît être une parodie de celui qu’avait dressé Turgot à Limoges pour sa fausse bibliothèque.
[2] Malesherbes.
[3] « Que l’agriculture est le premier des arts. »
[4] D’après l’affirmation de Barbier, la philosophie turgotine aurait été composée par J. B. Vic de l’Isle.
D’après Soulavie, elle aurait été colportée en 1776 par le Conseiller d’Amécourt, à qui Maurepas aurait abandonné Turgot. — Soulavie parle aussi des Trois Maries, « insulte gratuite contre trois femmes respectables, la duchesse d’Enville, Mme Blondel et Mme de Marchais ».
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