Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5
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1776
233. — ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Élection de Turgot.
Dans les premiers jours de février, mourut à l’âge de 92 ans le duc de Saint-Aignan, beau-frère de Turgot. Ancien militaire, ancien ambassadeur à Rome, ancien gouverneur de Bourgogne, petit poète dans sa jeunesse, et traducteur d’Horace, il était membre de l’Académie française depuis 1727 et honoraire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres depuis 1732.
Aussitôt après le décès du duc, des amis du Contrôleur général songèrent à poser sa candidature à la place devenue vacante à l’Académie française.
« Dans le moment où la voix du public, qui n’est pas la voix publique, est contre tous, lui écrivit Saint-Lambert, il serait fort agréable aux gens de lettres de vous donner une marque de vénération. »
Turgot déclina cette offre.
Sa candidature aurait excité contre lui les ennemis des philosophes dont il serait devenu le protégé. Voltaire écrivit à d’Alembert le 8 février : « Si vous ne choisissez pas M. Turgot, prendrez-vous M. de La Harpe ? Il nous faut un homme qui ose penser, soit ministre, soit poète français. »
Turgot n’avait pas les mêmes motifs de s’abstenir pour la place d’honoraire à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Cette compagnie qui comptait quarante membres, dont dix pensionnaires, vingt associés et dix honoraires, sans parler de quelques vétérans et de quelques étrangers, académiciens libres, était surtout composée d’érudits.
Ses amis savaient qu’il avait fait beaucoup de traductions, soit en prose, soit en vers, non seulement du latin et du grec, de l’anglais et de l’allemand, mais de l’italien et de l’hébreu, notamment celle du Cantique des cantiques.
Le service funèbre du duc de Saint-Aignan se fit le 13 février. Le 20, Turgot alla rendre visite au secrétaire perpétuel de l’Académie, Dupuy ; ne l’ayant pas trouvé, il lui écrivit la lettre ci-après :
Première lettre au secrétaire perpétuel.
20 février.
J’ai eu l’honneur, M., de passer chez vous hier, mon dessein était de vous parler des vues que m’a fait naître la place que laisse vacante à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, feu le duc de Saint-Aignan, mon beau-frère. Indépendamment de mon goût pour les lettres, j’ai peut-être quelques titres auprès de cette Académie ; mon père avait l’honneur d’en être. J’aurais désiré, dès lors d’y entrer en qualité d’associé ; dans l’occasion qui se présente, je serais très flatté du suffrage des savants qui composent l’Académie. Je vous serai très obligé de vouloir bien prévenir de mon vœu ceux de ces Messieurs que vous aurez occasion de voir ou de m’indiquer les démarches que je dois faire auprès de vous.
Dupuy alla aussitôt voir Turgot. Le Contrôleur général lui déclara qu’il voulait, autant que possible, suivre l’usage des visites ; mais lorsque le secrétaire perpétuel eut rapporté ce propos à ses collègues présents à la séance du vendredi 23 février, la plupart d’entre eux furent d’avis qu’en raison de la santé du ministre et de la multitude de ses affaires, il devait être dispensé de cette formalité.
En outre, l’élection fut, sans tarder, mise à l’ordre du jour ; elle eut lieu le mardi 27.
L’assemblée fut plus nombreuse que d’habitude. Les honoraires venus étaient le duc de Nivernois, le marquis de Paulmy, le duc de la Vrillière, de Laverdy et Bertin. Parmi les absents étaient Maurepas, Malesherbes, ministre de qui l’Académie dépendait, le président d’Ormesson et le cardinal de Bernis.
Turgot remercia par la lettre ci-après :
Deuxième lettre au secrétaire perpétuel.
Je reçois, M. la lettre par laquelle vous avez la bonté de m’annoncer l’honneur que l’Académie des Belles-Lettres m’a fait de me choisir. Je vous prie d’être auprès de mes nouveaux confrères l’interprète de mes sentiments et du désir que j’ai de pouvoir leur témoigner ma reconnaissance dans leurs assemblées.
À la séance, le sort désigna Dacier « pour faire l’évangéliste », autrement dit, pour recueillir les voix. Turgot fut élu à la pluralité.
Mais la hâte avec laquelle le secrétaire perpétuel avait procédé, moins de huit jours entre la candidature et l’élection, moins de quinze jours entre l’enterrement du membre défunt et la nomination de son remplaçant, avait choqué quelques membres. Aussitôt après la proclamation du vote, fut mise en délibération la question de savoir dans quel délai auraient lieu dorénavant les élections. Il fut décidé que ce serait un mois au moins après le décès du titulaire.
Le 5 mars, le Roi ratifia le choix de l’Académie. Le 16 avril, Turgot assista à la séance publique.
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