Œuvres de Turgot – 232 – Affaires de Cour

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

232. — AFFAIRES DE COUR

I. — Incendie du Palais de Justice[1].

Lettres de Louis XVI.

[A. L., original. — E. Dubois de l’Estang, Turgot et la famille royale.]

Première lettre.

Versailles, 12 janvier.

J’approuve très fort votre idée, M. ; elle m’était venue en même temps ; mais je veux que cet argent là soit de ma poche ; j’en ai assez pour cela. Vous l’enverrez toujours à M. Albert et je vous rembourserai après. Il faut qu’il le distribue entre ceux qui auront perdu leur bien ou qui auront été estropiés dans l’incendie. Je suis bien fâché que la goutte vous retienne toujours, à la vérité il fait un temps bien propre à gagner des maladies.

Deuxième lettre.

s. d.

Je suis bien fâché, M., que votre goutte vous ait repris ; j’espère qu’elle ne vous fera pas tant souffrir que la première fois. Je vous envoie le billet de M. de Peauze[2].

II. — Maison du Roi.

(Rapport de Malesherbes).

(Maurepas avait eu connaissance d’un projet de réforme de la Maison du Roi qui présentait pour l’avenir une économie de 14 millions, mais qui, pour la nécessité des remboursements, des charges, des pensions et des indemnités, ne devait procurer pour le moment que 5 millions et 6 millions en comptant les intérêts. (D. P., Mém., 317[3].)

Soulavie a trouvé dans les papiers des Tuileries et a publié (Mém., II, 337) un Mémoire de Malesherbes au Roi[4], dans lequel on lisait :

« Le Roi est parvenu au trône dans un moment où l’économie était demandée par le vœu général de son Royaume, épuisé par les dissipations des derniers règnes…

« On reconnut en lui les deux vertus les plus opposées aux dissipations, la justice et un amour inné pour l’ordre et la règle.

« Il ne faut pas que le Roi ignore que les acclamations, si générales et si flatteuses, qui ont éclaté lors de son avènement, ont été dues en grande partie à l’opinion qu’on a conçue de lui à cet égard…

« De toutes les dépenses, celle sur laquelle on demandait le plus d’économie et de réformation, c’était celle de la Maison du Roi.

« J’ose l’assurer, qu’excepté les seules personnes qui composent la Cour, personne ne lui sait gré de ce pompeux appareil qui l’environne, et que l’extérieur le plus simple, le retranchement de tout faste et de toute superfluité ne fera qu’augmenter la vénération qu’il inspirera à ses sujets et aux étrangers.

« La réformation des dépenses dans cette partie est donc la plus généralement désirée, c’est celle qui fera le plus d’honneur au Roi, et dont les peuples auront le plus de reconnaissance, parce qu’elle lui est personnelle. En effet, elle ne peut être l’ouvrage d’un ministre, car il faut que le Roi lui-même consente, avec connaissance de cause, à chacun des sacrifices qu’il faudra faire ; c’est celle qui donnera l’exemple de l’économie, qu’il est si nécessaire d’apporter dans les autres parties de l’administration. C’est celle aussi qui établira sur une base solide le crédit si nécessaire aux finances.

« C’est ce que je pensais, avant d’être appelé auprès de la personne du Roi, et ce n’est point une façon de penser qui me soit personnelle, ce n’est point ce qu’on appelle aujourd’hui un système, c’est la façon de penser de la France entière et de l’Europe, à l’exception des personnes de la Cour, qui malheureusement sont les seules qui approchent du Roi.

« S. M. a jugé à propos de m’appeler au ministère, et de me donner le département de sa Maison : elle sait avec combien de répugnance je m’en suis chargé, et qu’il a fallu un ordre exprès de sa part dans lequel elle a bien voulu me marquer que ce serait pour un temps fort court.

« Sans entrer aujourd’hui dans toutes les causes de mon éloignement d’une place aussi éminente, une des principales était la nécessité de cette réformation et le peu d’aptitude que je me sentais pour ce travail, qui n’a aucun rapport avec celui que j’ai fait toute ma vie. Je m’expliquai là-dessus avec M. de Maurepas et avec M. le Contrôleur général, et le Roi ne l’a pas ignoré.

« On me répondit que je serais dispensé de ce soin, qu’un plan général de réformation économique de la maison du Roi serait fait par ordre de M. le Contrôleur général et présenté au Roi et qu’après son approbation, l’exécution seule concernerait mon département ; mais il m’était aisé de prévoir que cette exécution ne commencerait qu’après que je serais sorti du ministère.

« Le projet de faire faire le plan de réforme de la Maison du Roi par des personnes étrangères à cette administration avait des avantages et des inconvénients : l’avantage vient de ce qu’il est difficile qu’un homme élevé dans la Maison du Roi, imbu des principes qui y règnent, attaché à de certains préjugés, chers à ceux qui vivent dans l’atmosphère de la Cour, tranche dans le vif sur de certains abus, qui, à ses yeux, sont des lois fondamentales. L’inconvénient vient aussi de ce qu’il est bien difficile qu’un homme qui n’est pas versé dans les détails de cette administration ne se trompe pas sur beaucoup d’objets, malgré l’exactitude des mémoires qu’on lui fournit.

« Au reste, le plan de M. le Contrôleur général aurait pu être modifié par ceux qui connaissent mieux le service de la Cour, et d’après mes conventions, je me reposais sur ce travail et j’en attendais le succès, quand M. le comte de Saint-Germain a été nommé ministre de la guerre. »

III. — Pension de Mme D’Andlau.

Une pension de 6 000 livres fut accordée à Mme d’Andlau, tante de la comtesse Jules de Polignac, et jadis sous-gouvernante de Madame Adélaïde. Mme d’Andlau avait été renvoyée pour avoir prêté à son élève un mauvais livre.

Turgot fit au sujet de cette pension des oppositions ; la pension fut néanmoins donnée. L’usage étant, quand on recevait une grâce, de remercier le ministre, la Reine décida que la comtesse écrirait à Turgot. Celui-ci répondit :

« Je ne reçois point, Madame, vos remerciements pour une grâce à laquelle je n’ai point de part… »

La Reine fut piquée ; elle voulut que la comtesse de Polignac répliquât et lui ordonna de lui apporter la minute de sa lettre ; la comtesse obéit avec peine ; la Reine, trouvant la lettre trop douce, alla chez le Roi ; entre eux deux, ils firent un modèle que la comtesse ne voulut pas écrire comme étant trop déplacé ; sur la volonté absolue de la Reine et du Roi, elle fit partir cette lettre.

Turgot ne se plaignit pas au Roi et ne parla pas même de l’incident à ses amis (Journal de Véri.).

« On a été révolté, dit Mercy, de voir gratifier cette dame qui n’a aucun titre, et serait outrée sans la cause de sa disgrâce. »

IV. — Affaire du Comte de Guines.

Le Roi eut connaissance par l’interception d’une faute grave de cet ambassadeur. Dans une lettre au prince de Masseran, ambassadeur d’Espagne à Londres, il l’avertissait en ami, qu’il avait la certitude, par des espions, que les grands préparatifs de terre et de mer que l’on paraissait faire à Londres contre les colonies d’Amérique étaient destinés au Mexique qui appartenait à l’Espagne. Le Roi s’attendait à trouver le même avis dans les dépêches officielles de son ambassadeur. Il n’en fut rien.

Choiseul, instruit de la chose, dit qu’il n’attendrait pas, si cela dépendait de lui et si les faits étaient vrais, pour révoquer De Guines. Il dissuada même le duc d’Orléans de faire des démarches auprès du Roi en sa faveur. Mais il fit en même temps sonder l’ambassadeur d’Espagne pour savoir si sa Cour se plaignait de De Guines, et M. d’Aranda dit ouvertement qu’on impliquait mal à propos sa Cour dans cette affaire.

Choiseul, changeant alors de langage, dit que De Guines était innocent. Le troupeau de femmes et de parleurs de même acabit qui étaient à la dévotion de Choiseul à la Cour, crièrent que c’était une intrigue atroce de Malesherbes et de Turgot pour plaire à Mme de Maurepas.

La Reine, à la suite d’une conversation avec Malesherbes, comprit pourtant la nécessité de révoquer De Guines, mais elle ne voulut pas dire la première au Roi ce qu’elle pensait. Maurepas, en raison de ce que De Guines était l’ennemi du duc d’Aiguillon, neveu de Mme de Maurepas, ne voulut pas non plus prendre l’initiative. Vergennes louvoyait[5], Turgot et Malesherbes délibérèrent de prendre sur eux le danger ; Vergennes en serait averti ; puis Turgot, dont le travail avec le Roi était prochain, s’en ouvrirait avec lui.

Turgot rapporta donc au Roi la conversation de Malesherbes avec la Reine et proposa d’appeler Maurepas ou Vergennes pour les mesures à prendre ; le Roi déclara qu’il parlerait seul à Maurepas et à la Reine. Une semaine se passa. Maurepas et Vergennes furent d’avis qu’on laissât la Reine et le Roi faire leurs volontés. Turgot écrivit alors une lettre raisonnée au Roi[6], où il lui parla en même temps des finances. Son travail ordinaire du dimanche soir, avant le conseil d’État, devait avoir lieu peu de temps après. Il était résolu à ne pas se taire si le Roi gardait le silence, mais le Roi lui dit avoir parlé à la Reine et avoir décidé de rappeler De Guines.

« Je vous suis obligé, lui dit-il ; c’était aussi trop ridicule de le laisser en Angleterre. » (Journal de Véri, janvier.)

Les ministres ne voulurent pas attendre le retour du comte pour que son successeur fût désigné, mais lorsqu’ils pressèrent le Roi, il leur dit qu’il avait promis à la Reine de ne pas donner à De Guines de successeur avant son arrivée ; il ajouta qu’il ne le renverrait pas à Londres.

Or, la Reine avait été retournée par Choiseul. Les menées du duc et de son parti tendaient à faire obtenir à De Guines de la part de la Reine une réception signalée et de la part du Roi une justification authentique (même Journal, février).

L’arrivée de De Guines ne fit point cependant à Versailles la rumeur que le parti Choiseul voulait susciter. La Reine se résolut au silence, tout en restant persuadée que la conduite de Malesherbes et de Turgot était l’effet d’une vue d’intrigue.

Peu de temps après, le Roi adressa à l’ancien ambassadeur une lettre honorable sans consulter aucun ministre, et par pure complaisance pour sa femme (même Journal, avril). Puis le comte fut fait duc.

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[1] Cet incendie (nuit du 10 au 11 janvier) consuma tous les bâtiments qui s’étendaient de la Galerie des prisonniers à la Sainte-Chapelle.

[2] Le mot est peu lisible. Il s’agit probablement de Peauze, fermier général, sur qui était tiré un billet.

[3] D’après la Correspondance Métra (10 août 1775), ce serait le duc de La Vrillère qui aussitôt après avoir pris sa retraite, aurait fait parvenir au Roi un long mémoire renfermant un plan de réforme. Le Roi aurait communiqué ce mémoire à Malesherbes. Celui-ci aurait reconnu qu’il renfermait des vues justes et sages.

[4] Boissy d’Anglas (Vie de Malesherbes) a considéré cette pièce comme authentique.

[5] Dans une lettre au Roi du 4 mars, Vergennes avait dit :

« Quoiqu’une déclaration aussi inconsidérée justifie complètement le parti que V. M. a pris de rappeler son ambassadeur, elle jugera dans sa haute sagesse s’il ne serait sans inconvénient de dévoiler un motif qui, quoique légitime, paraîtra frivole aux amis de M. de Guines, et qui, devenant bientôt le sujet des conversations de Paris, sera incessamment celui de toute l’Europe. »

[6] Lettre non retrouvée.

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