Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5
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1776
219. — LES FINANCES EN 1776
I. — Situation générale d’après les Mémoires de Du Pont.
Au commencement de 1776, Turgot mit sous les yeux du premier ministre et du Roi l’état des améliorations faites dans le revenu et celui des économies apportées dans la dépense.
Pour le revenu (non compris la Régie des Messageries) les améliorations montaient à 2 982 967
Les économies s’élevaient à 6 075 714
Total 9 058 714 l.
Dans cette somme il y avait 5 750 600 l. pour les frais de banque, de courtage, de commissions et de services des Trésoriers ou Receveurs.
Depuis la paix de 1763, ces ‘sortes’ de frais avaient consommé 95 548 000 l., soit par année commune 8 686 000 l.
Ils n’ont coûté dans l’année de l’administration de M. Turgot que 3 040 000 l.
Ayant fait un effort pour donner des acomptes considérables aux créanciers de la dette exigible arriérée, pour rembourser les anticipations, et pour rapprocher le paiement des rentes sur la ville, auxquelles il fut donné 2 000 000 l. d’extraordinaire en 1775 et 2 000 000 l. en 1776, il releva le crédit au point que les Rescriptions ayant repris faveur, le Trésor pouvait les négocier directement avec le public.
Cela n’avait d’autre inconvénient que d’exciter l’inimitié de ceux qui aveint fondé leur fortune sur les anticipations et sur les manœuvres de banque qui en étaient la suite.
Les anticipations avaient été au 1er janvier 1775 de 78 250 000 l.
Au 31 décembre, elles n’étaient plus que de 50 480 000
Diminution 27 770 000 l.
Il avait été remboursé sur la dette constituée à différents taux d’intérêt 20 233 081 l. s
sans compter 3 600 000
de billets des fermes que les fermiers généraux étaient chargés d’acquitter sur le prix de leur bail, soit au total 23 833 081 l.
Ces remboursements, joints à celui des anticipations, éteignaient une somme d’intérêts annuels de 3 249 453 l.
Comme dans les fonds extraordinaires qui avaient permis de les effectuer se trouvaient 10 000 000 l.
venant des fonds d’avance des deux Régies des Hypothèques et des Domaines et 5 560 000
provenant d’une vente de Rescriptions et de billets des fermes, soit au total 15 560 000 l.
lesquelles coûtaient en intérêts 818 000 l.
le soulagement réel était de 2 431 453 l.
et il fallait ajouter, à cette somme, d’autres diminutions, savoir :
Améliorations diverses 2 982 967
Économies indiquées ci-dessus 6 075 747
Produit de la Régie des Messageries à ajouter au rapport de l’année suivante 1 500 000
Les opérations de 1775 avaient donc amélioré la situation des finances de 12 990 167 l.
ou en nombre rond 13 000 000 l.
Sur cette somme, avaient été réalisés en 1775 : 7 819. 418 l. qui avaient servi, soit à couvrir d’autant le déficit, soit à opérer des remboursements extraordinaires. Le surplus (5 170 749 l.) ne pouvait avoir d’d’effet que pour les années suivantes.
Sur le fonds de 15 millions formé pour le paiement d’une partie de la dette exigible arriérée, il n’y avait eu d’employé à cet usage que 14 559 000 l.
Mais ce qu’il avait fallu payer de dépenses extraordinaires imprévues en 1775 avait surpassé de 506 844 l. le fonds qui leur était destiné. Le fonds de l’arriéré était venu d’autant plus naturellement au secours des dépenses extraordinaires qu’il fallait, ou que ces dépenses fussent soldées, ou qu’elles augmentassent la dette exigible. En somme, les remboursements avaient été les suivants :
1° Sur la dette constituée à différents taux d’intérêts 23 833 081 l.
2° Sur la dette exigible arriérée en excédent 14 559 000
3° Sur les dépenses extraordinaires en excédent de fonds qui avaient été faits pour elles 506 844
4° Sur les anticipations 27 770 000
Total des Remboursements 65 668 925
Il y avait au Trésor le 1er janvier 1775, les sommes ci-après :
Fonds provenant du dernier emprunt en rentes viagères (effectué par l’abbé Terray) et avancés de la Première Régie des hypothèques 19 214 000 l.
Rescriptions et billets des fermes dont on vendit pour 5 560 000 l.
Bénéfice du précédent bail de la ferme générale et acompte de 3/10, appartenant au Roi 1 620 000
Dette particulière qui fut recouvrée 2 000 000
Fonds d’avance de la Régie des hypothèques 6 000 000
Avances de la seconde Régie des hypothèques 4 000 000
Vente des blés de la Compagnie qui avait eu les commissions de l’ancien ministère 4 000 000
Emprunt du Clergé 16 000 000
Économies et améliorations pendant l’année 7 819 418
Total des Moyens extraordinaires au commencement de 1775 66 213 418 l.
Sur le produit de ces moyens extraordinaires, il restait au Trésor, en espèces, le 1er janvier 1776 12 510 000 l.
On avait donc employé aux remboursements 53 703 418 l.
Ils se sont néanmoins élevés à 66 668 925
Soit en plus 12 967 507 l.
C’est-à-dire que si l’on n’avait pas fait en 1775, les remboursements possibles et si les revenus courants n’avaient eu à subvenir qu’aux dépenses courantes, les recettes auraient excédé les dépenses de 12 965 507 l.
Le tableau de situation mis, à la fin de 1774, sous les yeux de Turgot et, par lui, sous ceux du Roi, présentait un déficit de 22 307 186 l. (qu’il porta à 37 000 000 l. environ, par la formation d’un fonds de 15 000 000 l. pour la dette exigible arriérée).
Or, ce tableau présentait un excédent de dépenses de 14 459 739 l.
Turgot y ajouta pour remboursement de dettes exigibles une dizaine de millions, soit 9 733 843
ce qui eut pour résultat d’élever le déficit à 24 193 582 l.
Mais dans le tableau de situation pour l’année 1776, on avait compté les profits du dernier bail des fermes (Alaterre) à 7 000 000 l. dont 3/10 pour le Roi, soit 2 100 000
Le Trésor avait reçu de ces profits en 1775 1 620 000
On pensait qu’il n’y avait dès lors qu’à prétendre à 480 000 l.
Mais les profits du bail se sont trouvés être de 10 000 000 l. dont 3/10 étant 3 165 000 l., on avait à recevoir en plus 1 065 000 l.
En outre, l’article des dépenses extraordinaires et imprévues avait passé pour 10 000 000 l. dans lesquelles l’épizootie était comprise pour 4 000 000 l. ; elle a coûté en tout 3 900 000 l. et il y eut d’axquitté en 1775, 1 634 574 l. Il ne restait plus à solder en 1776 que pour 2 266 000 l.
Enfin, les autres dépenses extraordinaires avaient été évaluées à 6 000 000. Celles de l’année précédente avaient dépassé cette somme. Mais il y en avait plusieurs, et entre autre les deux plus fortes (celles du sacre et du mariage de Madame Clotilde), qui n’étaient pas de nature à se renouveler.
L’apparence du déficit de 1776 était en somme grossi de 7 255 000 l.
Le déficit à prévoir n’était donc que de 16 938 582 l., et la Caisse d’escompte s’était engagée à avancer 10 000 000 l. remboursables en 13 ans ; les plus fortes maisons de banque de Hollande avaient fait la soumission de prêter 60 000 000 l. Avec ces secours, il devait être effectué de bien plus grandes améliorations et des économies bien plus considérables que l’année précédente.
II. — État sommaire des revenus et charges dressé par Turgot pour l’année 1776.
REVENUS
NATURE | REVENUS BRUTS | CHARGES | RESTANT NET |
1. Fermes générales
Parties régies par la Ferme générale, telles que les sous pour livre réservés sur différents droits, les 20e imposés sur l’industrie des fermiers généraux, capitation personnelle, droits de marc d’or sur les commissions et intérêts des billets des fermes. 2. Recettes générales des finances. 3. Ferme des Postes. 4. — des Sceaux et Poissy. 5. — des droits réservés. 6. — des octrois municipaux et des hôpitaux. 7. Ferme des devoirs du Port-Louis. 8. Régie des droits réunis. 9. — de la Flandre maritime. 10. — des Hypothèques. 11. — des domaines. 12. Marc d’or. 13. Principauté d’Orange. 14. Marches communes du Poitou. 15. Impositions de Paris. 16. Capitation de Cour. 17. Vingtièmes abonnés aux princes du sang, etc. 18. Dixième amortissement. 19. — et capitation retenus par les trésoriers. 20. Revenus casuels. 21. Ordre de Malte. 22. Bons du Roi 23. Pays d’État Languedoc Bretagne Bourgogne Provence Terres adjacentes de Provence Béarn et Navarre Bresse, Bugey et Gex Roussillon et Pays de Foix Total |
152 000 000
2 697 396 140 552 590 7 700 000 600 000 6 000 000 1 079 600 32 000 8 660 000 771 680 7 526 000 4 104 000 1 400 000 19 800 22 000 5 919 176 700 000 144 740 3 000 000 1 163 749 4 000 000 149 600 5 399 972 8 827 886 7 254 399 3 061 604 1 996 424 927 124 478 870 846 635 506 782 377 542 027 |
91 202 008 37 651 010 2 266 649 160 500 2 202 625 » 32 000 4 020 000 600 000 1 722 000 1 124 000 1 400 000 » » 1 536 650 » » » » 1 750 832 » 2 087 651 7 122 587 3 056 780 2 300 575 1 494 900 344 527 250 850 463 549 216 410 163 006 231 |
63 495 388 102 901 580 5 433 851 439 500 3 797 375 1 079 600 » 4 640 000 171 680 5 804 000 2 980 000 » 19 800 22 000 4 382 487 700 000 144 740 3 000 000 1 163 749 2 249 168 149 600 3 312 312 1 705 299 4 197 619 761 029 501 524 501 524 228 020 383 086 290 372 214 535 796 |
DÉPENSES À FAIRE PAR LE TRÉSOR ROYAL
MONTANT | |
1. Extraordinaire des Guerres.
2. Artillerie et Génie. 3. Taillon[1]. 4. Maréchaussées. 5. Maison militaire du Roi. 6. Marine et Colonies. 7. Lettres de change des îles de France et de Bourbon. 8. Excédent de fonds demandé par la Marine. 9. Affaires étrangères. 10. Ligues suisses. 11. Gouvernements municipaux. 12. Ponts et chaussées. 13. Canaux de Bourgogne et de Picardie. 14. Turcies et levées. 15. Ports maritimes. 16. Maison civile du Roi[2]. 17. Maisons de la Reine. 18. — de Monsieur. 19. — de Madame. 20. — du Comte d’Artois. 21. — de la Comtesse d’Artois. 22. Mesdames, sœurs du Roi. 23. Mesdames, tantes du Roi. 24. Maison de la feue reine. 25. — de feu le Dauphin. 26. — de feue la Dauphine. 27. Traitements du comte de Lusace. 28. Acadiens. 29. Dépenses de la mendicité. 30. Remboursements et intérêts des rescriptions et des dépenses de la caisse des recettes générales. 31. Caisse des arrérages. 32. Intérêts et remboursements des actions de la Compagnie des Indes. 33. Pensions des différents départements. 34. Intérêts et remises des différents services. 35. Dépenses générales de la finance[3]. 36. Dot de Madame Clothilde. 37. Maladie épizootique. 38. Dépenses imprévues qui, comparées à celles qui ont eu lieu chaque année, ne peuvent guère monter à moins de Total. Résultat. Dépenses à payer par le Trésor royale pendant l’année 1776. Revenus nets pendant ladite année. Excédent des dépenses. |
64 000 000
10 000 000 1 186 756 2 500 000 8 000 000 29 000 000 1 000 000 6 000 000 8 750 000 800 000 700 000 3 600 000 800 000 480 000 396 000 23 190 920 2 482 609 2 795 727 1 340 000 3 240 000 1 300 000 238 994 1 284 000 181 144 140 000 180 000 225 000 300 000 1 200 000 6 420 000 19 000 000 5 500 000 8 000 000 3 000 000 14 000 000 1 000 000 3 000 000 3 000 000 238 231 150 238 231 150 214 535 756 23 693 354 |
III. — État des revenus et dépenses en 1776 dressé par de Clugny, successeur de Turgot.
REVENUS
livres. | |
Fermes générales parties constitutives du bail.
Fermes générales parties indépendantes du bail. Recettes générales des finances. Fermes des postes. — des Sceaux et de Poissy. — des octrois municipaux. — des devoirs du Port-Louis. — particuliers des domaines. — des droits réservés (reste du bail Noël). Fermes des droits réservés (régie de Bossuat). Régie des droits réunis. — de la Flandre maritime. — des hypothèques. — des domaines. Marc d’or. Principauté d’Orange. Vingtièmes des biens fonds abonnés aux princes du sang. Ordre de Malte. Impositions de Paris. Capitation de la Cour. Bois du Roi. Marches communes du Poitou. Revenus casuels. Ancien dixième établi en 1710. Dixième d’amortissement. Compagnie des Indes. Pays d’États : Languedoc Bretagne Bourgogne Provence Terres adjacentes de Provence Béarn et Navarre Roussillon et pays de Foix Total. |
152 000 000
3 635 000 140 634 730 7 700 000 690 000 1 079 600 32 000 104 000 500 000 6 000 000 7 030 825 771 680 7 526 000 3 318 000 1 206 845 19 800 151 442 149 600 7 052 760 840 066 4 908 762 22 000 4 160 000 1 927 717 2 469 798 830 000 8 784 300 7 008 016 3 982 445 2 058 533 697 636 487 214 512 273 378 381 069 |
DÉPENSES
livres. | |
Maison du Roi.
Guerre. Affaires étrangères. Marine et Colonies. Ponts et chaussées. Intérêts. Rentes perpétuelles. Rentes viagères. Intérêts, droits de présence, remises et autres frais relatifs aux fermes particulières. Frais de régie, autres que ceux compris dans le chapitre des régies et des fermes particulières. Non-valeurs sur une partie des revenus du Roi. Indemnités. Charges de différents États du Roi. Gages de la magistrature. — du Conseil. Traitements particuliers. Pension des princes du sang. — de la guerre. — de la marine. — de la maison du Roi. — de la finance. — du département de M. Bertin. — des officiers du feu roi de Pologne (393 144) et des officiers et conseillers du dit roi (42 200). — de la magistrature. — diverses sur quelques revenus du Roi. Dépenses de la main morte. — diverses. — extraordinaires. Remboursements. Payements sur l’arriéré. Totaux. |
31 663 868
93 323 382 9 550 000 32 185 300 5 380 000 9 265 670 53 254 503 44 374 989 4 886 623 15 903 015 5 629 330 4 083 116 10 791 922 10 479 442 4 574 938 1 840 000 867 200 5 030 000 250 000 720 000 600 000 10 000 435 344 1 038 815 795 174 1 767 223 12 764 127 10 000 000 21 376 827 9 733 843 402 651 |
Résultat.
livres. | |
Dépenses.
Revenus. Déficit. En ajoutant l’emprunt fait par la Marine et à rembourser par la finance. Déficit total. |
402 574 651
378 381 069 24 193 582 15 000 000 39 193 582 |
IV. — Emprunt en Hollande.
1. Mémoire au Roi pour l’approbation de l’emprunt.
[A. L, minute autographe]
s. d.
Sire, le premier pas à faire pour l’amélioration des finances est de faire rentrer V. M. dans la jouissance de ses revenus par l’extinction des anticipations ou assignations sur les revenus à échoir, qu’on donne à négocier à ceux qui avancent l’argent nécessaire pour les services courants. Ces avances coûtent à V. M. 6 à 7 % ; elles ont de plus l’inconvénient de mettre le service public dans la dépendance des gens de finance qui peuvent quelquefois le faire manquer par des manœuvres de place.
Le Contrôleur général s’est occupé des moyens de sortir de cette dépendance en couvrant ces anticipations par des emprunts à un taux plus modéré. V. M. sait que l’emprunt projeté sur le crédit des États des Flandres ne peut avoir lieu par les conditions onéreuses et peu décentes que cette assemblée a mises à l’offre de son crédit.
Quelque répugnance que le Contrôleur général ait pour toute rente viagère, il croit si nécessaire et si pressant de se mettre en mesure d’en imposer par une grande abondance d’argent aux manœuvres que les intrigues de tous les partis multiplient, qu’il n’hésite pas à proposer à V. M. d’accepter les propositions de quelques banquiers hollandais de négocier en Hollande un emprunt de 60 millions, moitié en rentes à 4 p. 100, moitié en rentes viagères à 8 p. 100, dans lequel on recevra un quart en effets à 4 p. 100 ce qui réduira le secours en argent effectif à 45 millions. La faculté de recevoir un quart en effets sera un attrait pour les prêteurs parce que ces effets perdent sur la place, mais V. M. n’en paiera pas plus d’intérêt. D’ailleurs, il en résultera que ces effets étant plus recherchés remonteront. V. M. paiera 6 p. 100, mais la moitié du capital s’éteindra ; l’autre moitié ne commencera à être remboursée que dans dix ans.
Il ne sera donné de lettres patentes pour confirmer cet emprunt et il ne sera rendu public que lorsqu’on sera assuré du succès par un certain nombre de souscriptions.
Il est très important qu’il ne soit pas rempli par l’argent des capitalistes de Paris, car un de ses effets doit être d’embarrasser ceux-ci sur le placement de leur argent et de les forcer à baisser le taux de l’intérêt.
Si V. M. approuve ce projet, j’en signerai sur le champ l’autorisation et le banquier chargé de la négociation partira dès demain.
***
(Dans les papiers de Turgot se trouve une note sans date écrite de sa main et destinée au ministre des Affaires étrangères, de Vergennes.
Turgot signalait à son collègue que des banquiers hollandais demandaient l’aval du roi d’Espagne pour l’emprunt à contracter avec eux par la France. Cette note ne fut pas envoyée à son adresse. Turgot ne pouvait se faire d’illusion sur l’impossibilité de faire intervenir un gouvernement étranger dans nos affaires, fut-il lié ou non à nous par le pacte de famille. Mais il pouvait avoir besoin d’un refus officiel de Vergennes.
En tout cas, la note renferme des renseignements à retenir sur l’état du crédit de la France en 1776.)
NOTE DE TURGOT SUR UNE DEMANDE DES BANQUIERS HOLLANDAIS
La première base du rétablissement des finances du Roi est l’économie des dépenses. Cette voie est nécessairement lente et d’autant plus lente que la nécessité de l’économie est contrebalancée par la nécessité non moins urgente de remettre le militaire et la marine sur un pied qui assure la paix en rendant la France redoutable à ses ennemis.
Il faut donc joindre à l’économie une amélioration dans le système et la manutention des finances qui augmente les ressources du Roi sans augmenter les charges du peuple.
Les revenus de l’État sont grevés d’une multitude d’engagements dont il est pressant de réduire les intérêts à un taux plus modéré. Il est plus urgent encore d’éteindre les anticipations ou assignations sur les revenus à échoir donnés d’avance aux trésoriers qui les négocient et fournissent par cette voie pour les services courants de l’argent qui coûte au Roi de 6 à 7 %.
Ces anticipations montent encore à 39 millions, reste de 78 ; à quoi il faut joindre 15 millions d’avances faites par les trésoriers de la Marine pour accélérer la restauration de ce département. Ce n’est qu’en éteignant cette masse d’anticipations qu’on peut parvenir à faire rentrer le Roi dans la jouissance de ses revenus et à rétablir l’ordre en soldant la dépense courante avec le revenu courant. On ne peut atteindre ce but que par le moyen d’un emprunt qui mette le gouvernement en état non seulement de couvrir toutes les anticipations, mais encore d’offrir à ses créanciers l’alternative d’être remboursés ou de réduire leurs créances à 4%.
Quoique la confiance publique soit un peu ranimée depuis le nouveau règne, il n’est pas possible de se flatter qu’un emprunt considérable au taux de 4% réussisse à Paris, tant qu’il y aura dans le public un grand nombre d’effets qui, au cours de la place, rapportent un intérêt plus fort ; d’ailleurs, on ne peut douter que les financiers, qui voient avec terreur que le gouvernement cherche à secouer leur joug, ne fassent tous leurs efforts pour croiser cet emprunt et rappeler le discrédit qui fait leur force. Un emprunt fait en Hollande, où l’intérêt courant de l’argent est beaucoup plus bas, aurait l’avantage inestimable de verser tout à coup sur la place, par les remboursements que ferait le gouvernement, une grande masse de numéraire qui forcerait les possesseurs d’argent à en baisser l’intérêt et à reporter leurs fonds aux emprunts qu’ouvrirait alors le gouvernement avec l’assurance du succès. Mais en Hollande même, les financiers ne manquent pas de moyens de rendre un emprunt difficile en semant la défiance, et il faut avouer que les opérations du dernier règne n’ont que trop altéré le crédit du gouvernement français.
Un des principaux banquiers de Hollande[4], auquel on s’est adressé, a ouvert une idée qui pourrait lever toutes les difficultés. Il assure que la puissance de l’Europe qui aurait le plus de facilité à emprunter en Hollande est l’Espagne. Il en a des preuves par les fortes souscriptions qui lui ont été offertes dans des moments où l’on avait parlé d’un emprunt de cette cour. Il pense que, si le Roi d’Espagne voulait prêter son nom au Roi de France, on pourrait trouver en Hollande très promptement des sommes immenses, et il est même persuadé que cette opération engagerait un très grand nombre de capitalistes à tirer leur argent des fonds publics d’Angleterre.
C’est à M. le comte de Vergennes à juger si cette idée peut être proposée à S. M. Catholique…
2. Lettre de Maurepas à Turgot au sujet de l’emprunt.
[A. L.]
29 février.
J’ai l’honneur de vous renvoyer, M., le papier que vous m’avez confié. Je sais combien le secret est nécessaire pour la réussite de l’opération à laquelle je sens aussi combien vous êtes forcé par les circonstances actuelles. Les rentes viagères, quoique désirées par le public, souffriront sérieuse difficulté au Parlement. Quant aux autres conditions de l’emprunt, je suis bien assuré que vous n’avez pu les faire meilleures. Il ne me reste qu’à souhaiter qu’il réussisse promptement. Ne doutez jamais, M., de la fidélité de mon attachement.
L’emprunt s’éleva à 60 millions dont moitié en rentes viagères sur une tête à 8% et moitié en rente perpétuelle à 4%.
Turgot regardait les rentes viagères comme un grand mal, eu égard :
1° À la difficulté de mesurer les charges réelles des prêteurs ;
2° À la nécessité d’adopter un taux très élevé plus coûteux qu’un amortissement.
3° Aux effets de rentes viagères sur esprit de famille ; mais il jugeait important d’avoir des capitaux étrangers sur la place de Paris ; il consentit donc à la demande des Hollandais, sous la condition que chaque souscripteur prendrait autant de rente perpétuelle que de rente viagère (D. P., Mém.).
Les effets Royaux avaient baissé jusqu’à 11 et 12% de perte ; Maurepas attribuait cette décadence aux bruits de guerre. Mais avant l’arrivée de Turgot au ministère, les effets perdaient jusqu’à 19% ; ils n’en perdaient plus que 4 lorsque son existence ministérielle fut assurée. Ils revinrent à une perte de 7% lorsqu’il fut question de son renvoi. Lors de sa disgrâce, ils perdirent 11 et 12%. À ce moment les souscriptions hollandaises montaient déjà à 33 millions ; on en espérait d’autres à Genève, à Gênes et ailleurs (Journal de Véri).
V. — Rentes de l’État.
Arrêt du Conseil simplifiant les formalités pour le paiement des rentes de l’ancienne Compagnie des Indes.
[D. P., VIII, 379.]
10 février.
Permission des créanciers de l’ancienne compagnie des Indes en liquidation de déposer leurs titres aux greffes de Pondichéry et de Chandernagor ; …
VI. — Comptabilité publique.
1. Réformes générales.
Les ministres des finances avaient dans leurs attributions la confirmation légale des comptes de leurs prédécesseurs. Le Roi passait un temps considérable à signer, parapher, approuver ceux de son aïeul. En 1774, les comptes des trésoriers les moins arriérés étaient en retard de cinq ans, d’autres l’étaient de 6, 7 et 8 ans. Celui des bâtiments l’était de 12 ans. Celui de la caisse d’amortissement de 13.
Il en résultait que la comptabilité était devenue une vaine formalité. On vérifiait l’état définitif de quelques comptables : on les poursuivait, eux, ou leurs héritiers s’ils étaient redevables. L’état habituel des caisses était presque ignoré.
Turgot songea d’abord à hâter la marche des comptes, afin qu’on pût en vérifier deux dans une année. Il avait imaginé d’autoriser des conseillers d’État à signer et parapher la comptabilité passée, dont on aurait confié l’expédition à différents comités de la Chambre des comptes. Avec Fourqueux, il avait préparé un projet qui devait mettre cette assemblée à portée de juger chaque année la comptabilité des recettes et dépenses effectives de l’année précédente, de reporter à comptes nouveaux tout ce qui resterait à recevoir ou à dépenser des fonds destinés à l’exercice antérieur et de vérifier en tout temps l’état des caisses. (D. P., Mém., 340.)
2. Déclaration royale sur la comptabilité de la Caisse des arrérages.
[Cité par D. P., VIII, 54.]
(Déclaration en 25 articles.)
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[1] Comprend les appointements et subsistances des officiers, des gendarmes de la garde et de la gendarmerie, partie des appointements de Maréchaux de France, gages des officiers du point d’honneur, des commissaires et contrôleurs des guerres, trésoriers des troupes, etc.
[2] Comprend le comptant de S. M., les dépenses relatives à la bouche, l’argenterie et menus, offrandes et aumônes, maisons religieuses, garde-robe du Roi, les pierreries, les voitures de la Cour, le garde-meuble, grande et petite écurie, vénerie et fauconnerie, louveterie, les maisons royales, les bâtiments, les gages et récompenses des officiers de la Maison du Roi, enfin les dépenses concernant la prévôté de l’hôtel.
[3] Comprenant les gages du Conseil, appointements des commis et frais de bureaux, pensions de quelques princes du sang, pensions des cours subsistantes et cours supprimées, dépenses de la main-morte, prisonniers des châteaux, manufactures, quet et varde de Paris, frais relatifs à la tenue des états de Bretagne, impressions pour le compte du Roi, gratifications ordinaires, secours aux provinces, subsistances, académies, sciences et arts, monnaie et médailles, acquisitions et échanges, voyages pour le service du Roi et des ministres, et autres objets.
[4] Grand, banquier à Amsterdam.
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