Œuvres de Turgot – 211 – Le commerce des grains

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1776

211. — LE COMMERCE DES GRAINS[1]

I. — Arrêt du Conseil cassant un Arrêt du Parlement de Rouen relatif à l’enregistrement des Lettres Patentes du 2 novembre 1774[2].

[D. P., VIII, 143. — D. D., II, 212].

27 janvier.

Le Roi, s’étant fait représenter, en son Conseil, l’Arrêt d’enregistrement rendu au Parlement de Rouen le 21 décembre 1775, par lequel cette Cour a ordonné que les juges de police de son ressort et ladite Cour, continueront comme par le passé, à veiller à ce que les halles soient suffisamment approvisionnées de blé, S. M. a reconnu :

Que cette modification, si elle subsistait, introduirait dans la province de Normandie, sur le commerce des blés et farines, une jurisprudence entièrement contraire, à celle que l’enregistrement pur et simple de la même loi a établie dans le ressort de toutes les autres Cours ;

Que cette modification anéantirait, dans ladite province, la liberté du commerce des blés et farines qui ne lui est pas moins nécessaire qu’au reste du Royaume, et priverait les provinces voisines et la Capitale dont le commerce est nécessairement lié avec celui de la Normandie, d’une partie des avantages qu’elles retirent de l’exécution des lettres patentes du 2 novembre 1774 ;

Qu’elle ne peut laisser subsister une modification dont l’effet nécessaire serait de détruire entièrement, et le texte, et l’esprit de la loi même qui en est l’objet.

À quoi voulant pourvoir : … le Roi, étant en son Conseil…, casse la modification mise par son Parlement de Rouen à l’enregistrement des lettres patentes du 2 novembre 1774 ; ordonne S. M. qu’elles seront exécutées purement et simplement selon leur forme et teneur…[3]

II. — Déclaration Royale supprimant les règlements de police, ainsi que les droits et offices établis à Paris sur les grains[4].

[D. P., VIII, 298.]

6 février.

Louis… Un des premiers soins que nous avons cru devoir au bonheur de nos peuples a été de rendre leur subsistance plus assurée, en rappelant, par l’Arrêt de notre Conseil du 13 septembre 1774, et les Lettres Patentes expédiées sur icelui le 2 novembre suivant, la législation du commerce des grains à ses vrais principes. Nous avons désiré que ces principes fussent exposés clairement et en détail, pour faire connaître à nos peuples que les moyens les plus sûrs de leur procurer l’abondance sont de maintenir la libre circulation, qui fait passer les denrées des lieux de la production à ceux du besoin et de la consommation ; de protéger et d’encourager le commerce, qui les porte le plus sûrement aux lieux où la consommation est la plus grande et le débit le plus certain.

Nous avons eu la satisfaction de voir les mesures que nous avons prises justifiées par l’expérience, puisqu’au milieu même des préjugés populaires, des inquiétudes et des troubles appuyés sur ces préjugés, et des dégâts commis par une populace ignorante ou séduite ; après une très mauvaise récolte, dont l’insuffisance a été prouvée par la quantité des grains nouveaux qui ont approvisionné les marchés, avant même que la récolte suivante fût achevée ; malgré les dérangements et le ralentissement qu’avaient apportés, dans les spéculations des négociants, le renouvellement des anciens règlements contraires à la liberté, et l’interruption qui en avait résulté pendant plusieurs années dans le commerce des grains ; la denrée n’a cependant point manqué ; les provinces souffrantes ont reçu des secours de celles qui étaient mieux fournies ; il a été importé dans le Royaume des quantités considérables de grains ; et les prix, quoique plus hauts que nous ne l’aurions désiré, n’ont cependant point été aussi excessifs qu’on les a souvent vus sous le régime prohibitif, même dans des années où la récolte avait été beaucoup moins généralement mauvaise que celle de l’année 1774.

Enfin, une meilleure récolte a ramené l’abondance. Nous ne pouvons trop nous hâter de mettre à profit ces moments de tranquillité, pour achever de lever tous les obstacles qui peuvent encore ralentir les progrès et l’activité du commerce, afin que, si la stérilité afflige de nouveau nos provinces, nos peuples puissent trouver des ressources préparées d’avance contre la disette, et qu’ils ne soient plus exposés à ces variations excessives dans la valeur des grains, qui détruisent la proportion entre le prix des salaires et le prix des subsistances.

Les grandes villes, et surtout les capitales, appellent naturellement l’abondance, par la richesse et le nombre des consommateurs. Notre bonne ville de Paris semble être en particulier destinée, par sa position, à devenir l’entrepôt du commerce le plus étendu.

Les rivières de Seine, d’Yonne, de Marne, d’Oise ; la Loire, par les canaux de Briare et d’Orléans, établissent des communications faciles entre cette ville et les provinces les plus fertiles de notre royaume ; elle offre le passage naturel par lequel les richesses de toutes ces provinces doivent circuler librement et se distribuer entre elles ; l’immensité de ses consommations fixerait nécessairement dans son enceinte la plus grande partie des denrées de toute nature, si rien ne les arrêtait dans leur cours ; elle aurait même à sa disposition toutes celles que le commerce libre s’empresserait d’y rassembler, pour les verser sur toutes les provinces voisines.

Cependant nous reconnaissons avec peine que l’approvisionnement en grains de notredite ville, loin d’être abondant et facile comme il le serait dans l’état d’une libre circulation, a été, depuis plusieurs siècles, un objet de soins pénibles pour le gouvernement, et de sollicitude pour la police, et que ces soins n’ont abouti qu’à en repousser entièrement le commerce.

En donnant nos Lettres Patentes du 2 novembre 1774, nous nous sommes proposé de chercher, dans l’examen approfondi des règlements de police particuliers à notredite ville de Paris, les causes qui s’opposaient à la facilité de son approvisionnement, et nous avons annoncé, par l’articles 5 desdites Lettres Patentes, notre intention de statuer sur ces règlements par une loi nouvelle.

Nous nous sommes fait représenter, en conséquence, les ordonnances, arrêts et règlements de police intervenus sur le commerce des grains et l’approvisionnement de Paris.

Nous avons reconnu que, dans des temps malheureux de troubles et de guerres civiles, dans des siècles où, le commerce n’existant point encore, ses principes ne pouvaient être connus, les rois nos prédécesseurs, Charles VI, Charles IX, Henri III, ont donné quelques ordonnances sur cette matière ; que, sans le concours de l’autorité royale, plusieurs règlements de police s’y sont joints pour former le corps d’une législation équivalente à une prohibition d’apporter des grains à Paris ; que l’habitude et le préjugé l’ont cependant maintenue, et quelquefois confirmée ; que, même dans des temps où le gouvernement commençait à porter sur cet objet une attention plus éclairée, on a réclamé fortement pour la conservation de cette police ; qu’elle a été réservée, comme si elle eût été la sauvegarde de la facilité des subsistances.

Que des officiers créés en différents temps, à la halle et sur les ports, étaient chargés de veiller à son exécution, et cependant autorisés à percevoir des droits dont la vente des grains demeure grevée.

Qu’enfin, depuis peu d’années, il a été mis un impôt sur ce commerce, pour la construction d’une halle et d’une gare.

Ainsi, en réunissant les différents effets de la police destinée à assurer les subsistances dans Paris, il demeure constant que non seulement des droits de différente nature augmentent le prix des grains et des farines, mais que les règlements en empêchent l’abondance, et que toutes les parties de cette législation sont tellement contradictoires entre elles et contraires à leur objet, que l’indispensable nécessité de la réformer se trouve démontrée par le plus simple exposé des règlements et de leurs effets.

Une ordonnance du mois de février 1415, renouvelée par un arrêt du 19 août 1661, défend de serrer, ou d’ôter des sacs, les blés ou les farines arrivant par terre ; de débarquer, de mettre en greniers ou en magasins, ou même sous des bannes les mêmes denrées arrivées par eau ; en sorte que, suivant les règlements, elles doivent demeurer exposées à l’air, à la pluie, et à l’humidité continue qui les corrompt.

Le même arrêt de 1661 défend de faire aucun amas de grains, et d’en laisser séjourner dans les lieux de l’achat, ou sur les ports du chargement, ou sur les routes par lesquelles ils doivent arriver.

Ces règlements réunis interdisent à la ville de Paris tout moyen de conserver des grains et farines dans son intérieur, et d’en avoir dans ses environs.

La même ordonnance de 1415 impose aux marchands qui apportent des grains à Paris l’obligation de les vendre avant le troisième marché, à peine d’être forcés de les vendre à un prix inférieur à celui des marchés précédents ; et cependant l’Arrêt du 19 août 1661 et l’ordonnance de police du 31 mars 1635, après avoir interdit à tous marchands la faculté de faire aucun achat dans Paris, défend même à tout boulanger d’acheter plus de deux muids de blé par marché.

Ainsi la même police, par des dispositions contradictoires, force de vendre et défend d’acheter.

En s’y conformant exactement, la Capitale ne pourrait jamais avoir de provisions que pour onze jours de consommation ; car l’intervalle entre trois marchés n’étant que de onze jours, d’un côté, les marchands assurés de n’avoir plus la disposition libre de leur denrée après cet intervalle et d’être peut-être forcés de la vendre à perte, ne porteraient jamais à Paris que les grains nécessaires à la subsistance de ces onze jours ; tandis que, d’un autre côté, cette ville ne pourrait avoir aucunes provisions dans des dépôts particuliers, puisqu’ils y sont repoussés ; ni même chez les boulangers, puisqu’il leur est défendu d’acheter plus de deux muids de blé.

Si cette police était observée, toutes les fois que les hautes ou les basses eaux, les gelées et les neiges interrompraient la navigation ou les routes pendant plus de onze jours, les habitants de Paris manqueraient entièrement de subsistances dans les années les plus fertiles, et au milieu de l’abondance dont jouirait le reste du Royaume.

Un arrêt du Parlement, du 23 août 1565, défend aux marchands de grains, sous peine de punition corporelle, de transporter, soit par terre ou par eau, en montant ou en descendant, hors de la ville, les grains qu’ils y ont fait entrer : deux ordonnances de police, de 1622 et 1632, ajoutent à la rigueur de l’arrêt, en défendant d’acheter et de faire sortir aucuns grains de la distance de dix lieues de Paris, à peine de confiscation et d’amende arbitraires.

Ces dispositions tendent à bannir le commerce des grains de la ville de Paris, où le négociant est privé de la liberté et presque de la propriété de sa denrée, et surtout de l’attrait, essentiel au commerce, de pouvoir se porter où il espère un bénéfice ; cette police l’avertit même qu’il ne doit ni s’approcher de la ville, ni passer dans l’arrondissement des dix lieues, et cet espace devient un point de séparation insurmontable entre toutes les provinces qui pourraient profiter des avantages de la navigation, pour se prêter des secours mutuels ; de manière que la Bourgogne et la Champagne, surchargées de grains, ne pourraient secourir la Normandie affligée de la disette, par la seule raison que la Seine traverse Paris et son arrondissement : de même qu’à peine aucun secours ne pouvait être porté de Normandie à Paris et au delà, en remontant la Seine, avant que par notre édit du mois de juin 1775, portant suppression des offices de marchands privilégiés et porteurs de grains, et abolition du droit de banalité de la ville de Rouen, nous eussions levé les obstacles qui interceptaient dans cette ville le commerce des grains.

L’ordonnance de police de 1635, ci-dessus citée, et confirmée par un édit de 1672, défend aux marchands qui ont commencé la vente d’un bateau de blé d’en augmenter le prix ; et par une injustice évidente, le marchand soumis aux hasards qui ont diminué les prix au commencement de sa vente, ne peut profiter de ceux qui, avant la fin de cette vente, peuvent rendre le prix plus avantageux.

Les mêmes règlements enjoignent encore, à tout négociant qui fait transporter des grains à Paris, de les y vendre en personne ou par des gens de sa famille, et non par des facteurs ; on ignorait alors que le laboureur ne peut abandonner les travaux de sa culture, ou le négociant le soin de son commerce, pour suivre une partie de ses marchandises ; qu’ils ne peuvent l’un et l’autre se déplacer sans frais ; et que leurs dépenses, devant être remboursées par leur commerce, augmenteraient inutilement le prix des grains.

La défense faite aux voituriers, par l’arrêt de 1661, de vendre des grains dans les chemins, ou même de délier les sacs, à peine de confiscation, est sans objet à l’égard du commerce, qui ne s’arrête pas dans ses destinations pour se livrer à de semblables détails ; elle serait inhumaine pour ceux de nos sujets qui pourraient éprouver des besoins pressants ; elle est encore incommode et rebutante pour le négociant, qu’elle expose à être inquiété, et peut-être injustement puni, si quelque accident oblige de toucher aux sacs de grains qu’il fait conduire.

Enfin, l’obligation imposée par le même arrêt de 1661, à ceux qui font le commerce des grains pour Paris, de passer leurs factures par-devant notaires, de les représenter aux officiers des grains, de les faire enregistrer sur des registres publics, est une formalité contraire à tous les usages, à l’intérêt du commerce qui exige surtout de la bonne foi, le secret et la célérité des expéditions ; et cette loi n’a d’autre objet que d’occasionner des frais qui augmentent le prix des ventes.

C’est par de tels règlements qu’on s’est flatté autrefois, et presque jusqu’à nos jours, de pourvoir à la subsistance de notre bonne ville de Paris. Les négociants, qui par état sont les agents nécessaires de la circulation, qui portent infailliblement l’abondance partout où ils trouvent liberté, sûreté et débit, ont été traités comme des ennemis qu’il fallait vexer dans leur route, et charger de chaînes à leur arrivée ; les blés qu’ils apportaient dans la ville ne devaient plus en sortir ; mais ils ne pouvaient ni les conserver, ni les garantir des injures de l’air et de la corruption ; on s’efforçait de précipiter les ventes ; on arrêtait les achats ; le marchand devait vendre ses grains en trois jours de marché ou en perdre la disposition ; l’acheteur ne pouvait s’en pourvoir que lentement et en petites parties ; la diminution des prix faisait la loi au négociant, leur augmentation ne pouvait lui profiter : les marchands de grains, effrayés par les rigueurs de la police, étaient encore voués à la haine publique ; le commerce opprimé, diffamé de toutes parts, fuyait la ville ; un arrondissement de vingt lieues de diamètre séparait entre elles, et de notre dite ville, les provinces les plus abondantes ; et cependant toutes précautions étaient interdites dans l’intérieur et sur les abords ; on paraissait même conspirer contre les moissons futures, en exigeant que le laboureur quittât son travail pour suivre ses grains et les vendre par lui-même.

Cette police désastreuse a produit, dans les temps anciens, les effets qu’on devait en attendre : des chertés excessives et longues ont succédé rapidement à des années d’abondance ; elles se sont prolongées sans disette effective ; elles ont conseillé des remèdes violents et dangereux qui les ont perpétuées, parce que le commerce, anéanti par les règlements, ne pouvait donner aucun secours.

Tels sont les effets que notre ville de Paris a éprouvés, dans les années 1660, 1661 1662, 1663 ; dans les années 1692, 1693, 1694 ; dans les années 1698 et 1699, et enfin dans l’année 1709, et depuis dans les années 1740 et 1741, temps funestes où le prix des grains, étant modéré dans plusieurs provinces, était cependant excessif à Paris ; où l’excès de ce prix était déterminé, non par leur quantité effective, mais par l’avidité du petit nombre de marchands auxquels la vente des grains était livrée, sous un régime qui ne permettait ni commerce, ni circulation, ni concurrence. L’abandon de ces règlements nuisibles, fondé sur les lois de la nécessité, a pu seul rendre moins incertain l’approvisionnement de notre bonne ville de Paris : ils menaçaient sans cesse de disette et de cherté ; il était indispensable de tolérer des ressources contre les obstacles que pouvaient opposer les glaces ou les inondations ; d’avoir des magasins dans l’arrondissement des dix lieues, et même dans l’intérieur ; de souffrir que les marchands pussent préserver leurs grains des injures de l’air, qu’ils eussent le temps de les vendre, la faculté d’employer des facteurs ; et ce n’est qu’à l’inexécution de ces lois que Paris dû sa subsistance.

Mais l’inexécution de telles lois ne suffit pas pour rassurer le commerce, que leur existence menace encore ; il n’a point repris ses fonctions ; le gouvernement ne pouvant y mettre sa confiance, s’est cru obligé de pourvoir par lui-même à l’approvisionnement de la Capitale. Il a éprouvé que cette précaution, réputée nécessaire, avait les plus grands inconvénients ; que le commerce qui se faisait sous ses ordres n’admettait ni l’étendue, ni la célérité, ni l’économie du commerce ordinaire ; que ses agents autorisés portaient, dans tous les marchés où ils paraissaient, l’alarme et le renchérissement ; qu’ils pouvaient même par la nature de leurs fonctions commettre plusieurs abus ; que les opérations de ce genre, consommant le découragement et la fuite absolue du commerce ordinaire, surchargeaient de dépenses énormes les finances, et, par conséquent, nos sujets qui en fournissent les fonds ; enfin, qu’elles ne remplissaient pas leur objet.

C’est surtout dans les derniers temps que ces inconvénients multipliés se sont fait sentir plus vivement. La Déclaration du 25 mai 1763 semblait préparer la prospérité de l’agriculture et la facilité des subsistances, en ordonnant que la circulation des grains fût entièrement libre par tout le Royaume ; mais une multitude d’obstacles particuliers et locaux trompaient le vœu général de la loi, et embarrassaient toutes les communications ; ils n’étaient encore ni reconnus, ni levés.

L’édit de juillet 1764 n’avait eu qu’une exécution momentanée, lorsque ses dispositions ont été restreintes : cette législation, encore incomplète, demandait de nouveaux soins ; et cependant des récoltes faibles ne laissaient considérer qu’avec timidité tout projet d’innovation, lorsque l’Arrêt du Conseil du 23 décembre 1770, et les Lettres Patentes du 16 septembre 1771, en rappelant le régime prohibitif des siècles passés, ont resserré les chaînes dont le commerce des grains commençait à peine à se débarrasser, et en ordonnant cependant la libre circulation, l’ont surchargée de formalités nombreuses et compliquées qui la rendaient impossible.

À cette époque, l’inégalité des récoltes a cessé d’être la mesure de la valeur des grains : leur vrai prix n’a existé en aucun lieu ; on l’a vu excessif en quelques endroits, modéré et même bas dans des lieux assez voisins. Le blé et les seigles ont manqué dans nos ports les plus fréquentés par le commerce, et n’ont pu y être portés des autres ports où régnait l’abondance, lorsqu’il ne s’y est point trouvé de siège d’amirauté. L’apparence, toujours prochaine, de quelque disette locale a surchargé le gouvernement de sollicitudes, de dépenses excessives, d’opérations forcées, qui ont donné au peuple beaucoup d’inquiétude, et trop peu de secours réels ; et, dans cet espace de temps, où plusieurs récoltes ont été assez bonnes, le prix des grains, en général, a été plus haut qu’on ne l’a vu en 1775, après la mauvaise récolte de 1774.

L’examen de ces faits, qui sont de notoriété publique, nous a convaincu que le commerce affranchi de toute gêne et de toute crainte peut seul suffire à tous les besoins, prévenir les inégalités des prix, les variations subites et effrayantes qu’on a vu trop souvent arriver sans cause réelle ; qu’il pourrait seul, en cas de malheur, suppléer au vide des disettes effectives auxquelles toutes les dépenses du gouvernement ne pourraient remédier.

Déterminé à donner dans tous les temps à nos peuples des preuves de notre amour, à faire les sacrifices que leur bonheur et la facilité des subsistances pourront exiger de nous, nous voulons choisir par préférence et leur faire connaître ceux dont l’utilité est la plus certaine et la plus directe ; nous nous proposons de fixer l’abondance dans leurs murs, en révoquant des règlements qui la bannissent, en affranchissant les grains des droits qui en augmentent le prix et qui en troublent le commerce ; enfin, en le délivrant des fonctions incommodes de quelques offices créés pour veiller à l’exécution de ces règlements, et que nous avons cru de notre sagesse de supprimer, avec d’autres offices de même genre, par notre édit de ce mois.

Nous nous déterminons à exempter de tous droits et faire jouir d’une immunité absolue les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, destinés à la consommation au peuple de notredite ville ; mais, en exerçant notre bienfaisance pour l’extinction actuelle de ces droits, nous n’oublierons pas qu’il est de notre justice de pourvoir aux indemnités dues pour raison des suppressions que nous nous proposons d’ordonner.

Une partie des droits qui se perçoivent sur les grains, a été concédée aux Prévôt des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris, par la Déclaration du 25 novembre 1762, pour l’établissement de la halle neuve et d’une gare. Le produit est affecté au payement de charges réelles, à l’acquittement desquelles il sera par nous pourvu jusqu’au 1er janvier 1783, temps auquel le payement du droit de halle et de gare doit cesser, aux termes de la même déclaration.

Une autre partie de ces mêmes droits était attribuée aux offices des mesureurs et porteurs de grains, établis sur la halle et sur les ports par édit du mois de juin 1730, et qui sont compris dans la suppression générale ordonnée par notre édit de ce mois.

L’ordre à établir pour effectuer les indemnités assurées à ces officiers par notre édit, exige que nous réservions, pour être perçue à notre profit, une partie des droits qui avaient été attribués à ces mêmes offices sur l’avoine, les grains et grenailles, autres néanmoins que les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, et moins utiles à la subsistance de notre peuple, que les espèces que nous affranchissons spécialement.

Nous voulons néanmoins distinguer et éteindre dès à présent la portion des droits qui ne représentait que les salaires des porteurs employés au service de la halle ; nous n’en ferons percevoir que la portion attribuée aux officiers, comme intérêt de leurs finances.

Nous ne doutons pas que le commerce, délivré de toutes les gênes et encouragé par nos lois, ne pourvoie à tous les besoins de notre bonne ville de Paris. Ainsi, l’abondance constante, et le juste prix des subsistances, deviendront la suite et l’effet de la réforme d’une police nuisible, de la protection que nous accordons au commerce, de la liberté des communications, enfin de l’immunité absolue de tous les droits qui augmentaient les prix ; et le bien que nous aurons fait à nos sujets sera la récompense la plus douce des soins que nous prenons pour eux.

À ces causes… :

I. Voulons qu’il soit libre à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de faire apporter et de tenir en grenier ou en magasin, tant dans notre bonne ville de Paris que dans l’arrondissement de dix lieues et ailleurs, des grains et des farines, et de les vendre en tels lieux que bon leur semblera, même hors des bateaux ou de la halle.

II. Il sera pareillement libre à toutes personnes, même aux boulangers de notre bonne ville de Paris, d’acheter des grains et farines à telles heures, en telles quantités et en tels lieux, tant dans ladite ville qu’ailleurs, qu’ils jugeront à propos.

III. Ceux qui auront des grains et des farines, soit à la halle et aux ports, soit en greniers ou magasins dans ladite ville de Paris, ne pourront être contraints de les vendre dans le troisième marché ni dans tout autre délai.

IV. Pourront aussi, ceux qui auront des grains à vendre dans notre dite ville, augmenter ainsi que diminuer le prix, conformément au cours du commerce, sans que, sous prétexte de l’ouverture d’une pile ou d’un bateau, et du commencement de la vente de l’un ou de l’autre, ils puissent être contraints à la continuer au même prix.

V. Il sera pareillement libre, à tous ceux qui auront des grains ou des farines dans ladite ville de Paris, de les vendre en personne, ou par des commissionnaires ou facteurs.

VI. Ceux qui feront le commerce des grains dans notre ville de Paris, ou pour elle, ne pourront en aucun cas être contraints à supporter aucunes déclarations, lettres de voitures ou factures passées devant notaires, ni à les faire enregistrer sur aucuns registres publics.

VII. Il sera libre à toutes personnes de faire ressortir, tant de la ville de Paris que de l’étendue des dix lieues de son arrondissement, les grains et les farines qu’elles y auront fait entrer, ou qu’elles y auront achetés, sans avoir besoin pour raison de ce d’aucune permission.

VIII. Avons éteint et supprimé, éteignons et supprimons les droits sur les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz attribués aux offices de mesureurs et porteurs de grains, que nous avons compris dans la suppression ordonnée, par notre édit du présent mois, des différents offices créés sur les ports et halles ; de tous lesquels droits imposés sur les denrées les plus nécessaires, faisons don et remise aux habitants de notre bonne ville de Paris. Défendons à toute personnes de faire, sous prétexte d’iceux, aucune perception à compter du jour de la publication de notre présente déclaration, à peine de concussion.

IX. Avons pareillement éteint et supprimé, éteignons et supprimons le droit de halle et de gare sur les blés, méteils, seigles, farines, pois, fèves, lentilles et riz, ensemble les 8 sous pour livre levés sur partie dudit ; et, en conséquence des dispositions portées par le présent article et par l’article précédent, lesdits grains et farines seront exempts de tous droits quelconques dans notre bonne ville de Paris. Voulons néanmoins que la perception desdits droits de halle et de gare, sur toutes les autres denrées et marchandises qui y sont sujettes, et qui ne sont spécialement affranchies par notre présente déclaration, continue d’être au profit des prévôt des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris jusqu’au 1er janvier 1783, que ladite perception doit cesser, suivant les lettres-patentes du 25 novembre 1762, qui l’ont établie.

X. Avons réservé et réservons, pour être, ainsi qu’il sera ci-après déclaré, perçus à notre profit, les droits attribués auxdits offices de mesureurs et de porteurs de grains sur l’avoine, l’orge, les graines et grenailles, autres néanmoins que les blés, méteils, seigles, pois, fèves, lentilles et riz. Voulons que ladite perception soit faite aux barrières par les commis et préposés de l’adjudicataire général de nos termes, lequel sera tenu de nous en compter, conformément aux dispositions de l’article III de l’édit du présent mois, portant suppression des communautés d’officiers auxquels les droits avaient été attribués.

XI. Ordonnons que, sur les droits réservés, et désignés au précédent article, distinction soit faite de la portion répondant aux salaires du travail dont lesdits officiers étaient tenus relativement aux grains sur la halle et sur les ports ; et que du jour de la publication de notre présente Déclaration, ladite portion cesse d’être perçue ; et sera l’autre portion de ces mêmes droits, que nous entendons nous réserver, perçue sur le pied et conformément au tarif attaché sous le contre-scel de notre présente Déclaration.

XII. Sera par nous pourvu à l’indemnité due auxdits Prévôt des marchands et échevins de notre bonne ville de Paris pour raison de l’extinction ordonnée, par l’article IX, ci-dessus, du droit de halle et de gare sur les grains et farines énoncés audit article, et ce sur les fonds qui seront par nous à ce destinés.

XIII. Seront au surplus nos lettres-patentes, données sur le commerce des grains le 2 novembre 1774, exécutées pour notre bonne ville de Paris et pour les dix lieues de son arrondissement. Dérogeons à toutes ordonnances, édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts et règlements à ce contraires.

III. — Liquidation des droits et offices.

1. — Arrêt du Conseil prorogeant le délai accordé par l’Arrêt du Conseil du 13 août 1775 pour la représentation des titres des droits sur les grains dans les marchés et ordonnant une semblable représentation pour les droits hors des halles et marchés, 8 février.

[D. P., VIII, 375].

2. — Arrêt du Conseil autorisant les commissaires chargés de la vérification des droits sur les grains, à procéder à la vérification et à la liquidation des offices supprimés de Mesureurs Royaux, et des droits dépendant desdits offices et ordonnant que les droits sur les grains, grenailles et farines, seront sujets aux vérifications, 24 avril.

3. — Arrêt du Conseil portant instruction pour la vérification des droits sur les grains.

[D. P., VIII, 542. — D. D., II.]

10 mai.

Tous les propriétaires de droits sur les grains sont tenus, aux termes des arrêts du Conseil des 13 août 1775 et 8 février 1776, de représenter leurs titres par-devant les commissaires que nomment ces arrêts, et doivent établir par titres non seulement leur propriété, mais l’étendue et la forme de perception de ces droits, objet qui est une partie intégrante, et souvent une des plus importantes des droits mêmes. Mais, comme il arrive souvent que plusieurs des usages qui sont suivis dans la perception de ces droits, sont établis par le fait et par une sorte de tradition plus que par des titres exprès, et que ces usages peuvent être d’autant moins soutenus de titres formels, qu’ils auront été moins contestés, il est nécessaire, pour que les commissaires aient une connaissance pleine et distincte de tous les droits qu’ils ont à vérifier, que toutes les règles ainsi établies par l’usage, dans la perception des droits sur les grains, leur soient aussi connues que les dispositions précises des titres des Propriétaires. En conséquence, tous les propriétaires de droits sur les grains auront à joindre à la représentation de leurs titres, une déclaration d’eux signée et certifiée véritable, sur la nature de grains, graines, grenailles, ou farines, sur le droit perçu, sur le mode de perception, etc.

IV. — Marchés de blé pour la Guerre.

Lettre du comte de Saint-Germain, ministre de la Guerre.

[A. L, original autographe.]

Versailles, 16 avril.

J’ai lu, M., le Mémoire sur la partie des vivres que vous m’avez fait l’honneur de m’envoyer hier. J’y répondrai en détail. En attendant, j’aurai l’honneur de vous dire que votre homme de confiance méritée me prend pour un grand balourd, ou pour un fripon. Je puis être le premier à un certain point, mais non pas à celui qu’il me suppose ; quant au second, mes preuves sont faites, je ne le fus jamais ; toutes les recherches que l’on fait faire chez les notaires de Paris contribueront à le confirmer. Je sais, M., que l’on travaille à vous prévenir contre tout ce que je fais. Je suis toujours prêt à rendre compte de toutes mes opérations. Elles indisposent bien du monde, il est vrai, mais il s’agit de voir si elles sont contraires au bien du service du Roi.

Je joins ici les copies des deux mémoires de M. de Blair[5].

Réponse de Turgot.

[A. L, minute autographe.]

Paris, 17 avril.

Je ne puis vous dire, M., à quel point je suis surpris et affligé de la lettre dont vous m’avez accompagné l’envoi des deux mémoires de M. de Blair, et de l’amertume avec laquelle vous répondez à la communication d’un Mémoire que je ne vous ai pas remis sans l’avoir lu et sans être bien sûr qu’il ne contenait rien dont vous eussiez sujet de vous offenser.

Comment est-il possible, M., qu’un homme tel que vous et qui doit se reposer sur une réputation faite depuis si longtemps, aussi sûr que vous devez l’être et de mon estime et du désir que j’ai de mériter votre amitié, imagine que qui que ce soit ait eu l’intention d’insinuer contre vous l’alternative que ma plume se refuse à transcrire d’après vous ?

La personne qui a fait ce Mémoire, et qui, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, mérite toute ma confiance, vous respecte comme elle le doit. Elle n’a pas pu avoir le dessein de vous blesser en me remettant des réflexions sur la partie des vivres qui intéressaient votre département et le mien, et je puis encore être moins soupçonné d’un pareil dessein.

Les conditions de votre régie des vivres ne sont point connues. Le bruit public annonce que les régisseurs ont un droit de commission sur les achats et que les prix des transports et de la manutention seraient à la charge du Roi jusqu’à ce que les grains soient rendus dans les places. Comme ces conditions ne sont pas nouvelles dans des marchés de ce genre, faits, soit par la Guerre, soit par la Finance, il est tout simple qu’un homme à qui l’expérience en a fait voir les dangers et qui sait que, par état, je dois m’inquiéter de tout ce qui intéresse la subsistance des peuples et surtout des habitants de Paris, m’ait exposé dans un mémoire ses réflexions sur les inconvénients de ces conditions si elles sont réelles. J’ai dû vous communiquer ces réflexions, soit par confiance, soit parce que les abus possibles de ces conditions intéressent mon département, puisqu’il en résulterait la facilité d’influer, par des opérations, sur le prix des blés. Si ces conditions existaient dans le traité des régisseurs, cette communication était nécessaire. Si elles n’y existent pas, elle n’est qu’inutile. Vous pouviez calmer toute inquiétude d’un mot, en me marquant que ces conditions n’existaient pas.

Vous me parlez à cette occasion de recherches qu’on fait faire, dites-vous, chez les notaires de Paris. Je ne conçois pas quel pourrait être le but de pareilles recherches, et je conçois encore moins par qui et comment elles pourraient être faites. J’ai peine à croire, je vous l’avoue, que ces recherches aient aucune réalité.

Vous m’ajoutez que vous savez qu’on travaille à me prévenir contre tout ce que vous faites. À cet égard, M., ceux qui vous ont donné une pareille idée vous ont absolument trompé. Personne au monde ne dirige ma façon de penser ; le peu d’observations que j’aie jamais faites sur vos opérations, je vous les ai faites à vous-même et au moment où vous m’en parliez. La seule de vos opérations sur laquelle vous ayez éprouvé de ma part quelque contradiction est celle de la loterie, et certainement vous ne pouvez pas penser qu’elle m’ait été suggérée, puisque j’avais refusé ce même projet lorsqu’il m’avait été proposé pour la Finance, puisque M. d’Angiviller, mon ami, ayant voulu l’adopter pour payer les dettes des bâtiments, a éprouvé de ma part encore plus d’opposition, puisqu’enfin, lorsque vous me parlâtes pour la première fois de la suppression de l’École Militaire, mon premier mot fut de vous exprimer mon vœu pour la suppression de la loterie.

Je sais que vous éprouvez beaucoup de contradictions ; je n’en éprouve pas moins que vous. On doit s’y attendre quand on veut faire le bien. Celles de vos opérations qui sont faites pour vous attirer le plus d’ennuis sont celles auxquelles j’aurais coopéré avec le plus de zèle, si j’y avais pu quelque chose.

C’est l’opinion que vous étiez l’homme le plus capable de les entreprendre et de les exécuter, qui m’a fait vous voir avec tant de joie appelé par le Roi pour remplir l’important ministère dont vous êtes chargé. Il n’aurait rien manqué à ma satisfaction si j’avais pu réussir à obtenir votre amitié. J’ose croire que quand vous me connaîtrez mieux, vous m’en jugerez digne.

J’ai retardé l’envoi de cette réponse parce que j’ai désiré que M. de Malesherbes eût l’honneur de vous voir et de vous faire sentir combien je suis loin de mériter l’espèce de défiance que m’annonce votre lettre.

V. — Liquidation des achats de grains pendant le Sacre.

Lettre à l’intendant de Champagne.

[A. Marne. — Neymarck, Nouvelles lettres inédites de Turgot.]

11 avril.

J’ai vu, M., le compte que le S. Hurtault de Reims vous a rendu de la vente des grains des vivres qui ont été envoyés dans cette ville lors du sacre du Roi. Je viens de marquer, au Sr Hurtault, comme vous l’avez désiré, toute ma satisfaction du désintéressement qu’il a montré dans toutes les opérations dont il a été chargé, ainsi que du bon et fidèle compte qu’il en a présenté et que vous avez arrêté et envoyé à M. de Fargès.

Ce compte, et ceux qui m’ont été remis par M. l’Intendant de Soissons et par le S. Lenthéric La Tour m’ont mis à portée de comparer entre elles toutes les ventes faites des grains tirés des munitionnaires, et je crois ne pas devoir vous laisser ignorer que la partie des 1 000 sacs de froment que vous avez fait laisser à Châlons et dont le Sr Prieur vous a rendu compte, n’a pas produit à beaucoup près à la vente ce dont le Sr La Tour a compté pour les 1 000 sacs qu’il a été prendre à Châlons et qu’il a vendus, tant sur le marché de cette ville qu’à Dormans, Château-Thierry, Charly et à La Ferté-sous-Jouarre. Elle n’approche pas même de la vente faite dans la Généralité de Soissons d’une pareille quantité de sacs de méteil qui y ont été vendus et qui ont produit, tous frais faits, une somme de 22 028 l. 19 s. 6 d.

Les 1 000 sacs de blé, vendus par le Sr La Tour, ont produit aussi, tous frais déduits, 23 299 l. 15 s. 9 d.

Et les 1 000 sacs pareils de blé vendus par le Sr Prieur à Châlons ou par lui envoyés à Troyes et à Château-Thierry n’ont produit également, à la déduction des frais, que 16 043 l.

Vous voyez, M., l’énorme différence qui se trouve dans le produit des mêmes grains. Ils devaient cependant soutenir partout la concurrence de ceux du pays. Le Roi, en cherchant à multiplier la denrée dans votre Généralité, n’avait point l’intention que les grains qu’il procurait fussent vendus à vil prix et beaucoup au-dessous du cours que l’abondance devait nécessairement faire diminuer et mettre à la portée des consommateurs.

Le sacrifice fait sur cette partie n’a point d’objet utile puisqu’il tombe autant sur le riche que sur le pauvre pour lequel il avait été ouvert des travaux de charité où il gagnait de quoi pourvoir à subsistance. Si toute l’opération eût été faite à Reims comme à Châlons, il s’en faudrait de beaucoup que les fonds pussent suffire à remplacer aux munitionnaires les grains qui ont été tirés de leurs magasins dans un temps où ils étaient à haut prix, malgré la diminution qu’a opéré depuis l’abondance de la récolte dernière.

————

[1] Voir aussi p. 148.

[2] Voir ces Lettres patentes, tome IV, p. 216.

[3] Cet arrêt fut notifié aux Intendants, le 3 février (A. Calvados).

Dans un Projet d’Arrêt communiqué à Miromesnil et à Malesherbes en décembre 1775, Turgot avait dit :

« Le Roi s’étant fait représenter en son Conseil l’arrêt d’enregistrement… et S. M. ayant reconnu :

« Que cette modification était contraire à la déclaration du 25 mai 1763 et aux Lettres Patentes du 2 novembre 1774 ;

Qu’elle était inconciliable avec la liberté accordée à tous ses sujets de vendre et d’acheter des grains et farines en quelque lieu que ce soit, même hors des halles et des marchés, de les garder et voiturer à leur gré, sans que les propriétaires puissent être astreints à aucune formalité ;

« Que cette liberté essentielle pour assurer la circulation dans l’intérieur de chaque province ne pourrait pas subsister si les propriétaires pouvaient être assujettis par les ordres des juges de police ou en vertu des arrêts de ladite Cour, à porter, aux différentes halles et marchés du ressort du Parlement de Rouen, des grains qu’ils voudraient vendre dans leurs greniers ou qu’ils destineraient soit à différentes provinces de notre Royaume, soit dans d’autres marchés situés dans le ressort du même Parlement, où les besoins auraient été plus grands et dans lesquels le commerce abandonné à lui-même se serait empressé de faire porter les secours qui leur seraient nécessaires, qu’ainsi l’effet de cette modification serait l’anéantissement de la loi qui assure la liberté du commerce ;

« Qu’il en résulterait un régime arbitraire de la part des juges de police, et le renchérissement inévitable des grains pour tous les lieux qui, ayant à s’en pourvoir, pourraient être obligés de les aller chercher au loin dans les marchés où les ordonnances des juges les concentreraient ;

« Que les frais de voiturage des grains aux marchés et de rapport de ces grains au moulin se multiplieraient à la charge du peuple et ajouteraient au prix de sa subsistance ;

« Que les propriétaires et les négociants enfin seraient dans une perpétuelle incertitude sur la disposition de leurs grains ou sur l’accomplissement des conventions qu’ils auraient pu faire entre eux, puisque ces conventions pourraient être rompues à chaque instant, si on laissait aux juges de police le droit de faire porter au marché des grains vendus aux négociants, et d’intercepter ainsi l’approvisionnement des lieux pour lesquels ces grains auraient été destinés ;

« Et S. M. ne pouvant laisser subsister une semblable modification qui détruirait tout l’effet d’une loi qui a été reçue avec reconnaissance et enregistrée purement et simplement par toutes ses Cours, elle a résolu de faire connaître ses intentions à ce sujet… »

Malesherbes avait fait les observations ci-après :

« Je serais d’avis de casser la modification par deux motifs très brièvement expliqués : l’un, que cette modification est contraire au texte de la loi enregistrée, l’autre qu’elle établirait pour le ressort du Parlement de Normandie une jurisprudence différente de celle qui est établie par tout le Royaume par des lois enregistrées dans tous les autres Parlements et je ne porterais pas la dispute sur la question même, sur laquelle on disputera un siècle quand on voudra.

« Je supprimerais aussi l’expression que la loi a été enregistrée partout avec reconnaissance. Ce n’est pas que le fait ne soit vrai ; mais il est certain que, dans une partie du Royaume et surtout dans les grandes villes comme Paris et Rouen et leurs environs, le regret a succédé à présent à la reconnaissance. Il vaut donc mieux n’en plus parler. Je revêtirais cet arrêt de cassation de lettres de jussion et j’y ferais joindre une lettre de M. le garde des Sceaux au Parlement qui lui ferait entendre qu’il n’est pas proposable de faire vivre la Normandie sous une loi différente des autres provinces du Royaume et qu’ainsi l’exécution pure et simple et très prompte de l’édit est absolument nécessaire ; j’ajouterais que si MM. du Parlement de Rouen ont des objections à faire sur la nature et la possibilité des règlements de police, ils peuvent les préparer ; que le Roi ne veut et ne peut vouloir sur cela que ce qu’ils veulent eux-mêmes, qui est le plus grand bien du peuple : que le Roi ne doit statuer qu’en grande connaissance de cause et après avoir fait l’examen de toutes les questions sur lesquelles leur arrêt est fondé ; que sur un objet si important, le Roi entendra toujours ce qu’on aura de nouveau à lui observer, mais que les décisions ne pourraient pas être personnelles à la Normandie et qu’en pareille matière, il faut absolument que la loi soit universelle, qu’elle soit exécutée surtout dans une ville comme Rouen qui, par sa position, pourrait intercepter le commerce de la Capitale ; que par toutes ces considérations le Roi n’a jamais pu laisser subsister leur arrêt tel qu’il est, qu’eux-mêmes doivent le sentir et que s’ils voulaient s’expliquer par des remontrances et des mémoires particuliers et y expliquer clairement ce qu’ils entendent par cette police arbitraire exercée pour faire garnir les marchés, ils considéreraient certainement que ce serait une entrave gratuite au commerce et un prétexte à des actes d’autorité arbitraires et coupables…

« Il me semble que cette lettre pourrait être telle qu’ils ne pourraient se dispenser d’obtempérer aux lettres de jussion, sauf à eux à faire, s’ils le veulent, des remontrances.

« Ce que je vous dis de cette lettre n’est qu’une esquisse fort imparfaite, mais vous voyez assez dans quel esprit je voudrais qu’elle fût écrite ; il est bon d’ajouter que jamais depuis que les précautions de police sont défendues, les marchés n’ont cessé d’être garnis, excepté quand on a craint d’y être volé, ce qui prouve bien que les précautions de police sont aussi inutiles que dangereuses. »

[4] Voir p. 148 le Mémoire au Roi.

[5] La première aigreur de Saint-Germain contre Turgot, raconte Véri, s’est manifestée sur une demande de 340 000 livres qu’il a faite pour son ameublement. Turgot, qui espérait marcher d’intelligence avec lui, lui représenta doucement que Miromesnil s’était contenté de 100 000 francs, que Malesherbes n’avait pas eu le tiers de ce qu’il demandait, que Du Muy avait eu pareil la somme de 120 000 francs, que Turgot n’avait pris sur son bien que 80 ou 90 000 francs pour son établissement, que les appointements de Saint-Germain étaient cependant de 250 000 francs supérieurs à ceux des autres ministres, et qu’il craignait de proposer au Roi une note de 344 000 francs. Depuis cette époque, les alentours de ce ministre et peut-être lui-même n’ont cessé d’avoir une aigreur sourde, dans toutes les relations de leur département avec celui de la finance. »

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