Œuvres de Turgot – 208 – Chansons, épigrammes, etc., de 1775

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1775

208. — CHANSONS, ÉPIGRAMMES, ETC. (DE L’ANNÉE 1775).

I.— Chansons et épigrammes.

LES RÉFORMES[1].

(Chansonnier historique, IX, 47.)

Le digne ministre de France

Doué d’esprit, d’intelligence,

Et de raison ;

En réformant notre finance

Répandra partout l’abondance

Chanson, chanson.

Turgot, par son économie

Fera pleuvoir sur la patrie

L’or à foison.

Il est assuré de son thème

Et nous vivons par son système ;

Chanson, chanson.

Tout va prendre une nouvelle forme

On ne parle que de réforme

De mœurs, de ton :

Ce n’est plus le siècle des belles

On va déserter les ruelles.

Chanson, chanson.

……………………………

Ma rente, contre la foi publique

Par l’abbé Terray fut réduite.

Que fera-t-on ?

Turgot qui hait la banqueroute

Me la rétablira sans doute,

Chanson, chanson.

LA CHERTÉ DU BLÉ.

(Chansonnier historique, IX, 72. — Mém. secret, VIII, 62.)

Est-ce Maupeou tant abhorré

Qui nous rend le blé cher en France ?

Ou bien est-ce l’abbé Terray ?

Est-ce le clergé, la finance ?

Des Jésuites est-ce vengeance ?

Ou de l’Anglais un tour fallot ?

Non, ce n’est pas là le fin mot…

Mais voulez-vous qu’en confidence

Je vous le dise ? … C’est Turgot.

LA GUERRE DES FARINES[2].

(Chansonnier historique, IX, 73.)

Biron, tes glorieux travaux

En dépit des cabales,

Te font passer pour un héros

Sous les piliers des halles ;

De rue en rue, au petit trot

Tu chasses la famine.

Général, digne de Turgot,

Tu n’es qu’un Jean Farine.

L’EXPÉRIENCE ÉCONOMIQUE.

(mai)

Un Limousin très grand réformateur

D’un beau haras fait administrateur,

Imagina pour enrichir le maître,

Un beau matin de retrancher le paître

Aux animaux confiés à ses soins.

Aux étrangers, il ouvrit la prairie[3] ;

Des râteliers, il fit ôter le foin.

Un jour n’est rien dans le cours de la vie.

Le lendemain, les chevaux affamés

Tirent la langue et dressent les oreilles.

On court à l’homme. Il répond : À merveille !

Ils y seront bientôt accoutumés ;

Laissez-moi faire. On prend donc patience.

Le lendemain, langueur et défaillance

Et l’Économe en les voyant périr,

Dit : Ils allaient se faire à l’abstinence ;

Mais on leur a conseillé de mourir

Exprès, pour nuire à mon expérience.

5

LA RÉGIE DES MESSAGERIES.

Ministre ivre d’orgueil, tranchant du souverain,

Toi qui, sans t’émouvoir, fais tant de misérables,

Puisse ta poste absurde aller d’un si grand train

Qu’elle te mène à tous les diables.

LES FERMIERS GÉNÉRAUX.

(Épître aux calomniateurs de la philosophie, par Saurin, Marmont ou La Harpe.)

…Soixante publicains engraissés de rapines

De la France aux abois affermant la ruine

Et d’un autre Sully renversant les projets,

Pensent servir leur maître en vexant ses sujets.

LES MINISTRES.

(Chansonnier historique, IX, 75.)

De ministres quel choix heureux,

Et quel présage pour la France !

Malesherbes tient la balance ;

Turgot préside à la finance ;

Saint Germain combattra pour eux ;

Et Maurepas, par sa prudence,

Rendra leurs travaux fructueux.

II. — Poèmes.

1. — LE RETOUR DE L’ÂGE D’OR.

(Mercure, février.)

(Sonnet qui a été couronné à Caen le 8 décembre 1774. En l’honneur de l’Immaculée Conception de la Sainte-Vierge.)

De Sully, de Colbert, toi qui cours la carrière,

Ton nom vole avec eux vers l’immortalité ;

Sur la nuit des calculs, tu répands la lumière,

Et rien ne se dérobe à ton activité.

Limoges t’a donné le tendre nom de père ;

La France avec transport l’a déjà répété,

Va, portant dans les cours, le flambeau qui t’éclaire

Aux yeux des souverains offrir la vérité.

Des dons de ton génie enrichis nos provinces.

En couronnant les arts, fais-les aimer des princes ;

Louis a par son choix honoré ta vertu.

Écrase sous tes pieds les serpents de l’envie

Suis tes nobles projets… Ainsi, chaste Marie,

Le tyran des enfers par toi fut confondu.

2. — VERS À DEUX AMIS[4] par La Harpe.

(Correspondance Métra, 18 mars.)

… Monsieur Turgot, a-t-il, dans quelque bel édit

Fait entrer la Raison discrètement ornée

Et de se trouver là justement étonnée ? …

… Le prélat Polonais, M. l’abbé Baudeau

Soumet-il la finance à quelque plan nouveau ?

Serons-nous enrichis par les économistes ?

2. — ÔDE SUR LE PASSÉ ET LE PRÉSENT, par Voltaire.

Le poète déplore le mal qui règne dans le monde ; un génie vient le consoler et lui dit :

Contemple la brillante aurore

Qui t’annonce enfin les beaux jours ;

Un nouveau monde est près d’éclore :

Até disparaît pour toujours.

Vois l’auguste Philosophie,

Chez toi si longtemps poursuivie,

Dicter ses triomphantes lois.

La Vérité vient avec elle

Ouvrir la carrière immortelle

Où devraient marcher tous les Rois.

Les cris affreux du fanatique

N’épouvantent plus la raison ;

L’insidieuse Politique

N’a plus ni masque ni poison.

La douce, l’équitable Astrée

S’assied de grâces entourée

Entre le trône et les autels

Et sa fille la Bienfaisance

Vient, de sa corne d’abondance,

Enrichir les faibles mortels.

Je lui dis : Ange tutélaire

Quels dieux répandent ces bienfaits ?

— C’est un seul homme. — Et le vulgaire

Méconnaît les biens qu’il a faits.

Le peuple, en son erreur grossière,

Ferme les yeux à la lumière,

Il n’en peut supporter l’éclat.

Ne recherchons point ses suffrages ;

Quand il souffre, il s’en prend aux sages ;

Est-il heureux, il est ingrat.

On prétend que l’humaine race

Sortant des mains du Créateur,

Osa, dans son absurde audace,

S’élever contre son auteur.

Sa clameur fut si téméraire.

Qu’à la fin Dieu dans sa colère,

Se repentit de ses bienfaits.

Ô vous, que l’on voit de Dieu même

Imiter la bonté suprême,

Ne vous en repentez jamais !

4. — SUR TURGOT, attribué à Voltaire.

[Correspondance Métra, 26 juillet 1775.]

À Turgot, je crois fermement ;

Je ne sais pas ce qu’il veut faire,

Mais grâce à Dieu, c’est le contraire

De ce qu’on fit jusqu’à présent.

5. — LE TEMPS PRÉSENT, par Voltaire.

En se promenant dans les bois, le poète rencontre des troupes joyeuses de filles, de garçons, de vieillards, d’enfants

… qui dansaient aux chansons.

Il leur demande le sujet de leur joie, et leur rappelle leur misère :

À peine eus-je parlé, mille voix éclatèrent,

Jusqu’aux bords étrangers les échos répétèrent ;

Ce temps affreux n’est plus ; on a brisé nos fers[5].

Quel Hercule, leur dis-je, a fait ce grand ouvrage ?

Quel Dieu vous a sauvés ? On répond : C’est un sage.

Un sage ! Ah, juste ciel, à ce nom je frémis :

Un sage ! Il est perdu ; c’en est fait, mes amis.

Ne les voyez-vous pas, ces monstres scholastiques,

Ces partisans grossiers des erreurs tyranniques,

Ces superstitieux qu’on vit dans tous les temps

Du vrai que les irrite ennemis si constants.

Rassemblant les poisons dont leur troupe est pourvue ?

Socrate est seul contre eux, et je crains la ciguë.

— Dans mon profond chagrin je restais éperdu,

Je plaignis le génie, et surtout la vertu.

… Ariston (Condorcet) vient consoler le poète :

Ne vois-tu pas, dit-il, que le siècle est changé ?

Va, de vaines terreurs ne doivent pas t’abattre,

Quand un Sully renaît, espère un Henri Quatre[6].

III. — Portraits de Turgot.

1. Vers de La Harpe.

(Almanach des Muses, de 1776.)

Ses talents, son courage et sa raison profonde

Sont dignes de sa place et du choix de Louis,

Le pauvre et l’opprimé sont ses premiers amis,

Et le vœu de son cœur serait de faire au monde

Le bien qu’il fait à son pays.

2. Lettre de Voltaire à De Vaines.

À Ferney, 18 mars.

Vous me faites, M., un présent qui m’est bien cher. J’avais déjà le portrait de M. Turgot ; mais j’ai fait encadrer celui que je tiens de vos bontés, et je l’ai mis au chevet de mon lit, à cause des vers de M. de La Harpe. Non seulement, ces vers sont bons, mais ils sont vrais ; ce qui arrive fort rarement à ces messieurs les contrôleurs généraux. J’ai placé cette estampe vis-à-vis celle de Jean Causeur. Ce n’est pas que Jean Causeur vaille M. Turgot ; mais c’est qu’on l’a gravé à l’âge de 130 ans. Quoique je me sois confiné au pied des Alpes, entre la Savoie et la Suisse, j’aime encore assez la France pour souhaiter que M. Turgot vive autant que Jean Causeur.

3. Vers de Quesnay de Saint-Germain.

(Mercure, Juin.)

Ces traits que révère la France

Dans l’esprit des méchants sont gravés par l’effroi,

Dans nos cœurs par l’espoir et la reconnaissance,

Par la vertu dans l’âme de son roi.

IV. — Pamphlets et Libelles.

1. Lettre de M. Terray, ex-contrôleur général, à M. Turgot, ministre des finances, pour servir de supplément à la correspondance entre le Sr Sorhouet et M. de Maupeou[7].

Ce libelle était dirigé contre l’abbé Terray ; la police en rechercha les auteurs. Une marchande libraire, au Palais Royal, Mme Manichelle dite Lamarche, fut mise à la Bastille[8] le 24 janvier 1775. Elle en sortit le 30 mars. Un libraire de Versailles, Bard, fut enfermé aussi, probablement pour le même motif, du 29 janvier au 7 février ; de même, pour les colporteurs De Sauges, père et fils, qui furent embastillés le 30 janvier 1775 et sortirent l’un le 3 mars et l’autre le 6 avril. De même enfin, pour un libraire de Rouen, Lucas, enfermé le 22 février et sorti le 28 mars, et pour Val, libraire à Bayeux, entré le 7 mars et sorti le 28.

Dans sa prétendue lettre, Terray prouve l’excellence de ses opérations en ce qu’elles avaient pour but de soulever des peuples et d’amener la France à se donner une forme de gouvernement sous laquelle les habitants seraient moins malheureux. Il n’avait plus qu’à envoyer des soldats chez tous les particuliers pour leur demander la vie ou la moitié de leur argent, et les 8 sols pour livre de la totalité.

2. Lettre d’un profane à M. l’abbé Baudeau, très vénérable de la scientifique et sublime loge de la Franche-Économie. (in-8°, s. l. À la fin, juillet 1775.)

Ce libelle fut dirigé contre De Vaines, à propos de la régie des Messageries. Il fut répandu à profusion. Il y est raconté, sans le moindre sel, que De Vaines était le fils d’un laquais et plus vraisemblablement le fils d’un commis au Trésor et de la femme du laquais, qu’il avait eu une jeunesse dans le genre de celle de Gil Blas, ayant été acteur, employé de finances, et même enfermé à Charenton, qu’il devait sa situation à Salverte, chef de bureau des Fermes et depuis fermier général dont il avait épousé la fille.

Il lui était reproché, entre autres infamies, d’avoir tripoté sur une affaire de domaines en Lorraine ; ces domaines affermés pour 650 000 francs à Poujaud auraient passé de main en main à des sous-fermiers jusqu’au prix de 1 030 000 livres, puis seraient revenus à l’État et réaffermés à Poujaud, pour 820 000 livres seulement. De Vaines aurait aussi enlevé de force son département à un fermier, du Mesjean, secrétaire des commandements de Monsieur, et se serait ainsi attiré l’animosité du frère du Roi.

Un second pamphlet contre De Vaines est intitulé : Lettre à M. Turgot par un de ses amis, 1776, in-8° (Il porte dans un endroit la date de 1776 et dans un autre celle du 8 octobre 1775.) C’est une réponse à la Gazette de Leyde qui avait fait paraître une justification de De Vaines.

L’auteur du libelle maintint les calomnies du premier pamphlet et se borna à rectifier quelques chiffres.

Il termine par des mots aimables à l’adresse de Turgot et par l’affirmation qu’il ne connait ni l’auteur, ni l’imprimeur de la première lettre. Les deux pamphlets ne sont pas, en effet, de la même plume.

La police rechercha en vain l’origine de ces pamphlets. Elle mit d’abord la main sur « le plus adroit des colporteurs », le nommé Bourgeois qui fut enfermé à la Bastille le 20 novembre 1775, sur ordre de Malesherbes, et en sortit le 20 janvier suivant[9]. Mais on n’apprit rien de lui.

Pour la seconde brochure, la police pénétra chez un Sr de la Charmoye, attaché au fermier général Girard du Mesjean dont il avait été parlé dans le premier libelle ; elle ne sut rien encore. Malesherbes reçut enfin l’aveu que le dernier libelle était de l’avocat Blonde[10]. Celui-ci fut mis à la Bastille le 20 janvier. Bourgeois fut en même temps relâché. Blonde, dont le Parlement évoqua l’affaire, sortit de prison le 29 janvier. De Vaines avait demandé lui-même qu’il fut élargi[11].

De Vaines avait été très affecté de l’incident. Mlle de Lespinasse écrivait le 9 octobre à Condorcet :

« Vous savez que M. Suard a été au Havre avec M. et Mme De Vaines, ils ont fait ce voyage pour distraire M. De Vaines qui est resté accablé sous le coup de massue qu’il a reçu. Les gueux qui l’ont porté ne sont point découverts, il y a eu dans cette affaire des circonstances bien affligeantes »[12].

3. Lettre de M. de Maupeou à M. de Gonzié, évêque d’Arras, du 20 janvier 1775.

Pour ce libelle et pour d’autres furent mis à la Bastille Dom Desruelles, bénédictin de l’Abbaye de Saint-Vaast, du 1er mars au 24 mai 1775 (il fut exilé ensuite à la Beuvrière en Artois) et Lebeau du Bignon, vicaire général de Bordeaux, du 2 mars au 24 mai (exilé ensuite à Vitré en Bretagne).

Furent aussi embastillés pour délits de librairie :

Penliau, libraire à Arras, puis à Abbeville, du 3 au 28 mars 1775.

Clofe, garçon de boutique chez un libraire de Versailles, du 1er mai au 24 juin.

Arnoult, directeur caissier de la Gazette de France, du 28 décembre 1775 au 2 janvier 1776 ; ce dernier pour nouvelles à la main.

Pour « Mémoires répréhensibles au Contrôleur général », un cavalier du guet, nommé Collet, fut mis à la Bastille le 13 février 1775 et transféré à l’Abbaye le 11[13].

4. Théorie du Libelle, par Linguet.

La théorie du Libelle, ou l’art de calomnier avec fruit, dialogue philosophique, pour servir de complément à la Théorie du Paradoxe, parut dans les circonstances que raconte Morellet dans ses Mémoires.

« Turgot, ministre, et Trudaine de Montigny étaient fort occupés d’établir la liberté du commerce des grains ; Linguet, qui voyait dans cette opération un des principes des économistes qu’il poursuivait avec acharnement dans tous ses écrits, se mit en mouvement, et publia un livre sur le pain et le blé. Il y prouve, à sa manière, que le blé est un poison, que le libre commerce du blé est un monopole, qu’il faut vivre de pommes de terre et de poissons, etc. Turgot et Trudaine furent indignés avec raison de cette extravagance, qui pouvait avoir de fâcheux effets sur quelques esprits ; mais ils ne voulaient ni l’un ni l’autre supprimer le livre, ni faire punir l’auteur, mesure injuste et contraire à leurs maximes. Je leur dis que je leur ferais justice du Sr Linguet ; je tins parole.

« J’envoyai chercher tous ses ouvrages, dont la plupart ne m’étaient connus que par les journaux ; je m’enfermai chez moi ; je les lus, tout en marquant d’un coup de crayon toutes les extravagances que j’y trouvai, et que je faisais transcrire en même temps sur des papiers séparés.

« Ce travail fini, je cherchai un cadre où tout vint se placer naturellement, et je trouvai la Théorie du Paradoxe. Je ne fus embarrassé que du choix des absurdités auxquelles je donnerais la préférence…

« Dès que mon manuscrit fut en état, c’est-à-dire au bout d’environ quinze jours, je le lus chez Mme Trudaine, à MM. de Malesherbes, Turgot et Trudaine de Montigny. Cette lecture réussit, excepté auprès de M. de Malesherbes, qui, avec tant de lumières et de vertus, n’était pas ennemi des opinions singulières, et qui surtout n’approuvait pas que j’attaquasse si vertement ce pauvre Linguet, poursuivi alors vivement par ses confrères les avocats, tout disposés à le rayer du tableau… Je m’engageai à différer la publication de ma brochure jusqu’à ce que l’affaire de Linguet avec les avocats fut terminée bien ou mal pour lui. Enfin, arriva le jour fatal pour Linguet ; il fut rayé du tableau. Le lendemain, dès l’audience de sept heures, on mit en vente au Palais, et chez différents libraires, la Théorie du Paradoxe. Les amateurs et surtout les gens de palais s’en pourvurent avec un tel empressement, que huit jours après, je fus obligé d’en faire une nouvelle édition à 2 000 exemplaires. Et bien me prit de m’être pressé pour la publication, car M. Trudaine de Montigny, étant allé à Versailles le jour même qui suivit le jugement de Linguet, m’envoya en grande hâte de Versailles un exprès, qui m’arriva vers deux heures, pour me dire que le garde des Sceaux voulait qu’on différât la publication de ma critique. J’avais, je l’avoue, pressenti quelque défense de ce genre.

« Linguet fit une mauvaise réponse, intitulée : la Théorie du Libelle. J’y répliquai par une nouvelle brochure, sous le titre de Réponse sérieuse à M. Linguet[14].

« … Je puis dire que ma Théorie du Paradoxe l’a vraiment blessé à mort ».

5. Le Journal de Politique et de Littérature de Linguet.

Ce journal commença à paraître à la fin de 1774. On lit à son sujet dans la Correspondance Métra, 17 janvier 1775 : D’après le caractère fougueux et dur de cet écrivain, il y a lieu de penser qu’il abandonnera cet ouvrage à la première tracasserie un peu forte que lui fera le censeur.

« À propos du dernier édit pour le commerce des grains, il s’est permis d’apostropher de nouveau les économistes auxquels il a déclaré la guerre, il y a longtemps, et il a en même temps parlé un peu trop librement sur cette opération du gouvernement.

« M. Turgot lui a fait dire que « sans vouloir gêner sa plume, il lui conseillait de respecter les vues du ministère et surtout les choses établies en conséquence de ces vues »[15].

6. La législation, et le commerce des grains, de Necker, et autres écrits sur les grains.

En dehors de la brochure et des articles de Condorcet, plusieurs réfutations de l’ouvrage de Necker furent faites, savoir :

1° Par Condorcet. — Condorcet publia un certain nombre de brochures et d’articles pour défendre l’œuvre de Turgot :

Réflexions sur les corvées, à Mylord …

Du commerce des blés, pour servir à la réfutation de l’ouvrage sur la législation et le commerce des grains (De Necker), Paris, Granger, 1775, reproduit sous le titre de Réflexions sur le commerce des blés, ou réfutation, etc., Londres, 1776, in-8°.

Sur l’abolition des corvées, in-8°, s. l., 1775.

Il faut citer aussi les articles Monopole et Monopoleur, insérés dans les suppléments de l’Encyclopédie. D’après la correspondance Métra, ces articles furent tirés à part sous ce titre : Monopole et Monopoleur, articles extraits des suppléments d’un dictionnaire très connu. Ces articles étaient dirigés contre Necker.

2° Par Morellet : Analyse de l’ouvrage de M. N. sur le commerce des grains, 1775.

3° Par Baudeau, dans les Éphémérides du citoyen. D’après la Correspondance Métra, 1er et 8 juillet, Baudeau s’étant expliqué un peu librement sur le régime de la police à Paris, à la tête de laquelle avait été Sartine, celui-ci s’en plaignit à Turgot qui aurait répondu : « Je vous abandonne l’économiste ». Sartine aurait répliqué qu’il ne comptait que sur la justice. Baudeau, à qui on avait reproché ces attaques, aurait répliqué devant beaucoup de monde : « Je sais bien qu’il faut que M. de Sartine ou moi soyons perdus ». Turgot aurait fait fermer sa porte à l’économiste fougueux et indiscret.

Cette anecdote est des plus suspectes.

Rappelons la brochure de l’abbé Sauri qui valut à cet ecclésiastique d’être envoyé à la Bastille, lors de la guerre des Farines. Elle est intitulée : Réflexions d’un citoyen sur le commerce des grains.

7. Ouvrages financiers.

Mémoire sur des questions importantes de droit public, supprimé par Arrêt du Conseil du 4 janvier 1775 (Anc. lois fr., XXIII, 130).

La prospérité du commerce, par l’avocat Lacroix. — Il y fut proposé de recevoir l’impôt en marchandises, en denrées, ou en monnaies, suivant le choix du contribuable. L’impôt en argent ou en nature était fixé au dixième du revenu et devait être recueilli dans des magasins construits dans les principales villes du royaume. Les troupes auraient directement tiré de ces magasins les objets nécessaires à leur habillement et à leur subsistance, etc. (Correspondance Métra)[16].

De l’esprit du Gouvernement économique, par Bœsnier de Lorne. — L’auteur disait de ce gouvernement que c’était l’art de procurer aux sociétés la plus grande somme de bonheur possible.

Écrits de Bernard, intendant du roi de Prusse, sur le Cadastre. (Correspondance Métra, 9 janvier 1775) — « Il est à présumer que M. Turgot, en accordant aux faiseurs de projets qui l’obsédaient la liberté de faire imprimer leurs productions, a retenu dans ses bureaux les mémoires qui contenaient des vues sages et justes. Une foule d’écrivains ont travesti à leur manière les rêveries ingénieuses des Vauban, des Mirabeau, etc…

« Nous sommes inondés actuellement de brochures qui ne sont que des observations ou des critiques insipides sur le plan économique de M. des Glasnières dont les Gazettes n’ont que trop parlé et qui ne méritaient pas l’examen…

« Il faut distinguer de la foule un petit écrit du Sr Bernard, il annonce de bonnes vues sur la nécessité du cadastre général et sur les avantages qui en résulteraient ».

Nouvelles Éphémérides économiques :

Les principaux articles sont les suivants :

TOME I. — Essai sur l’abus des privilèges exclusifs et sur la liberté du commerce et de l’industrie, par feu le président Bigot de Sainte-Croix. — Lettres et Mémoires à un magistrat du Parlement de Paris (sur l’Arrêt du 13 septembre). — Éloge funèbre de Quesnay, par le marquis de Mirabeau.

TOME II. — Suite de l’ouvrage de Bigot de Sainte-Croix. — Mémoire militaire, du marquis de Pezay. — Lettres apologétiques sur les corvées, réfutées par Baudeau.

TOME III. — Lettre sur les économistes, par Le Mercier de la Rivière. — Continuation des Mémoires de Bigot de Sainte-Croix sur les jurandes. — Extraits de l’ouvrage de Pezay, sur l’Histoire du maréchal de Maillebois. — Lettre de l’archevêque de Toulouse (Brienne) aux curés de son diocèse, du 25 décembre 1774, sur l’épizootie.

TOME IV. — Article sur le commerce des cuirs. — Le profit du peuple et le profit du roi, par l’abbé Baudeau, sur les impôts du sel, des boissons et du tabac ; l’abbé propose de supprimer ces impôts et de les remplacer par un impôt territorial. — Analyse de la correspondance de Gustave III. — Notice sur la diminution des droits sur le poisson à Paris.

TOME V. — Étude historique sur les droits de toute espèce que paient les vins récoltés sur les bords de l’Allier ou de la Loire en venant par eau à Paris. — Éloge de Quesnay, par le comte d’Albon. — Ordonnance de l’archevêque de Toulouse (Brienne) interdisant les sépultures dans les églises de son diocèse.

TOME VI. — Éclaircissements demandés à M. N. (Necker). — Thèse soutenue par le chevalier de Mirabeau à l’Université d’Upsal.

TOME VII. — Suite des Éclaircissements demandés à M. N.

TOME VIII. — Suite des Éclaircissements demandés à M. N. — Extraits de l’ouvrage de Pezay sur le Maréchal de Maillebois. — Arrêt du Conseil sur la liberté de l’art de polir les ouvrages d’acier. — Annonce de l’édition des Économies royales de Sully, par Baudeau.

TOME IX. Mémoire sur les péages perçus sur le Rhône. — Lettre à M. N. (Necker) sur son Éloge de Colbert, par Baudeau. — Lettre sur les revenus des fonds de terre, par M. de M. (Marquis de Mirabeau). — Mémoire sur l’instruction publique, par Le Mercier de la Rivière.

TOME X. — Mémoire sur les eaux-de-vie. — Lettre de Baudeau sur la suppression de la gabelle. — Suite du Mémoire de La Rivière. — Prix proposé par la société d’Agriculture de Lyon, sur la suppression des Jurandes des boulangers.

TOME XI. — Sur la compagnie royale d’Afrique, par Baudeau. — Arrêts du Conseil supprimant les droits d’entrée à Lyon sur les soies françaises.

TOME XII. — Nouvelle note de Baudeau sur la suppression de la gabelle, des aides et de l’impôt sur le tabac. — Lettre de M. de Magnière sur la liberté des échanges (dans un sens protectionniste). — Arrêt du Conseil du 12 décembre 1766 sur les messageries[17].

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[1] « On serait d’abord tenté de croire que ce vaudeville fut fabriqué par quelque financier enragé contre M. Turgot, dit Rachaumont… ; mais, comme il y a beaucoup de gaité ; cette chanson est plus maligne que méchante. » — Metra la donne à la date du 2 janvier.

[2] Cette chanson courut beaucoup ; elle fit fortune à la ville et à la Cour ; le Prince de Conti la chantait encore peu de temps avant sa mort. On s’était moqué de Biron d’une façon plus cruelle : on lui avait envoyé un avis faux que les mutins voulaient s’emparer de la Bastille et de l’Arsenal. Il donna l’alerte à M. de Jumilhac, gouverneur du château. Les mousquetaires durent se tenir sur pied toute la nuit du 8 au 9 mai. Ces précautions firent quelques jours l’entretien des soupers de Paris (Relation historique).

[3] Allusion à l’exportation des blés que Turgot ne permit cependant pas.

[4] Qui étaient allés le voir à la campagne.

[5] C’est, indique une note, une allusion à l’abolition de la corvée et à la décision qui défendait de poursuivre arbitrairement le défenseur du fisc.

[6] On fit courir aussi, sous le nom de Voltaire, la pièce ci-après (Métra, 16 novembre 1775).

On m’accuse d’avoir chanté

Maupeou, Terray. … À ma patrie

Aux dieux pour l’éternité

Alors je pris la liberté

D’abuser de la poésie.

J’employai le pinceau brillant

De l’art et de la flatterie,

Mais aujourd’hui lorsque j’écris

Presque des bords du monument

Où je vais déposer ma vie,

Que mon pays a son Titus,

Son Sully, son second Turenne,

Que nos beaux-arts et les vertus

Annoncent sa gloire prochaine,

Mes accents n’en imposent plus

Et j’ai pris ma voix naturelle,

C’est pour le coup que tout est bien

Et le poète, au vrai fidèle,

N’est plus qu’un simple historien.

[7] Signalé par Métra le 9 février 1775.

[8] D’après le Journal Historique (2 mars) on aurait tenu en prison seize personnes dont sept femmes.

[9] Funck-Brentano, Les lettres de cachet.

[10] Un secrétaire de d’Alembert, Durrocq de la Cour, avait chez lui un ballot d’exemplaires ; il promit à de Vaines de lui livrer l’édition entière moyennant 50 louis, mais il en garda un exemplaire qu’il fit passer en Hollande. D’Alembert le chassa.

[11] Blonde s’était, paraît-il, glorifié dans sa lettre à Malesherbes d’avoir écrit le libelle pour le bien de l’État ; et il s’était fait fort de prouver toutes ses assertions.

[12] Voir au tome IV, p. 305, la Lettre de Turgot à De Vaines.

[13] Funck-Brentano, Lettres de cachet.

[14] Réponse sérieuse à M. L. par l’auteur de la Théorie du Paradoxe. Métra parle de cette réponse à la date du 3 juin 1775.

Le pamphlet de Linguet avait été supprimé le 2 avril (d’après le Journal historique, 13 mars) ; 4 000 exemplaires en auraient été débités. On ne doute pas, dit le même Journal, que ce ne soit M. Turgot qui ait provoqué cette vindicte en faveur des économistes ; cela est mortifiant pour M. Lenoir sous les auspices duquel Linguet avait fait paraître son pamphlet.

Linguet prétendit que le censeur, Cadet de Senneville, lui avait non seulement refusé son approbation pour un écrit contre les économistes, mais avait communiqué l’écrit à ces derniers et avait même fait disparaître le manuscrit.

[15] Voir ci-dessus.

[16] 17 janvier 1775. L’avocat Lacroix ne doit pas être confondu avec le chef de bureau du contrôle général Delacroix.

[17] Signalons encore parmi les publications de 1775 :

Les Maximes générales du gouvernement agricole le plus avantageux au genre humain, de Quesnay (publié par son petit-fils Quesnay de Saint-Germain, en in-f° dans la dimension d’une carte géographique).

La Diatribe à l’auteur des Éphémérides, de Voltaire (septembre 1775). Le libraire fut interdit, le censeur Louvet cassé, l’arrêt de condamnation affiché.

Le Dialogue entre un curé et un évêque, au sujet du mariage des protestants (octobre 1775).

La Ferme de Pensylanie, histoire allégorique de la famille Nobroud (Bourbon).

Les avantages de la vertu ou calcul des malheurs du crime, discours où l’on prouve qu’en cherchant à nuire aux autres on se nuit à soi-même.

Plan d’instruction pour le peuple, dissertation en faveur de la liberté du commerce des grains, etc. » (Correspondance Métra, 4 février.)

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