Œuvres de Turgot – 207 – Questions diverses

Œuvres de Turgot et documents le concernant, volume 5

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1775

207. — QUESTIONS DIVERSES

I. — Hygiène.

1. Lettre à l’Intendant de Bordeaux (Esmangard) sur le mal vénérien chez les enfants.

[A. Gironde, C. 74. — Foncin, 614.]

Paris, 11 juillet.

Une question, M., formée par les Recteurs de l’Hôpital des Enfants trouvés d’Aix, a donné lieu à la consultation ci-jointe de la Faculté de médecine. Elle a pour objet de parvenir à connaître ce que la pratique a pu apprendre de plus certain sur la réalité des signes de l’existence du mal vénérien dans les enfants au moment de leur naissance ; la méthode la plus prompte et la plus efficace de les traiter de cette maladie et les moyens de les nourrir au défaut du lait de femmes et d’animaux. Je vous remets un certain nombre d’exemplaires de cette consultation et de la lettre écrite par le Doyen de la Faculté de Paris aux différents administrateurs des hôpitaux qui doit accompagner cette consultation ; je vous prie de leur en donner connaissance et de les inviter, ainsi que les gens de l’art, à communiquer à la Faculté de médecine leurs observations sur une question si importante pour le bien de l’humanité et la conservation des enfants.

2. Lettre au Ministre des affaires étrangères au sujet de l’acquisition d’un remède contre le tœnia.

[A. N., F12 151.]

3 août.

Le Roi, ayant désiré, M., faire l’acquisition d’un remède très célèbre à Morat, en Suisse, contre les tœnias ou vers solitaires, j’ai chargé plusieurs médecins de l’examiner et de m’en dire leur sentiment. Les diverses expériences qui en ont été faites ayant eu le plus grand succès, S. M., à qui j’en ai rendu compte, a jugé qu’il convenait pour le bien de l’humanité de le rendre public. Je l’ai, en conséquence, fait imprimer et j’ai l’honneur de vous en envoyer 200 exemplaires. Je ne doute point que vous ne vous empressiez à le faire connaître, et j’espère qu’à cet effet vous voudrez bien en faire passer quelques exemplaires aux ambassadeurs et ministres du Roi dans les cours étrangères.

3. Secours aux noyés. Lettre à l’Intendant de Champagne.

[A. de la Marne. — Neymarck, II, 417.]

Versailles, 30 septembre.

J’ai reçu, M., la lettre que vous m’avez écrite le 10 de ce mois, relativement aux mesures que vous avez prises pour assurer les secours les plus prompts et les plus efficaces aux personnes noyées qui sont encore susceptibles d’être rappelées à la vie. J’ai vu avec satisfaction ce témoignage de votre zèle, et je ne puis qu’approuver beaucoup un établissement aussi utile à l’humanité. Je consens bien volontiers à ce que vous fassiez acquitter sur les fonds libres de la capitation les dépenses que vous avez cru devoir faire cette année pour cet objet. Vous pourrez, en conséquence, délivrer vos ordonnances sur ces fonds dans les termes que vous estimerez convenables. J’aurais désiré que vous m’en eussiez fait connaître l’objet ou que vous en eussiez instruit M. d’Ormesson.

II. — École de médecine.

Lettres patentes sur la translation de l’École de médecine dans les anciens bâtiments de la Faculté de Droit.

(Registrées au Parlement le 9 décembre.)

[D. P., VIII, 52.]

15 septembre.

Louis. Étant informé que la Faculté de médecine se trouve dans la nécessité de quitter ses écoles dont la démolition a été ordonnée, et qui n’est suspendue que jusqu’au 1er octobre prochain, et désirant pourvoir au logement nécessaire de ladite Faculté pour y faire ses exercices ; nous nous sommes fait représenter l’Arrêt du Conseil du 6 novembre 1763 et les Lettres Patentes sur icelui du 16 dudit mois, registrées en Parlement les 29 desdits mois et an, par lesquels le feu Roi, notre très honoré Seigneur et Aïeul, en agréant la translation des Écoles de droit sur la place de la nouvelle église de Sainte-Geneviève-du-Mont, a en même temps ordonné qu’aussitôt après la construction desdits édifices pour la Faculté de Droit et après que les Écoles y seraient ouvertes, il serait procédé, par devant un des conseillers du Parlement de Paris, sur une simple affiche et publication, à la vente des terrains, cour et bâtiments qui servaient alors aux Écoles de ladite Faculté, pour le prix qui en proviendrait être employé d’abord au paiement des sommes qui se trouveraient être redues pour raisons des bâtiments des dites nouvelles écoles de Droit, et le surplus à la construction de l’église de Sainte-Geneviève. Mais, jugeant à propos d’affecter lesdits bâtiments pour loger provisoirement la Faculté de Médecine, nous y avons statué par Arrêt rendu ce jourd’hui en notre conseil, nous y étant.

À ces causes, nous avons ordonné, et par ces présentes signées de notre main, ordonnons que, jusqu’à ce qu’il y ait été autrement pourvu par nous, il sera sursis à la vente des terrains, cour et bâtiments, des anciennes écoles de la Faculté de Droit, ordonnée par arrêt du Conseil du 6 novembre 1763 et Lettres Patentes sur icelui du 16 desdits mois et an, pour, lesdits bâtiments et terrains, être employés aux exercices de la Faculté de médecine de la ville de Paris ; nous dérogeons, pour ce regard seulement, aux dispositions desdits Arrêts et Lettres Patentes des 6 et 16 novembre 1763, en ce qui est contraire à celles des présentes.

III. — Université de Paris[1].

Lettres patentes confirmant les privilèges.

[Jourdain, Histoire de l’Université, 459. — Foncin. 296.]

8 octobre.

(Ces privilèges étaient des exemptions d’impôts, la faculté d’être jugé à Paris, même en matières civiles, le droit pour la Sorbonne d’exercer une juridiction sur le commerce de la librairie.)

IV. — Chaire d’hydraulique.

Lettre à l’abbé Bossut le chargeant de cette chaire.

[Mémoires secrets, VIII, 307, rédaction fantaisiste. — Foncin, 593, même rédaction. — Henry, rédaction exacte, 237.]

Octobre.

Un des plus puissants moyens pour répandre l’abondance dans tout le Royaume et assurer la subsistance du peuple, serait d’établir entre toutes les provinces des communications par eau, en rendant navigables toutes les rivières qui en sont susceptibles, et en les joignant par des canaux.

Il y a d’ailleurs, en France, une très grande quantité de terrains inondés par des rivières dont le cours est arrêté, soit par des obstacles naturels, soit par la construction vicieuse des moulins. Ces terres marécageuses sont perdues pour la culture, et l’air des habitations voisines en est infecté au point de diminuer d’une manière sensible la vie moyenne des hommes.

Des travaux bien entendus, une construction de moulins moins défectueuse rendrait à l’air la salubrité et dessécherait les terrains inondés.

Le Roi sent trop l’importance de ces différents travaux pour ne pas désirer que la science hydraulique fasse promptement de nouveaux progrès et qu’il se forme, dans ses États, un grand nombre d’hommes instruits dans cette science, en état de diriger les travaux avec intelligence et de vaincre les difficultés qui s’y rencontrent.

S. M. s’est fait rendre compte des moyens d’accélérer les progrès de l’hydraulique ; elle a trouvé qu’un des plus grands obstacles à l’avancement de cette science venait de ce que les principes sur lesquels la pratique ordinaire est fondée, sont trop précaires pour être employés avec sûreté, tandis que les véritables principes de la théorie ne peuvent que très difficilement être rendus applicables à la pratique et surtout mis à la portée du grand nombre de ceux à qui la pratique est confiée. Elle a jugé, en conséquence, que le meilleur moyen de les éclairer était de choisir, parmi les géomètres qui se sont appliqués à la science des fluides, un savant qui l’eût approfondie par le calcul et par l’expérience, et de le charger d’enseigner la théorie et la pratique de l’hydraulique en développant ce que, dans les théories données jusqu’ici ou dans les règles déduites de l’expérience, il y a de plus certain et de plus applicable à la pratique, soit pour la construction des canaux et des travaux de navigation, soit pour remédier aux maux que peuvent causer les rivières par leurs débordements ou leur stagnation, soit pour la construction des moulins.

Le succès de vos ouvrages sur l’hydraulique et le suffrage que les plus célèbres géomètres de l’Europe leur ont accordé, ont déterminé S. M. à faire choix de vous, pour vous charger de cet enseignement.

L’intention de S. M. est donc, M., que vous fassiez chaque année, à commencer au mois de novembre prochain, un cours public d’hydraulique dans une salle qui vous sera donnée à cet effet. Vous en publierez un programme où vous marquerez l’ordre, le nombre, l’heure et la durée de vos leçons. Le Roi vous laisse le maître de régler ces différents objets.

Vos appointements que S. M. fixe à six mille livres courront du 1er novembre 1775.

Le Gouvernement sera souvent dans le cas de vous consulter sur la capacité des sujets qui auront suivi vos leçons, et j’espère que vous voudrez bien en rendre compte avec l’intégrité et le zèle qu’on vous connaît depuis longtemps[2].

V. — Défrichements.

Déclaration Royale relative aux droits de propriété des terres défrichées.

(Registrée au Parlement le 9 décembre).

[D. P., VIII, 96.]

7 novembre.

Louis… Le feu Roi voulant donner des encouragements[3] à ceux qui avaient entrepris ou entreprendraient de défricher des landes de terres incultes, a prescrit par sa déclaration du 13 août 1766, les formalités qu’ils devaient suivre pour jouir des avantages y portés. L’article II les assujettit à des déclarations aux Greffes des Justices Royales et des Élections, et l’article III veut que les Entrepreneurs en fassent afficher copie à la porte de la paroisse, par un huissier qui en dresse procès-verbal. L’objet de ces affiches est de donner aux Décimateurs et Curés, et aux habitants les moyens de vérifier les déclarations et de les contredire, s’ils croyaient avoir des motifs de le faire, mais[4] il a été omis de fixer un terme à leurs recherches qui doivent néanmoins avoir des bornes pour assurer aux défricheurs la tranquillité de leurs travaux. Nous avons pensé qu’un délai de six mois serait suffisant pour mettre les intéressés à porter de vérifier les déclarations et de se pourvoir.

À ces causes…

I. Les déclarations de défrichements ordonnées par la Déclaration du 13 août 1766, qui auront été affichées conformément à icelle, six mois avant l’enregistrement de la présente Déclaration, ne seront plus susceptibles de contradiction de la part des Décimateurs, Curés et Habitants si, pendant ledit espace de temps, ils ne se sont pourvus contre lesdites déclarations.

II et III. (Un délai plein de six mois est accordé pour les pourvois)[5].

VI. — Délais pour foi et hommage.

1. Arrêt du Conseil accordant des délais aux vasseaux du Roi pour les foi et hommage dus à l’avènement du Roi à la Couronne.

[D. P., VIII, 23 et 54.]

(Transformée en Lettres patentes le 16 septembre.)

7 août.

Le Roi, étant informé que la plupart des propriétaires de fiefs, terres et seigneuries situées dans la mouvance de S. M., ne diffèrent de rendre les foi et hommage qu’ils lui doivent à cause de son heureux avènement à la couronne, que par la considération des frais auxquels cette prestation les exposerait, soit relativement aux droits qui sont perçus par les officiers des Chambres des comptes et des bureaux des finances, soit par rapport aux voyages auxquels plusieurs d’entre eux seraient obligés pour faire ces foi et hommage en personne, conformément aux dispositions des coutumes.

(Un délai est accordé jusqu’au 1er janvier 1777),

2. Arrêt du Conseil prorogeant, en faveur du clergé, les délais pour foi et hommage[6].

[D. P., VIII, 48.]

10 septembre.

Le Roi s’étant fait rendre compte des édits, déclarations, lettres-patentes et arrêts rendus sur le fait des foi et hommage, aveux et dénombrements demandés aux bénéficiers de son Royaume par les officiers de son Domaine, ensemble des mémoires et remontrances présentés aux rois prédécesseurs de S. M., tant par les assemblées générales du clergé de France, que par les agents généraux du clergé tendantes à faire jouir lesdits bénéficiers de l’exemption desdits foi et hommage, aveux et dénombrements dans l’étendue de son Domaine.

À quoi voulant pourvoir : … le roi étant … ordonne que par devant les sieurs Moreau de Beaumont, Bouvard de Fourqueux, du Four de Villeneuve et Taboureau, conseillers d’État, que le Roi a nommés commissaires à cet effet, il sera procédé à l’examen et à la discussion des représentations et propositions que le clergé voudra faire à S. M. ; a prorogé et proroge jusqu’au dernier décembre 1780, et sans espérance d’aucun autre délai, en faveur de tous les bénéficiers, Corps et Communautés ecclésiastiques, même de ceux possédant des biens situés dans les domaines tenus en apanage, la surséance accordée par le feu roi au Clergé par arrêt de son Conseil en date du 4 août 1770…

VII. — Postes.

1. Arrêt du Conseil cassant un arrêté du Conseil supérieur du Cap (Saint-Domingue), au sujet d’une interception de lettres privées.

[Anc. Lois franc., XXIII, 229. — Foncin, 282.]

(Maintien du secret des postes.)

29 juillet.

La Correspondance Métra raconte qu’un ancien magistrat de l’Amérique proposa divers plans à Sartine. Le ministre les accueillit, mais l’Américain le trouva trop lent et écrivit à un de ses amis à Saint-Domingue pour se plaindre de la faiblesse du ministre qui donnait confiance à tels et tels membres du Conseil supérieur de l’Ile. Ses lettres furent interceptées et le substitut du procureur général du Conseil supérieur du Cap dénonça l’Américain à ce conseil en fournissant comme preuves les lettres saisies.

Sartine ne pensant qu’à la noirceur du procédé des Conseillers de Saint-Domingue et des informations exactes lui ayant prouvé la fausseté des calomnies qu’on avait vomies contre l’Américain, le fit venir, lui donna une bonne place et punit ses détracteurs.

Considérant en outre S. M. que des lettres interceptées ne peuvent jamais devenir la matière d’une délibération, que tous les principes mettent la correspondance secrète des citoyens au nombre des choses sacrées dont les tribunaux comme les particuliers doivent détourner leurs regards et qu’ainsi, le Conseil supérieur devait s’abstenir de recevoir la dénonciation qui lui était faite…

En conséquence, des poursuites furent dirigées contre les auteurs, fauteurs et complices de l’interception.

2. Lettre à l’intendant de Caen au sujet des maîtres de poste d’Isigny.

[A. Calvados.]

Versailles, 18 mars.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite, le 19 février, relativement à l’abus des Privilèges des Maîtres de Poste établis à Isigny. Je suis surpris que vous vous soyez permis de ne pas exécuter les ordres que le Roi m’a chargé de vous donner à ce sujet. Je me suis fait représenter toute la correspondance de cette affaire. J’ai vu que les habitants de ce bourg n’avaient cessé de réclamer contre l’abus intolérable de voir trois Maîtres de Poste étrangers, résidant à Isigny, dont l’un est éloigné de 8 lieues de sa poste, l’autre de 14, l’autre de 24. M. d’Ormesson a fait tout ce qu’il a pu pour vous faciliter les moyens de faire cesser ce désordre. Il a été jusqu’à engager le Marquis de Briqueville, Seigneur du lieu, à chercher des personnes qui voulussent se charger de ce service, afin de prévenir la difficulté que vous craignez de rencontrer à cet égard, et de faire cesser la crainte que vous témoignez, que ce service ne retombe à la charge des communautés. J’ai remarqué que, lorsque M. de Briqueville avait proposé des entrepreneurs, vous n’aviez plus voulu vous mêler de cet objet et que vous aviez marqué par votre lettre du 30 mai dernier que c’était avec M. D’Oigny qu’il fallait le traiter.

C’est dans cet état que j’ai pris les ordres du Roi et que je vous ai mandé, par ma lettre du 7 février dernier, de faire cesser les Privilèges de ces Maîtres de Poste s’ils ne se retirent pas dans le lieu de leur établissement. Vous voulez aujourd’hui me faire envisager cette affaire comme l’objet d’une discussion entre les maîtres de Poste actuels et les particuliers que présente M. de Briqueville pour faire ce service. Vous me dénoncez un autre abus existant dans ce bourg relativement à la municipalité. Vous l’attribuez à M. de Briqueville. Je n’ai point entendu donner de préférence, ni faire de choix entre les maîtres de Poste actuels et ceux qui pourraient les remplacer.

Il ne doit entrer aucune vue particulière dans cette affaire et il faut en écarter les personnalités. Le public a droit d’exiger que les maîtres de Poste veillent eux-mêmes sur le service qui leur est confié. Il n’y a peut-être point d’exemple qu’un maître de Poste soit à 14 et à 24 lieues de son établissement. Il est évident qu’un brevet de maître de Poste, en pareil cas, n’est qu’un titre abusif de privilège que prend un homme riche pour faire valoir dans un pays gras, ses propres et les biens qu’il prend à ferme. Avec un pareil relâchement, on prendra des Postes éloignées de 40 à 80 lieues ; on affermera, on vendra ces brevets et il n’y aura plus aucune règle. Il faut sans délai faire cesser le désordre ; les administrateurs des Postes prendront les mesures convenables pour avoir d’autres maîtres de Poste, si ceux à qui ils ont donné abusivement des brevets s’en démettent. S’ils n’en trouvent point, les communautés feront faire le service dans le cas où le bien public exigerait que l’on laisse subsister des Postes ; mais je vous demande de ne plus apporter de délai dans l’exécution des ordres qui vous ont été donnés.

Quant à l’abus résultant de la multiplicité des offices municipaux créés et levés pour ce bourg, je ne demande pas mieux que d’y remédier. Je seconderai, dans tous les temps, vos vues pour le bien de votre Généralité. Envoyez-moi des mémoires, indiquez-moi les moyens de rétablir l’ordre dont on a pu s’écarter ; ouvrez-vous avec confiance ; nous ne devons avoir d’autre objet dans notre administration que le service du Roi et l’intérêt des peuples[7].

VIII. — Finances municipales.

Lettres aux maire et jurats de Bordeaux

(Contrôle des opérations financières. — Théâtre de Bordeaux).

[A. Gironde. — Foncin, 585.]

Première lettre.

Versailles, 8 mars.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 24 du mois dernier, et la requête que vous y avez jointe pour demander la rétraction de l’Arrêt du Conseil du 11 décembre dernier. Je ne puis que vous témoigner à quel point je suis surpris qu’après le détail dans lequel je suis entré avec vous par ma lettre du 25 janvier dernier, vous insistiez sur un objet dont la décision, loin d’avoir été surprise, comme vous osez l’avancer dans votre lettre et dans votre requête, n’a été donnée qu’après l’examen le plus réfléchi.

Je supprime toutes les réflexions que pourraient faire naître les expressions peu mesurées dont vous vous êtes servi. Vous n’auriez point dû oublier que la Ville de Bordeaux doit principalement aux soins de MM. les Intendants et surtout à ceux de feu M. de Tourny la plus grande partie des avantages dont elle jouit.

Après cette réflexion qu’il vous eût été facile de prévenir, je me borne à vous dire que, loin d’être blessés de la surveillance du Commissaire du Roi dans la Province, vous devriez, s’il est vrai que votre administration soit aussi régulière que vous le dîtes, être charmés qu’il en prenne connaissance, puisque c’est par lui seul que le Ministre du Roi peut être dans le cas de vous rendre la justice dont vous devez être jaloux.

Au surplus, la formalité du visa de vos mandements est de droit commun ; elle a subsisté depuis que le Roi a confié l’administration de la Province à un magistrat de son Conseil. Elle n’aurait jamais dû être intervertie ; elle ne l’a été pendant peu d’années que par le fait et par une suite d’abus que S. M. désire réformer.

Les Lettres Patentes de 1767, je vous l’ai déjà mandé, n’ont point dérogé aux règlements qui la prescrivent, et elles ne pouvaient y déroger puisque cette formalité est la plus essentielle de toutes celles que le bon ordre exige ; il était donc superflu que l’Arrêt du Conseil du 11 décembre dernier dérogeât aux lettres patentes de 1767, puisque comme je vous l’ai déjà marqué, ces Lettres patentes elles-mêmes n’avaient point dérogé à l’arrêt du 18 juillet 1670. Si j’eusse jugé cette dérogation nécessaire, je l’aurais insérée dans l’arrêt.

Vous ne devez donc vous faire aucune peine, M., de vous conformer à des règles sagement établies, auxquelles vos prédécesseurs ont été sans cesse assujettis, et auxquelles vos successeurs applaudiront. Je sais quelles sont les dispositions de M. l’Intendant à votre égard ; vous n’aurez jamais qu’à vous en louer lorsque vos vues seront telles qu’elles doivent être. Les lettres qu’il vous a écrites depuis peu et dont j’ai connaissance ne doivent laisser aucun doute à ce sujet. Je vous recommande donc, loin de vous refuser au concert qu’il désire, de faire tout ce qui peut dépendre de vous pour qu’il soit tel qu’il doit être, et que le bien du service du Roi et l’avantage de votre administration l’exigent.

(L’Intendant de Bordeaux avait constaté publiquement dans un arrêt du 11 décembre 1774 le mauvais état des finances de la ville : « Je crois que vous auriez pu vous dispenser de faire imprimer l’arrêt du 11 décembre ; cela ne sert qu’à aigrir ; la fermeté est nécessaire ; mais la circonspection l’est toujours »[8].)

Deuxième lettre.

13 avril.

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite le 1er du courant, par laquelle vous me faites des représentations sur l’arrêt du Conseil du 7 mars dernier concernant la nouvelle salle des spectacles de Bordeaux.

Vous paraissez croire que, d’après cet arrêt, vous n’avez plus aucun droit d’ordonner, ni de payer les travaux publics qui pourraient être nécessaires à votre ville ; vous supposez que tous ces ouvrages indistinctement doivent être ordonnés et payés par M. l’Intendant. Lui seul, suivant vous, est chargé de fixer arbitrairement ces sortes de dépenses, et l’administration municipale ne doit plus y avoir aucune influence.

Je ne puis m’empêcher de vous témoigner ma surprise de l’interprétation que vous donnez aux dispositions de cet arrêt, interprétation tout à fait contraire au sens qu’elles présentent. Il n’y est question, en effet, que d’un seul édifice public, de la nouvelle Salle de spectacle, et je ne conçois pas comment vous avez pu voir qu’il concernait tous les ouvrages publics indistinctement. Toutes les fois qu’il s’agira d’édifices sur lesquels le Roi n’aura aucun droit direct, qui seront construits sur le terrain de la Ville et avec les deniers provenant de ses revenus, qu’aucune circonstance particulière n’exigera que l’on s’écarte de la route ordinaire, je serai bien éloigné de proposer au Roi un arrêt qui substitue de nouvelles formes aux règles prescrites pour la construction et le paiement des travaux publics qui sont à la charge du Corps Municipal.

Mais ce n’est point ici le cas où vous vous trouvez ; il est question d’un édifice construit sur le terrain du Roi, et pour raison duquel S. M. est créancière de la Ville de Bordeaux. C’est, avec les deniers qui proviendront de la vente de fonds qui appartenaient au Roi, que les dépenses de cet édifice doivent être payées. Le Roi avait donc un intérêt direct à ce que les terrains concédés à la Ville de Bordeaux fussent vendus au meilleur prix possible, attendu que ce moyen seul pouvait assurer la construction de la salle et par conséquent les droits du Roi. Il n’était pas moins intéressé à veiller à l’emploi des deniers. Il ne pouvait remplir ce double objet que de la manière dont il l’a fait par l’arrêt du 7 mars. Il ne pouvait charger de veiller aux enchères des terrains que le magistrat chargé de l’exécution de ses ordres ; et quant aux fonds en provenant, d’après les principes suivis en matière de biens domaniaux, ces fonds devaient nécessairement être versés dans la caisse du Receveur des Domaines ; et une fois versés dans cette caisse, le Receveur ne pouvait les en faire sortir sur vos ordonnances. Il ne connaît et ne doit connaître, pour les deniers qui lui sont confiés, que le magistrat auquel il est immédiatement subordonné. Il était donc indispensable d’ordonner que les sommes qui seraient payés aux entrepreneurs de la Salle de spectacle avec les deniers provenant de la vente des terrains, seraient délivrées par le Receveur des Domaines sur les ordonnances de M. l’Intendant.

Tel est, MM., le motif de l’arrêt contre lequel vous réclamez ; et vous n’auriez pas dû en douter, puisque ce motif est littéralement exprimé dans l’article 7. Le Roi et son Conseil ont pensé que, s’agissant d’un fond domanial, à la vérité vendu à la Ville, mais sur lequel le Roi a une hypothèque spéciale, il était nécessaire que M. l’Intendant veillât à la conservation des droits de S. M. En cela, le Conseil ne s’est point écarté des règles ordinaires ; il s’y est, au contraire, exactement renfermé. Il aurait pu même, en se conformant plus rigoureusement à ces règles, donner à M. l’Intendant un pouvoir exclusif, mais il a cru devoir à votre zèle pour le bien de votre ville, de vous faire concourir avec M. l’Intendant à la conduite d’un édifice qui vous intéresse, ainsi que tous vos concitoyens.

D’après cela, je ne crois pas que l’Arrêt du 7 mars introduise une nouveauté dans l’administration municipale, et qu’il vous dépouille, comme vous le prétendez, des droits qui vous sont attribués par les Lettres Patentes de 1767. Je ne vois pas non plus quel désordre il pourrait mettre dans la comptabilité. Cette comptabilité est réglée d’une manière bien claire par l’article 7 de l’arrêt pour le cas où les dépenses seront payées des deniers provenant de la vente des terrains et qui sortiront de la Caisse du Receveur des Domaines ; et si le produit des terrains ne suffisait pas pour fournir à toutes ces dépenses, et que vous fussiez obligé d’en acquitter une partie avec les deniers de la Ville pris dans la caisse de son trésorier, alors ces deniers seraient payés sur vos ordonnances, et il en serait compté suivant votre usage ordinaire.

J’espère donc, MM., que vous ne ferez aucune difficulté d’exécuter un arrêt qui était indispensable pour le cas particulier où il a été rendu, et qui laisse subsister vos droits dans toute leur intégrité.

Vous me marquez que vous joignez à votre lettre une expédition de la délibération par laquelle vous avez destiné 60 000 livres provenant de l’emprunt de Gênes au paiement des premiers ouvrages qui seront faits à la Salle de spectacle, à la charge de les remplacer avec les premiers deniers qui proviendront de la vente des terrains ; je n’ai point trouvé cette expédition jointe à votre lettre. Je vous prie de me l’envoyer.

Troisième lettre.

5 août.

J’apprends avec plaisir que les membres qui composent actuellement le corps municipal sont disposés à travailler avec tout le zèle et le concert nécessaire pour le rétablissement des finances dont l’administration leur est confiée. Je ne doute pas, MM., que vous ne m’en donniez des preuves dans toutes les occasions et que vous ne me proposiez tous les changements que vous croirez utiles pour mettre l’équilibre entre les revenus et les dépenses de la ville de Bordeaux. Je vous prie de vous concerter à cet égard avec M. l’Intendant.

Quatrième lettre.

25 novembre.

MM., aux termes de l’article 2 de l’Arrêt du Conseil du 11 décembre 1774 les dépenses ordinaires de votre ville doivent être autorisées par le Conseil.

L’inexécution de cette disposition ne peut être que très préjudiciable à la ville ; le rétablissement de l’ordre si nécessaire dans l’administration de ses revenus exigeant une parfaite connaissance de la nature et de la quotité de ces dépenses, me détermine à insister sur l’exécution littérale de ces Arrêts. Il est donc essentiel que vous vous en occupiez et que vous m’envoyiez incessamment un état détaillé et circonstancié de ces dépenses. Lorsque cet état aura été arrêté dans le vœu et dans l’esprit de ces Arrêts, il servira de règle aux dépenses que vous aurez à ordonner et, en le rapprochant des copies de journaux que votre Trésorier doit m’envoyer, je pourrai juger de la validité des paiements qu’il aura faits. Je connais votre zèle pour les intérêts qui vous sont confiés, et je ne doute pas que vous ne vous mettiez incessamment en règle à cet égard.

IX. — Affaires militaires.

1. Pain du Soldat.

Turgot encouragea, conjointement avec le ministre de la guerre, les expériences que Parmentier fit aux Invalides et dont le résultat fut d’améliorer le pain du soldat (D. P., Mém. 331.)

2. Envoi de troupes à Saint-Domingue.

(Au mois de juin, le gouvernement décida d’envoyer 11 à 12 000 hommes à Saint-Domingue qui aurait servi de centre de défense des Iles françaises des Antilles.

Francès qui eut connaissance de ce projet fit observer que le danger d’une irruption des Anglais dans nos Iles n’existerait que si Milord Chatam (Pitt) reprenait son influence dans le ministère, ce qui semblait impossible[9] et que les préparatifs d’un tel envoi seraient bientôt connus à Londres et feraient croire que nous voulions soutenir à main armée les colonies anglaises dans leur opposition. Il valait mieux, suivant lui, préparer en silence des frégates et, en cas d’hostilités avec l’Angleterre, de faire la guerre de piraterie sur mer et de l’appuyer par une descente de hussards en Angleterre.

Ces observations ont été portées par Turgot au Conseil qui n’y attacha aucune importance.

Maurepas estimait que le ministère anglais subsisterait jusqu’au mois d’octobre ou de novembre[10], parce qu’il serait facile de retarder jusqu’alors la rentrée du parlement britannique.) (Journal de Véri.)

X. — Imprimerie.

1. Législation sur l’imprimerie.

Turgot avait dressé un plan de législation sur l’imprimerie. Dans aucun pays de l’Europe, la liberté de la presse n’existait réellement ; partout, elle était restreinte par des lois. En Angleterre, ces lois étaient tombées en désuétude ; l’opinion publique était pour la liberté et les décisions des jurés étaient presque toujours en sa faveur. Il en résultait que « les libelles y étaient tolérés au delà des justes bornes ». (D. P., Mém., 229.)

2. Ouvrages subventionnés.

Dictionnaire du commerce de l’abbé Morellet.

Turgot continua à protéger l’entreprise du Dictionnaire du commerce, s’étant convaincu par l’examen du travail de l’auteur que cet ouvrage contiendrait la meilleure géographie commerçante ; il se faisait un plaisir d’y coopérer lui-même. (D. P., Mém., 331.)

Histoire des Finances, depuis le commencement de la Monarchie, par l’abbé Roubaud.

Turgot avait chargé l’abbé Roubaud d’écrire cette histoire et comptait lui assurer un traitement convenable. (D. P., Mém., 331.)

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[1] Du Pont (VII, 208) cite un arrêt du Conseil du 25 mars sur la Bibliothèque du collège de La Flèche.

[2] Les cours de l’abbé Bossut s’ouvrirent le 15 novembre. La salle des « Démonstrations » était chez les Pères de l’Oratoire de la rue Saint-Honoré (Mercure de France, octobre 1775. — Foncin, 284).

Mlle de Lespinasse avait écrit le 28 septembre à Condorcet : « M. d’Alembert vous aura mandé que l’expérience de l’abbé Bossut est finie ; il est bien content de M. Turgot ; il est bien juste que les honnêtes gens l’aiment et le louent ; les fripons et les sots sont si acharnés. »

[3] Particulièrement par les soins de D’Ormesson père (D. P., Mém., 263).

[4] Plusieurs de ceux qui se prétendaient dans le cas de jouir des exemptions étaient troublés par des procès portant, soit sur la quantité de terres par eux défrichées, soit sur la qualité de terres incultes que les Décimateurs ou habitants contestaient aux terres nouvellement mises en valeur sous prétexte qu’anciennement elles avaient rapporté quelques récoltes ou qu’elles avaient servi de pacages (D. P., Mém., 263).

[5] Des lettres patentes qui ne diffèrent de cette déclaration que par quelques mots applicables aux impositions particulières de l’Artois, furent envoyées le même jour au Parlement, qui les a enregistrées le 26 janvier suivant pour être envoyées au Conseil provincial d’Artois. On ne pouvait alors gouverner par des lois entièrement générales (D. P)

[6] Cet arrêt remplace un autre arrêt du 22 mars qui, n’ayant pas été revêtu de lettres patentes, souffrit dans son exécution quelques difficultés (D. P.)

Il épargna aux vassaux du Roi une dépense imprévue : ils furent dispensés de tous frais autres que ceux du papier et du parchemin (D. P., Mém., 259)

Le Roi avait conservé toutes les prérogatives féodales attachées à sa qualité de suzerain. Mais elles avaient pris peu à peu un caractère fiscal. La prestation de l’hommage était une formalité onéreuse car elle obligeait à faire le voyage de Versailles.

[7] Aux Archives du Calvados se trouve une première lettre du 7 février blâmant les maîtres de Poste de Coutances, Granville et Pontorson de s’être établis sans droits à Isigny. On y trouve aussi, plus tard, une lettre du 5 novembre recommandant, au contraire, l’un de ces maîtres de poste.

[8] Lettre communiquée à Foncin par M. H. Barckausen.

[9] En raison de son état de santé.

[10] Le ministère North vécut jusqu’en 1782.

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