1775
176. — LES POUDRES ET SALPÊTRES.
I. Arrêt du Conseil organisant une régie des poudres[1].
[D. P., VII, 297.]
(Le privilège exclusif de la vente des poudres et salpêtres avait été accordé à une Compagnie en vertu d’un bail, renouvelé en dernier lieu par Résultat du Conseil du 16 juin 1772, pour une durée de six années.
Les conditions principales de la concession étaient les suivantes : 1° Le prix de vente de la poudre au public était fixé à raison, pour la poudre de chasse, par exemple, de 29 à 30 sous la livre ; elle revenait à 12 sous ou 12 sous 1/2. Au bénéfice notable que le concessionnaire réalisait de ce chef s’ajoutaient celui qu’il tirait du commerce avec l’étranger et celui de la vente de la poudre de guerre, de la poudre de traite pour le commerce de Guinée, de la poudre de mine, du salpêtre en nature. Ces divers objets lui procuraient un produit net de 1 million de livres par an.
2° La Compagnie devait fournir chaque année aux départements de la guerre et de la marine un million de livres pesant de poudre de guerre, au prix de 6 sous la livre. Elle aurait perdu moitié, soit 300 000 livres, sur cette fourniture, si elle avait toujours été faite intégralement. Mais, en temps de paix, la fourniture s’abaissait parfois à 150 ou 200 000 livres.
Au contraire, lorsque l’administration avait besoin de plus de un million de livres de poudre, la Compagnie n’était pas tenue de fournir l’excédent ; l’Administration l’achetait où elle pouvait. Dans certaines années, la consommation avait atteint 4 millions de livres.
La Compagnie prétendait même — parce qu’une clause de ce genre avait figuré dans un ancien bail — qu’une fois l’année finie, l’Administration ne pouvait plus réclamer les poudres non fournies sur le million de livres afférent à cette année.
3° L’adjudicataire recevait et payait, à raison de 7 à 8 sous la livre, tout le salpêtre qui était recueilli en France. L’État donnait en gratifications aux salpêtriers du Roi, comme on les appelait, 50 à 60 000 livres par an, à ceux de Paris et d’autres sommes, 10 000 livres environ en temps de guerre, aux salpêtriers de province, et supportait d’autres frais[2]. Ainsi, sous prétexte d’accroissement du prix des denrées, la Compagnie avait obtenu une indemnité de 2 sous par livre du salpêtre, qu’elle ne payait pas aux salpêtriers.
Ceux-ci usaient rigoureusement du droit de fouille dans les constructions privées de tout genre. Certains d’entre eux plaçaient leurs tonneaux ou leurs cuves dans l’endroit de la maison où ils étaient le plus incommodes pour l’habitant, parfois même dans sa chambre d’habitation. Ils menaçaient de rester chez lui longtemps, fouillaient partout et finalement consentaient à s’en aller si on leur payait une somme plus ou moins forte.
Les communautés étaient tenues de loger gratis les salpêtriers, de fournir tout façonné et de charrier le bois dont ils avaient besoin, à raison de 30 sous la corde pour le chêne, etc., de 24 sous pour le bois blanc, prix qui ne couvraient pas la dépense.
Pour se débarrasser de ces charges, les communautés payaient ; les salpêtriers allaient alors dans d’autres communautés, se promenaient avec leur attirail et levaient un véritable impôt sur chaque village.
Dans les provinces soumises à la gabelle, la ferme générale devait, en outre, payer aux salpêtriers 4 sous par livre de sel marin produit. Or, les salpêtriers fabriquaient beaucoup de sel en fraude ; quelques-uns d’entre eux ne faisaient même que du sel.
Il a été calculé que le salpêtre, pour lequel l’adjudicataire payait 7 à 8 sous la livre, revenait au contribuable à plus de 12 sous.
Le Contrôle des opérations de la Compagnie était illusoire.
Les conditions du bail étaient arrêtées par le Contrôleur général, mais les fournitures étaient faites directement aux départements de la Guerre et de la Marine et on lui disputait le droit de savoir si elles avaient été faites. Il y avait un Commissaire général des poudres, mais l’usage s’était introduit de le choisir parmi les fermiers et c’était au plus important de ceux-ci que le brevet était ordinairement expédié sur la présentation de la Compagnie.
Celle-ci était constituée au capital de 4 millions, restituables par sixièmes annuels aux souscripteurs, lesquels se partageaient des bénéfices montant parfois à 15 p. 100.
En 60 ans, il n’était pas entré un sou au Trésor du produit sur la ferme.
Cependant, en Suède en 1747, en Prusse l’année suivante, on avait commencé à renoncer à la fouille et à fabriquer artificiellement le salpêtre.
Au commencement de 1775, une compagnie se présenta au Contrôle général pour affermer le privilège exclusif de la vente et de la fabrication des poudres à des conditions avantageuses[3]. L’attention de Turgot fut ainsi attirée sur les bénéfices énormes de cette affaire et sur les vices qui s’y étaient introduits.
Il fit prononcer la résiliation du bail par Arrêt du Conseil du 28 mai 1775, bien que ce bail eut encore quatre ans de durée, moyennant remboursement du capital en quatre ans et indemnité de 800 000 livres environ. En outre, les cautions de la ferme devinrent, pour la plupart, celles de la régie et profitèrent de ses bénéfices.
Néanmoins, cette affaire excita les murmures les plus violents. On prétendit que Turgot avait porté une atteinte grave à la propriété privée. Peut-être eût-il paru équitable de recourir à une autre juridiction que le Conseil pour résilier le Contrat ? Mais les fermiers n’étaient pas, en réalité, lésés.
Au lieu de donner une concession nouvelle, Turgot organisa une régie au nom de J. B. Bergault, avec des cautions d’une probité et d’une capacité reconnues : Le Faucheux qui était le directeur général de l’ancienne compagnie, Clouet, Lavoisier, et Barbault de Glatigny.
Les régisseurs devaient avancer, pour le remboursement de l’ancien capital, des fonds à 1 p. 100 au-dessus du taux légal et se récupérer, pour le reste des dépenses, sur les bénéfices de l’entreprise.
En outre, Turgot chargea l’Académie des Sciences qui était assez mal renseignée sur la fabrication artificielle du salpêtre, d’ouvrir un concours et de procéder à des études sur ce sujet.
Enfin, les corvées pour le transport des matières salpêtrées et ustensiles des salpêtres, ainsi que l’obligation de fournir le logement et le bois autrement qu’au prix courant et de gré à gré, furent supprimées. Les privilèges des salpêtriers furent remplacés par une augmentation de prix.
À partir du 1er janvier 1778, la fouille fut restreinte aux écuries, bergeries, colombiers, granges vides, et autres lieux bas des maisons. L’entrée des caves, celliers à vin et habitations personnelles fut interdite aux salpêtriers autrement que de gré à gré[4].
« Les poudres, a écrit Lavoisier en 1789, sont devenues les meilleures de l’Europe ; le Royaume s’est trouvé en situation de fournir des poudres à tous les amis et alliés du Roi. On peut dire avec vérité que c’est à elles que l’Amérique septentrionale doit sa liberté. Depuis le 1er juillet 1775 jusqu’au dernier décembre 1788, les produits de la Régie se sont élevés à 14 millions de livres dont 5 millions furent versés au Trésor Royal ; près de 1 300 000 livres sont entrés en poudre dans les magasins de la Marine et de l’Artillerie à 6 sous la livre ; 1 200 000 livres ont été employés en acquisitions ou constructions indispensables et à l’amélioration des services ; près de 800 000 livres en dédommagement aux fermiers renvoyés et le reste en paiement à la décharge du Trésor Royal ou en approvisionnements de précaution existant dans les magasins de la Régie, qui la mettent en état de fournir, au premier besoin, 5 millions de livres de poudre de guerre pour la France ou ses alliés, sans entamer la récolte annuelle, laquelle suffira à l’avenir à toutes les consommations. L’établissement du nouveau régime a soulagé le peuple ou déchargé les finances de plus de 2 400 000 livres chaque année. »
Toute cette affaire fut conduite par Turgot, par les Régisseurs et par d’Ormesson fils qui seconda le ministre. Toutefois, sans la guerre d’Amérique, les profits de l’opération n’auraient pas été aussi abondants[5].
28 mai.
Le Roi, s’étant fait représenter le Résultat de son Conseil, du 16 juin 1772, par lequel le feu roi a passé bail pour six ans à Alexis Demont de la fabrique des poudres et salpêtres, et lui a remis les raffineries, magasins, moulins et autres bâtiments
S. M. a reconnu que les conditions dudit bail ne procurent pas à ses finances tout l’avantage qui devrait résulter de l’exploitation du privilège qui en est l’objet ; que le prix stipulé pour ladite exploitation n’a point été clairement fixé et que la rentrée n’en a point été assurée par des précautions suffisantes ; que les conditions portées par ledit résultat s’opposent au désir qu’a S. M. de soustraire ses sujets aux abus qui sont souvent la suite du droit accordé aux salpêtriers de fouiller dans les maisons et dans tous les lieux habités, pour en enlever les matières salpêtrées, et de se faire fournir, à un prix inférieur au prix courant, les bois et le logement nécessaires à la cuite de leurs salpêtres ; qu’en laissant subsister ledit bail, il serait impossible à S. M. de connaître la manutention intérieure de son exploitation, de découvrir et d’apprécier les moyens de resserrer dans de justes bornes les privilèges des salpêtriers, sans exposer un service aussi essentiel à la défense de l’État ; que, pour assurer le succès des mesures qu’il est convenable de prendre à cet égard et pour tirer de cette partie de ses revenus tout l’avantage qui devrait en résulter pour le bien de son service et pour l’intérêt de ses peuples, il serait indispensable de convertir le bail dudit Demont en une régie qui se fasse pour le compte de S. M.
À quoi voulant pourvoir… Le Roi ordonne :
À compter du 1er juillet prochain, la régie et exploitation de la fabrication, vente et débit des poudres et salpêtres dans toute l’étendue du Royaume, sera faite pour le compte et au profit de S. M. suivant la forme qui sera prescrite à cet effet.
En conséquence, S. M. résilie le bail passé audit Alexis Demont, et annule l’arrêt qui l’a mis en possession.
Se réservant S. M. de pourvoir à l’indemnité qui pourra être due audit Demont ou ses cautions pour raison de la résiliation dudit bail, sur les mémoires qui lui seront présentés à cet effet ; comme aussi de statuer sur le déficit des fournitures stipulées soit par le bail passé audit Demont, soit par les précédents baux, ensemble sur les erreurs et omissions qui auraient pu être faites dans les comptes qui en ont été rendus, d’après le rapport qui lui en sera fait. Ordonne S. M. que ledit Demont sera tenu de remettre les bâtiments servant à la fabrique desdites poudres et salpêtres dans l’état où il les a reçus, suivant les procès-verbaux qui en ont été dressés conformément audit Arrêt de prise de possession ; en conséquence, veut S. M. que visite et récolement soient faits desdits bâtiments, savoir pour la ville et arsenal de Paris, par le Sr bailli de l’arsenal, que S. M. a commis à cet effet ; et, pour les provinces et généralités du Royaume, parles Srs intendants et commissaires départis pour l’exécution des ordres de S. M. dans lesdites provinces et généralités ; de laquelle visite lesdits Srs intendants et commissaires départis, et bailli de l’arsenal, dresseront des procès-verbaux qu’ils enverront au Sr Contrôleur-général de ses finances, pour, sur le compte qu’il en rendra à S. M. et à son Conseil, être ordonné par S. M. ce qu’il appartiendra.
Résultat du Conseil du Roi, du 30 mai, contenant règlement pour l’exploitation de la Régie des poudres et salpêtres.
Le préambule et les articles I, II, III, IV, V et VI nomment J.-B. Dergault, régisseur, pour faire exécuter, sous la conduite et direction de ses cautions, la recherche des salpêtres et la fabrication des poudres ; ordonnent que la remise des bâtiments, ustensiles et matières lui soit faite, à la charge par ses cautions de payer les matières aux prix coûtants, les effets et ustensiles à dire d’experts ; ils règlent les inventaires nécessaires ; défendent à tous autres que les préposés de la Régie de s’immiscer dans la recherche et fabrique des salpêtres, la fabrique et la vente des poudres, la recherche et amas du bois de Bourdenne, à compter du 1er juillet 1775 jusqu’au dernier décembre 1779, et règle le prix du salpêtre à fournir par les salpêtriers à la Régie.
VII. La fouille, dans les maisons, caves, celliers, bergeries, écuries et autres lieux bas, cessera d’être faite, si ce n’est de gré à gré et par convention, entre les propriétaires ou locataires et les salpêtriers, à commencer du 1er janvier 1778.
VIII. Les salpêtriers continueront à prendre comme ci-devant, sans en rien payer, les pierres, terres et plâtras salpêtrés provenant des démolitions ; défend S. M. aux propriétaires des maisons ou emplacements, aux entrepreneurs des bâtiments et maîtres maçons, et aux officiers de la voirie, de faire ou laisser faire aucune démolition et reconstruction, sans en donner avis aux salpêtriers, et ce, sous peine de cent livres d’amende.
IX. S. M. fait très expresses inhibitions et défenses auxdits salpêtriers, à commencer dudit jour, 1er janvier 1778, d’exiger gratuitement ou même à un prix inférieur, et autrement que de gré à gré, aucune fourniture de bois et logement des communautés ou particuliers ; entendant S. M. qu’ils s’en pourvoient, où et ainsi qu’ils aviseront.
X. Les salpêtriers seront tenus de porter leurs salpêtres au magasin général de la Régie, chacun dans leur arrondissement, de quinzaine en quinzaine, sans qu’ils en puissent disposer, ni en vendre, ni raffiner en quelque sorte que ce soit, à peine de confiscation et de trois cents livres d’amende.
XI. Les sels marins, provenant des ateliers des salpêtriers ou des raffineries de la Régie, seront remis à la ferme générale, qui en payera le prix à quatre sols la livre aux salpêtriers de la Touraine, à sept sols aux salpêtriers de Paris, et à deux sols aussi la livre à la Régie, ainsi qu’il a été précédemment réglé par le bail passé à Alexis Demont, sauf à statuer sur le prix desdits sels dans les autres provinces du Royaume.
XII. Les poudres, tant fines que de guerre et de mine ou traite, seront vendues au public aux prix portés au Résultat du Conseil du 16 juin 1772, contenant les conditions du marché passé audit Alexis Demont ; et ceux des salpêtres seront de douze sols la livre de salpêtre brut, dix-sept sous la livre de salpêtre raffiné en deux cuites, et vingt sols la livre de salpêtre raffiné de trois cuites.
XIII. La régie fournira, aux mêmes clauses et conditions portées au marché passé à Alexis Demont, un million de poudre chaque année pour le service de terre et les arsenaux de la Marine : savoir 750 000 livres pour les magasins de terre, et 250 000 livres dans les arsenaux de la Marine.
XIV. La poudre que la Régie fournira sera composée des trois quarts effectifs de salpêtre de trois cuites, bien raffinée, menue, grainée bonne, et portera le globe à 90 toises au moins ; ladite poudre sera sujette d’ailleurs aux mêmes épreuves que celle qui avait été fournie par ledit Demont.
XV. La régie resséchera et radoubera les poudres défectueuses qui se trouveront dans les arsenaux de terre et de mer, aux conditions portées au marché dudit Demont.
XVI. Jouira ladite Régie, ainsi que ses fondés de pouvoirs, commis, poudriers et autres employés de toute espèce, des privilèges, immunités, franchises accordés ci-devant, par les ordonnances, déclarations, arrêts et résultats, au service des Poudres et salpêtres, et à ceux qui y sont employés.
XVII. Les fonds nécessaires à l’établissement de la régie et au remboursement des sommes qui se trouveront légitimement dues à Alexis Demont, seront fournis par les cautions dudit Bergault, suivant la répartition qui en sera arrêtée par S. M., et ne pourront lesdites cautions prétendre à aucun des bénéfices de la Régie, au delà de l’intérêt fixé pour lesdits fonds.
XVIII. Il sera arrêté par le Sr Contrôleur général des finances un état des frais de ladite Régie, auquel elle sera tenue de se conformer ; il ne pourra être fait aucune dépense extraordinaire ou achat de salpêtre à l’étranger sans son autorisation.
XIX. Il sera fourni, à la fin de chaque mois, audit Sr Contrôleur général, un relevé exact des comptes et livres de la régie, ensemble un état de situation, tant en deniers qu’en matières et effets ; et, à la fin de chaque année un compte général de ses recettes et dépenses, et des fournitures par elle faites ; lequel compte, après avoir été vérifié et examiné par le Sr d’Ormesson, intendant des finances, que S. M. a commis et commet à cet effet, sera présenté et arrêté au Conseil royal des finances…
2. Arrêt du Conseil nommant les Administrateurs.
[D. P., VII., 358.]
24 juin.
Vu, au Conseil d’État, les Arrêts rendus les 28 et 30 mai dernier, par le premier desquels, et par les considérations y contenues, S. M. a jugé avantageux à ses finances, à son service et à ses peuples, de résilier, pour le temps qui en restait à courir, le bail de la fabrique, fourniture, vente, et débit des poudres et salpêtres, passé à Alexis Demont, par Résultat du Conseil du 16 juin 1772, et de convertir ce bail en une régie pour son propre compte, sous le nom de J.-B. Bergault ; et par le second, S. M. a, en conséquence, fait un Règlement sur les points les plus intéressants de l’exploitation de la régie. S. M., ayant reconnu qu’il était nécessaire d’entrer dans un plus grand détail sur la forme de cette nouvelle administration, de faire connaître les cautions de J.-B. Bergault, qui seront chargées personnellement du service ; de déterminer la quotité et l’intérêt de leurs fonds d’avance, et de régler leurs fonctions, tant publiques qu’intérieures…
Art. I. Les Srs Le Faucheux, Clouet, Lavoisier et Barbault de Glatigny, cautions de Bergaud, auront l’administration générale de la régie et du service des poudres et salpêtres dans toute l’étendue du Royaume, et dans tous les pays soumis à la domination de S. M.
II. Les régisseurs ci-dessus nommés prendront, sous le nom de Bergault, au 1er juillet prochain, possession, d’après les inventaires qui seront dressés à cet effet, des matières, effets et ustensiles qui se trouveront dans les fabriques de poudres et salpêtres, raffineries, magasins et autres emplacements servant à l’exploitation du service des poudres, conformément à l’Arrêt du 30 mai dernier, et en payeront la valeur, savoir des poudres, salpêtres, soufre et charbon de Bourdenne, aux prix usités de compagnie à compagnie, et des effets et ustensiles, suivant l’estimation qui en sera faite par experts. En cas de prétention de plus-value des matières de la part de l’adjudicataire sortant, il en sera rendu compte au Sr Contrôleur général des finances, pour, sur son rapport, y être statué par S. M. en son Conseil, ainsi qu’il appartiendra.
III. Les fonds d’avance nécessaires tant pour le payement des matières qui seront remises par l’adjudicataire sortant, que pour l’exploitation de la Régie, seront faits sous le nom desdits régisseurs, et portés d’abord à 4 millions, sur lesquels S. M. veut et entend qu’il soit accordé aux bailleurs desdits fonds, pris, pour la plupart, parmi les cautions ou intéressés au bail d’Alexis Demont, par forme d’indemnité et dédommagement de la résiliation de leur bail, et pour le temps de la durée qu’aurait eue ledit bail seulement, un intérêt de 11 p. 100, sujet à la retenue du dixième, sans que, sous aucun prétexte, lesdits bailleurs de fonds puissent prétendre aucun bénéfice sur les produits de la Régie, qui doivent tourner en entier au profit de S. M., ni conserver, au delà de la durée qu’aurait eue ledit bail d’Alexis Demont, les intérêts que S. M. leur accorde pour le temps de cette durée seulement.
IV. Il ne sera gardé dans la Régie que les fonds indispensables pour soutenir le service ; et, à mesure de la vente des matières, pour le payement desquelles les fonds d’avances auront été faits, il sera fait des remboursements sur les 4 millions énoncés en l’article précédent, et ces remboursements, qui éteindront partie des intérêts qui chargent la Régie, seront de 600 000 livres au moins, par chacune des trois premières années de son exploitation.
V. Lesdits remboursements seront faits au marc la livre des fonds fournis par chacun desdits bailleurs, autres que les régisseurs ; lesquels régisseurs seront tenus, au dernier décembre 1779, de rembourser en deniers comptants, et non autrement, auxdits bailleurs de fonds, ce qui leur restera dû, déduction faite des remboursements qui leur auront été précédemment faits ; en sorte qu’à ladite époque, lesdits régisseurs soient seuls chargés de fournir, de leurs propres deniers, tous les fonds qui seront jugés nécessaires pour l’exploitation de la régie, et dont l’intérêt sera et demeurera fixé à 1 p. 100 seulement au delà du taux lors courant de l’argent sous la condition qu’il ne leur sera fait aucune retenue, déduction ni retranchement d’aucune espèce.
VI. Afin d’exciter de plus en plus l’émulation des régisseurs, S. M. veut qu’indépendamment de l’intérêt de leurs fonds, réglé par les précédents articles, ils jouissent de droits de présence et de remises. Les droits de présence seront et demeureront fixés à 2 400 livres par chacun desdits régisseurs, qui leur seront distribuées pour assistance effective aux assemblées qui se tiendront deux fois par semaine ; et la part des absents, excepté pour cas de maladie, accroîtra au profit des présents. Les droits de remises seront, jusqu’au dernier décembre 1779, d’un sol par livre pesant de poudre fine vendue au delà de 800 milliers, et de 2 sols sur ce qui excédera 900 milliers ; de 6 deniers par livre pesant de salpêtre provenant des nouveaux établissements d’ateliers jusqu’à la concurrence de 200 milliers, et de 3 deniers seulement sur ce qui excédera lesdits 200 milliers. À compter du 1er janvier 1780, lesdites remises seront doubles; et soit avant, soit après ladite époque, elles seront partagées également entre les régisseurs.
VII. Lesdits régisseurs nommeront à tous les emplois du service des poudres et salpêtres, en observant de ne les confier qu’à des sujets instruits, de bonne réputation, et suffisamment cautionnés…
VIII. … Afin de mettre le secrétaire d’État de la Guerre à portée de juger de la situation du service pour les objets qui le concernent, il lui sera remis chaque année un tableau général de la situation des fabriques des salpêtriers et de la récolte en salpêtre.
IX. Les régisseurs pourront vendre aux armateurs et négociants les poudres de guerre et de traite, aux prix dont ils conviendront avec eux de gré à gré, à l’effet de les engager à ne plus faire sortir l’argent du Royaume par des achats à l’étranger.
X. Les régisseurs pourront faire, dans toutes les villes, bourgs et villages du Royaume, les établissements qu’ils jugeront nécessaires pour augmenter la récolte en salpêtre ; veut et entend S. M. qu’il leur soit donné à cet égard toutes facilités et secours convenables.
XI. Les poudres et salpêtres qui entreront dans le Royaume, qui en sortiront ou qui le traverseront sans passeports desdits régisseurs, seront saisis et arrêtés par les employés des fermes de S. M., et confisqués à son profit : ordonne, en conséquence, S. M., à l’adjudicataire général des fermes, de donner à tous ses employés les ordres les plus précis à cet effet.
XII. Veut et entend S. M. que lesdits régisseurs aient la liberté de faire entrer dans le Royaume, d’en faire sortir, et de transporter de lieu à autre, dans tous les pays de son obéissance, sans aucune exception, les poudres, salpêtres, soufre, charbon, cendres, bois de toute espèce, fer, fonte, plomb, et généralement toutes les matières, effets et ustensiles servant à l’usage des poudres et salpêtres, sans qu’en passant et repassant dans les districts des bureaux établis pour la perception des droits, soit de S. M., soit des seigneurs, villes et communautés, il en soit levé aucuns, anciens ou nouveaux, de péages, octrois des villes ou autres, sous quelque dénomination que ce soit, sur lesdites matières.
XIII. Veut et entend S. M. que le produit des 2 sols par livre d’augmentation sur la poudre fine, ordonnée par l’Arrêt du Conseil du 6 juillet 1756, et que S. M. s’est réservé par le Résultat de son Conseil du 16 juin 1772, en faveur d’Alexis Demont, soit perçu par lesdits régisseurs, à commencer du 1er juillet prochain, pour être employé suivant les destinations qui en seront faites par S. M.
XIV. Ordonne S. M. que les fonds qui se trouveront être dans la caisse de l’adjudicataire sortant, et qui proviennent tant de ladite augmentation de 2 sols par livre de poudre fine, que du troisième sol établi par Arrêt du 25 mai 1772, à compter du jour où il a commencé d’être perçu, jusqu’au 1er janvier 1774, qu’il a été abandonné par S. M. à Alexis Demont, seront versés, au 1er juillet prochain, dans la caisse générale de la Régie, dont le caissier en fournira son récépissé audit adjudicataire, pour valoir à sa décharge.
XV. Pour connaître, dans tous les temps, la véritable situation de la Régie et afin d’en assurer de plus en plus la bonne administration, veut et entend S. M. que lesdits régisseurs soient tenus de remettre, à la fin de chaque mois, au Sr Contrôleur-général et au Sr d’Ormesson, un état certifié par eux véritable des recette et dépense en deniers, matières et effets de la Régie, ensemble des dépenses qu’ils croiront nécessaires pour les établissements d’ateliers à salpêtre, construction de bâtiments nouveaux, reconstruction, réparations et entretien de ceux actuellement existants ; lesquels établissements, constructions, reconstructions et réparations, ne pourront être faits par lesdits régisseurs qu’après y avoir été valablement autorisés.
XVI. Seront tenus, en outre, lesdits régisseurs de fournir au Conseil à la fin de chaque année, un compte général desdites recette et dépense en deniers, matières et effets ; ensemble un compte particulier du produit des 2 sols par livre d’augmentation sur la poudre fine ; lesquels comptes seront vérifiés et arrêtés par le Sr d’Ormesson, conseiller d’État, intendant des finances, que S. M. a pareillement commis et commet à cet effet, S. M. dispensant Bergault, et les régisseurs ses cautions, de compter ailleurs qu’en son Conseil.
XVII. Tous les frais qui seront occasionnés par la prise de possession et l’établissement, ainsi que pour l’exploitation de la Régie, étant à la charge du Roi, fait S. M. défenses aux officiers de sa chancellerie, secrétaires et greffiers de son Conseil, de prétendre ni percevoir aucuns droits pour l’expédition et sceau du présent arrêt, ainsi que de tous autres arrêts, commissions ou lettres-patentes qu’il pourrait être nécessaire d’expédier par la suite, pour raison de ladite Régie.
XVIII. S. M. dispense Rergault, ses cautions, ses commis et préposés, du payement du droit du marc d’or, ordonné par l’Édit du mois de décembre 1770, auquel S. M. a dérogé et déroge, pour ce regard seulement.
XIX. En cas de décès de l’un des bailleurs de fonds dans la Régie, les veuve, héritiers ou ayants cause du décédé, ne pourront jouir des intérêts accordés sur lesdits fonds, que jusqu’à la fin du quartier dans lequel le décès sera arrivé ; après quoi les fonds leur seront remboursés.
XX. Bergault, et les quatre régisseurs ses cautions, feront leur soumission au greffe du Conseil, et s’obligeront en leur propre et privé nom, et solidairement, comme pour les propres deniers de S. M., à l’exécution des clauses et conditions portées aux présent règlement et résultat, qui sera exécuté selon sa forme et teneur.
XXI. Enjoint S. M. aux Srs intendants et commissaires départis dans les différentes provinces et généralités du Royaume, et au Sr lieutenant-général de police, en ce qui concerne la ville et les faubourgs de Paris, de tenir, chacun en droit soi, la main à l’exécution du présent arrêt ; confirmant et renouvelant S. M., en tant que besoin serait, l’attribution faite par les déclarations, règlements et arrêts du Conseil des rois ses prédécesseurs, notamment par l’Arrêt du Conseil du 26 mai 1774, auxdits Srs intendants et commissaires départis pour les provinces et généralités, et audit Sr lieutenant-général de police pour la ville et faubourgs de Paris, de la connaissance de toutes les contestations sur le fait des poudres et salpêtres, privativement à toutes cours et autres juges, sauf l’appel au Conseil.
Observations. — L’organisation de la Régie a donné lieu de la part des nouvellistes du temps à des racontages dont voici les principaux :
Mémoires secrets (VII, 371, 30 mars). — « Un certain M. Lehoc et un abbé Satti, intrigants faiseurs d’expériences et auteurs de prétendues découvertes, avaient fait entendre à M. Turgot qu’ils avaient trouvé le secret de faire du salpêtre avec de l’eau de mer. Comme on est embarrassé de trouver suffisamment de cette matière première de la fabrication de la poudre, et qu’ils se faisaient forts d’en fournir la quantité qu’on voudrait à beaucoup meilleur marché, le ministre avait adopté leurs propositions et était à la veille de casser le bail des poudres. Mais l’affaire fut portée au Conseil ; le ministre de la Guerre avec lequel le Contrôleur général ne s’était pas concilié vraisemblablement et que cette innovation regardait et intéressait n’a pas trouvé les expériences pour constater le succès de la nouvelle fabrication suffisamment bonnes. Il a représenté combien, en cas de guerre, il serait dangereux de faire usage d’une poudre qui pourrait causer les revers les plus funestes. Cette objection a entraîné les membres du Conseil et le ministre des finances a eu le dessous ».
Correspondance Métra (9 avril). — « Une nouvelle compagnie a proposé à M. Turgot de prendre le bail des poudres aux conditions ordinaires et néanmoins de fournir au Roi gratuitement la poudre nécessaire pour le courant annuel. Le ministre enchanté d’une proposition aussi avantageuse, voulant la faire agréer au Roi, en avait formé le plan pour le porter au Conseil, lorsqu’il crut de son honnêteté, en prévenir M. d’Ormesson… L’intendant trop peu éclairé pour pouvoir combattre avec bonnes raisons l’idée du Ministre et trop intéressé pour voir de bon œil cette partie changer de forme, retourna bien vite à Paris, découvrit la chose à M. de Courbeton, le directeur et l’âme de la compagnie des poudres ; dès le lendemain, avant l’heure du Conseil, les financiers avaient employé tant d’efforts que lorsque M. Turgot voulut proposer l’affaire, il trouva tous les esprits prévenus qui élevèrent mille obstacles et décidèrent qu’il y aurait des risques infinis à innover à cet égard. »
Quelques jours plus tard, la même correspondance ajouta : « Le Contrôleur-général est cruellement contrarié de toutes parts dans ses vues ; sa fermeté et le mérite de la chose lui feront pourtant emporter la victoire sur la compagnie des Poudres. »
Les Mémoires secrets annoncèrent aussi, le 26 mai, le succès du Ministre : « On assure que le bail des poudres est résilié et que cette partie est mise en régie par le Roi. Cette infraction faite à une convention sacrée avec le monarque effraie les fermiers généraux qui craignent un pareil sort. »
Necker a reconnu dans son Compte rendu au Roi (1781) combien avaient été correctes les mesures prises par Turgot. « La seule affaire de finances, dit-il, où je n’ai pas vu d’abus de ce genre (libéralités et munificences), c’est la régie des poudres dont les conditions ont été réglées sous M. Turgot. »
3. Lettre au Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences (Grandjean de Fouchy)[6] sur la fabrication du salpêtre.
[Œuvres de Lavoisier, V 462.]
Versailles, 17 août.
Sur le compte, M., que j’ai rendu au Roi de l’état actuel de la récolte du salpêtre en France, des diminutions successives qu’elle a éprouvées depuis quelques années, des moyens propres à la rétablir, enfin des différents motifs qui doivent fixer son attention sur cette branche importante d’administration, S. M. a pensé que le plan qui avait été suivi jusqu’à ce jour, relativement à la fabrication du salpêtre dans son royaume avait dû retarder le progrès de cet art et que c’était sans doute par cette raison qu’il semblait être, dans ce moment, au-dessous du niveau des autres connaissances physiques et chimiques.
Dans ces circonstances, elle a jugé nécessaire de réveiller l’attention des savants, de diriger leurs recherches sur cet objet et de chercher à acquérir, par leur concours, des connaissances fixes et certaines qui pussent servir de base aux différents établissements qu’elle se propose d’ordonner.
Aucun moyen ne lui a paru plus propre à remplir ses vues à cet égard que la proposition d’un prix en faveur de celui qui, au jugement de l’Académie, aurait vu de plus près le secret de la nature dans la formation et la génération du salpêtre, et qui aurait enseigné les moyens les plus prompts et les plus économiques pour le fabriquer en grand et en abondance. L’intention de S. M. étant de soulager le plus tôt possible ses sujets de la gêne qu’entraînent la recherche, la fouille et l’extraction du salpêtre chez les particuliers, elle désire que l’Académie se mette en état d’annoncer ce prix dès la séance publique de la Saint-Martin prochaine. Il sera nécessaire, en conséquence, qu’au reçu de la présente ou dans le plus court délai possible, elle procède dans la forme accoutumée à la nomination des commissaires qui seront chargés de la rédaction du programme et qu’ils en rendent compte à l’Académie avant les vacances.
Le programme devra contenir suffisamment de détails :
1° Pour donner une idée très succincte de l’état actuel des connaissances sur la formation du salpêtre ;
2° Pour indiquer les ouvrages dans lesquels les concurrents pourront trouver des notions plus étendues ;
3° Enfin, pour les mettre sur la voie de ce qu’ils ont à faire et des expériences qu’ils ont à tenter.
L’intention du Roi étant que le prix ne soit distribué qu’autant que l’expérience aura été jointe à la théorie, S. M. se propose de procurer aux commissaires de l’Académie, soit à l’Arsenal, soit ailleurs, un emplacement commode et suffisamment vaste pour répéter les expériences proposées dans les mémoires admis au concours. Elle désire même que les commissaires de l’Académie y joignent toutes celles qui, quoique non indiquées par les concurrents, leur paraîtront propres à éclaircir la matière. Elle attend de leur part des preuves du zèle constant de l’Académie pour tout ce qui intéresse le bien public et le service de l’État. S. M. désire aussi qu’ils dressent du tout, jour par jour, un procès-verbal exact auquel pourront assister les régisseurs des Poudres et salpêtres, et qui sera signé de tous les assistants.
Le prix proposé sera de 4 000 livres et, vu les dépenses extraordinaires qu’il exigera de la part des concurrents, il y sera joint deux accessits, de mille livres chacun, en faveur de ceux qui se seront le plus distingués. Ces fonds seront assignés sur ceux de la Régie des Poudres et salpêtres, et j’écris aux régisseurs pour qu’aussitôt que le temps de la proclamation sera fixé, ils remettent entre les mains du trésorier de l’Académie un ordre payable à la même époque.
Le prix distribué, je vous prierai de m’adresser toutes les pièces qui auront été admises au concours pour en faire des extraits, afin que les idées utiles qui pourront s’y trouver ne soient pas perdues pour le public.
Je vous prie de me marquer ce que l’Académie aura fait pour l’exécution du contenu de la présente, de m’envoyer le nom des commissaires qu’elle aura choisis et de me donner communication du programme aussitôt qu’il sera rédigé[7].
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[1] Du Pont, Mém. — Œuvres de Lavoisier, t. V, particulièrement, p. 680 et s., 699 et s., 714 et s.
[2] Les accidents de force majeure étaient à sa charge. Le trésor payait par abonnement 27 000 livres pour les sauts de moulins.
[4] Voir la lettre du 22 novembre 1774.
[5] Il y avait en Franche-Comté des forêts dont les propriétaires étaient tenus de fournir du bois aux salpêtriers, et de n’en fournir qu’à eux. Turgot déplaça les ateliers des salpêtriers et rendit ainsi aux propriétaires la libre disposition de leur bois. En même temps, il fit creuser un canal qui amena dans les ateliers l’eau des salines du pays. Ce canal enlevait quelques arpents de terre à un gentilhomme ; il poussa les hauts cris ; on lui offrit une indemnité à dire d’expert, il la refusa ; il vint se plaindre à la Cour ; les courtisans le soutinrent.
[6] Lue à l’Académie le 23 août.
[7] Quoique l’usage de l’Académie fut de remettre à huitaine toute délibération importante, il fut statué immédiatement. Les Commissaires choisis furent Macquer, Lavoisier, le chevalier d’Arcy, Sage, Baumé. Celui-ci se retira et fut remplacé par Cadet ; D’Arcy mourut et fut remplacé par Montigny. Le programme du concours rédigé par Macquer fut arrêté le 2 septembre ; le concours fut ouvert pour le 1er avril 1777. Les Commissaires publièrent, en outre, un Recueil de Mémoires et d’observations sur la formation et la fabrication du Salpêtre, par MM. Macquer, D’Arcy, Lavoisier, Sage et Baumé, 1776 ; dès le mois de décembre 1775, ils avaient dressé un plan d’expériences qui furent immédiatement poursuivies. Au concours, 38 mémoires furent produits, mais le délai avait été trop bref et un nouveau concours fut ouvert pour 1782 : 66 mémoires furent alors produits ; Thouvenel, commissaire des poudres, à Nancy, eut le premier prix.
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