1774
166. — LA MILICE.
Ordonnances du 1er décembre.
[Anciennes Lois françaises, XXIII, 87.]
Par ces ordonnances, il fut décidé que les exemptions de milice seraient maintenues, d’une manière générale, pour les nobles, prêtres, magistrats, greffiers, avocats, procureurs, notaires, clercs, maires, échevins, médecins, agriculteurs, manufacturiers de certaines catégories, maîtres d’école, valets des nobles et des gens d’église, etc. Les exemptions relatives à l’agriculture, à l’industrie et au commerce devaient toutefois être réglées par instruction spéciale dans chaque généralité.
En outre, les exemptions pour exercice d’une profession ne devaient être accordées qu’à ceux qui l’exerceraient réellement.
La milice devait se composer de 30 régiments provinciaux. Étaient astreints au tirage au sort tous les célibataires ou veufs de 18 à 40 ans. Le service était de 6 ans.
Ainsi qu’il a été indiqué à l’année 1773 (tome III, p. 597), la question de la milice avait fait l’objet de plusieurs lettres de Turgot au ministre de la guerre, alors Monteynard.
Son successeur, d’Aiguillon, établit des conférences entre quelques intendants de province pour dresser un plan autre que celui qu’avait dressé et publié Monteynard. Les rédacteurs étaient Turgot et La Galaisière. Ce plan fut arrêté au moment où d’Aiguillon fut chassé. Le Maréchal du Muy n’attacha pas d’importance à la question. La milice ne fut pas toutefois tirée en 1774 (Véri, Journal, août 1774).
Turgot avait demandé dans les lettres qu’il avait écrites comme intendant que les milices fussent organisées en régiments permanents. Il aurait désiré que le tirage au sort fût supprimé, mais ce système admis, il ne comprenait pas que l’on interdit le remplacement ainsi qu’il avait été décidé par ordonnance du 27 novembre 1765. Il admettait les exemptions, mais en faisant remarquer qu’elles rendaient la charge beaucoup plus lourde pour la classe dans laquelle se recrutaient les miliciens.
Lorsqu’il fut ministre, il appela l’attention du Roi sur la question par des conversations particulières et par des mémoires ou des lettres. Le ministre de la guerre, Du Muy, défendit une opinion opposée et condamna le remplacement comme ne devant fournir que de mauvais soldats. Or, il fallait en temps de paix environ 15 000 recrues pour les troupes réglées, 12 000 pour les milices ; en temps de guerre, les recrues pouvaient monter à 40 000 hommes ; elles se faisaient pour les troupes réglées par la voie des engagements volontaires et pour une durée de 8 ans. Il n’y avait pas plus de difficultés à trouver de bons remplaçants dans la milice, qu’il n’y en avait à trouver des volontaires pour les troupes réglées.
Dans les campagnes, la milice était redoutée à l’égal d’un fléau. Au Conseil, Du Muy se rendant compte qu’il était peu persuasif, fit venir avec lui un des inspecteurs, d’Hérouville, qui fit un exposé brillant.
Turgot pensait que les règlements préparés et les explications qu’il avait données avaient convaincu le Roi ; il comptait sur Maurepas et sur Bertin, qui avaient été intendants comme lui, et qu’étant trois contre trois, Louis XVI déciderait comme eux[1]. Les trois militaires affirmèrent que les troupes ne pourraient plus se recruter et que les armées seraient perdues si l’on admettait le remplacement par rachat ; il était difficile à Turgot de contredire une pareille affirmation ; le Roi lui dit : « Laissons-les faire, nous y reviendrons dans la suite. » On sut dans le public qu’un débat avait eu lieu dans le Conseil entre les militaires et Turgot et l’on considéra la décision du Roi comme un acte de faiblesse.
Les ordonnances ne permirent pas d’acheter un milicien, mais elles autorisèrent le milicien à subroger à sa place. Or, voici ce qui se passa dans le Bourbonnais et dans le Berry : les jeunes gens qui allaient tirer au sort se cotisèrent pour faire une somme à celui qui aurait le billet noir. La contribution par tête fut d’au moins six francs ; elle fut de 12 francs dans la paroisse de Saint-Satur ; un paysan qui avait trois enfants dans le tirage fournit 36 francs. Le milicien trouva sur le champ un homme à subroger pour 100 ou 150 francs, et le revenant-bon pour lui fut considérable. Dans une paroisse, il eut 264 francs après avoir payé son subrogé. Du côté de Toulouse, les paroisses convinrent d’un prix modéré avec un homme qu’elles firent agréer au subdélégué et le sort fut arrangé de manière à le faire tomber sur lui. Les restrictions, imposées par les militaires du Conseil, n’empêchèrent donc pas les abus qu’ils craignaient (Véri, Journal).
Lettre de Maurepas à Turgot.
Versailles, 15 novembre.
Je viens, M., d’exécuter votre commission. Le Roi est décidé à ne point approuver l’ordonnance de M. le comte du Muy sans vous avoir entendu contradictoirement avec lui. J’ai cru pourtant devoir lui proposer un comité où il pourrait appeler M. Bertin qui a été intendant. Je crois que j’y serai aussi ; comme le Roi m’a dit qu’il n’avait pas lu le Mémoire de M. de La Galaisière que vous lui aviez remis ; je lui ai lu votre lettre à M. du Muy et lui ai expliqué sommairement l’état de la question. Je vous en dirai demain davantage. Ne doutez jamais, M., de la fidélité de mon attachement.
Lettre du maréchal du Muy à Turgot.
Versailles, 15 novembre.
J’ai reçu, M., la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 14 de ce mois ; je ne trouve nullement mauvais que vous demandiez au Roi un comité pour examiner la question relative au tirage de la milice par le sort, mais je prierai S. M. d’y appeler des généraux de ses armées, parce qu’un comité composé uniquement de personnes qui ne sont pas militaires n’est pas en état de juger un point qui importe si essentiellement à l’existence des armées.
La diversité des opinions n’influera jamais sur ma façon de penser pour vous ni pour les ministres du Roi ; je n’ai, comme eux, en vue que le bien du service.
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[1] Voir ci-dessous les lettres de Maurepas et de du Muy.
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