1774
162. — LES TRAVAUX PUBLICS.
I. Corvée des chemins.
Premier projet de suppression.
Lettre de Condorcet à Turgot du 23 septembre (Œuvres, I, 252) : « J’attends avec bien de l’impatience un édit ou un arrêt sur les corvées ; c’est peut-être le seul bien général, prompt, sensible, que vous puissiez faire en ce moment. Toutes les provinces attendent de vous le même bien que vous avez fait au Limousin. Leurs transports éclateront de manière à vous faire plaisir et peut-être l’effet que ce bien produira ne sera-t-il pas inutile à la réussite du reste. Ce mot de bien revient sans cesse, mais c’est votre faute. »
Dans le même temps (fin 1774), Trudaine de Montigny (Vignon, III, n°102) commençait une Lettre pour Turgot, où il disait :
« Le désir que vous m’avez marqué de procéder le plus tôt possible à changer dans le Royaume l’administration des corvées, a été pour moi un motif suffisant de me remettre à examiner de nouveau cette importante question et d’en faire l’objet de ma principale occupation, parce que ce sera toujours mon premier vœu que de concourir à vous mettre à portée de faire dans la place que vous occupez tout le bien que vous êtes capable de faire et parce que l’objet est par lui-même trop important pour que je ne me crusse pas un grand tort de retarder le moins du monde le parti, quel qu’il soit, qui sera pris sur cette question pour le plus grand bien des peuples… Pendant 28 ans que mon père a été chargé du département des Ponts et chaussées et depuis 6 ans que j’en suis chargé moi-même, j’ai été occupé perpétuellement de réfléchir sur la surcharge que cette espèce de contribution causait au peuple, et je n’ai rien tant désiré que de trouver des moyens de la soulager ou d’y suppléer par les moyens les plus simples et les moins onéreux. Vous m’avez fait l’honneur de me dire que vous aviez entre vos mains un Mémoire que l’abbé Terray m’avait demandé pour remettre sous les yeux du Roi… J’y ai rassemblé tous les motifs que j’ai entendus alléguer à mon père qui m’a dit plusieurs fois les avoir discutés avec M. Orry qui avait le premier monté ces services dans le Royaume. Il m’a assuré que la résolution qui avait été prise ne l’avait été que par les ordres réitérés du feu roi, sous les yeux de qui cette question avait été agitée à diverses reprises et j’ai, en effet, trouvé, dans les bureaux de mon père, plusieurs mémoires remis par lui à plusieurs de vos prédécesseurs et des réponses de ces ministres qui assuraient qu’après en avoir parlé au Roi, il avait décidé qu’il fallait suivre l’ancien système. Je me souviens même d’avoir plusieurs fois discuté cette matière avec mon père et quoiqu’il fut, plus qu’un autre, parfaitement instruit et intimement pénétré des principes qui vous ont toujours paru devoir faire la base de toute administration et qui vous font sentir que les chemins destinés à procurer le débouché des denrées et, par conséquent, à augmenter le revenu des fonds de terre, devaient être faits aux dépens de ces mêmes fonds de terre, il trouvait beaucoup d’inconvénients à changer l’usage de faire construire ces chemins par corvées. Deux réflexions principales l’y déterminaient : la première, la difficulté de mettre les sommes destinées à la confection de ces ouvrages publics à l’abri de la cupidité des agents de tous les genres… et, encore plus, des besoins de l’État qui sont si pressants et si continuels qu’ils laissent à peine la possibilité au ministre le plus économe et le plus patriote de respecter les dépenses les plus indispensables de l’État lorsqu’elles ne tiennent pas à sa défense immédiate ou au maintien du droit public. L’autre raison était fondée sur ce qu’il pensait réellement que, dans beaucoup de circonstances, cette contribution en nature était moins onéreuse que l’imposition en argent. [1] »
Journal de Véri. — « Le 27 décembre, dans le Conseil royal de finance, ont été jetés les fondements de la réforme des corvées.
« Il ne s’agit encore que d’un projet de circulaire aux Intendants des provinces pour leur demander leurs observations. Lorsqu’elles seront arrivées, on fera un tableau des avantages et des inconvénients de toutes les méthodes, pour en faire le rapport au Conseil.
« Le Roi a voulu lire à tête reposée le projet de lettre. Il a senti la dureté, l’injustice de la perte de travail qui résultait de l’usage des corvées. »
La Gazette de Leyde annonça, en effet, à la date du 6 janvier 1775 qu’une lettre allait être adressée aux Intendants pour les inviter à chercher les moyens de subvenir aux dépenses des routes, autrement que par la corvée.
Enfin dans le Mémoire de Turgot de 1776 sur les six projets d’édits[2] on lit :
« Lorsque j’ai eu l’honneur de lire à V. M., il y a plus d’un an, dans son Conseil, un premier Mémoire[3] sur la suppression des corvées, son cœur parut la décider sur-le-champ et sa résolution devint aussitôt publique ; le bruit s’en répandit dans les provinces. De ce moment, il est devenu impossible de ne pas supprimer les corvées. »
II. Projet de barrage contre les glaces.
(Les Mémoires secrets parlent d’un projet de barrage destiné à arrêter les glaces qui entravaient l’hiver la navigation de la Seine et de la Marne. L’auteur de ce projet était Deparcieux qui, quelques années auparavant, en avait donné connaissance à l’Académie des Sciences. Le barrage consistait en pièces de bois attachées ensemble et amarrées au bord de la rivière avec des chaînes de fer flottantes et armées de tranchants qui devaient rompre les glaçons. D’après les Mémoires secrets Turgot aurait mandé le Prévôt des marchands et les échevins pour leur enjoindre de faire un essai du projet de barrage sur la Marne à son confluent avec la Seine. Mais les essais n’auraient pas réussi ; l’expérience aurait eu lieu de nouveau l’hiver suivant sans plus de succès : l’effort des glaces cassa le barrage dont les débris allèrent fracasser un moulin établi au pont de Charenton. Cette machine, disent encore les Mémoires secrets, qu’on a appelée la machine Turgot, n’a pas réussi. MM. de l’Académie qui assistaient par députation à l’expérience sans en espérer beaucoup, sont décidément convenus qu’on n’avait pas encore assez calculé les forces de ces masses de glaces. C’est encore 20 000 livres de dépenses qu’on a fait faire à la ville, mais tout ce qui tend à l’amélioration des sciences ne peut être regardé comme vain. » (Mémoires secrets, VII, 251 et s., 293 ; IX, 36)[4].
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[1] Mlle de Lespinasse écrivit le 14 octobre : « M. Turgot travaille aux corvées. »
[2] Voir au tome V.
[3] Ce premier mémoire de Turgot n’a pas été retrouvé.
[4] On trouve :
1° Aux Archives de la Gironde une lettre à l’intendant de Bordeaux du 17 octobre, reproduite par Foncin, 118, et demandant des renseignements sur la Navigation de la Garonne ;
2° Aux Archives du Calvados (C. 3, 417) plusieurs lettres à l’intendant de Caen sur les ateliers et bureaux de charité ;
L’une d’elles (Fontainebleau, 5 novembre) indique les conditions dans lesquelles les ateliers doivent être établis ; ils doivent l’être dans les lieux où les récoltes sont le moins abondantes et doivent servir aux voies de communication.
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