1774
159. — LES OCTROIS.
I. — Octrois municipaux.
Circulaire aux Intendants sur leur réorganisation et sur les comptes des villes[1].
[D. P., VII, 35. — D. D., 11, 434.]
Paris, 28 septembre.
M., je me suis aperçu qu’il n’y a rien de plus irrégulier en général que la perception des droits d’octroi levés dans les villes et communes. Plusieurs d’entre eux sont établis sur des titres dont la plupart manquent des formes légales, et qui ont de plus le défaut d’être conçus en termes vagues, incertains, qu’on est presque toujours obligé d’interpréter par des usages qui varient suivant que les fermiers sont plus ou moins avides, ou suivant que les officiers municipaux sont plus ou moins négligents. Il en résulte une multitude de procès également désavantageux aux particuliers et aux communes.
Un autre vice assez général de ces tarifs est d’assujettir à des droits très légers une foule de marchandises différentes, ce qui en rend la perception très minutieuse et très facile à éluder, à moins de précautions rigoureuses qui deviennent fort gênantes pour le commerce.
Il règne enfin, dans presque tous les tarifs des droits d’octroi, un troisième vice plus important à détruire, c’est l’injustice avec laquelle presque tous les bourgeois des villes auxquelles on a cru pouvoir accorder des octrois, ont trouvé moyen de s’affranchir de la contribution aux dépenses communes, pour la faire supporter aux moindres habitants, aux petits marchands et aux propriétaires ou aux pauvres des campagnes.
Les droits d’octroi ont été établis pour subvenir aux dépenses des villes ; il serait donc juste que les citoyens des villes, pour l’utilité desquels ces dépenses se font, en payassent les frais. Ces droits ont toujours été accordés sur la demande des corps municipaux ; le gouvernement n’a peut-être pas pu se livrer à un grand examen sur les tarifs qui lui ont été proposés ; aussi est-il arrivé presque partout qu’on a chargé par préférence les denrées que les pauvres consomment. Si, par exemple, on a mis des droits sur les vins, on a eu soin de ne les faire porter que sur celui qui se consomme dans les cabarets et d’en exempter celui que les bourgeois font entrer pour leur consommation. On a exempté pareillement toutes les denrées que les bourgeois font venir du crû de leurs biens de campagne ; ainsi, ceux qui profitent le plus des dépenses communes des villes sont précisément ceux qui n’y contribuent en rien, ou presque point. Ces dépenses se trouvent payées dans le fait, ou par ceux qui n’ont pas de biens-fonds dans la ville, et que leur pauvreté met hors d’état de s’approvisionner en gros, ou par les habitants des campagnes, dont les denrées chargées de droits se vendent toujours moins avantageusement.
Il résulte de ces observations, M., qu’il serait important, en cherchant à régler convenablement la perception des droits d’octroi, d’en corriger les tarifs ; de fixer les droits d’une manière claire et précise, qui prévienne les interprétations arbitraires et les contestations qui en naîtraient ; de les simplifier, en ne les faisant porter que sur un petit nombre de denrées d’une consommation générale, assez précieuses pour que l’augmentation résultant du droit soit peu sensible, et pour que la charge en tombe principalement sur les plus aisés, et assez volumineuses pour qu’il ne puisse y avoir lieu à la fraude ; enfin, de supprimer les privilèges odieux que les principaux bourgeois se sont arrogés au préjudice des pauvres et des habitants des campagnes.
Pour parvenir à ce but, il est nécessaire que vous vous fassiez remettre par toutes les villes et lieux de votre généralité, et par les administrateurs des hôpitaux qui jouissent de droits d’octroi et autres, perceptibles sur les denrées et marchandises et sur tous les autres objets quelconques, tous les titres qui les établissent et en vertu desquels ils se lèvent ; les tarifs de ces droits sur chaque espèce d’objets, avec les modifications que l’usage a pu introduire dans la perception, en y ajoutant encore le détail des exceptions ou privilèges, et les titres, s’il y en a, qui établissent ces privilèges ; enfin, l’état des charges et dépenses des villes assignées sur le produit de ces droits. Vous fixerez un terme à ladite remise, et vous aurez soin de m’informer si on y a satisfait. Lorsque vous aurez toutes les pièces et autres éclaircissements nécessaires, vous enverrez votre avis sur l’utilité plus ou moins grande des perceptions de ces divers droits relativement aux besoins des villes et communes qui en jouissent, et même à ceux des hôpitaux, ainsi que sur les droits qu’il pourrait être avantageux de supprimer et sur ceux par lesquels on pourrait les remplacer, pour procurer aux villes et aux hôpitaux le même revenu d’une manière plus simple et moins onéreuse au commerce, et sur les différents privilèges qu’il pourrait être juste d’abroger ou de conserver. Je me déciderai ensuite relativement à la perception, et aux règles que je proposerai au Roi d’établir pour rendre cette perception égale, et à la charge de tous ceux qui doivent y contribuer.
Vous savez, M., qu’une partie des droits établis dans les villes se perçoit au profit du Roi à titre d’anciens octrois, d’octrois municipaux et d’octrois tenant lieu du don gratuit ; il faudra comprendre ces droits dans l’état à faire, afin d’y réunir ceux qui se lèvent sur les mêmes objets.
Quant à l’emploi des revenus des villes et communautés, il me paraît également nécessaire de le soumettre à des règles qui puissent empêcher le divertissement des deniers. Plusieurs doivent compte de leurs revenus aux bureaux des finances et aux Chambres des comptes dans les délais fixés ; la plupart négligent de le faire. Les administrateurs, s’ils ne sont pas titulaires, se succèdent et gardent par devers eux les pièces justificatives de leurs comptes ; ils décèdent, les pièces s’égarent ; et, lorsque le ministère public s’élève pour forcer de rendre les comptes, il devient très difficile, pour ne pas dire impossible, de le faire. Alors ces comptes occasionnent des frais considérables, et souvent ils ne produisent rien d’avantageux, parce que le laps de temps qui s’est écoulé ne laisse plus la possibilité d’exercer de recours contre les comptables.
Pour prévenir la dissipation des deniers, je regarde, M., comme indispensable de fixer par des états les charges et dépenses annuelles dont les villes et communautés sont chargées, et au delà desquelles les administrateurs ne pourront, sous peine d’en demeurer personnellement garants, rien payer. Lorsqu’il s’agira d’une nouvelle dépense annuelle, elle sera ajoutée à l’état qui aura déjà été arrêté, et ainsi successivement. Quant aux autres dépenses de la nature de celles qui doivent être autorisées par le Conseil, on s’y pourvoira en la forme ordinaire ; et il y sera statué sur votre avis, en justifiant toutefois par vous que la ville sera en état de faire cette dépense, soit de réparation, soit de construction nouvelle, et en joignant à votre avis le tableau de la situation des revenus de la ville. Je pense aussi qu’il est bon que, sans attendre les délais dans lesquels les comptes doivent être rendus aux bureaux des finances et aux Chambres des comptes, les villes et communes fassent dresser tous les ans, par leurs administrateurs, des brefs états de compte de leur maniement, lesquels seraient certifiés par le corps municipal, et qu’ils soient tenus de remettre les pièces justificatives de ces comptes dans les archives de la ville ou de la communauté, sans que les administrateurs puissent garder ces pièces de comptabilité par devers eux, non plus que les titres des biens ou revenus, sans cause dûment approuvée par vous, M. Au moyen de ces états, les comptes seront faciles à rendre. Il me semble qu’en tenant la main à cette opération dans chaque département, il est possible qu’elle soit faite avec exactitude.
S’il est nécessaire, comme je viens de l’exposer, de vérifier la perception des droits dans les villes, et de la régler d’une manière moins onéreuse aux habitants des campagnes, il n’est pas moins nécessaire de veiller à ce que l’emploi du produit se fasse avec la plus grande économie. Le défaut d’attention sur cet objet important conduirait insensiblement toutes les villes du Royaume à la destruction de leurs revenus ; bientôt elles ne pourraient plus suffire aux payements des charges les plus privilégiées, et le gouvernement, vu la multiplicité des secours en tout genre qu’il leur accorde depuis nombre d’années, finirait par n’avoir plus les moyens de les secourir.
Vous voudrez bien, M., faire les réflexions que j’ai lieu d’attendre de vous pour le service du Roi sur tous les objets que contient cette lettre, et m’adresser vos observations aussi promptement qu’il vous sera possible.
II. — Octrois de Paris.
1. Réunion de bureaux.
Arrêt du Conseil réunissant en un seul le bureau[2] des officiers des ports de Paris et celui de la ferme générale pour l’enregistrement des titres de propriété des bourgeois de Paris et autres privilégiés qui voulaient jouir d’exemption de droits d’entrée sur les denrées provenant de leurs terres et destinées à la consommation de leurs maisons.
[Cité D. P., VII, 43.]
2 octobre.
(Mesure prise dans un but d’économie et de simplification ; le travail fait par les employés de la ferme générale pouvant servir aux officiers des ports, qui n’avaient qu’à le faire vérifier par l’un d’eux.
L’arrêt portait aussi sur les formes à suivre par les propriétaires qui réclamaient l’exemption.
Enfin, il préparait la suppression des privilèges mal fondés en matières d’octrois, conformément aux principes exposés dans la circulaire du 28 septembre.)
2. Déclaration du Roi sur la liberté du commerce de la viande à Paris pendant le carême[3].
(Registré le 10 janvier 1775.)
[Recueil des Édits, 1774, 2e sem. — D. P., VII, 90. — D. D., II, 225.]
Versailles, 25 décembre.
Louis, etc. Le privilège exclusif accordé à l’Hôtel-Dieu pour la vente et le débit de la viande pendant le carême lui ayant été plus onéreux que profitable, lorsque l’exercice en a été fait par ses préposés, il aurait ci-devant préféré de le céder moyennant une somme de 50 000 livres ; mais ce privilège n’étant pas moins préjudiciable au public par les abus qui en résultent nécessairement, par les fraudes multipliées à la faveur desquelles on est jusqu’ici parvenu à en éluder l’effet, sans que les pauvres en aient profité, et par les poursuites sévères, souvent ruineuses, auxquelles ils se trouvaient exposés, nous avons pris la résolution de subvenir aux besoins de ceux de nos sujets que leur état d’infirmité met dans la nécessité de faire gras pendant le carême, et notamment des pauvres malades, en leur procurant des moyens plus faciles d’avoir les secours qui leur sont indispensables ; nous avons reconnu qu’il n’en pouvait être de plus capables de remplir ces vues charitables, que de rendre au commerce des viandes pendant le carême une liberté qui ne peut et ne doit entrainer l’inobservation des règles de l’Église. Mais si, d’un côté, il est de notre bonté de procurer du soulagement aux habitants de notre bonne ville de Paris, nous avons cru également digne des vues de justice et de piété qui nous animent, de ne point faire perdre à l’Hôtel-Dieu le bénéfice que cette maison est dans l’usage de retirer de l’exercice de son privilège, et de maintenir les règlements qui, conformément aux lois de l’Église, ne permettent l’usage du gras dans le carême qu’aux conditions qu’elle a prescrites. À ces causes, nous avons dit, déclaré et ordonné ce qui suit
Art. I. Le commerce et l’entrée des viandes, gibier et volailles sera libre dans la ville, faubourgs et banlieue de Paris pendant le carême.
II. La vente et le débit en seront faits, savoir : du bœuf, veau et mouton, par les maîtres et marchands bouchers ; du gibier et de la volaille, par les rôtisseurs ; et du porc frais et salé, par les charcutiers.
III. Il sera tenu, à cet effet, le lundi de chaque semaine, un marché à Sceaux ; tous les vendredis, un marché à la halle aux veaux ; et tous les jours de la semaine, à l’exception du vendredi, un marché de volaille et de gibier sur le carreau de la Vallée, le tout en la manière accoutumée.
IV. Et, pour assurer à l’Hôtel-Dieu le même secours qu’il a retiré jusqu’à présent de l’exercice de son privilège, voulons qu’il lui soit remis une somme de 50 000 l. à prendre sur le produit des droits qui se perçoivent aux marché de Sceaux et entrées de Paris, sur les bœufs, veaux, moutons et porcs, et dont la régie sera faite, pendant le carême, pour notre compte par nos fermiers ; sauf, dans le cas d’insuffisance du produit desdits droits régis, à parfaire par nous, au profit de Hôtel-Dieu, ladite somme de 50 000 l.
V. Seront, au surplus, les arrêts et règlements concernant l’usage du gras pendant le carême, et ceux concernant le suif, la cuisson des abatis, les marchés de Sceaux, de la Vallée et de la halle aux veaux, exécutés en ce qui n’est pas contraire aux dispositions des présentes.
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[1] Cette circulaire est calquée sur la lettre que Turgot, intendant de Limoges, avait adressée au contrôleur général sur le même sujet le 9 novembre 1772.
[2] Situé à l’Hôtel de Bretonvilliers.
[3] Il faut, dit l’abbé de Véri, avoir senti pendant 40 ans les inconvénients du privilège exclusif que les préposés de l’Hôtel-Dieu exerçaient sur la viande en carême pour goûter le prix de la liberté rendue sur ce point.
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