1774
I. — LES DOMAINES ET HYPOTHÈQUES.
1. — Domaines engagés.
1 Arrêt du Conseil révoquant le bail des domaines engagés (Bail Sausseret).
(Institution d’une régie).
[Recueil des Édits, 2e sem., 1774, 574. — Gazette de Leyde, 21 octobre 1774. — D. P., VII, 33.]
25 septembre.
(Le bail des domaines réels ou bail Sausseret avait une durée de 30 ans ; il avait été conclu en 1773 et 1774 par l’abbé Terray avec Sausseret et consorts moyennant un prix annuel de 1 564 000 livres, payables d’avance à partir du 1er octobre 1774. Il entrait en vigueur le 1er janvier 1775.
On avait donné aux fermiers :
1° La jouissance des terres louées : 1 116 164 livres
2° Les profits à faire sur les renouvellements de baux pendant 30 ans ;
3° La jouissance de toutes les terres vaines et vagues à défricher ou a dessécher ;
4° La faculté illimitée de rentrer dans les domaines où le Roi n’aurait pu rentrer lui-même.
Ces derniers droits étaient donnés gratuitement.
En principe, le Roi ne pouvait vendre aucun domaine, mais il pouvait engager un bien avec la faculté de le reprendre.
Quand le Roi voulait reprendre possession d’un domaine engagé, les fermiers généraux en prenaient possession en son nom et en percevaient les produits pour son compte. D’après le bail, il devait être établi pour cette perception des sous-fermes qui devaient payer au Roi une année d’avance et qui, à la fin du bail devaient remettre les domaines libres de toutes charges. Par Arrêt du Conseil du 30 octobre 1773, une sous-ferme avait été organisée pour les domaines des généralités de Rouen, de Caen et d’Alençon moyennant le prix annuel de 81 000 livres, plus le dixième du profit tiré des terres vaines et vagues qui auraient été défrichées ou desséchées, etc.
Par un autre Arrêt du Conseil du 24 juillet 1774 les domaines de Bretagne avaient été affermés moyennant le prix annuel de 75 000 livres.
« Quand on eut tiré au clair les dispositions du bail, les génies en finances convinrent que jamais traité n’avait été si bien composé et rédigé », est-il dit ironiquement dans les Mémoires de l’abbé Terray (196 et s.).
En réalité, l’engagement de 30 ans pour des perceptions de baux de 6 et 9 ans était insolite ; en outre les engagistes étaient menacés de procès ; les communautés d’habitants pouvaient perdre le pâturage des terres vagues. De là, des réclamations nombreuses et, si l’on en croit Baudeau, de fâcheuses intrigues. « Il y a, dit-il, à la date du 13 septembre, des gens à l’affût sur l’affaire des domaines du Roi. C’est un patrouillage du petit Cochin pour placer des créatures à lui et à l’abbé Terray, pour donner des croupes. Tout ce monde-là craint pour ses intérêts. » Parmi les engagistes était de Guibert, l’ami de Mlle de Lespinasse. Celle-ci écrivait le 19 septembre :
« À l’égard de ce bouleversement dans les domaines, j’ai bien de la peine à croire que M. Turgot puisse en rien suivre ou exécuter les projets de l’abbé Terray. Si cependant, il venait à vouloir agir d’après ce plan, M. de Vaines serait à portée de vous rendre ce service ». Et le 22 :
« J’ai vu M. Turgot ; je lui ai parlé de ce que vous craigniez pour les domaines, il m’a dit qu’il n’y avait point encore de parti pris sur cet article, que M. de Beaumont, intendant des finances, s’en occupait et qu’en attendant les compagnies que l’abbé Terray avait créées pour cette besogne avaient défense d’agir. M. Turgot m’ajoute que dès qu’il sera instruit par M. de Beaumont, il me dirait s’il y avait quelque chose de projeté ou d’arrêté sur les domaines, mais qu’en général, il y aurait un grand respect pour la propriété. J’ai dit votre affaire à M. de Vaines, et il me répondit nettement : ‘Qu’il soit bien tranquille ; le projet de l’abbé Terray ne sera jamais exécuté par M. Turgot ; j’en réponds.’ »
« Le principe de l’inaliénabilité des domaines de la couronne, dit Véri dans son Journal, n’avait jamais empêché qu’ils ne fussent dissipés. Il y en avait eu de vendus, de donnés, d’échangés.
« L’abbé Terray et l’Intendant Cochin remirent en activité la recherche des domaines aliénés. Des fouilleurs obscurs se répandirent dans nos provinces, partout où ils trouvèrent des ombres de domanialité, ils se les firent adjuger moyennant des offres un peu supérieures à celles des possesseurs ; des ministres et des commandants de provinces, comme en Dauphiné, eurent part à l’opération. Ils prirent la concession de terres réputées incultes et, dans les recherches des droits anciens du Domaine, ils firent trembler une foule de petits propriétaires qui avaient obtenu par héritage des arpents qu’ils avaient mis en culture. Un cri général suspendit la concession du Dauphiné, mais ailleurs, les possesseurs de terres réputées domaniales se virent dépossédés, notamment pour les alluvions et les atterrissements de la mer et des rivières navigables. Cochin avait imaginé de faire des concessions sur les bords de la mer. Un grand nombre de familles qui possédaient en paix des rivages baignés par le flux eurent à lutter contre les concessionnaires de l’Intendant. Il y eut telle famille de Normandie qui prouvait sa possession par des titres de 3 et 4 siècles.
« Il n’était pas douteux que presque toutes les aliénations des domaines de la Couronne avaient une origine abusive ; elles avaient été faites par faveur aux dépens de la Couronne ; il n’est pas douteux non plus que les paysans n’avaient pu s’approprier de petites parcelles incultes que par l’effet de la négligence des agents du Domaine, mais on concevait mal que la prescription, admise dans des cas analogues entre les citoyens, ne fut pas appliquée aux biens qui avaient appartenus au Roi. Le Domaine royal, si l’on en exceptait les forêts, avait peu de valeur, et il est probable que les impôts perçus sur les domaines aliénés rendaient plus que les produits qu’on aurait tirés de leur culture ou de leur concession.
« Trois partis se présentaient :
« 1° Remettre les domaines aux fermiers généraux auxquels on les avait retirés, mais la ferme n’était pas propre à une exploitation terrienne ;
« 2° Confier les domaines engagés aux receveurs des domaines et bois. On leur en parla ; ils n’étaient pas assez riches pour faire par eux-mêmes les avances que les circonstances exigeaient. Leur administration n’avait pas d’ailleurs d’unité ; chaque régisseur se conduisait dans son département selon sa propre intelligence ; et si plusieurs d’entre eux étaient des hommes très distingués, quelques autres étaient loin d’avoir les mêmes talents ;
« 3° Résilier le bail et former une régie spéciale. C’est ce qui fut fait.
« La régie qui remplaça la ferme et les sous-fermes fut établie pour 9 ans. Les régisseurs firent au Trésor un fonds d’avance de 6 millions de livres dont le remboursement ne devait commencer qu’au bout de 3 ans, de 6 en 6 mois, à raison de 1 million par an pendant les 6 années restant ; l’intérêt fut fixé à 6 p. 100 avec retenue de 1/10. On réunit à la régie la perception des droits féodaux et seigneuriaux casuels sur les terres de la mouvance du Roi et la gestion d’une ferme qui avait été établie pour quelques domaines, réunis par le décès d’engagistes viagers.
« Les droits de présence des régisseurs furent réglés au même taux que les intérêts des fonds et soumis aux gradations résultant des remboursements successifs. En ajoutant les remises et les frais de bureau, la recette du Trésor ne coûtait que 16 deniers par livre environ, c’est-à-dire 6,66 p. 100. »
Le 31 septembre, Mlle de Lespinasse écrivit à Guibert :
« Tout ce que l’abbé Terray avait fait ou projeté de faire sur les domaines est comme non avenu ; tout a été détruit, cassé, annulé ; en un mot, vous devez être aussi tranquille sur la propriété de M. votre père, que vous l’étiez il y a 10 ans ; c’est M. Turgot qui me l’a assuré hier. »)
Le Roi, s’étant fait rendre compte des Arrêts, Lettres Patentes et Résultats de son Conseil, des 30 octobre et 27 juillet 1773, 12 juin et 24 juillet 1774 et autres, concernant les baux de trente années de ses domaines, ainsi que des différents baux qui en ont été passés au nommé Sausseret et autres, en conséquence des dits arrêts pour ledit terme et espace de trente années, qui doivent commencer au 1er janvier prochain ; et S. M. ayant reconnu que la meilleure administration et la plus analogue à l’état actuel desdits Domaines, exige qu’ils soient mis en régie pour le terme qu’elle jugera à propos de prescrire, sauf à pourvoir au remboursement des frais et dépenses qui peuvent avoir été bien et légitimement faits par les cautions dudit Sausseret et autres, à l’occasion desdits baux, elle aurait résolu de faire connaître ses intentions à ce sujet.
À quoi voulant pourvoir, ouï le rapport du Sr Turgot, … le Roi… révoque les Arrêts, Lettres Patentes et Résultats de son Conseil des 30 octobre et 27 juillet 1773, 12 juin et 24 juillet 1774 et autres, concernant les baux de trente années de ses domaines, ainsi que les différents baux qui ont été passés en conséquence audit Sausseret et autres pour ledit terme et espace de trente années : ordonne S. M. que les cautions dudit Sausseret et autres seront remboursées suivant la liquidation qui sera préalablement faite du montant des frais, avances et déboursés qu’ils pourront avoir bien et légitimement faits à l’occasion des dits baux, à l’effet de quoi ils seront tenus de remettre entre les mains du Sr Contrôleur général des Finances les mémoires, états et pièces justificatives desdits frais, avances et déboursés : se réservant au surplus S. M. de faire connaître ses intentions sur les sous-baux qui pourraient avoir été faits par les cautions dudit Sausseret et qui n’excéderont pas le terme de neuf années.
2. Résultat du Conseil : organisation de la Régie.
[Cité D. P., VII, 57.]
1er novembre.
(En conséquence de l’arrêt du Conseil du 25 septembre qui avait crée la régie des Domaines, Jean Bertheaux fut, par le nouvel arrêt du Conseil, nommé titulaire de la régie avec 24 cautions pour l’administrer pendant 9 ans.
Les cautions ou administrateurs avançaient 6 millions en 4 termes portant 6 p. 100 d’intérêt et remboursables de 6 mois en 6 mois dans les 6 dernières années de la régie. Elles recevaient en outre 6 p. 100 pour droit de présence, soit 15 000 livres chacune et des remises croissantes sur le produit des recettes. Les administrateurs furent pris parmi les directeurs les plus distingués des domaines)[1].
3. Arrêt du Conseil mettant l’administration de la régie en possession des domaines et droits domaniaux.
[Cité D. P., VII, 90.]
22 décembre.
[L’arrêt renferme l’énonciation détaillé de ces domaines et droits domaniaux.]
II. — Hypothèques.
1. Résultat du Conseil : droits d’hypothèques, en remplacement de la régie Rouselle.
[D. P., Mém., 159.]
15 novembre.
(Les droits d’hypothèques, de greffes, les quatre deniers pour livre du prix des ventes d’immeubles dans les provinces avaient été confiés à une régie sous le nom de Rousselle. Les régisseurs devaient faire 8 000 000 l. d’avances remboursables par des paiements successifs dont le dernier devait avoir lieu en juillet 1781. L’intérêt de leurs avances était stipulé à 6 p. 100 ; on leur avait accordé en outre des droits de présence montant à 480 000 l. par an, et encore 6 p. 100 de leurs premiers fonds. Il en résultait que du 1er janvier au 1er juillet 1781, les cautions de Rousselle ne devant plus être en avance que de 1 000 000 l., dont la moitié leur aurait été remboursée au 1er avril, n’en auraient pas moins touché, outre l’intérêt de leur capital à 6 p. 100, sujet à la retenue du dixième, un surcroît d’intérêt de 240 000 l. sous le nom de droits de présence…
Turgot crut devoir conseiller au Roi de résilier ce marché. Il forma une nouvelle régie qui fournit 4 000 000 l. d’avances de plus que l’ancienne, de laquelle on augmenta le travail en lui confiant la perception d’un plus grand nombre de branches de revenus ; … et avec laquelle on stipula que les droits de présence, soumis comme les intérêts du capital à la retenue du 1/10, diminueraient dans la même progression en raison des remboursements successifs.
Les remboursements devaient être terminés six mois plus tôt que ne devaient l’être ceux de l’ancienne régie. — Du Pont).
2. Arrêt du Conseil ordonnant aux huissiers qui signifieront des oppositions aux conservateurs des hypothèques de signer l’acte d’enregistrement sur les registres.
[Recueil d’Édits, 1774, 2e sem. — D. P., VII, 792. — D. D., II, 438.]
Versailles, 4 décembre.
… Le Roi, étant informé qu’il s’élève journellement des contestations entre les commis préposés à l’exercice des fonctions des offices de conservateurs des hypothèques, établis près les chancelleries des bailliages et sénéchaussées royales par Édit du mois de juin 1771, et les huissiers chargés de former des oppositions entre leurs mains, lesquels refusent de signer sur les registres à ce destinés, les actes d’enregistrement des dites oppositions, sous prétexte que l’article 12 dudit édit ne les assujettit qu’à faire viser par les conservateurs des hypothèques les originaux des oppositions qu’ils leur signifient, et S. M. ayant fait examiner en son Conseil les motifs de ces contestations, elle a reconnu que la signature des huissiers, au pied des actes de l’enregistrement des oppositions, était un moyen d’assurer encore davantage la tranquillité des particuliers et l’état des conservateurs des hypothèques, en ce qu’elle obligera les huissiers à venir eux-mêmes signifier ces oppositions, qu’ils envoient souvent par des gens sans caractère, hors d’état de répondre aux différents éclaircissements qu’on peut leur demander, et en ce qu’elle préviendra les différents abus qui pourraient exposer les conservateurs des hypothèques à des recherches et à des discussions désagréables et dispendieuses. À quoi voulant pourvoir : ouï le rapport du sieur Turgot, … l’article XXII de l’Édit du mois de juin 1771 sera exécuté selon sa forme et teneur. Veut S. M. qu’en conformité dudit article, les oppositions qui seront formées entre les mains des conservateurs des hypothèques soient datées et par eux visées et enregistrées aux registres qu’ils tiennent à cet effet ; enjoint aux huissiers et sergents qui signifieront lesdites oppositions, de signer avec lesdits conservateurs des hypothèques les enregistrements qui en seront faits sur les registres ; autorise les conservateurs des hypothèques à retenir par devers eux les originaux desdites oppositions, lesquels ne pourront être rendus et visés qu’après que lesdits actes d’enregistrement auront été signés par les huissiers, qui, à défaut de le faire, demeureront garants et responsables de la nullité desdites oppositions, et tenus envers les parties du remboursement des sommes auxquelles pourront monter les créances dont elles seraient déchues.
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[1] De Saint-Wast, receveur général des vingtièmes, en fit partie (Journal Historique, 9 octobre).
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