1774
156. — LES IMPÔTS INDIRECTS.
I. — La Gabelle.
Arrêt du Conseil sur la fourniture et la vente du sel dans les provinces rédimées limitrophes des pays de gabelle.
[D. P., VII, 44. — D. D, II, 390.]
14 octobre.
(La Gabelle, ou impôt sur le sel, était un impôt très ancien. Il constituait, sous l’Ancien régime, avec les aides et le droit sur les tabacs, les principales taxes indirectes. Il était perçu sous forme de monopole ; les fermiers et officiers du Roi pouvaient seuls acheter le sel dans les salines ; ils payaient les droits, puis vendaient le sel à un prix arrêté en Conseil. Les greniers dans lesquels s’effectuait la vente étaient de deux espèces, suivant les régions. Dans les uns, dits de vente volontaire, chacun s’approvisionnait à sa convenance. Ailleurs, le sel était réparti entre les paroisses par quantités déterminées et la part de chaque famille était proportionnelle au nombre de ses membres. La perception était d’ailleurs variable ; des provinces étaient franches, d’autres rédimées, d’autres privilégiées.
Les fermiers généraux avaient obtenu en 1773 de fournir exclusivement le sel dans les dépôts établis sur la frontière des provinces rédimées à cinq lieues de distance de la limite des provinces sujettes à l’impôt. Ce règlement fut rendu par un simple arrêt du Conseil. Des intendants de province firent des représentations le ministre n’y eut point égard. Le Conseil supérieur de Clermont défendit par un arrêt de changer l’administration du commerce du sel ; la forme de l’arrêt de défense et le réquisitoire du procureur général sur lequel il avait été rendu ne pouvaient se justifier légalement bien qu’il fut juste au fond. L’Arrêt, porté au Conseil des finances le 19 juillet 1774 par l’abbé Terray, fut cassé. Le règlement n’était pas plus légal ; l’administration du sel dans toute une province ne pouvait avoir lieu que sous la forme de lettres patentes. Moreau de Beaumont, qui faisait partie du Conseil, n’osa pas signaler l’irrégularité ; Trudaine, qui avait la gabelle dans son département, garda aussi le silence ; le chancelier ne fit pas non plus d’observations ; le ton décisif de l’abbé Terray, la proposition inattendue de l’affaire, la timidité de l’intendant qui paraissait pour la première fois devant le nouveau roi, l’empêchèrent d’avoir ou d’exprimer une opinion (Véri, Journal).
En réalité, les fermiers devaient donner le sel à un prix modéré et réglé sur les frais d’achat et de transport. Les provinces réclamèrent dans la crainte que le fermier seul fournisseur ne trouvât bientôt des raisons pour augmenter le prix et que sa fourniture ne fut dans la suite soumise à quelques sols pour livre (Du Pont). Par l’arrêt ci-dessous, Turgot remit les choses sur l’ancien pied en accordant aux fermiers une indemnité.)
Vu par le Roi, étant en son Conseil, les Mémoires présentés à S. M. par les villes de Riom et Clermont ; par la ville de Châtellerault et la province de Poitou ; par celle d’Aubusson et autres villes et pays de la haute Marche ; par les maire, échevins et autres officiers municipaux de la ville de Guéret ; par les habitants de la ville du Blanc en Berri, et de ses environs ; par ceux de la ville de Thouars et paroisses ressortissantes du dépôt à sel de ladite ville ; et par ceux de la ville de Saint-Vaulry, généralité de Limoges, d’une part ; et par l’adjudicataire des fermes générales, d’autre part ; ceux des officiers municipaux de Riom et autres villes ci-dessus nommées, contenant leurs représentations contre un Arrêt du Conseil du 3 octobre 1773, portant règlement pour la fourniture des sels aux dépôts limitrophes du pays de gabelle, lequel a accordé à l’adjudicataire des fermes le droit exclusif d’approvisionner de sel lesdits dépôts, avec défense aux habitants des villes d’Aubusson et de Riom d’en continuer le commerce ; lesdits mémoires expositifs, entre autres choses, que la province d’Auvergne était du nombre de celles qui ont été anciennement rédimées des droits de gabelle ; qu’il y avait cela de particulier pour cette province, qui rendait son privilège d’autant plus favorable, que ce n’était point par un prix payé comptant qu’elle s’était rédimée, que c’était sous une charge annuelle et perpétuelle, par une augmentation sur la taille, qui a suivi la même progression que la taille elle-même ; que c’était ce qu’on pouvait voir dans les Édits de 1547, 1549, 1550 et 1557 ; que tant d’édits se trouvaient encore confirmés par les Lettres-patentes de 1560, 1563 et 1578 ; que de là venait qu’il n’y avait nulle proportion pour l’imposition de la taille entre les autres provinces du Royaume et l’Auvergne, où elle est beaucoup supérieure que les demandes des fermiers généraux sur lesquelles était intervenu l’Arrêt du 3 octobre 1773, étaient le complément du système d’envahissement des privilèges des provinces rédimées, qu’ils avaient conçu depuis plus d’un siècle ; qu’en effet, pour peu qu’on y fit attention, on reconnaîtrait par combien de degrés cet événement avait été préparé : que la vente était totalement libre, au moyen des conventions faites avec elles et des sommes dont elles avaient contribué, lorsqu’on imposa la formalité gênante des dépôts à l’extrémité des pays rédimés, par laquelle ils touchent au pays de gabelle : qu’il était vrai que cet établissement était antérieur à l’ordonnance de 1680 ; mais que, quoique cette ordonnance en eût fixé irrévocablement les règles et la discipline, cependant en 1722, au lieu de laisser approvisionner les dépôts indifféremment par tout le monde, on avait exigé que les marchands prissent des commissions des juges ; qu’ensuite elles étaient devenues des commissions du fermier, révocables selon sa volonté ; au moyen de quoi, il ne restait plus que d’établir en sa faveur la vente exclusive du sel, et que c’était ce qu’avait fait l’Arrêt du 3 octobre 1773 : qu’à la vérité il y était bien dit que le prix serait fixé sur celui des salorges les plus voisines, mais que cette vente exclusive une fois établie, il était difficile de rassurer les habitants des provinces rédimées, sur la crainte que ce prix ne fût successivement augmenté, soit par des sols pour livre établis par le gouvernement, soit par des prétextes que trouveraient les fermiers généraux eux-mêmes : que d’ailleurs, se trouvant maîtres de la totalité de la denrée dans une partie de la province, qui est plus d’un cinquième de l’Auvergne, il était vraisemblable qu’ils influeraient aisément sur le prix du sel dans les salorges du pays libre ; que cette règle s’étendrait petit à petit dans la province où les dépôts n’ont pas été établis : que la faculté de vendre du sel, ôtée par ledit Arrêt du 8 octobre 1773, aux villes de Riom et d’Aubusson, était une preuve convaincante de leurs vues : qu’enfin ce fournissement fait par les fermiers généraux, de sels qu’ils tiraient directement des marais salants par la Loire et l’Allier, détruirait une branche de commerce très utile, non seulement aux provinces où les dépôts sont établis, mais encore à toutes celles qui se trouvent entre ces provinces et la mer, lesquelles trouvaient dans le trafic et voiturage de ces sels des ressources très avantageuses : que la rupture de la communication établie pour le transport de cette denrée entièrement libre et la partie approvisionnée par les dépôts, et surtout la destruction du commerce du sel dans les villes de Riom et d’Aubusson, portaient le préjudice le plus notable à ces deux villes, et principalement à la dernière, dont les manufactures exigent une infinité de convois de toutes les parties de la Province, convois dont le prix était diminué par l’espérance des voituriers de trouver à charger du sel en retour : que c’était enfin causer un préjudice très grand à ces provinces dans le moment présent, et leur en faire envisager de bien plus grands pour l’avenir, sans que ces maux pussent être balancés par un avantage notable pour les finances de l’État.
Vu aussi les Mémoires des fermiers généraux en réponse, par lesquels ils auraient de leur côté représenté, entre autres choses, qu’ils n’avaient eu d’autre part à tout ce qui avait été fait sur cet objet, que d’avoir répondu à un Mémoire qui leur avait été communiqué, et d’avoir énoncé ce qui leur avait paru le plus utile pour la régie des droits du Roi ; que, comme la proposition par eux faite l’avait été à l’expiration de leur bail et, comme ils n’avaient pas caché que la faculté d’approvisionner eux-mêmes les dépôts opérerait une augmentation de produit sensible, c’était pour le Roi que cette augmentation avait lieu, et qu’ils n’avaient pas manqué de la faire entrer en considération dans le prix qu’ils ont donné du bail ; que la preuve de ce fait se trouverait établie par les calculs qu’on avait faits pour en régler le prix ; qu’on leur a fait valoir cette augmentation, et qu’enfin cette faculté est énoncée dans le Résultat du Conseil qui leur porte bail : ce qui prouvait, ont-ils dit, qu’elle a été regardée comme faisant partie des conditions de ce bail, et que c’était le Roi qui, par là, devait jouir du bénéfice qui en pouvait résulter, puisque l’effet ne devait commencer qu’en même temps que le nouveau bail, d’où ils induisaient qu’ils étaient absolument sans intérêt pour l’obtention de l’Arrêt du 3 octobre 1773 ; et que, s’ils ont donné lieu, par les éclaircissements qui leur avaient été demandés, à ce qu’il fût rendu, ils ne l’avaient fait qu’en l’acquit de leur devoir, pour le maintien et pour la bonification des droits dont la régie leur est confiée ; ajoutant que cette bonification se trouverait principalement dans la facilité que cet établissement leur procurerait pour arrêter les versements que les ressortissants des dépôts font, sur le pays de gabelle, des sels surabondants à leur consommation ; qu’indépendamment de la plus grande vigilance qu’ils emploieraient dans le débit des sels fournis par eux, ils se procureraient encore un moyen très facile de les empêcher de circuler dans les pays de gabelle, en les fournissant en sel blanc, pendant que les greniers de gabelle le sont en sel gris ; que cette seule précaution, sans violences, sans jugements, sans condamnations, serait une barrière plus utile contre le faux saunage, que toutes les saisies qu’ils pourraient faire et tous les commis armés qui ne pourraient s’opposer qu’imparfaitement à des fraudeurs actifs et industrieux, et qui ne peuvent arrêter leurs entreprises téméraires que par la force, et quelquefois aux dépens de la vie des sujets de Sa Majesté ; qu’enfin c’était là le grand avantage qu’ils trouveraient à l’exécution de l’arrêt dont on demandait la révocation, et qu’il était de beaucoup préférable au bénéfice cependant très réel qu’ils trouveraient dans les moyens économiques de faire eux-mêmes ces fournissements ; soutenant, au surplus, que les provinces rédimées de gabelle avaient très grand tort de se plaindre des dispositions de l’Arrêt du 3 octobre 1773, qui, bien loin, ont-ils dit, de porter atteinte à leurs privilèges, les confirme au contraire authentiquement ; que la régie des dépôts pouvait être, en effet, regardée comme gênante, mais qu’elle était depuis longtemps établie et absolument nécessaire pour préserver le pays de vente exclusive des versements frauduleux qui détruiraient en peu de temps cette branche des revenus de l’État ; que, cette régie une fois établie, il devait être absolument indifférent aux ressortissants de bonne foi, que le sel qu’ils consommeront leur soit délivré par les minotiers ou par le fermier, pourvu qu’il ne soit pas plus cher ; à quoi, ont ajouté les fermiers généraux, il a été pourvu, en ordonnant que ce prix sera toujours réglé par le juge sur celui des salorges les plus prochaines ; qu’il était même vraisemblable que le sel y serait de meilleure qualité, parce qu’eux, fermiers généraux, ont pour cela bien plus de facilités que les minotiers, dont le débit se réduit à 1 275 minots chacun par an ; qu’ils en ont la preuve dans les quatre dépôts qu’ils fournissent depuis dix ans, qui n’ont donné lieu à aucune plainte, ni sur la qualité, ni sur le prix du sel ; que les prix y ont même été au-dessous de ce qu’ils étaient dans les autres dépôts voisins. Ils ont de plus représenté que, par la vigilance de leur régie, ils se trouveraient dans le cas de donner aux ressortissants des dépôts des facilités dont ils ne peuvent jouir dans la position actuelle des choses, et ajouté que ces facilités se trouvent établies par l’Arrêt du 18 avril de cette année, rendu sur les représentations même des habitants, qui ont depuis porté leurs plaintes à Sa Majesté contre celui du 3 octobre 1773. Quant à la disposition de ce dernier arrêt, dont on se plaint, qui a privé les villes de Riom et d’Aubusson du droit de faire le commerce du sel, ils ont assuré que cette facilité aurait les plus grands inconvénients pour la ville de Riom ; que d’ailleurs l’intérêt de cette ville à conserver cette faculté était médiocre, puisque le nombre des marchands de cette denrée est actuellement réduit à quatre dans cette ville. À l’égard de celle d’Aubusson, ils conviennent que les choses peuvent être envisagées sous un point de vue différent, et ne contredisent pas la vérité de la plupart des raisons alléguées par les habitants de cette ville. Par ces raisons, eux, fermiers généraux, suppliaient très humblement Sa Majesté de considérer que, dans la crainte de compromettre son autorité, ils avaient fait arrêter les sels qu’ils avaient demandés dans les endroits où ils se trouvaient, ce qui leur avait occasionné des frais d’emmagasinage, de loyers et de voitures extraordinaires ; que ces dépenses et toutes les autres qu’ils avaient déjà faites, sur la foi des deux Arrêts du Conseil du feu roi, des 3 octobre 1773 et 18 avril dernier, leur faisaient espérer que Sa Majesté ne voudrait pas les dépouiller d’un droit qui paraît leur être acquis par ces arrêts et par leur bail, sans les indemniser de toutes ces dépenses et de la somme dont ils comptaient bénéficier sur le fournissement dont il s’agit, et surtout de l’avantage inestimable pour eux de diminuer la fraude considérable qui nuit au produit des droits de gabelle qui leur sont affermés.
Et S. M., après s’être sur le tout fait représenter ledit Arrêt du 3 octobre 1773, il lui a paru que son exécution, si elle avait lieu, causerait un préjudice notable à ses provinces d’Auvergne, du Limousin, et autres rédimées des droits de gabelle ; et qu’il était de sa justice de les maintenir dans leurs privilèges et d’avoir en même temps égard aux demandes en indemnité formées par les fermiers généraux. À quoi voulant pourvoir :
Vu, sur ce, les articles I, II et IV du titre XVI de l’ordonnance des gabelles du mois de mai 1680, le Roi, étant en son Conseil, a révoqué et révoque ledit Arrêt du 3 octobre 1773. Veut S. M. qu’il demeure comme non avenu, et tout ce qui s’en est ensuivi ; ordonne en conséquence que les fournisseurs et minotiers des dépôts établis dans les provinces rédimées des droits de gabelle continueront d’approvisionner lesdits dépôts comme auparavant ledit arrêt, et qu’à cet effet ils seront tenus de se charger des approvisionnements en sels faits par l’adjudicataire des fermes, à la destination desdits dépôts, et de lui en rembourser le prix, ainsi et de la même manière que cela s’est pratiqué par le passé, et relativement au prix auquel il a été vendu dans les salorges les plus voisines, et à celui de la voiture desdites salorges dans les dépôts, en accordant auxdits minotiers un bénéfice de 20 sols par minot.
Ordonne en outre S. M. que ledit adjudicataire des fermes sera pareillement remboursé, par qui et ainsi qu’il sera par elle ordonné, des frais par lui faits pour loyers de greniers ou dépôts et autres frais extraordinaires relatifs aux approvisionnements par lui faits pour la fourniture desdits dépôts, et ce, suivant la liquidation qui en sera faite par S. M. sur les états que ledit adjudicataire des fermes sera tenu de remettre incessamment au Sr Contrôleur général des finances ; se réservant au surplus S. M. de statuer, s’il y a lieu, sur l’indemnité qui peut être due audit adjudicataire des fermes, à raison de la non jouissance du fournissement desdits dépôts et ce, après la vérification qui en sera faite pendant la durée ou à la fin de son bail.
2. Arrêt du Conseil permettant à l’adjudicataire des fermes de vendre les chevaux et effets saisis sur les faux saulniers, faux tabatiers, et autres contrebandiers, sur simple permission du juge.
[Recueil des édits, 1774, 2e sem. — Cité D. P., VII, 89.]
Versailles 19 décembre.
II. — Les Aides.
1. Arrêt du Conseil continuant pendant la durée du bail Laurent David, une commutation de droits d’inspecteurs aux boissons et de courtiers-jaugeurs en un droit de vingt sols par pièce d’eau-de-vie de 81 veltes dans les élections de Cognac, Saintes et Saint-Jean-d’Angély, de la généralité de la Rochelle.
[Recueil des édits, 1774, 2e sem.]
27 septembre.
2. Arrêt du Conseil sur le commerce des eaux-de-vie dans les trois lieues des généralités de Paris et de Soissons limitrophes de la généralité d’Amiens.
[Cité D. P., VII, 56]
30 octobre.
(Arrêt rendu sur la demande de la ferme pour empêcher que la généralité d’Amiens, soumise pour l’eau-de-vie à des droits élevés, ne put s’approvisionner dans les généralités de Soissons et de Paris où les droits étaient légers. Il fut reconnu ensuite que la rigueur des gênes résultant de cet arrêt était fâcheuse pour le commerce, et plus nuisible qu’utile aux finances ; l’arrêt fut révoqué le 4 mars 1775.)
III. — Sols pour livre.
1. Arrêt du Conseil supprimant les sols pour livre ajoutés par Édits de novembre 1771 à des droits de circulation appartenant à des particuliers.
[Recueil des édits, 2e sem. 1774. — D. P., VII, 31. — D. D., II, 389.]
Versailles, 15 septembre.
(On sait combien le commerce était gêné par les droits de péage. Au lieu de les atténuer ou de les supprimer, l’abbé Terray avait ajouté huit sous pour livre à tous ces droits, qu’ils appartinssent ou non à l’État. Il ne fut fait exception que pour les droits dont le principe n’était que de 15 deniers ou au-dessous. (Édit de novembre 1771 et Arrêt du Conseil du 22 décembre suivant). Pour ces droits modiques, la perception eût été difficile et onéreuse.
Turgot représenta au Roi que le produit de cette imposition n’avait été calculé dans les Régies et passé en compte dans les parties affermées que relativement aux droits appartenant à S. M. ou par Elle engagés et dont la perception était ou pouvait être connue de l’administration ; qu’en y ajoutant les 8 sols pour livre des droits qui se percevaient au profit des particuliers, on levait une imposition dont le gouvernement ne pouvait avoir aucune connaissance positive. Grâce à l’Arrêt du 15 septembre l’imposition ne subsista désormais que sur les droits faisant partie du revenu de l’État ou donnés en engagement et pouvant un jour être réunis au domaine public. (Du Pont, Mém., 182.) Les droits pour lesquels les 8 sols pour livre furent supprimés par Turgot étaient les droits de péage, hallage, passage, travers, barrage, pontonnage, coutume, étalage, leyde, afforage, de poids, aunage, marque, chablage, gourmetage et les droits de bacs appartenant aux Princes du sang, seigneurs et autres particuliers qui les possédaient à titre patrimonial ou autre titre équivalent.)
… S. M. étant informée que la plupart des dits droits sont d’un objet trop modique pour que les sols pour livre puissent être perçus toujours avec justice, quoique les droits au-dessous de 15 deniers en aient été affranchis, pour prévenir tous abus dans la perception ; considérant d’ailleurs que tous les dits droits tombent en grande partie sur la portion la plus pauvre de ses sujets, S. M. a voulu leur donner une nouvelle preuve de son affection en sacrifiant à leur soulagement cette branche de ses revenus dont le recouvrement a souvent servi de prétexte à des perceptions irrégulières.
… N’entend S. M. comprendre dans la dite exemption les droits d’aunage, mesurage et autres de pareille nature appartenant à des Compagnies d’officiers, de même que ceux dont jouissent des particuliers à titre d’engagement…
2. Circulaire aux Intendants pour l’exécution de l’Arrêt ci-dessus.
[A. Gironde. — A. Calvados, C. 3.033. — Foncin, 576.]
Fontainebleau, 28 octobre.
La régie des nouveaux sols pour livre m’ayant instruit de quelques difficultés qui sont survenues sur l’exécution de l’Arrêt du Conseil du 15 septembre dernier, je crois, à cette occasion, devoir vous faire connaître plus particulièrement les intentions de S. M.
Outre les droits de péage, battage, passage et autres déclarés exempts des 8 sols pour livre par le règlement, il en est plusieurs de la même nature connus sous des dénominations différentes, tels par exemple, que ceux de vinage, tonlieu, rouge, boucheries, langayage, étalonnage, cheminage, courbage, vannage, buisonnage, etc.
Tous ces droits et généralement tous ceux de cette espèce qui appartiennent à des Princes, seigneurs ou particuliers, à titre patrimonial ou à titre équivalent, demeurent affranchis de l’accessoire qu’ils avaient supporté en conséquence de l’Édit de novembre 1771.
Il pourrait peut-être s’élever quelque doute sur la signification du titre équivalent à la patrimonialité. Pour faire cesser toute équivoque à cet égard, je dois vous prévenir que les droits possédés à titre d’échange ou d’apanage et ceux qui ont été concédés pour indemnité, doivent à cet égard être regardés comme patrimoniaux et, en cette qualité, sont affranchis des 8 sols pour livre, mais ceux qui ont été aliénés par S. M. à titre de rachat, ne peuvent être considérés que comme droits engagés et par conséquent, ils restent soumis à l’accessoire.
Il en est de même de tous les droits attachés à des offices ; ils ne peuvent être regardés que comme une émanation de la souveraineté et, par cette raison, ils doivent supporter les 8 sols pour livre, soit que les offices soient remplis par des titulaires, soit qu’ils soient exercés par des particuliers pourvus d’une simple commission.
Enfin, l’exemption prononcée par l’Arrêt du 15 septembre ne peut s’appliquer qu’aux droits des espèces y désignées appartenant patrimonialement ou à titre équivalent à des Princes, seigneurs ou particuliers et elles ne peuvent, en aucun cas, concerner ceux dont jouissent les États, provinces, villes, bourgs et communautés d’habitants : lesquels droits de quelque nature qu’ils soient et à quel titre qu’ils soient possédés demeureront sujets aux 8 sols pour livre.
Tel est le véritable sens de l’Arrêt du 15 septembre dernier. Je vous prie de veiller à ce qu’aucun des percepteurs ne s’en écarte.
3. Arrêt du Conseil ordonnant que les huit sols pour livre continueront d’être perçus en sus du principal des droits de chablage, des maîtres et aides des ponts.
[Recueil des édits, 1774, 2e sem. — Cité D. P., VII, 63.]
Versailles, 20 novembre.
4. Lettre à l’Intendant de Bretagne (Caze de la Bove) accordant, sur sa demande, l’abolition des huit sols pour livre sur les droits d’entrage et de lestage au port de Saint-Malo.
[A.N., F11 151.]
29 novembre.
(Le produit de ce droit était très faible.)
5. Arrêt du Conseil ordonnant que les droits de visite, de marque et de contrôle perçus par les gardes jurés des fabricants et marchands sur chaque pièce de drap et de toile seront affranchis des trois deniers pour livre, tenant lieu des huits sous pour livre.
[Recueil d’édits, 1774, 2e sem. — D. P., VII, 81. — D. D., II, 400.]
4 décembre.
(Les huits sols pour livre avaient été réduits, comme onéreux au commerce, à trois deniers par Arrêt du Conseil du 18 novembre 1773, sur les droits de visite, de marque et de contrôle des draps et toiles. Ces droits étaient levés avec le principal par les Gardes-Jurés qui devaient compte de leur recette ainsi que des frais de perception aux intendants.
Des difficultés avaient été soulevées dans différentes provinces lors de la perception, par les régisseurs des 8 sols pour livres. La question fut tranchée au profit des contribuables.)
IV. — Rébellions, bruits séditieux.
1. Lettre au Garde des Sceaux.
[A. Etr., 1375 f. 108.]
(Rémission de peine à la suite de rébellion contre les employés des fermes.)
Fontainebleau, 21 octobre.
Les nommés Antoine Sohier, Jean Pierre Gambier, dit Saint-Pierre, Jacques Calmont et Jean-Baptiste Trogneux qui ont été condamnés par contumace au carcan par jugement de la commission de Reims du 28 juillet 1773 pour rébellion aux employés des fermes, sollicitent la décharge de cette peine. Comme leur expatriation et l’affiche de ce jugement ont opéré en quelque sorte l’exemple qu’on s’était proposé et qu’ils paraissent repentants de leur faute, j’ai pensé qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à leur faire éprouver les effets de la clémence du Roi. Je vous prie, en conséquence, de vouloir bien admettre au Sceau les lettres d’abolition qui y seront présentées en leur faveur.
2. Circulaire à divers intendants sur des bruits séditieux au sujet des impôts[1].
[A. Gironde, C. 65. — Foncin, 583. — A. Haute-Marne. — Neymarck, Nouvelles lettres inédites de Turgot.]
21 décembre.
J’apprends, M., qu’il s’est répandu dans votre généralité des bruits qui sont très préjudiciables à la régie des droits du Roi et à la tranquillité qui est nécessaire pour que les peuples souffrent le moins qu’il est possible de la perception. Je ne sais sur quoi ces bruits peuvent être fondés, mais ceux qui les répandent ne peuvent avoir que de mauvaises intentions, et vous ne pouvez mettre trop de soin à les faire cesser le plus promptement qu’il sera possible. Les intentions du Roi pour le bien de ses peuples sont connues ; mais il ne peut les effectuer et remplir en même temps les engagements qu’il a contractés que par la rentrée exacte de ses revenus. C’est, par ces motifs, que S. M. soutiendra toujours de toute son autorité les lois qui fixent la quotité et la forme des impôts, et ceux qu’elle a chargés d’en faire la perception. Je vous prie de m’informer exactement de ce qui serait venu sur cela à votre connaissance. Des faits de cette nature mériteraient d’être réprimés. Si S. M. a bien voulu ne pas empêcher ceux qui croyaient avoir des choses utiles à dire de les mettre sous les yeux du public par la voie de l’impression, c’est qu’elle désire que ses sujets soient autant qu’il est possible à portée de connaître leurs véritables intérêts, mais cette disposition vraiment paternelle ne peut rien changer à la fermeté de la résolution où elle est de soutenir l’exécution des lois établies et d’employer toute son autorité pour maintenir le calme et la tranquillité dans les esprits et pour assurer la perception de ses revenus[2].
V. — Affranchissements en faveur du clergé. Droits d’amortissement, de franc-fief et de marc d’or.
1. Arrêt du Conseil affranchissant de tout droit d’amortissement les actes passés pendant deux ans entre les gros décimateurs ou curés primitifs et les curés ou vicaires perpétuels qui n’ont point la portion congrue, et par lesquels il sera cédé aux curés des portions de dîmes anciennes ou novales en échange de novales qu’ils abandonneront aux gros décimateurs.
[D. P., VII, 63.]
Versailles, 24 novembre[3].
2. Arrêt du Conseil affranchissant du droit d’amortissement les maisons abbatiales, prieurales et canoniales et autres biens dépendant de lieux claustraux et réguliers qui ont été ou seront mis dans le commerce.
[Recueil des Édits, 1774, 2e sem. — D. P., VII, 72. — D. D., II, 398.]
Versailles, 27 novembre[4].
3. Arrêt du Conseil exemptant du droit de franc-fief les ecclésiastiques roturiers pour les biens de leurs bénéfices et leurs biens patrimoniaux.
[Recueil des Édits, 1774, 2e sem. — D. P., VII, 66. — D. D., II, 395.]
Versailles, 27 novembre[5].
VI. — Autres affranchissements.
1. Arrêt du Conseil relatif au droit de marc d’or pour les offices d’exempts et receveurs des amendes des capitaineries de chasse.
[Registre des Édits, 1774, 2e sem.]
4 décembre[6].
2. Déclaration Royale dispensant du droit de marc d’or les lettres d’honneur ou de vétérance délivrées après 20 ans de service, dans les cours et tribunaux.
[Recueil des Édits, 1774, 2e sem. — A. N., K. 899, 88, original. — D. P., VII, 93].
Versailles, 26 décembre[7].
3. Déclaration Royale exemptant du droit de marc d’or les lettres permettant l’établissement de manufactures, la vente des remèdes, les emprunts des villes, communautés, maisons religieuses et autres gens de main-morte, les privilèges pour imprimer et faire imprimer les lettres de surséance, les lettres de grâce et de rémission, les lettres portant établissement de foires et de marchés.
[Recueil des Édits, 1774, 2e sem. — D. P., VII. 95.]
Versailles, 6 décembre[8].
VII. — Impôts locaux.
Lettre à l’intendance de Caen.
(Impositions territoriales pour dépenses locales à faire porter sur tous les biens sans privilèges.)
[A. Calvados.]
Versailles, 10 septembre.
J’ai conféré avec M. D’Ormesson fils, de la lettre que vous avez écrite à M. son père le 21 août dernier pour demander l’explication de l’art. 5 des Lettres patentes du 18 avril dernier qui ordonnent une répartition sur les fonds et droits réels dans votre Généralité pour le remboursement des offices supprimés, la construction du dépôt de mendicité, les réparations du port de Grandville, et le payement des indemnités dues pour les terrains pris pour la confection des grandes routes. Je me suis fait représenter ces lettres patentes et elles m’ont paru ne contenir aucune obscurité. Le feu Roi, en ordonnant cette répartition sur tous les biens produisant des revenus réels dans chaque paroisse, a pris pour règle les lois qui ont ordonné l’assiette des vingtièmes. S. M. a pensé qu’il ne fallait point énoncer chaque objet sujet à cette contribution territoriale. L’expression générale qu’elle a employée désigne tous ceux qui doivent être sujets aux vingtièmes et ceux qui, faisant partie du Domaine ou des biens du clergé et ne contribuant point aux vingtièmes, n’en sont pas moins assujettis à l’impôt territorial. Les émoluments d’un office qui sont le fruit du travail de l’officier ; les droits de contrôle et d’insinuation qui représentent les salaires des fonctions publiques des greffiers ou des commis de la ferme générale ; les droits d’inspecteurs aux boucheries et boissons et autres de même nature ne peuvent être compris dans cette contribution. Je ne puis donc qu’approuver le parti que vous vous proposez de suivre, en prenant pour règle de la contribution, les objets désignés par les lois qui ont établi les vingtièmes et en faisant contribuer également ceux de même nature qui font partie du Domaine du Roi, ou des biens du clergé.
L’on n’a fait aucune question de cette nature dans la Généralité de Rouen, où ces lettres patentes sont exécutées sans réclamation, et je vous exhorte à vous concerter, si cela est nécessaire, avec M. de Crosne[9] et de m’instruire en détail du succès de vos travaux[10].
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[1] Ces bruits étaient entretenus par les financiers.
[2] L’intendant de Bordeaux répondit le 25 décembre que tout se réduisait, d’après lui, à la publication à Bordeaux d’une brochure absurde par un jurat, sans permission et sans nom d’imprimeur. L’intendant fit des représentations aux officiers de police. Ceux-ci déclarèrent que le mépris public avait déjà vengé cet outrage. (A. Gironde. C. 65.)
[3] Les grosses dîmes se prélevaient sur les blés, le vin et le bétail. Lorsque les curés en étaient privés, ils recevaient des gros décimateurs, auxquels elles avaient été inféodées, une pension d’au moins 500 livres nommée portion congrue.
Les dîmes novales se percevaient sur les terres qui, depuis 40 ans, n’avaient pas été défrichées. La perception des novales éparses dans l’étendue des paroisses faisait naître des contestations entre les gros décimateurs et les curés. La crainte d’avoir à payer des droits d’amortissement empêchait les arrangements. L’arrêt fut rendu pour en faciliter la conclusion.
[4] Les immeubles dépendant des maisons abbatiales et autres étaient exempts des droits d’amortissement tant qu’ils restaient affectés à leur destination. Lorsqu’ils étaient loués, le fisc réclamait le paiement du droit. L’arrêt maintint, par grâce, l’exemption à tous les immeubles, pourvu que l’usage et la destination n’en fussent pas changés pour toujours. Les immeubles loués furent simplement soumis au droit de nouvel acquêt.
[5] Les roturiers qui possédaient des biens nobles devaient payer le droit dit de franc-fief. Le clergé réclamait depuis le XVIe siècle et avait réclamé dans l’assemblée de son ordre tenue en 1770 la suppression de ce droit pour ses membres non nobles. Il faisait remarquer que la promotion aux ordres sacrés effaçait la tache de roture. Sa demande avait été accueillie plusieurs fois à titre d’exception provisoire. C’est une mesure analogue que fit prendre Turgot.
[6] On payait, pour ces offices, un droit beaucoup plus fort que pour les offices d’un grade supérieur. Le droit fut abaissé en conséquence.
[7] Un édit de décembre 1770 portant règlement pour la perception du droit de marc d’or y avait assujetti les Lettres d’honneur de tous les offices. La Déclaration établit une distinction entre les officiers des cours et tribunaux qui obtiendraient des lettres d’honneur par grâce particulière et ceux qui les obtiendraient après 20 ans de services. En ce dernier cas, c’était moins une grâce qu’une récompense qui était accordée ; une exemption de droits était légitime.
[8] Des Arrêts du Conseil ultérieurs, 16 mars, 19 avril, 16 septembre 1775, février 1776 étendirent la même faveur aux magistrats du Parlement de Bretagne qui étaient dans l’usage de prouver leur noblesse avant d’entrer dans la Compagnie et aux magistrats du Châtelet de Paris.
[9] Intendant de Rouen.
[10] On trouve encore aux Archives du Calvados (C. 4 395 et 4 526) des lettres à l’Intendant de Caen du 2 août sur la répartition du moins imposé et du 9 décembre sur la fixation de la capitation pour divers objets et aux Archives de la Marne, une lettre à l’intendant de Champagne (Rouillé d’Orfeuil) du 13 novembre sur les dépenses des presbytères (Neymarck, II, 385). Par cette lettre, il était demandé des renseignements sur ce qui se passait dans la généralité au sujet des dépenses de réparation des presbytères ; le clergé faisait, dans les cahiers de ses assemblées, des représentations sur la jurisprudence qui, dans le Parlement de Bretagne, assujettissait les curés à toute espèce de réparations, et dans celui de Provence, astreignait les gros décimateurs aux menues réparations.
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