124. — LA TAILLE.
I. — Avis sur l’imposition pour l’année 1773.
[D. P., VI, 377.]
Limoges, 14 octobre.
(Turgot observe que le brevet de la taille pour l’année 1773 est le même que pour l’année 1772, et que le Roi ayant accordé après l’expédition du brevet une diminution de 210 000 livres en moins-imposé, la perception du nouveau brevet, si elle devenait obligatoire, serait une augmentation réelle de 270 000 francs.
Il rend compte de l’état des récoltes puis il passe à son Avis qui est conçu dans le même sens que les précédents.)
I. — Lettre à d’Ormesson.
14 octobre.
M., j’ai l’honneur de vous adresser directement les états de récoltes de cette année, avec mon Avis sur les impositions.
Permettez-moi de recommander encore de nouveau cette province à vos bontés. M. le Contrôleur général trouvera peut-être que je ne cesse de me plaindre ; cependant, quelque fortes que soient les expressions par lesquelles je lui peins la situation de cette province, j’ose vous assurer qu’elles sont encore au-dessous de la réalité. Les espérances qu’on avait conçues par le succès des semailles de l’automne dernier ont été détruites par les gelées du 12 mai et par les brouillards qui ont accompagné la fleur des froments. Il est très vrai que la récolte des jardins n’est pas meilleure que l’année dernière et n’est guère différente de celle de 1769. Le peuple vivra cependant ; mais les propriétaires n’auront que très peu de revenu, à l’exception de ceux des pays de vignobles. Les autres parties auront besoin des plus grands soulagements.
J’insiste de nouveau dans mon Avis sur la surcharge ancienne de la Province et sur l’énormité des arrérages dont elle est débitrice envers le Roi. Ces arrérages augmentent chaque année, et il devient chaque année plus pressant d’en arrêter les progrès par le seul moyen qui puisse être efficace, c’est-à-dire par une forte, et très forte diminution sur la masse des impositions. J’ose vous répéter que, pour que cette diminution ait quelque effet sensible, il faut qu’elle soit pour ainsi dire hors de toute mesure. Le compte qu’a dû vous rendre le sieur de Rousey de sa mission doit vous en faire sentir la nécessité. À quoi sert-il de demander à des malheureux ce qu’ils sont dans l’impuissance absolue de payer ? Et, s’ils peuvent payer quelque chose, ne vaut-il pas mieux que ce soit sur les anciens arrérages dont ils sont accablés, plutôt que sur de nouvelles impositions ? Voilà, M., ce que je vous supplie de vouloir bien faire sentir à M. le Contrôleur général.
Je n’ai pu encore rendre à M. le Contrôleur général le compte détaillé de l’opération des ateliers de charité pour cette année ; je ne pourrai le lui adresser qu’au retour des départements de Tulle et de Brive, où je vais me rendre. On a fait à peu près autant d’ouvrages que l’année dernière ; ils ont été un soulagement très sensible pour les habitants de la Montagne. Quoique, en général, le peuple doive avoir cette année un peu plus de facilité pour subsister au moyen des blés noirs, il y aura encore des parties où la misère sera excessive, et je croirai nécessaire de conserver cinq ou six ateliers de charité dans la Montagne et un dans la partie de la basse Marche, où la grêle et l’ouragan du 27 juin ont fait le plus de ravages. Ainsi, je vous serai très obligé de vouloir bien destiner encore une somme considérable à cet objet : je puis vous répondre qu’elle sera employée utilement. Vous m’aviez donné 120 000 livres l’année dernière ; je présume que 80 000 suffiront pour celle-ci.
Quant au moins-imposé, mes demandes, si j’en formais, seraient sans bornes. J’espère de vos bontés tout ce que les circonstances rendront possible[1].
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[1] Turgot perdit sa peine. Il n’obtint qu’un moins-imposé de 200 000 l., et la Province, loin d’être soulagée, fut chargée de 70 000 l. de plus que l’année précédente (Du Pont).
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