1766.
77. — LA TAILLE.
I. — Avis sur l’imposition pour l’année 1767.
[D. P., V, 201. — Imprimé par le vicomte de Mirabeau, député de l’ordre de la noblesse qui l’a reçu de sa Chambre, Limoges, Barbou, s. d.]
Le brevet de la taille de l’année prochaine 1767 est de la somme de 2 275 807 l. 16 s. 3 d. Le brevet de la taille de la présente année 1766 montait à 2 274 755 l. 1 d., ce qui ne paraît faire en 1767 qu’une augmentation de 1 052 l. 16 s. 2 d.
Mais nous observons que, le Roi ayant bien voulu accorder, par un arrêt postérieur à l’expédition des commissions des tailles de 1766, une diminution de 217 357 l. 10 s., l’imposition effective de ladite année n’a été que de 2 057 398 l. 10 s. 1 d. ; en sorte que, si l’on imposait en 1767 la somme de 2 258 451 l. 6 s. 3 d., qui sera portée par les commissions du Conseil, il y aurait une augmentation réelle de 201 052 l. 16 s. 2 d.
Après cette observation préliminaire, nous allons rendre compte de l’état de la Province par rapport aux récoltes[1]…
Deux puissants motifs sollicitent les bontés du Roi en faveur de la généralité de Limoges : l’un est la surcharge qu’elle éprouve depuis très longtemps sur ses impositions, l’autre est sa situation actuelle.
La disproportion des impôts qu’elle supporte avec ses revenus n’est que trop constante et a été plus d’une fois représentée au Conseil, mais sans doute d’une manière trop générale et trop peu détaillée pour lever tous les doutes. Nous avons cru en devoir rassembler les preuves dans un Mémoire particulier assez étendu, que nous avons déjà envoyé au Conseil[2], et dont nous joignons une nouvelle expédition à cet avis.
Nous croyons y avoir démontré clairement deux choses : l’une que les fonds taillables payent au Roi, en y comprenant les vingtièmes, de 45 à 50 p. 100 du produit total de la terre, et forment une somme à peu près égale à celle que retire le propriétaire ; l’autre, que cette charge est incomparablement plus lourde que celles que supportent les provinces voisines et un grand nombre d’autres provinces du Royaume.
Des détails très exacts, que nous nous sommes procurés, nous ont mis en état de faire une comparaison plus précise des impositions de l’Angoumois avec celles de la Saintonge. Cette comparaison, faite par cinq voies différentes, a toujours donné le même résultat à peu près, c’est-à-dire que l’imposition de l’Angoumois est à celle de la Saintonge, sur un fonds d’égal produit, dans le rapport de 4 1/2 ou 5 à 2.
Pour ramener les impositions de la généralité de Limoges à la même proportion que celles des autres provinces, il faudrait une diminution telle que nous n’osons la proposer. Nous nous sommes contentés de demander que, dans la répartition générale des impositions, la Province fût soulagée d’une somme d’environ 600 000 l., dont 350 000 environ sur la taille, et le surplus sur les autres impositions.
Nous sentons que, la répartition de cette année étant faite, il ne sera peut-être possible de rendre une pleine justice à la généralité de Limoges que dans la formation du brevet de 1767 : mais nous espérons que S. M. peut dès cette année, en cette considération, lui accorder un soulagement beaucoup plus fort sur le moins-imposé, d’autant plus que l’état actuel de la Province a besoin des plus grands secours.
Elle n’a pas essuyé beaucoup de ces accidents qui, comme les grêles, se font sentir fortement à quelques cantons particuliers et sont nuls pour le reste de la Province. Les maux qu’elle a essuyés sont d’une nature plus générale : les gelées excessives de l’hiver dernier en ont été le principe. Nous avons déjà dit que le froid avait été aussi rigoureux dans les provinces méridionales qu’il l’avait été en 1709. Les parties de la généralité de Limoges qui en ont le plus souffert sont les élections de Brive et d’Angoulême : la plus grande partie des vieilles vignes ont péri, et cette perte est d’autant plus inappréciable, qu’elle se fera sentir pendant plusieurs années. Les récoltes en grains dans ces deux élections ont extrêmement souffert, et cette denrée est actuellement à un prix très haut. C’est la troisième année que l’Angoumois en particulier éprouve une véritable disette : le froment y est monté l’été dernier à près de 30 l. le setier de Paris ; malgré la moisson, il se soutient aux environs de 25 l., et l’on ne doute pas qu’il n’augmente l’épuisement que cette continuité de disette pendant trois ans a produit dans une province déjà pauvre. L’excès de misère où elle a plongé le peuple ne se peut imaginer et réclame pour cette malheureuse province toute l’étendue des bontés du Roi. Nous savons que d’autres provinces méridionales ont souffert beaucoup de la rigueur du dernier hiver et sont justement inquiètes de leur subsistance ; mais le malheur d’être dans cette situation trois ans de suite est particulier à l’Angoumois.
On avait cru que la récolte serait beaucoup meilleure en Limousin et, dans l’état des apparences de la récolte, on s’était exprimé en conséquence de cette idée ; mais il paraît que la gerbe a rendu peu de grains, et cette circonstance, jointe à la sécheresse qui a détruit l’espérance de la récolte du sarrasin, a laissé les grains aux prix beaucoup trop forts où ils ont été l’année dernière. Le seigle, qui est la nourriture commune en Limousin, se soutient entre 15 et 18 l. le setier de Paris. Il est à craindre que les propriétaires ne puissent pas vendre ce qu’ils en ont recueilli, et ne soient obligés de le laisser à leurs métayers pour remplacer le vide que fait la perte des sarrasins, dont les paysans vivent ordinairement une grande partie de l’année. Cette partie de la Généralité souffrira donc plus qu’on ne l’aurait cru d’abord, et aura aussi besoin de soulagement.
Ces circonstances réunies, de la surcharge ancienne et démontrée de la généralité de Limoges, de son épuisement, d’une disette qui dure depuis trois ans dans une des provinces qui la composent, d’une cherté et d’une misère générale, nous font penser qu’elle a besoin au moins d’un soulagement de 500 000 l., et nous supplions S. M de vouloir bien l’accorder.
II. — Lettre au Procureur général de la Cour des Aides de Clermont (de Champflour).
(Plaintes contre les commissaires des tailles.)
[D’Hugues, Essai, 88, tirée de A. H. V., C. 104.]
21 mars.
Voici, M., les éclaircissements que je vous avais promis depuis longtemps sur quelques plaintes qui vous avaient été adressées contre les commissaires des tailles de ma généralité, ou plutôt contre le sieur de la Porte, commissaire du rôle de Brive. Le sieur de la Porte m’avait remis à Brive, lors du département de 1765, un état des prétendues radiations et suppressions de cotes que le procureur du Roi de cette élection vous avait si mal à propos représentées comme des entreprises sur la juridiction de ce tribunal et des extensions de privilèges dont les taillables murmurent. J’ai l’honneur de vous envoyer un double de cet état. Lorsque vous l’aurez parcouru, vous verrez d’abord qu’il n’est question d’aucun privilège, et qu’ainsi votre substitut[3] n’a pu vous le mander sans vous en imposer. Vous verrez, même, par le détail dans lequel je vais entrer avec vous, qu’il ne s’agit pas non plus de l’espèce de translation de domicile pour lesquelles les règlements ont exigé des formalités[4].
III. — Mémoire au Conseil sur la surcharge les impositions. — La grande et la petite culture.
[Éphémérides du Citoyen de 1767, tome V, pour partie. — D. P, IV, 260.]
On se plaint depuis longtemps dans la généralité de Limoges de l’excès des impositions, ou de leur disproportion avec les produits de la terre et le peu de richesse des habitants ; on y est généralement persuadé que cette province est beaucoup plus chargée que les provinces voisines. Il n’est certainement aucun de ceux qui l’ont successivement administrée qui n’ait été frappé de ce cri universel, et je sais que tous mes prédécesseurs ont fait avant moi à ce sujet de vives représentations au Conseil. Elles ont été jusqu’à présent sans succès.
Il est assez naturel que toutes les provinces se plaignant à peu près également, et le Conseil ne pouvant connaître par lui-même à quel point leurs plaintes sont fondées, il les regarde à peu près du même œil et laisse les choses comme elles sont. Le témoignage même des intendants est suspect, parce que, désirant tous procurer du soulagement à la province qui leur est confiée, ils en plaident la cause avec un zèle égal. On résiste d’autant plus volontiers à leurs sollicitations, que les besoins de l’État ne permettent guère de soulager une province sans répartir en augmentation sur les autres les diminutions qu’on lui accorderait.
Je dois croire cependant que, si l’on pouvait mettre sous les yeux du Roi la surcharge d’une de ces provinces d’une manière si claire et si démonstrative qu’il n’y eût plus aucun lieu au doute, sa justice et sa bonté le détermineraient à remédier sur-le-champ au mal.
Il n’est malheureusement pas aussi facile qu’on le croirait au premier coup d’œil d’établir d’une manière précise et convaincante la proportion réelle des impositions avec le revenu des fonds, et de comparer cette proportion dans une province à celle qui règne dans une autre ; et, quoique la notoriété publique et l’aveu des habitants des provinces voisines du Limousin m’aient convaincu depuis longtemps de la réalité de la surcharge dont celle-ci se plaint, il s’est passé un assez long intervalle avant que j’aie pu me procurer aucun résultat précis et propre à établir sans réplique la justice de ces plaintes.
Dans les provinces riches, telles que la Normandie, la Picardie, la Flandre, l’Orléanais, les environs de Paris, rien n’est plus facile que de connaître la véritable valeur des biens-fonds et son rapport avec le taux de l’imposition. Toutes les terres y sont affermées, et leur valeur dans les baux est une chose notoire ; on connaît même la valeur de celles que quelques propriétaires font valoir et qui presque toutes ont été affermées ; tous les fermiers du canton savent ce qu’ils en donneraient de ferme. La proportion de la taille au prix des baux est aussi une chose connue et sur laquelle on ne peut se tromper. On peut dire que, dans ces pays, le cadastre est, pour ainsi dire, tout fait quant à l’évaluation des fonds.
L’état des choses est bien différent dans les provinces pauvres de l’intérieur du royaume, telles que le Bourbonnais, le Limousin et toutes les provinces abandonnées à la petite culture, à la culture par métayers[5].
Il est beaucoup question depuis quelque temps dans les ouvrages économiques de cette distinction entre la grande et la petite culture, distinction qui frappera les yeux de quiconque aura des terres dans deux des provinces où ces cultures sont respectivement en usage ; on l’a cependant contestée, parce que les écrivains qui en ont le plus parlé ont négligé de s’expliquer assez clairement sur leurs vrais caractères distinctifs.
Il est absolument nécessaire de fixer les idées à ce sujet ; car, sans cette connaissance fondamentale, il serait impossible de faire aucun travail solide sur l’évaluation des biens-fonds dans les différentes provinces : on parlerait toujours sans s’entendre et on se laisserait entraîner par cette confusion dans des erreurs funestes et destructives.
Les détails dans lesquels sont entrés quelques auteurs[6] sur ces deux sortes de culture ont donné lieu à bien des personnes de s’imaginer que ce qu’on entendait par grande culture était la culture qui s’exécute avec des chevaux, et que la petite culture était celle qui s’exécute avec des bœufs. Quoiqu’il soit vrai qu’en général on n’emploie point de chevaux dans la petite culture, il s’en faut bien que ce soit là le vrai caractère de ces deux cultures, qui mettent ou plutôt qui supposent entre ces deux parties du Royaume qu’elles occupent une si énorme différence dans la valeur des terres et l’aisance du peuple. Il y a, dans plusieurs provinces de grande culture, des cantons où l’on travaille les terres avec des bœufs, et je connais en Normandie des terres louées 15 livres l’arpent[7] et labourées de cette manière.
Ce qui distingue véritablement et essentiellement les pays de grande culture de ceux de petite culture, c’est que, dans les premiers, les propriétaires trouvent des fermiers qui leur donnent un revenu constant de leur terre et qui achètent d’eux le droit de la cultiver pendant un certain nombre d’années. Ces fermiers se chargent de toutes les dépenses de la culture, des labours, des semences, de meubler la ferme de bestiaux de toute espèce, des animaux et des instruments de labour. Ces fermiers sont de véritables entrepreneurs de culture, qui ont à eux, comme les entrepreneurs dans tout autre genre de commerce, des fonds considérables et qui les font valoir par la culture des terres. Lorsque leur bail est fini, si le propriétaire ne veut plus le continuer, ils cherchent une autre ferme où ils puissent transporter leurs richesses et les faire valoir de la même manière. Le propriétaire, de son côté, offre sa terre à louer à différents fermiers. La concurrence de ces fermiers donne à chaque terre, à raison de la bonté du sol, une valeur locative courante, si j’ose ainsi parler, valeur constante et propre à la terre, indépendamment de l’homme qui la possède. Il n’y a pas de propriétaire de biens fonds, dans quelqu’une des provinces que je viens de nommer, qui ne sache que les choses s’y passent ainsi.
Il est bien évident que cette valeur locative universelle, cette égalité de culture qui fertilise la totalité du territoire, n’est due qu’à l’existence de cette espèce précieuse d’hommes qui ont, non pas seulement des bras, mais des richesses, à consacrer à l’agriculture, qui n’ont d’autre état que de labourer, non pour gagner leur vie à la sueur de leur front comme des ouvriers, mais pour employer d’une manière lucrative leurs capitaux, comme les armateurs de Nantes et de Bordeaux emploient les leurs dans le commerce maritime. Là où les fermes existent, là où il y a un fonds constant de richesses circulant dans les entreprises d’agriculture, là est la grande culture : là, le revenu des propriétaires est assuré, et il est facile de le connaître.
Les pays de petite culture, c’est-à-dire au moins les quatre septièmes de l’étendue du Royaume, sont ceux où il n’existe point d’entrepreneurs de culture, où un propriétaire qui veut faire valoir sa terre ne trouve pour la cultiver que des malheureux paysans qui n’ont que leurs bras, où il est obligé de faire à ses frais toutes les avances de la culture, bestiaux, instruments, semences, d’avancer même à son métayer de quoi se nourrir jusqu’à la première récolte ; où, par conséquent, un propriétaire qui n’aurait d’autre bien que sa terre, serait obligé de la laisser en friche. C’est dans ce pays que le proverbe : « Tant vaut l’homme, tant vaut sa terre », est exactement vrai, parce que la terre par elle-même n’y a aucune valeur.
Après avoir prélevé la semence et les rentes dont le bien est chargé, le propriétaire partage avec le métayer ce qui reste des fruits, suivant la convention qu’ils ont faite entre eux. Le propriétaire, qui fait les avances, court tous les risques des accidents de récoltes, des pertes de bestiaux ; il est le seul véritable entrepreneur de la culture. Le métayer n’est qu’un simple manœuvre, un valet auquel il abandonne une part des fruits pour lui tenir lieu de gages. Mais le propriétaire n’a pas dans son entreprise les mêmes avantages que le fermier, qui la conduit lui-même avec attention et avec intelligence : le propriétaire est forcé de confier toutes ses avances à un homme qui peut être négligent ou fripon, et qui n’a rien pour en répondre.
Ce métayer, accoutumé à la vie la plus misérable, et qui n’a ni l’espérance ni même le désir de se procurer un état meilleur, cultive mal, néglige d’employer les terres à des productions commerçables et d’une grande valeur ; il s’occupe par préférence à faire venir celles dont la culture est moins pénible et qui lui procurent une nourriture plus abondante, comme le sarrasin et surtout la châtaigne, qui ne donne d’autre peine que de la ramasser. Il est même assez peu inquiet sur sa subsistance ; il sait que, si la récolte manque, son maître sera obligé de le nourrir pour ne pas voir abandonner son domaine. Le maître est sans cesse en avance avec lui. Lorsque l’avance est grossie jusqu’à un certain point, le métayer, hors d’état d’y satisfaire, abandonne le domaine. Le maître, qui sent que les poursuites seraient inutiles, en cherche un autre, et se trouve fort heureux quand celui qui le quitte, content de lui faire banqueroute, ne lui vole pas le reste de ses effets.
Les propriétaires, qui ne font des avances que parce qu’ils ne peuvent faire autrement, et qui sont eux-mêmes peu riches, les bornent au plus strict nécessaire : aussi n’y a-t-il aucune comparaison à faire entre les avances d’un propriétaire pour la culture de son domaine dans un pays de petite culture, et celles que font les fermiers dans les pays de grande culture. C’est cette épargne forcée sur les avances de la culture qui fait que, dans tous les pays de petite culture, on ne laboure point avec des chevaux : ce n’est pas seulement parce que l’achat des chevaux est plus cher, et parce que l’on n’a pas la ressource, lorsqu’ils deviennent vieux, de les engraisser pour les revendre à profit ; c’est surtout parce que le bœuf ne coûte presque rien à nourrir ; c’est parce qu’il se contente de l’herbe qu’il trouve dans les landes et dans ce qu’on appelle des patureaux.
On laisse en friche une partie de son fonds pour pouvoir cultiver l’autre. Ce sacrifice tient lieu des avances qu’on n’est pas en état de faire ; mais cette épargne est une perte immense sur l’étendue des terres cultivées, et sur les revenus des propriétaires et de l’État.
Une conséquence qui résulte de ce système de culture est que, dans la totalité des produits que le propriétaire retire annuellement de son domaine, sont confondus les intérêts légitimes de ses avances. Cependant, ces intérêts ne doivent et ne peuvent jamais être considérés comme le revenu de la terre, car le capital, employé à tout autre usage, eût produit le même intérêt. Dans les pays de grande culture, un fermier qui fait les avances en retire l’intérêt avec profit, et tout ce qui rentre au fermier est absolument étranger au revenu du propriétaire. On doit donc le déduire dans l’évaluation du revenu de la terre, lorsque le propriétaire fait les avances.
Je ferai encore une autre observation importante sur l’effet qu’a dû produire, relativement à la culture, dans ces deux systèmes différents, l’établissement de la taille et des autres impositions auxquelles les cultivateurs sont assujettis.
Dans les pays de grande culture, le fermier, en passant son bail, sait que la taille est à sa charge, et il a fait son calcul en conséquence. Il faut que ses fonds lui rentrent avec le profit raisonnable qu’il doit attendre de ses avances et de ses soins. Il donnerait le surplus au propriétaire, s’il n’y avait point d’impôt : il lui est indifférent de le donner au Roi. Ainsi l’impôt, quand il est réglé et constant, et quand la terre est affermée, n’affecte et ne peut affecter que le revenu du propriétaire, sans entamer le capital des avances destinées aux entreprises d’agriculture ; il n’en est pas de même lorsque l’impôt, assis sur le fermier, est variable et sujet à des augmentations imprévues. Il est évident que, jusqu’au moment où le fermier peut renouveler son bail, le nouvel impôt est entièrement à sa charge ; et que, s’il a porté sa ferme à son juste prix, il ne peut satisfaire à cette nouvelle charge qu’en prenant sur son profit annuel, c’est-à-dire sur sa subsistance et celle de sa famille, ou en entamant ses capitaux, ce qui à la longue le mettrait hors d’état de continuer ses entreprises.
Depuis le premier établissement des tailles jusqu’à présent, les impôts n’ont pas cessé d’augmenter d’une manière graduelle et plus ou moins sensible, à mesure que les besoins de l’État ont augmenté. Cette augmentation, continuée pendant plusieurs siècles, aurait sans doute à la longue absorbé toutes les avances des fermiers et anéanti la grande culture, si elle n’avait été contrebalancée par des causes encore plus puissantes. Voici quelques-unes de ces causes :
1° L’augmentation graduelle de la valeur numéraire du marc d’argent, augmentation qui, se faisant par secousses comme celle des impôts et au milieu des baux, tournait à l’avantage du fermier, qui ordinairement vendait ses denrées plus cher et continuait de payer le loyer sur le pied de la stipulation jusqu’à la fin du bail.
2° La diminution graduelle et successive de l’intérêt de l’argent qui, depuis deux siècles et demi, est tombé de 12 à 10 p. 100 à 5 p. 100, diminution qui suppose et qui produit une très grande augmentation dans la masse des capitaux, et qui, forçant les propriétaires des richesses mobilières à se contenter d’un moindre profit, a dû conserver à l’agriculture des capitaux qui auraient été divertis à des emplois plus avantageux, si l’intérêt de l’argent était resté à son ancien taux.
3° L’accroissement des débouchés et des consommations dans les provinces qui sont à portée de la mer et de la capitale, les seules où la grande culture soit établie et où elle s’est non seulement soutenue, mais peut-être même augmentée.
De cette espèce de compensation, il est résulté que les impôts n’ont pas fait dans les provinces de grande culture un tort sensible à l’agriculture, parce que les fermiers ont toujours su en rejeter le poids sur les propriétaires.
Les choses se sont passées différemment dans les provinces de la petite culture.
L’usage de partager les fruits par moitié entre le propriétaire et le cultivateur est d’une antiquité beaucoup plus reculée que l’établissement des tailles. Quand tous les monuments anciens ne le prouveraient pas, le seul nom de métayer, ou colon à moitié fruit, l’indiquerait suffisamment. Ce partage des fruits à moitié pouvait procurer alors aux paysans un sort assez heureux ; leur aisance devait tourner au profit de la culture et, par conséquent, du revenu. Si cet état eût duré, les métayers se seraient peu à peu enrichis pour se procurer eux-mêmes un capital en bestiaux ; alors, ils auraient pu faire avec le propriétaire un forfait pour avoir la totalité des fruits. Celui-ci aurait préféré cet arrangement, qui lui aurait procuré la jouissance de son revenu sans aucun soin. Il y a tout lieu de penser que l’usage d’affermer les terres ne s’est pas établi autrement et que, dans les provinces où la grande culture fleurit aujourd’hui, c’est ainsi qu’elle s’est peu à peu substituée à la petite, qui sans doute était universelle autrefois, puisque la grande suppose une masse de capitaux, et que les capitaux n’ont pu s’accumuler qu’avec le temps.
Si, dès la première origine, l’impôt eût été demandé aux propriétaires, ce progrès naturel des choses n’eût point été dérangé ; mais la taille n’ayant été d’abord qu’une espèce de capitation personnelle assez légère, et tous les nobles en étant exempts, lorsque l’augmentation obligea de la répartir à proportion des facultés des taillables, on taxa ceux qui exploitaient des terres à raison de leurs exploitations. C’était un moyen d’éluder le privilège de la noblesse. Tant que l’imposition fut modérée, le métayer y satisfit en prenant un peu sur son aisance ; mais, l’impôt ayant toujours augmenté, cette part du cultivateur a si fort diminué, qu’à la fin il s’est trouvé réduit à la plus profonde misère.
Cette misère était d’autant plus inévitable, qu’aucune des causes qui ont empêché l’appauvrissement des fermiers par les impôts, dans les pays de grande culture, n’a pu influer sur le sort des métayers de la petite : l’augmentation de la valeur numéraire du marc d’argent leur a été entièrement indifférente, puisqu’ils ne stipulaient point en argent avec le propriétaire, et qu’ils partageaient avec lui les fruits de la terre en nature.
La diminution de l’intérêt de l’argent n’a pu produire aucun effet dans ces provinces. Son effet immédiat est de conserver à l’agriculture des fonds que de trop grands profits détourneraient ailleurs. Mais les métayers de la petite culture ne sont pas exposés à une pareille tentation ; le bas intérêt de l’argent ne peut conserver à l’agriculteur des capitaux qui n’existent point : ces cultivateurs ne possèdent même pas assez pour pouvoir emprunter, et ils ne peuvent, à aucun égard, profiter de l’abaissement de l’intérêt.
Enfin, la même cause qui augmentait les débouchés et la consommation dans les provinces voisines de la mer et de la capitale, les diminuait dans les provinces de l’intérieur, puisque cette cause n’était autre que l’augmentation des dépenses du gouvernement, et le transport de celles des propriétaires qui, se réunissant de tous côtés dans la capitale, allaient y dépenser le revenu qu’ils dépensaient autrefois chez eux, et en diminuaient par là même la source.
Ces réflexions peuvent expliquer comment il est possible que les cultivateurs soient plongés dans l’excès de misère où ils sont aujourd’hui en Limousin et en Angoumois, et peut-être dans d’autres provinces de petite culture. Cette misère est telle que, dans la plupart des domaines, les cultivateurs n’ont pas, toute déduction faite des charges qu’ils supportent, plus de 25 à 30 livres à dépenser par an pour chaque personne (je ne dis pas en argent, mais en comptant tout ce qu’ils consomment en nature sur ce qu’ils ont récolté) : souvent ils ont moins, et lorsqu’ils ne peuvent absolument subsister, le maître est obligé d’y suppléer.
Quelques propriétaires ont bien été, à la fin, forcés de s’apercevoir que leur prétendu privilège leur était beaucoup plus nuisible qu’utile, et qu’un impôt, qui avait entièrement ruiné leurs cultivateurs, était retombé en entier sur eux ; mais cette illusion de l’intérêt mal entendu, appuyée par la vanité, s’est soutenue longtemps, et ne s’est dissipée que lorsque les choses ont été portées à un tel excès, que les propriétaires n’auraient trouvé personne pour cultiver leurs terres, s’ils n’avaient consenti à contribuer avec leurs métayers au payement d’une portion de l’impôt. Cet usage a commencé à s’introduire dans quelque parties du Limousin, mais il n’est pas encore fort étendu, le propriétaire ne s’y prête qu’autant qu’il ne peut trouver le métayer autrement. Ainsi, même dans ce cas-là, le métayer est toujours réduit à ce qu’il faut précisément pour ne pas mourir de faim.
Je sais que les provinces de petite culture ne sont pas toutes réduites à ce dernier degré de la misère : le plus ou le moins de proximité des débouchés, les rentes plus ou moins fortes dont les terres sont chargées envers les seigneurs, le plus ou le moins d’impositions que supportent les différentes provinces ; enfin, une foule de circonstances ont dû mettre une très grande inégalité entre les lieux où règne la petite culture et, dans la multitude des nuances dont elle est susceptible, il doit s’en trouver qui se rapprochent presque entièrement des produits de la grande culture ; comme, dans les dégradations de la grande culture, on doit trouver des exploitations presque aussi mauvaises que celles de la petite culture. Des fermiers exploitants qui, au lieu d’une part des fruits, donneraient au propriétaire un loyer fixe, mais qui ne fourniraient ni les bestiaux, ni les outils aratoires, formeraient une culture mitoyenne entre la grande et la petite. Il y a de ces sortes de fermiers dans toutes les provinces, et même dans les plus pauvres de celles qui sont condamnées à la petite culture. Quelques paysans plus intelligents, et qui savent tirer meilleur parti des terres que le commun des métayers, consentent quelquefois à les affermer, et l’on en voit plusieurs exemples dans toutes les parties de ma généralité, quoiqu’ils y soient peut-être moins fréquents qu’ailleurs.
Il ne faut pas confondre non plus ces fermiers exploitants, avec les fermiers qui afferment de la plupart des seigneurs la totalité de leurs terres. Ces derniers perçoivent les rentes des tenanciers, font les comptes avec les métayers, courent les risques de perte et de gain, et rendent une somme fixe au propriétaire : mais ils ne sont point laboureurs, et ne font rien valoir par eux-mêmes[8].
L’idée que je viens de donner de la petite culture, de ses causes et de ses effets, peut faire comprendre comment la généralité de Limoges, étant une des provinces où cette culture est pour ainsi dire restée au plus bas degré, doit avoir un revenu très faible et par conséquent se trouver très surchargée d’imposions.
La rareté des baux rend le point précis de cette surcharge très difficile à déterminer : j’ai cependant cherché à m’en procurer quelques-uns, ainsi que des contrats de vente ; je n’ai pu faire usage que d’un petit nombre, parce que j’ai été obligé d’écarter tous ceux dont quelque circonstance pouvait rendre les résultats douteux.
Les deux seules élections sur lesquelles j’aie eu des éclaircissements assez précis pour en faire usage, sont celle de Tulle et celle d’Angoulême. Celle de Tulle passe pour être la plus surchargée de la Généralité, et deux choses paraissent le prouver : l’une, l’excessive lenteur des recouvrements ; l’autre, la multitude des domaines abandonnés, indiqués sur les rôles, et dont on n’est obligé de passer l’imposition pour mémoire, ou de l’allouer en non-valeur aux collecteurs.
Les éclaircissements que j’ai reçus sur l’élection d’Angoulême ont cela de précieux, qu’ils me fournissent des moyens de comparaison très précis entre les impositions de la généralité de La Rochelle et celles de la généralité de Limoges.
Je commence par l’élection de Tulle.
COMPARAISON DES IMPOSITIONS AVEC LES REVENUS DANS L’ÉLECTION DE TULLE. 1. Biens affermés. — Cinq domaines dans quatre paroisses différentes, et assez éloignées les unes des autres, sont affermés ensemble 800 livres.
L’estimation des fonds de ces cinq domaines, faite du temps de M. Tourny, pour servir de base à l’imposition, est de 1 027 l., forcée de plus d’un quart en sus du prix des baux.
L’imposition est réglée par cette estimation.
Les vingtièmes montent à 113 l. 1 s.
La taille, la capitation et autres impôts accessoires, sont de
621 l. 12 s. 5 d.
Par conséquent, le Roi tire de ces fonds 734 l. 13 s. 5 d.
Le propriétaire qui, de son côté, sur ses 800 l.
paye 113 l. 1 s.
n’a de net que 686 l. 19 s.
Ainsi la part du propriétaire est de 686 l. 19 s. » d.
Celle du Roi est de 764 13 5
Le revenu total est de 2 141 l. 12 s. 5 d.
D’où il est aisé de conclure que le Roi a plus de 56 1/2 p. 100 du produit total, et le propriétaire moins de 43 1/2 p. 100.
2. Revenu des biens établi par le prix des contrats de vente. — Différents domaines et héritages, vendus dans cinq paroisses différentes, montent ensemble à la valeur de 7 616 l. 15 s. Les biens-fonds se vendent communément sur le pied du dénier trente, non pas dans toute la généralité de Limoges, mais dans la partie du Limousin qui est régie par le droit écrit, la facilité de disposer de ces biens par testament les faisant rechercher.
Ce prix est tellement regardé comme le prix ordinaire des biens-fonds, que les directeurs du vingtième, qui évaluent le revenu des biens vendus en Angoumois sur le pied du denier vingt des contrats, n’évaluent celui des biens vendus en Limousin que sur le pied du denier trente.
Le revenu de 7 616 l. 15 s. au denier trente est de 253 l. 17 s. 10 d. L’estimation du revenu de ces mêmes biens, qui sert de base aux impositions, est de 336 l. 16 s., ou plus forte d’un tiers en sus.
Les vingtièmes montent à 37 l. 1 s. La totalité des impositions taillables est de 217 l. 11 d., en défalquant du revenu des propriétaires les vingtièmes qu’ils payent au Roi.
La part des propriétaires est de 216 l. 16 s. 10 d.
Celle du Roi de 254 1 11
Le produit total de 470 l. 18 s. 9 d.
Le Roi a, suivant ce calcul, un peu moins de 54 p. 100, et le propriétaire un peu plus de 46 p. 100 du produit total. Quand on évaluerait le revenu de ces fonds au denier vingt-cinq :
La part du propriétaire serait de 267 l. 12 s. 3 d.
Celle du Roi de 234 1 11
Le produit total de 521 l. 14 s. 2 d.
Le Roi aurait toujours un peu moins de 49 liv. p. 100 du revenu total ; le propriétaire un peu plus de 51 liv. p. 100 du revenu total.
Voici maintenant les résultats des détails que je me suis procurés sur l’élection d’Angoulême.
COMPARAISON DU TAUX DES IMPOSITIONS AVEC LE REVENU DES DOMAINES AFFERMÉS DANS L’ÉLECTION D’ANGOULÊME, ET DANS LES PAROISSES VOISINES DE LA GÉNÉRALITÉ DE LA ROCHELLE.
Domaines d’Angoumois.
Part du propriétaire
moins de 51 1/4 p. 100. 599 l.
Part du Roi
Plus de 48 3/4 p. 100. 571
Produit total 1 170 l.
Domaines de Saintonge.
Part du propriétaire 356 l.
Un peu moins de 76 p. 100
Part du Roi 120
Un peu plus de 24 p. 100.
Produit total. 476 l.
Par le résultat de cette comparaison, il paraît que le rapport des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge est de 4 à 2, ou que le Roi lève deux fois plus d’impôts à proportion en Angoumois qu’en Saintonge.
COMPARAISON DES IMPOSITIONS AVEC LES REVENUS EN ANGOUMOIS ET EN SAINTONGE. 1° Par l’analyse des produits des domaines situés dans les deux provinces. — Rien n’est si difficile que d’évaluer exactement le produit des fonds qui ne sont point affermés, et c’est une des causes qui contribuera le plus à rendre l’opération du cadastre aussi difficile dans les pays de petite culture, qu’elle sera facile dans les provinces où la grande culture est en usage.
Le meilleur moyen d’établir des principes certains sur cette matière serait de se procurer un compte exact de toutes les dépenses, de toutes les productions, de toutes les ventes, de toutes les pertes, de tous les profits survenus pendant plusieurs années consécutives dans un domaine, et de répéter cette opération sur un très grand nombre de domaines. Malheureusement, l’exécution de ce plan est presque impossible : la plupart des propriétaires n’écrivent point, et ne pourraient tenir des livres en ordre, parce qu’il est très rare que les métayers sachent lire et écrire, et que la plupart des opérations se font par eux ; les propriétaires se contentent de partager au bout de l’année ce qui reste de fruits, et d’arrêter leurs comptes avec leurs métayers.
J’ai vainement demandé ce travail à plusieurs personnes ; aucune n’a pu me satisfaire, à l’exception de mon subdélégué De La Valette en Angoumois, homme très intelligent et très exact, et d’autant plus propre à me procurer des éclaircissements sur lesquels je puisse compter, qu’il habite sur les limites des deux provinces, et qu’il a tout son bien en Saintonge : il a pris la peine de compter exactement tous les produits d’un de ses domaines, et toutes les dépenses de tout genre attachées à son exploitation. Il s’est procuré les mêmes connaissances sur un autre domaine situé aussi en Saintonge, et sur deux domaines situés en Angoumois ; et il m’a envoyé depuis peu une analyse très détaillée de ces quatre domaines.
Pour pouvoir compter avec une certitude absolue sur les résultats de ces analyses, il faudrait, sans doute, qu’elles eussent été continuées pendant un certain nombre d’années ; mais on sent aisément qu’il n’a pas été possible de retrouver des détails de ce genre qui n’avaient jamais été écrits. Mon subdélégué a donc été obligé de se borner à l’année 1765 ; mais, les quatre domaines étant situés dans le même canton, le rapport qui en résultera, sur la comparaison entre les impositions de l’Angoumois et de la Saintonge, n’en sera pas moins exact, et il méritera d’autant plus de foi, que mon subdélégué, dont tout le bien est en Saintonge, n’est pas un témoin récusable, lorsqu’il prouve que la Saintonge est moins chargée que l’Angoumois, et qu’il le prouve par l’exemple de son propre bien.
Voici le résultat de cette analyse, dont je crois inutile de présenter ici le détail.
Domaines d’Angoumois.
Part des propriétaires. 137 l.
un peu moins de 43 p. 100.
Part du Roi, compris les vingtièmes, montant à 29 l.14 s. 183 l.
un peu plus de 56 p. 100.
Produit total. 320 l.
Domaines de Saintonge.
Part des propriétaires. 669 l.
un peu moins de 80 1/4 p. 100.
Part du Roi. 165
un peu plus de 19 3/4 pour 100.
Produit total. 834 l.
Cette comparaison donne le rapport des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge, de 5,7 à 2, plus inégal encore que premier.
2° Par la somme des productions de la ferme des dîmes. — Le même subdélégué a tenté un autre moyen de comparaison, qui ne peut servir à établir la charge absolue des fonds dans aucune des deux provinces, mais qui est très bon pour faire voir dans quel rapport l’une est plus chargée que l’autre.
Il a trouvé, dans son canton, cinq paroisses de l’Angoumois, et deux de la Saintonge, dont toutes les dîmes étaient affermées ; il a recherché, d’après la quotité connue de la dîme dans chacune de ces paroisses, quelle était la valeur totale des fruits qui restaient aux habitants, et il l’a comparée au principal de la taille.
Le montant des dîmes des cinq paroisses de l’Angoumois suppose pour les habitants 93 940 l. de productions ; le principal de la taille y est de 21 740 l. ; c’est un peu plus de 23 p. 100.
La ferme des dîmes dans les deux paroisses de la généralité de La Rochelle, indique 26 520 l. pour la valeur des productions recueillies par les habitants ; le principal de la taille est de 2 358 l. ; ce n’est que 8 4/5 p. 100.
Le rapport des impositions de l’Angoumois à celles de la Saintonge est de plus de 5 à 2. Ce rapport n’est établi que sur le produit brut, sans égard aux frais, et non sur le revenu ou produit net, frais déduits. Mais mon subdélégué observe avec raison que, dans des paroisses d’un même canton, où les productions et les procédés de la culture sont les mêmes, les frais sont dans la même proportion avec les produits.
Je me suis assuré que le rapport des impositions accessoires, au principal de la taille, est le même dans les deux généralités, c’est-à-dire environ à 12 s. 6 d. pour livre de la taille. Ainsi, rien n’altère le rapport trouvé de 5 à 2.
3° Par la comparaison des impositions mises sur les mêmes fonds taxés par doubles emplois dans les deux généralités. — Suivant les règles établies dans les pays de taille personnelle, adoptées à cet égard dans le tarif de la généralité de Limoges, les fonds situés dans l’une des généralités, et dépendants de corps de domaine situés dans l’autre, doivent être imposés au feu vif, c’est-à-dire au lieu du bâtiment principal. Les commissaires qui font les rôles dans la généralité de Limoges se sont toujours conformés à cette règle ; mais les collecteurs, dans la généralité de la Rochelle, ont toujours fait difficulté de s’y assujettir. Il est résulté de là, dans presque toutes les paroisses limitrophes de ces deux généralités, une foule de doubles emplois qui ont occasionné beaucoup de plaintes. Ces plaintes m’ont engagé à faire faire un relevé général des fonds ainsi imposés, par double emploi, dans les deux généralités, afin de me concerter avec M. l’intendant de la Rochelle pour le faire supprimer[9]. Dans ces relevés, on a marqué exactement l’imposition que supportent en Saintonge les fonds taxés par double emploi : dans quelques-uns, les commissaires ont eu aussi l’attention de distraire de la cote d’imposition faite sur le corps du domaine l’objet particulier de l’imposition faite sur le fonds situé en Saintonge, à raison de son estimation. La comparaison de ces taxes, faite sur les mêmes fonds dans les deux provinces, présente un tableau d’autant plus frappant de la surcharge de l’Angoumois, qu’on ne doit pas présumer que les collecteurs de la Saintonge aient ménagé les fonds appartenant à des particuliers demeurant en Angoumois. Je n’ai pu faire cette comparaison que sur les relevés de onze paroisses de l’élection d’Angoulême, fort éloignées les unes des autres ; il en résulte que les mêmes fonds, qui tous ensemble payent en Angoumois 558 l. 8 s. 9 d. ne sont taxés en Saintonge qu’à 220 l. 16 s. 3d., ce qui établit l’inégalité dans le rapport de 4,6 à 2.
Il n’est pas possible de n’être point frappé de l’accord de tous ces résultats, trouvés par quatre moyens différents.
Il est constant dans le pays que la disproportion n’est guère moindre entre les impôts de l’Angoumois et du Limousin et ceux du Périgord : il faut que la chose soit bien notoire, puisqu’elle est avouée par les habitants mêmes du Périgord. Je ne puis douter de cet aveu, qui m’a été fait à moi-même plus d’une fois. La comparaison des impositions du Limousin avec celles du Poitou et du Berry présenterait les mêmes résultats ; mais il m’a été impossible de me procurer, sur ces comparaisons, des détails aussi précis que ceux qui m’ont été fournis sur l’Angoumois et la Saintonge : on trouve très difficilement des gens capables de travailler avec exactitude, et il est encore plus rare de trouver des gens qui veuillent, comme mon subdélégué de La Valette, dire la vérité à leur préjudice.
Si l’on pouvait compter sur la justesse des évaluations qui servent de base aux vingtièmes, ce serait le moyen le plus court de reconnaître la proportion selon laquelle les provinces sont chargées relativement à leur revenu ; mais cette base est si évidemment fautive, que les résultats n’en méritent aucune considération. Il est notoire que, dans le plus grand nombre des provinces, et surtout dans les plus riches, les biens sont en général évalués aux rôles des vingtièmes au-dessous de leur valeur. Et je crois, au contraire, certain qu’en Limousin l’évaluation des fonds de terre est forcée. J’en dirai les raisons plus bas, lorsque j’aurai rendu compte des calculs que j’ai cru devoir faire nonobstant l’imperfection des évaluations, pour connaître la proportion des impositions avec le revenu supposé.
Suivant les rôles du vingtième (année 1763), le revenu de la généralité de Limoges, monterait à 7 426 990 l. » s.
Il faut en retrancher, pour avoir la part du propriétaire, le montant des deux vingtièmes et 2 sols pour livre, c’est-à-dire 816 968 18
Il reste 6 610 021 l. 2 s.
Les impositions ordinaires, en 1763, en retranchant celles qui n’ont lieu que pendant la guerre, étaient de 3 478 202 l.
La part du propriétaire, d’après ce calcul, monterait à 6 610 021 l. 2 s.
Celle du Roi, à 4 295 170 18
Le produit total à 10 905 192 l. » s.
Le Roi aurait à peu près 40 p. 100 et le propriétaire 60 p. 100 du revenu total. Cette charge, quoique très forte, parait au premier coup d’œil l’être beaucoup moins que celle qui résulte des calculs particuliers. Quelques considérations vont démontrer qu’elle en suppose, au contraire, une beaucoup plus forte sur les fonds taillables. En effet, on doit observer que tous les fonds sujets aux vingtièmes ne le sont pas à la taille. Suivant les rôles du vingtième, les fonds appartenant aux nobles et privilégiés sont aux fonds appartenant aux taillables comme 7 est à 13. Quand on supposerait que la totalité des biens des nobles sont des fonds de terre exploités par des colons et, par conséquent, sujets à la taille d’exploitation, ils seraient toujours exempts du tiers de l’imposition taillable qui, suivant l’usage de la généralité de Limoges, tombe sur le propriétaire. Il faudrait donc rapporter ce tiers de l’imposition qu’ils auraient supportée, tant sur le bien des autres taillables qui acquittent le plein tarif, que sur la taxe même d’exploitation que supportent leurs colons. Cette déduction du tiers ne se borne pas même aux biens appartenant aux nobles. Ce tiers imposé sur le propriétaire, ne l’est que dans le lieu de son domicile ; s’il est domicilié dans une ville abonnée ou fixée, où la taille s’impose d’une manière beaucoup plus modérée et arbitrairement, il en éludera la plus grande partie, qui retombera à la charge des autres taillables.
J’ai supposé que tous les biens des nobles étaient imposés à la taille d’exploitation. Le contraire est notoire : le plus grand nombre font valoir par eux-mêmes, en exemption, quelques domaines indépendamment de leurs prés, bois, vignes, clôtures, dont l’exemption est regardée par les officiers de l’élection comme une suite de l’exemption de taille personnelle. Il y a de plus une grande partie de leurs biens imposés aux vingtièmes et qui ne sont en aucune manière susceptibles d’être imposés à la taille : ce sont les rentes seigneuriales, qui dans cette province, forment la partie la plus considérable des revenus des seigneurs. Ce que ces objets auraient supporté, si les impositions avaient été réparties à raison de 40 p. 100 sur tous les revenus de la province, est donc rapporté en augmentation sur les fonds taillables et rend, par conséquent, la proportion des impôts à leur revenu beaucoup plus forte.
Il y a, sans doute, une compensation en faveur des fonds taillables résultant de la partie de l’impôt supportée par l’industrie et par quelques fonds appartenant aux ecclésiastiques, mais s’il s’en faut bien que ces deux objets puissent balancer la suppression du tiers de l’impôt sur tous les fonds appartenant à des nobles ou à des bourgeois domiciliés dans les principales villes, et celle de la totalité de l’impôt sur les fonds exploités en privilège par des nobles, et sur tous les biens dont le genre n’est pas susceptible de la taille d’exploitation. Pour donner, d’après ces points de vue, le calcul précis de la proportion des impositions au revenu des fonds taillables, il faudrait un très long travail, que je n’ai pu faire, et qui serait ici d’autant plus inutile, que la base des évaluations du vingtième est trop peu sûre pour y appuyer tant de calculs.
Il me suffit de prouver que le calcul, fait d’après la comparaison de la totalité des revenus, indiqués par le montant des vingtièmes, avec la totalité des impositions territoriales de la Province, ne peut infirmer en rien la certitude des calculs par lesquels j’ai établi une surcharge beaucoup plus considérable que celle de 40 p. 100 du revenu.
J’ajoute qu’on se tromperait beaucoup si l’on croyait l’évaluation des fonds de la Province plus forte, dans la réalité, que celle d’après laquelle le vingtième est imposé ; je crois, au contraire, celle-ci forcée. Je ne parle que des fonds de terre, car je crois qu’il y a dans la Province quelques autres objets de revenu qui sont moins rigoureusement imposés aux vingtièmes, et sur lesquels il peut y avoir même quelques omissions, cette partie ayant été originairement imposée d’après les déclarations des propriétaires, qui n’ont pu être vérifiées que très difficilement. Mais il n’en est pas de même des fonds de terre : comme, au moyen du tarifement pour la taille introduit par M. de Tourny, tous les fonds existants dans chaque paroisse étaient connus, il n’en a été omis aucun, et la vérification n’a pu consister que dans l’examen des estimations des rôles des tailles.
Le contrôleur se transportait, dans la paroisse ; il y rassemblait quelques baux généraux quand il en trouvait, car il n’y a pas de baux particuliers, et quelques contrats de vente ; il cherchait à connaître la valeur de quelques principaux domaines, en s’informant de la quantité et de la valeur de leurs productions ; il comparaît le revenu qu’il avait trouvé par cette voie avec celui qui était porté aux rôles des tailles pour les mêmes articles, et il augmentait ou diminuait tous les autres fonds de la paroisse, à proportion, par une simple règle de trois. C’est ainsi que le taux des vingtièmes a été fixé pour presque toutes les paroisses de la Généralité ; et, de cette manière d’opérer, il a dû résulter d’abord que tous les fonds de la Province ont été compris au rôle des vingtièmes ; en second lieu, qu’ils y ont été portés au moins à leur valeur, puisque tous les fonds non vérifiés ont été augmentés comme ceux qui l’avaient été plus particulièrement et dans la même proportion. La généralité de Limoges diffère donc à cet égard de la plus grande partie des autres provinces, dans lesquelles les vingtièmes, s’imposent encore d’après les déclarations des propriétaires, et sont imposés en conséquence très modérément.
Il est à remarquer, et c’est le plus important, que les contrôleurs, dans toutes leurs évaluations, n’ont eu aucun égard à une des conséquences que j’ai tirées ci-dessus de l’explication du système de la petite culture. Je crois avoir démontré que, le propriétaire d’un bien affermé dans les pays de grande culture n’étant obligé aux avances d’aucune espèce, qui toutes roulent sur le fermier, celui-ci se réservant toujours, en fixant le prix de son bail, l’intérêt légitime de ces avances, cet intérêt n’étant, par conséquent, point compté dans le revenu d’un propriétaire de grande culture, il n’est pas juste de le compter davantage dans le revenu d’un propriétaire de petite culture, qui est déjà assez malheureux d’être obligé à cette avance, sans supporter, à raison de l’intérêt qu’elle lui rapporte, deux vingtièmes dont on est exempt dans les autres provinces parce qu’on y est plus riche. Il est donc juste de défalquer du prix des baux où le propriétaire fournit les avances l’intérêt de ces avances, qui n’est point un revenu de la terre, mais une simple reprise des frais de culture. Non seulement, on n’a point eu cette attention dans l’évaluation des fonds ; mais, lorsqu’on trouvait des baux ou des contrats où il était énoncé que le fonds était dégarni de bestiaux, on augmentait l’évaluation à raison de ce que le domaine garni devait produire.
Le Directeur des Vingtièmes prétend y avoir été autorisé par des décisions du Conseil. Certainement, si ces décisions ont été données, c’est sur un exposé où le fond de la question n’avait pas été bien développé ; et il en résulte que l’évaluation du revenu des fonds est forcée du montant de l’intérêt de tous les cheptels de bestiaux employés à la culture dans la Province.
Cette erreur s’est peut-être répandue sur le travail des contrôleurs du vingtième dans les autres provinces de petite culture ; mais, ce qui la rend plus funeste à la généralité de Limoges, est que la vérification y a été plus complète qu’ailleurs, quant à la partie des fonds de terre. La seule conséquence que j’en veux tirer ici, c’est que le revenu réel des biens-fonds de la Province est beaucoup moins fort que celui qu’on croirait pouvoir conclure du montant des rôles des vingtièmes.
Cette conséquence se vérifie encore par les exemples particuliers de baux et de contrats, que j’ai eu occasion de citer dans ce Mémoire. Dans tous, le vingtième est établi sur une évaluation plus forte que le revenu réel énoncé dans les baux.
Je crois donc être en droit, d’après tous les détails dans lesquels je suis entré, d’assurer que les impositions de la généralité de Limoges montent, en général, de 48 à 50 p. 100 du produit total, et que le Roi tire à peu près autant de la terre que le propriétaire. Pendant la guerre, l’ustensile, les milices gardes-côtes, le troisième vingtième, faisaient monter cette proportion beaucoup plus haut. Je doute qu’il y ait aucune généralité où les impositions soient aussi exagérées ; et, certainement, toutes celles où la grande culture est établie sont beaucoup moins chargées, car 45 p. 100 du produit net des terres et de l’intérêt des capitaux employés à la culture feraient plus de 80 p. 100 du revenu des propriétaires. Or, il est notoire que les impositions y sont fort éloignées de ce taux. La plupart de ceux qui ont voulu estimer le plus haut point où pouvait être porté l’impôt territorial l’ont évalué au tiers, ou 33 1/3 p. 100 du produit net, ou 50 p. 100 du revenu des propriétaires. Quand on adopterait le calcul le plus bas, fait d’après la comparaison vague du total des impositions avec le revenu de la Province indiqué par les rôles du vingtième, elle serait toujours surchargée de 6 p. 100 du produit total. Pour la réduire à 33 p. 100, il faudrait diminuer les impositions de 6/39, c’est-à-dire de 575 000 l., distribuées partie sur la taille, partie sur le fourrage et sur la capitation, au prorata du montant de ces différentes impositions : ce serait sur la taille 340 à 350 000 l., qu’il me paraît juste (j’ose le dire) de retrancher à perpétuité des impositions de la généralité de Limoges, indépendamment des grâces que le Roi a la bonté d’accorder aux provinces qui ont souffert d’accidents particuliers, et auxquelles elle ne méritera pas moins de participer lorsqu’elle sera rétablie dans sa véritable proportion.
On peut soulager beaucoup la généralité de Limoges, sans charger d’une manière très sensible les autres provinces, sur lesquelles il serait nécessaire de répartir ce qu’on lui ôtera. Une somme de 6 à 700 000 fr., répartie sur huit à dix provinces, fait un objet modique pour chacune ; et cette répartition est juste, puisqu’elle n’est que le rétablissement de l’égalité, que le Gouvernement a toujours voulu observer entre tous ceux qui doivent contribuer aux charges de l’État.
Il est indubitable que les provinces qui environnent la généralité de Limoges, surtout la Saintonge et le Périgord, supportent beaucoup moins d’impôts qu’elle. Les provinces de grande culture, beaucoup plus riches, sont probablement les moins chargées de toutes à raison de leur revenu : ainsi, l’on ne doit pas être embarrassé de placer la diminution qu’on accorderait à la généralité de Limoges. Je sais qu’on a souvent répondu aux plaintes des habitants du Limousin sur le peu de proportion de leurs impositions avec celles des provinces voisines, qu’il est vrai qu’ils étaient très chargés de tailles, mais que, comme ils n’avaient ni aides ni gabelles à payer, la plus forte proportion de leurs impositions territoriales était une compensation naturelle et juste de l’exemption de ces deux autres genres d’imposition. Mais les Limousins peuvent répondre, en premier lieu, que les provinces de Saintonge et du Périgord ne sont pas plus sujettes à la gabelle que le Limousin ; qu’à l’égard des aides, l’Angoumois y est sujet, mais que cette imposition n’est guère plus considérable en Saintonge, et que le Périgord en est entièrement exempt. Cependant, ces deux provinces sont incomparablement moins chargées que l’Angoumois.
Ils ont une seconde réponse, meilleure que la première. Ils ne disconviennent pas que les impositions indirectes, comme les aides et les gabelles, n’affectent considérablement le revenu des biens-fonds, et que le poids n’en retombe sur les propriétaires. En conséquence, ils avoueront qu’une province sujette aux aides et à la gabelle doit payer moins d’impôt territorial, à raison de son étendue et de sa fertilité ; mais ils ne doivent point pour cela convenir que des fonds du même revenu doivent payer plus d’impôt territorial dans deux différentes provinces. L’effet des aides et des gabelles sera, si l’on veut, de diminuer le revenu des biens de la province où ces droits sont établis, et l’impôt doit certainement être moindre à raison de ce que le revenu est moindre. Mais, lorsqu’au lieu de comparer une province à une autre, on compare un revenu de 10 000 l. avec un autre revenu de 10 000 l., on peut croire juste d’avoir égard à l’augmentation que les aides et la gabelle causent sur la dépense du propriétaire, et l’on doit voir aussi que cette augmentation de dépense, objet assez modique lorsqu’on la considère seule, ne saurait opérer une disproportion excessive, tandis que la vraie perte du propriétaire est sur le revenu avant qu’il puisse le toucher, sur l’augmentation de la dépense qu’il doit rembourser à ses cultivateurs avant d’avoir aucun revenu. À cela près, le traitement semble devoir être égal.
Si un Picard ne paye que 40 p. 100 de son revenu, tandis qu’un Limousin en paye 80 p. 100, le Limousin sera fondé à se croire beaucoup plus maltraité que le Picard, quoique la gabelle et les aides aient lieu en Picardie. Or, c’est toujours au revenu, et non à l’étendue des provinces, qu’on a comparé la quotité de l’impôt. J’ajoute que les provinces de grande culture et voisines de Paris, ont tant d’avantages qui compensent le tort que leur font la gabelle et les aides, que, même à étendue égale, elles produisent plus de revenu. Il est notoire qu’un arpent de terre de même bonté rapporte beaucoup plus de revenu dans la Beauce ou la Normandie, que dans le Limousin ou l’Angoumois.
Tout concourt donc à prouver la justice du soulagement que réclame la généralité de Limoges ; mais, indépendamment de ce motif de justice, qui suffirait pour déterminer le Conseil, il y en a un plus pressant encore, c’est l’épuisement réel de la Province, épuisement qui n’est que trop prouvé par le retard des recouvrements, par les non-valeurs des rôles, par l’abandon de plusieurs domaines faute de bestiaux, et par l’impuissance où sont les propriétaires de faire les avances de la culture. C’est jusqu’à présent dans l’élection de Tulle que ce mal a paru plus commun ; cette impuissance se fait surtout sentir d’une manière cruelle, lorsque quelque accident exige du propriétaire de nouvelles avances, soit en ruinant ses bâtiments, soit en le privant pendant plusieurs années de son revenu. L’Angoumois, qui gémit depuis trois ans dans la disette, et qui a essuyé des pertes énormes, surtout dans les cantons ravagés par la grêle de 1764, et maltraité encore depuis en 1765, l’Angoumois ressent aujourd’hui les effets de l’épuisement qui met les propriétaires de ces cantons hors d’état de faire les dépenses nécessaires pour réparer leurs pertes. Le poids des charges fait fuir les hommes qui ne tiennent point au pays par quelque propriété, et les impositions qu’ils supportaient, réparties sur les habitants qui restent, augmentent encore leur fardeau.
Tel est exactement l’état des choses. Il exige un prompt remède, et la Province ose l’attendre de la justice et de la bonté du Roi.
ADDITION. — On ajoutera aux détails compris dans ce Mémoire le résultat d’un travail du même genre, fait d’après le relevé de tous les contrats de vente qu’on a pu rassembler de 27 paroisses de l’Angoumois. La totalité du prix des héritages vendus dans ces 27 paroisses monte à 243 772 l. Tous ces mêmes héritages payent ensemble au Roi 8 721 l. 17 s., en y comprenant les vingtièmes. Si l’on suppose que ces héritages aient été seulement vendus, l’un portant l’autre, sur le pied du denier 20, le revenu du propriétaire, déduction faite des vingtièmes, tels qu’ils sont établis d’après l’estimation qui sert de base à la répartition des tailles, et qui montent en tout à 1 354 l. 15 s., sera de 10 833 l. 17 s., telle sera donc la distribution du produit total :
Part du propriétaire 10 833 l. 17 s
Part au Roi 8 721 17
Produit total 19 555 l. 14 s
Ce qui établit la part du propriétaire sur le pied de 55 2/5 p. 100 ; celle du Roi, sur le pied de 44 3/5 p. 100 du produit total ; la proportion de l’impôt au revenu est comme 80 à 100, résultat entièrement conforme à celui que présente le Mémoire.
——————
[1] Nous supprimons ces détails.
[2] Mémoire sur la surcharge des impositions, ci-dessous, n° III, p. 445.
[3] De la Vigerie.
[4] Le 26 février 1765, le procureur général avait écrit à Turgot : « Il y a déja longtemps que je reçois des plaintes contre les commissaires que vous avez nommés pour la confection des rôles dans les trois élections de votre généralité qui sont du ressort de la cour des aides de Clermont. On les accuse de s’attribuer le droit de supprimer des cotes sous prétexte de privilège ou de translation de domicile, sans que ces radiations aient été ordonnées par sentence des élections. Il est inutile de vous représenter les dangereuses conséquences de cette entreprise ; elle excite les murmures des taillables qui me font des plaintes continuelles à ce sujet et d’autant mieux fondées que ces suppressions sont prohibées par les règlements et par des arrêts de la Cour des Aides dont je ne puis me dispenser de procurer l’exécution. »
Hugues, qui a fait une étude particulière du dossier concernant le commissaire De La Porte, principalement visé, donne, au sujet de l’affaire les renseignements ci-après :
« Il s’agissait de quelque cavalier d’un régiment en garnison à Brive qui avait été taxé parce qu’il vendait du vin et qui, ayant été en Franche-Conté, avait été retranché des rôles, ou bien de quelque particulier qui n’ayant ni bien, ni domicile à Brive, avait été porté au rôle par erreur, ou encore de quelque propriétaire forain qui s’était arrangé antérieurement avec les consuls de Brive pour se faire comprendre dans les rôles et jouir ainsi du privilège d’exemption des droits d’octroi communs à tous les bourgeois de la ville. »
Les réclamations n’étaient donc guère justifiées. Turgot se plaignit à qui de droit du zèle intempestif des gens du Roi à la Cour des Aides ; ceux-ci furent furieux et le procureur général écrivit à son substitut (De la Vigerie) : « Je suis mortifié de voir M. Turgot exercer ainsi sa vengeance ; j’avais meilleure opinion de lui ; je ne l’aurais pas cru capable d’une pareille bassesse, car je ne saurais nommer autrement l’usage qu’il fait de son autorité pour punir les officiers qui n’ont pas voulu manquer à leur devoir et rendre la justice. » Mais ces officiers contrecarraient, sans motifs sérieux, les réformes de Turgot.
[5] Ici commence la partie publiée par les Éphémérides du Citoyen avec les corrections nécessaires pour empêcher de savoir qu’il était question du Limousin. L’article était précédé de l’avertissement ci-après :
DES CARACTÈRES DE LA GRANDE ET DE LA PETITE CULTURE
Le fragment qu’on va lire est extrait d’un excellent mémoire, rédigé avec beaucoup de maturité, en vue du bien public, par un auteur trop modeste, qu’il ne nous est pas permis de nommer : nous le désignerons seulement au public par la lettre C., à la tête des morceaux qu’on pourrait lui dérober, comme on a fait de celui-ci pour en décorer les Éphémérides. Mais nous ne pouvons résister à la tentation de l’indiquer plus particulièrement à plusieurs de nos lecteurs, par ces traits qui le caractériseront pour eux. C’est un magistrat respectable qui cultiva les lettres et la philosophie avec distinction, dès sa plus grande jeunesse : qui porta de très bonne heure dans une grande place des talents et des connaissances très rares avec des intentions et des sentiments plus rares encore, qui fuit la gloire attachée à ses succès, mais qui ne peut empêcher sa réputation de s’établir dans tous les ordres de l’État, depuis les chefs de l’administration jusqu’aux derniers du peuple, ni la voix générale de publier la manière dont il remplit les fonctions importantes dont il est chargé.
[6] Quesnay notamment, dans l’Encyclopédie.
[7] Environ 53 francs l’hectare, l’arpent de Paris valant 3 419 mètres carrés.
[8] Ici s’arrête la publication des Éphémérides. Dans une note à la suite, Du Pont se servit des principes de Turgot pour combattre Forbonnais qui, dans ses Observations économiques, s’était moqué de la distinction établie par Quesnay entre la grande et la petite culture.
[9] Voir p. 156.
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