70. — MODÉRATIONS D’IMPÔTS POUR PERTES DE RÉCOLTE
Note au sujet de la paroisse de Juignac.
(Mode d’évaluation des pertes.)
[A. H. V., C. 104. — Extrait dans d’Hugues, Essai, p. 152.]
La paroisse de Juignac obtint en 1761, 951 l. 13 s. de diminution sur la taille pour cause de grêle, et il n’a été accordé que 15 l. de modération sur les vingtièmes.
L’on a perdu bien du temps à répartir ces quinze livres sur près de 300 articles, et ce qui revient à chacun est un si mince objet qu’il ne paraît pas praticable d’en faire mention sur le rôle
Il n’est pas concevable comment on n’a pu accorder que 15 l. vis-à-vis une modération de 951 l. 13 s. sur les impositions ordinaires.
Je n’ai pas présent le détail des diminutions accordées sur les vingtièmes de chaque paroisse, mais d’après les règles que j’ai données à M. Étienne, je ne serai point surpris qu’il y ait une très grande disproportion entre les diminutions que j’ai accordées sur la taille et celles qui ont eu lieu sur le vingtième.
En parcourant cette année le détail des pertes extrait des procès-verbaux, je me suis aperçu : 1° qu’on donnait quelquefois des diminutions considérables à des gens qui, disait-on, avaient perdu des dixièmes, douzièmes, quinzièmes, et jusqu’à des vingtièmes de récoltes ; 2° que la méthode usitée dans mes bureaux avait été jusqu’ici de proportionner la diminution à la perte énoncée au procès-verbal, en sorte que celui qui avait perdu la moitié de sa récolte avait une diminution double de celui qui, ayant un taux de taille égal, avait perdu seulement le quart de sa récolte.
Sur quoi il m’a paru : 1° que l’appréciation d’un dixième, douzième, etc., de récolte était impossible à faire, que pour y parvenir, il faudrait avoir des notions sur le produit de chaque nature de terrain qu’on est bien éloigné d’avoir ; que, même quand on les aurait, il faudrait, pour s’assurer de la proportion d’une perte aussi modique, un examen fait avec un détail dans lequel certainement MM. les élus n’entrent, ni ne peuvent entrer ; qu’enfin ces pertes ne sortent pas des bornes des variations annuelles des récoltes sur lesquelles tout cultivateur ou tout propriétaire, compte ou doit compter, lorsqu’il fait l’évaluation de son revenu et que, par conséquent, ce n’était pas un motif suffisant pour déranger la proportion ordinaire des impositions.
Il m’a paru : 2° que la perte de celui qui perd la moitié de sa récolte était bien plus que quadruple de celle d’un homme qui perd le huitième. Un homme, en perdant la moitié de sa récolte, peut perdre la totalité de son revenu, lorsque celui qui perdra le huitième n’en perdra que le quart. Il suffit pour cela de supposer que les frais de semence, de culture et de récolte soient la moitié de la valeur ordinaire de la récolte. Dans tous les cas, les frais sont une somme fixe qu’il faut soustraire du produit pour avoir le revenu. Par conséquent, la perte du revenu augmente en plus grande proportion que celle de la récolte. D’où il suit qu’il faut accorder plus de diminution, à proportion, à celui qui perd la moitié de sa récolte qu’à celui qui en perd le quart.
Vous ne devez donc pas être étonné de voir que les diminutions sur le vingtième, faites d’après cette règle, doivent être beaucoup moins considérables que celles accordées en 1761 sur la taille. Il est vrai qu’il y a toujours lieu d’être surpris que M. Étienne ait proposé une diminution si légère à un si grand nombre de contribuables, car certainement ça ne valait pas la peine de la répartition. Je suppose qu’il y a quelque erreur et que la modération ne devait tomber que sur un petit nombre d’articles ; en tout cas, il me paraît difficile à présent d’y remédier.
(Turgot consulta sur cette question les subdélégués. Boisbedeuil, lui proposa — 21 janvier 1765 — de faire faire par des experts ou prud’hommes la vérification des récoltes perdues. Ces experts devaient parcourir les différents contours de la paroisse et envoyer leur procès-verbal au commissaire, après l’avoir lu en présence des principaux habitants de la paroisse. Turgot autorisa l’essai de ce plan dans l’élection d’Angoulême, mais le succès ne répondit pas aux espérances de son auteur.)
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