62. — LA CORVÉE DES CHEMINS.
Lettre à Trudaine.
[Vignon, III, 66, extrait.] [1]
(Refus du Contrôleur général d’autoriser par Arrêt du Conseil une imposition territoriale en remplacement de la corvée.)
Limoges, 28 janvier.
Je suis aussi surpris qu’affligé du refus que fait M. le Contrôleur général d’autoriser par un Arrêt du Conseil l’imposition des fonds nécessaires pour faire faire à prix d’argent les constructions de chemins dont étaient chargées les paroisses qui ont préféré cette voie à celle des corvées. Je ne puis comprendre ses raisons ; je suis aussi prévenu que lui des motifs qui doivent déterminer à diminuer les impositions ; mais, bien loin de regarder celle-ci comme une surcharge, elle me paraît, au contraire, un très grand soulagement pour la Province.
Vous observez avec raison qu’il serait fort injuste de faire profiter les communautés qui ont délibéré, du soulagement que je leur ai accordé, sans acquitter la condition sous laquelle elles l’ont obtenu. Je vous avouerai d’ailleurs que, d’après l’espérance que vous m’aviez donnée par votre lettre du 12 octobre de m’accorder un Arrêt, j’ai déjà fait faire les adjudications des parties de routes projetées et dont la nécessité est on ne peut plus urgente. Dans cette position, je ne suis plus libre de rien changer, ni même de différer ; il serait en outre de la plus dangereuse conséquence, pour toute mon administration, de manquer de parole aux communautés qui ont délibéré sur l’option que je leur ai donnée, et ce serait leur manquer de parole que de me mettre dans le cas de leur faire faire, dans la suite, par corvées, les parties de routes qu’elles se sont soumises à faire faire à prix d’argent.
Il ne me reste donc d’autre parti à prendre que de faire faire, par mes seules ordonnances, la répartition du prix des ouvrages. La Province et les paroisses n’en payeront ni plus ni moins, et, si c’est à l’augmentation que M. le Contrôleur répugne, je ne vois pas qu’un Arrêt du Conseil de plus ou de moins produise ni surcharge, ni soulagement. La seule différence consistera en ce que je serai peut-être compromis, au lieu que j’aurais été entièrement à l’abri de toute critique.
Je conviens que les instructions envoyées par M. Orry à mes prédécesseurs, en indiquant pour peine aux communautés qui ne rempliraient pas leur tâche dans les délais prescrits de la faire faire à prix d’argent et de la leur faire payer, autorise suffisamment les intendants à répartir sur elles le prix de ces tâches lorsqu’elles préfèrent ce parti à celui d’y travailler par corvée. Mais vous n’ignorez pas que cette autorisation n’est bonne que vis-à-vis du Ministre et non vis-à-vis des tribunaux qui ne peuvent connaître ces sortes d’instructions et qui pourront toujours traiter l’imposition faite, en conséquence, comme une infraction aux défenses portées par les commissions des tailles d’imposer aucunes autres sommes que celles y contenues. C’est le reproche que la Cour des Aides de Rouen fit à M. de Fontette, lorsqu’il voulut s’autoriser de l’instruction de M. Orry pour suivre un plan peu différent du mien.
En vous faisant ces observations, je n’espère pas faire changer M. le Contrôleur général de façon de penser ; mais je suis bien aise de prendre acte que, si je m’expose à quelque risque vis-à-vis des Cours des Aides, ce ne sera point aveuglément et sans réflexion, mais en connaissance de cause et après avoir mis dans la balance, d’un côté le danger qui ne retombe que sur moi et dont le pis-aller serait de me forcer à rentrer dans l’état de simple particulier avec la satisfaction de n’avoir rien fait que pour le bien de la chose, de l’autre, le danger beaucoup plus grand de décréditer toute mon administration en manquant à mes engagements.
Je prendrai cependant, M., toutes les précautions qui dépendront de moi pour me garantir de tout reproche. La diminution que j’ai accordée aux paroisses sur lesquelles portera cette nouvelle imposition rend l’avantage de mon plan si évident pour elles qu’il est presque physiquement impossible que personne se plaigne. La seule chose que j’aurais à craindre serait donc que les Cours des Aides attaquassent d’office mon opération. L’espèce de concert que j’ai toujours entretenu avec les chefs de ces deux compagnies par rapport aux opérations de la taille me fait présumer qu’ils ne me chercheront point de querelle. Pour m’en assurer davantage, je les préviendrai de mon plan et je suis à peu près sûr que cette démarche de ma part les satisfera et leur ôtera toute envie de m’inquiéter…
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[1] Vignon a cité, ou publié par extraits, d’après les Archives du ministère des Travaux publics, deux circulaires de Turgot aux curés (l’une du 4 octobre, l’autre sans date), dans lesquelles il a exposé son plan de suppression de la corvée et développé les avantages que les paroisses devaient trouver à s’y conformer.
Il serait sans intérêt de publier ces circulaires. À la première, était annexé un modèle de délibération. On en trouvera un autre à l’année 1767.
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