Oeuvres de Turgot – 056 – La Société d’agriculture du Limousin

56. — LA SOCIÉTÉ D’AGRICULTURE DU LIMOUSIN.

Lettre au Contrôleur général.

[A. N., H. 1510.]

(La Société d’agriculture. — Les fêtes religieuses.)

Brive, 11 novembre.

Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire pour me faire part du projet que vous aviez d’assigner des fonds pour les dépenses nécessaires des Sociétés d’Agriculture et pour me demander à quelle somme pourraient aller les dépenses de celle de Limoges. Si les Sociétés d’Agriculture doivent cultiver elles-mêmes et faire des expériences publiques, ils faudrait qu’elles eussent des terres, des bestiaux, des régisseurs, etc… La dépense serait certainement très considérable et je ne pense pas qu’elle fut compensée par l’utilité. Des expériences faites en commun sont toujours mal faites et l’espèce de solennité qu’on veut leur donner, en constatant leur mauvais succès, discrédite des méthodes souvent très avantageuses en elles-mêmes.

En retranchant cet objet de dépense, il reste les frais indispensables de bureau, les salaires de quelques copistes, l’achat de quelques instruments propres aux observations météorologiques, enfin l’achat de quelques livres élémentaires. D’après les éclaircissements que j’ai pris en conséquence de votre lettre, je crois que 1 000 ou 1 200 livres suffiront pour toutes ces dépenses, savoir : la moitié pour le Bureau de Limoges et l’autre moitié pour les deux bureaux d’Angoulême et de Brive. Je vous prie de vouloir bien me donner sur cela vos ordres.

Je prendrai occasion de cette lettre pour vous parler d’un autre point qui intéresse l’agriculture. Vous savez que plusieurs évêques, pour faciliter les travaux de la campagne, ont supprimé dans leurs diocèses un assez grand nombre de fêtes. L’utilité de cette suppression est reconnue de tout le monde et M. l’Archevêque de Paris a même reçu très favorablement la députation que lui a faite dernièrement à ce sujet la Société d’Agriculture de Paris. Cependant M. l’évêque d’Angoulême[1], qui d’abord s’était prêté aux vues d’utilité publique en suspendant pour cinq ans un certain nombre de fêtes, vient, par je ne sais quel zèle mal entendu, de les rétablir pour l’année prochaine, les cinq ans étant expirés cette année. Ce rétablissement fera un tort réel à son diocèse qui est presque en entier dans ma généralité. Comme aucun motif de conscience n’a pu le déterminer à cette démarche, j’imagine que si vous lui écriviez pour l’engager à proroger cette suspension, vous n’auriez pas de peine à l’obtenir de lui et je crois devoir vous le proposer.

La Société d’Agriculture du Limousin. La Société d’Agriculture du Limousin datait de 1759 (sous l’Intendance de Pajot de Marcheval). Elle tint sa première séance au mois de décembre de cette année et fut autorisée définitivement par Arrêt du Conseil du 12 mai 1761 et érigée en Société Royale. Il n’existait encore d’autre Société d’Agriculture que celle de Bretagne, dont l’organisation, préparée par les États de la province, remontait à 1757[2].

Elle était présidée le plus souvent par l’Intendant, avec la qualité de « Commissaire du roi » et se réunissait dans une salle de l’Intendance ou même dans le cabinet de l’Intendant. Elle recevait du Gouvernement, pour expériences, une subvention annuelle de 600 livres.

Elle eut, à partir de 1761, deux annexes qui vécurent d’une vie propre : le bureau de Brive, qui avait dans son arrondissement le bas Limousin, c’est-à-dire, les élections de Brive et de Tulle ; le bureau d’Angoulême, qui avait l’élection du même nom. L’union des trois bureaux était maintenue par l’obligation de requérir l’assentiment de chacun d’eux pour l’élection de nouveaux membres et par l’usage de lire à chaque séance le procès-verbal des délibérations des trois bureaux.

À l’origine, la Société compta sept membres (de Feytiat, de Laborderie, de Rochebrune, de Verthamont, de La Valette, de Freyssignat et de l’Épine). Elle eut plus tard 16 membres, puis 20, dont plusieurs, sous le nom de correspondants, résidaient au loin.

En 1772, elle comprenait 4 membres honoraires, 20 associés ordinaires, 10 associés libres, tous étrangers, c’est-à-dire non Limousins.

Pendant vingt-six ans, de l’Épine, érudit et collectionneur, remplit les fonctions de Secrétaire ; un autre membre était directeur pour l’année. À partir de 1769, le directeur remplit ses fonctions pendant trois ans.

Parmi les membres furent Desmarets, inspecteur des manufactures, Montagne, négociant en laines, qui furent tous deux de l’Académie des Sciences, les ingénieurs des Ponts et Chaussées Trésaguet et Cornuau, l’évêque de Limoges[3], celui de Tulle[4], l’abbé Rozier[5], directeur de l’école vétérinaire de Lyon, l’abbé Vitrac, qui fut sous-principal du Collège royal de Limoges, le médecin Pierre de Perray, Naurissart, directeur de la Monnaie, Treilhard[6], Cabanis père, Dubois de Saint-Hilaire, le cordelier Lefevre, pensionné par les États de Bourgogne pour ses connaissances en agriculture.

La Société projeta la publication, chez le libraire Barbou, d’un bulletin périodique, mais ce projet n’aboutit point, bien qu’un censeur eut été nommé. La Société se contenta de faire imprimer en brochure des mémoires jugés les plus remarquables et de recourir à la publicité, soit des Éphémérides de la généralité de Limoges, soit des calendriers locaux, soit enfin de la Feuille hebdomadaire de la généralité de Limoges qui commença à paraitre en 1775.

Un champ d’expériences qui subsista quelques mois fut ouvert à Cordelas, paroisse de Panazols, près Limoges On l’abandonna en décembre 1761 sur la proposition de l’Intendant, parce que le prix de location dépassait les ressources dont disposait la Société.

Une pépinière qui y était adjointe disparut en même temps, ainsi qu’on a pu le voir p. 196, mais elle fut relevée quelques années plus tard, sur un autre terrain.

La Société chargea l’un de ses membres, Montagne, de suivre, de sa fenêtre, et de noter les variations de l’atmosphère. Les observations commencèrent en 1762. Turgot avait fait don à la Société d’un thermomètre et d’un baromètre gradués sur les principes de Réaumur. Le baromètre était confié à Montagne et le thermomètre à de l’Épine. D’autres observations météorologiques furent faites par Cabanis, prêtre de la mission de Limoges.

La Société d’Agriculture formula des vœux en 1761 (1er août) pour l’abolition des privilèges de la noblesse ; en 1762 (24 avril et 1er mai) pour la liberté du commerce des grains ; en 1762 (16 janvier) et 1769 (14 et 28 janvier) pour la suppression de la dîme ou tout au moins pour sa conversion en argent ; en 1762 (1er mai), en 1763 (20 mai) en 1776 (4 janvier) pour la réduction du nombre des fêtes ecclésiastiques ; en 1764 (28 janvier) pour que des remèdes fussent apportés à l’émigration des paysans ; en 1765 (16 janvier) pour l’instruction publique, et la même année (20 avril) pour l’unification des poids et mesures ; en 1766 (18 janvier) pour l’amélioration du sort des enfants trouvés ; en 1766 (9 août) et 1775 (22 avril) pour la modification du droit de parcours.

Plusieurs membres de la Société firent des essais d’agriculture intéressants : Second de Couyol était propriétaire d’une pépinière de plus de 100 000 pieds ; Delpeuch, avocat à Bort, avait porté de 4 000 à 8 000 le nombre de gerbes qu’il récoltait sur son domaine et de 12 à 50 le nombre de bêtes à cornes qui pouvaient hiverner chez lui.

« De bonne heure, dit M. Leroux[7], des signes de refroidissement s’étaient manifestés entre la Société et l’Intendant. Dès 1763, la constatation en est faite et de nouveau, en 1764. Il est fort possible que Turgot ait quelquefois rudoyé la lenteur limousine et secoué un peu trop fortement l’inertie de ces provinciaux pleins de bonne volonté, mais déshabitués depuis longtemps de l’action ».

De 1761 à 1774, Turgot présida trente-quatre fois la Société d’Agriculture sur 80 séances qu’elle tint. Néanmoins, le registre de la Société ne renferme pas un mot de regret au départ de Turgot et en 1773, la Société ne s’était pas assemblée une seule fois.

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[1] J.-A. de Broglie.

[2] Des sociétés furent bientôt créées : Tours (24 fév. 1761), Paris (1er mars), Lyon (12 mai), Orléans (18 juin), Auvergne (18 juin), Rouen (27 juillet), Soissons (7 sept.), Auch, La Rochelle, Bourges, Alençon (1762), Hainaut (1763).

[3] Duplessis d’Argentré, évêque de 1759 à 1790.

[4] Thierry (1761 à 1762) ; de Bourdeille (1762 à 1764) ; de Rafaëlis de Saint-Sauveur (1764 à 1790).

[5] Rozier (1734-1793), agronome et botaniste.

[6] Père du jurisconsulte.

[7] Leroux, Inventaire sommaire des Archives départementales, Haute-Vienne.

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