53. — LES VINGTIÈMES.
Circulaire aux Curés.
(Institution de receveurs spéciaux.)
[D. P., IX, 438.]
Limoges, 23 septembre.
L’usage qui s’est introduit, dans la généralité de Limoges, de charger les collecteurs des tailles de la levée du vingtième, est contraire à ce qui s’observe dans la plus grande partie du Royaume où le vingtième est levé par des préposés particuliers. Je le crois aussi sujet à beaucoup d’inconvénients ; je sais que MM. les receveurs des tailles pensent qu’il rend les recouvrements plus difficiles, et il est certain que la collecte, déjà trop onéreuse par la seule levée des tailles, l’est devenue encore davantage par l’addition de celle du vingtième.
Les principes de l’imposition du vingtième sont d’ailleurs bien différents de ceux de la taille, puisque c’est au propriétaire, et non au colon, qu’il faut s’adresser pour le payement ; les termes de l’échéance des payements ne sont pas non plus les mêmes ; les contestations qu’occasionnent les poursuites et la taxe des frais ne se portent pas devant les mêmes juges.
Il est impossible qu’un collecteur, qui souvent ne sait ni lire ni écrire, ne confonde pas tous ces objets. Il en résulte beaucoup d’embarras, pour l’application des payements sur les différents rôles, et beaucoup d’irrégularités dans les poursuites.
Il est encore arrivé que, les collecteurs étant responsables du montant des rôles de taille, et obligés d’en répondre parce que la taille est une imposition solidaire, on les a obligés de répondre aussi du montant des rôles du vingtième, et l’on n’a point pensé à les tirer de leur erreur en leur apprenant que, comme préposés du vingtième, il leur suffisait de faire constater les faux taux et les non-valeurs pour en être déchargés.
Toutes ces raisons me font penser qu’il serait beaucoup plus avantageux d’établir dans cette généralité comme dans les autres, et même comme dans une partie de l’élection de Tulle, des préposés particuliers pour la levée du vingtième. Mais, en même temps, je vous avoue que je répugne beaucoup à rétablir entièrement l’ancien usage, tel qu’il avait lieu avant que mes prédécesseurs eussent réuni la levée du vingtième à celle des tailles. On chargeait alors du rôle du vingtième celui qui avait été collecteur porte-rôle trois ans auparavant ; au moyen de quoi, un homme à peine délivré des embarras de la collecte était obligé de commencer un nouveau recouvrement.
On a pris, dans quelques généralités, un parti qui me semble beaucoup plus avantageux, et qui concilie le soulagement du peuple avec la facilité des recouvrements. C’est de nommer d’office des préposés perpétuels ; on leur donne un arrondissement composé de plusieurs paroisses ; cet arrondissement est assez borné pour qu’un homme seul puisse veiller par lui-même au recouvrement avec l’assiduité nécessaire, mais en même temps assez étendu pour que les sommes à recouvrir puissent, à raison de 4 deniers pour livre, présenter un profit capable, avec les autres privilèges attribués aux préposés, d’engager des particuliers intelligents et solvables à se charger de cet emploi de leur plein gré.
J’ai fait, il y a quelques mois, cette proposition à MM. les receveurs des tailles, et je les ai priés de s’occuper du soin de former des projets d’arrondissements et de chercher des personnes qui voulussent se charger d’y lever le vingtième. Leurs recherches ont été jusqu’ici presque entièrement infructueuses, et je conçois que ce plan doit être plus difficile à exécuter dans cette province que dans quelques autres qui sont plus peuplées, où les paroisses sont plus riches et plus voisines les unes des autres, où par conséquent un seul homme a bien plus de facilité à faire le recouvrement dans plusieurs à la fois, et y trouve un plus grand profit parce que les sommes à lever sont plus considérables.
Je ne veux cependant pas me rebuter encore : j’imagine que, si l’éloignement des paroisses et la modicité des sommes à recouvrer, qui résultera de la difficulté de charger un seul homme de plusieurs rôles, diminuent le profit que pourrait faire un préposé, il reste cependant assez d’avantages attachés à la levée du vingtième pour engager quelques personnes à s’en charger. J’ai pensé qu’en faisant connaître mes intentions dans la campagne, et en priant MM. les curés d’en instruire leurs paroissiens, je trouverais des préposés volontaires, du moins pour quelques communautés.
Le privilège le plus capable de tenter un homme de se charger de la levée du vingtième est l’exemption de collecte, et il est certainement très précieux.
Je conviens que la collecte n’est qu’un mal passager, et que je propose de se charger du vingtième pour un temps illimité ; mais il y a une différence prodigieuse entre le fardeau de la collecte des tailles et celui de la levée du vingtième.
1° La levée des tailles forme un objet beaucoup plus considérable ; et, comme la taille est solidaire, le collecteur est obligé de répondre du montant du rôle ; s’il y a des non-valeurs et des cotes inexigibles, il est obligé d’en faire les avances, et ne peut s’en faire rembourser qu’avec beaucoup de peine et par un rejet sur la communauté, dont le montant ne lui rentre qu’après l’acquittement de la partie du Roi, c’est-à-dire après plusieurs années ; au lieu que le préposé du vingtième, chargé d’un recouvrement bien moindre, est en même temps sûr d’être déchargé ou remboursé de ses avances, s’il en a fait, aussitôt qu’il a justifié de ses diligences et constaté la non-valeur.
2° Le vingtième étant privilégié sur la taille, le préposé est toujours payé préférablement au collecteur, et ce dernier est bien plus exposé à trouver des non-valeurs.
3° Le vingtième est dû par le propriétaire du fonds, et le fonds en répond toujours ; la taille étant due par le cultivateur, le collecteur est souvent dans le cas de perdre, par la banqueroute des métayers et par l’enlèvement des fruits.
4° Le vingtième étant toujours appuyé sur des fonds réels, le préposé n’a point à craindre que le redevable échappe à ses poursuites en quittant la paroisse, au lieu que le collecteur des tailles éprouve souvent des pertes par cette cause.
5° Enfin, un préposé étant perpétuel, aurait sur les collecteurs qui changent tous les ans, l’avantage d’être mieux instruit, de connaître mieux les règles, de n’être point à la merci des huissiers, exposé à des surprises et à des vexations de toute espèce ; il connaîtrait aussi bien mieux tous les contribuables de son arrondissement ; il pourrait choisir les moments où il leur serait plus commode de payer, et ferait son recouvrement plus promptement et d’une manière moins onéreuse au peuple.
Les préposés du vingtième sont exempts de tutelle, curatelle, etc. Ils ont le privilège de ne pouvoir être pris solidaires pour la taille dans le cas de dissipations de deniers, et ils doivent sentir la valeur de cet avantage ; ils sont exempts de milice pour eux et pour un de leurs enfants ; je les exempterai aussi de la corvée pour les chemins, du logement des gens de guerre. Leurs bestiaux et voitures ne seront assujetties dans aucun cas à la conduite des troupes et de leurs équipages.
Ces privilèges peuvent paraître suffisants et déterminer bien des personnes à s’offrir pour cette fonction. MM. les receveurs des tailles consentent de plus à donner à ceux qui se présenteront des termes beaucoup plus avantageux pour les payements que ceux que donnent les Édits du Roi.
Aux termes de ces Édits, le montant du rôle doit être payé de quartier en quartier, en commençant au 1er janvier, et soldé dans l’année. MM. les receveurs des tailles proposent à ceux qui voudront se charger volontairement de la levée des vingtièmes, de leur accorder vingt mois pour solder leur rôle, en payant de mois en mois, depuis le 1er février jusqu’au 1er octobre de l’année suivante ; et il ne paraît pas que ces pactes soient fort difficiles à tenir.
Vous sentez que je n’admettrai pour préposés que des propriétaires de fonds bien solvables, qui sachent lire, écrire, et qui aient toute l’intelligence nécessaire pour bien faire le recouvrement. Mon intention est aussi de tenir la main à ce qu’ils ne commettent aucune vexation.
Vous m’obligerez véritablement si vous voulez bien prendre la peine de développer, aux habitants de votre paroisse que vous croirez en état de faire ce recouvrement, les avantages qu’ils trouveraient à se charger volontairement d’une ou de plusieurs paroisses. Si quelqu’un se propose, je vous prie d’envoyer sur-le-champ au receveur des tailles de votre élection son nom avec la note de l’article du rôle où il est imposé, et le nom des paroisses dont il consentirait à faire le recouvrement, en cas qu’il voulût se charger de plusieurs. Les rôles du vingtième devant être remis aux préposés au 1er janvier, il est essentiel que vous vouliez bien faire promptement toutes les démarches que je vous demande par cette lettre et me rendre sur-le-champ compte du succès.
P. S. — Je profite de cette occasion pour vous prier de nouveau d’engager les habitants de la campagne à vous remettre leurs requêtes, afin que vous me les envoyiez par la poste, sans prendre la peine de me les apporter eux-mêmes. Je vous prie aussi de les avertir que je ne suis jamais visible les jours de courrier, c’est-à-dire les mardis et les vendredis, et que, les autres jours, ils ne me trouveront que depuis onze heures du matin jusqu’à une heure.
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