Oeuvres de Turgot – 039 – Expansibilité (article de l’Encyclopédie)

39. — EXPANSIBILITÉ

Article de l’Encyclopédie.

[Encyclopédie, tome V ; Erratum, t. VII. — D. P., III, 155, sans l’erratum.]

(Définition. — De l’expansibilité en elle-même, de ses lois et de ses effets. — De l’expansibilité considérée physiquement ; des substances auxquelles elle appartient ; des causes qui la produisent ou qui l’augmentent. — De l’expansibilité comparée dans les différentes substances auxquelles elle appartient. — Des usages de l’expansibilité et de la part qu’elle a dans la production des plus grands phénomènes de la nature.)

EXPANSIBILITÉ (s. f. Physique). Propriété de certains fluides par laquelle ils tendent sans cesse à occuper un espace plus grand.

L’air et toutes les substances qui ont acquis le degré de chaleur nécessaire pour leur vaporisation, comme l’eau au-dessus du terme de l’eau bouillante, sont expansibles.

Il suit de notre définition, que ces fluides ne sont retenus dans certaines bornes que par la force comprimante d’un obstacle étranger, et que l’équilibre de cette force avec la force expansive, détermine l’espace actuel qu’ils occupent. Tout corps expansible est donc aussi compressible ; et ces deux termes opposés n’expriment que deux effets nécessaires d’une propriété unique dont nous allons parler.

Nous traiterons dans cet article :

1° de l’expansibilité, considérée en elle-même, comme une propriété mathématique de certains corps ; de ses lois et de ses effets ;

2° de l’expansibilité, considérée physiquement ; des substances auxquelles elle appartient, et des causes qui la produisent.

3° de l’expansibilité comparée dans les différentes substances auxquelles elle appartient.

4° Nous indiquerons en peu de mots les usages de l’expansibilité et la part qu’elle a dans la production des principaux phénomènes de la nature.

De l’expansibilité en elle-même, de ses lois, et de ses effets.

Un corps expansible, laissé à lui-même, ne peut s’étendre dans un plus grand espace et l’occuper uniformément tout entier, sans que toutes ses parties s’éloignent également les unes des autres : le principe unique de l’expansibilité est donc une force quelconque, par laquelle les parties du fluide expansible tendent continuellement à s’écarter les unes des autres, et luttent en tous sens contre les forces compressives qui les rapprochent. C’est ce qu’exprime le terme de répulsion, dont Newton s’est quelquefois servi pour la désigner.

Cette force répulsive des particules peut suivre différentes lois, c’est-à-dire qu’elle peut croître et décroître en raison de telle ou telle fonction des distances des particules. La condensation ou la réduction à un moindre espace peut suivre aussi, dans ou tel rapport, l’augmentation de la force comprimante ; et l’on voit au premier coup d’œil que la loi qui exprime le rapport des condensations ou des espaces à la force comprimante, et celle qui exprime le rapport de la force répulsive à la distance des particules, sont relatives l’une à l’autre puisque l’espace occupé, comme nous l’avons déjà dit, n’est déterminé que par l’équilibre de la force comprimante avec la force répulsive. L’une de ces deux lois étant donnée, il est aisé de trouver l’autre. Newton a le premier fait cette recherche ; et c’est d’après lui que nous allons donner le rapport de ces deux lois ou la loi générale de l’expansibilité.

La même quantité de fluide étant supposée, et la condensation inégale, le nombre des particules sera le même dans des espaces inégaux et leur distance mesurée d’un centre à l’autre, sera toujours en raison des racines cubiques des espaces, ou, ce qui est la même chose, en raison inverse des racines cubique des condensations ; car la condensation suit la raison inverse des espaces, si la quantité du fluide est la même, et la raison directe des quantités du fluide, si les espaces sont égaux.

Cela posé, soit deux cubes égaux, mais remplis d’un fluide inégalement condensé ; la pression qu’exerce le fluide sur chacune des faces des deux cubes, et qui fait l’équilibre avec l’action de la force comprimante sur ces mêmes faces, est égale au nombre des particules qui agissent immédiatement sur ces faces, multiplié par la force de chaque particule. Or, chaque particule presse la surface contiguë avec la même force qui lui fait fuir la particule voisine ; car ici, Newton suppose que chaque particule agit seulement sur la particule la plus prochaine ; il a soin, à la vérité, d’observer en même temps que cette supposition ne pourrait avoir lieu, si l’on regardait la force répulsive comme une loi mathématique dont l’action s’étendit à toutes les distances, ainsi que le fait celle de la pesanteur, sans être arrêtée par les corps intermédiaires. Car, dans cette hypothèse, il faudrait avoir égard à la force répulsive des particules les plus éloignées et la force comprimante devrait être plus considérable pour produire une égale condensation. La force, avec laquelle chaque particule presse la surface du globe, est donc la force même déterminée par la loi de répulsion et par la distance des particules entre elles ; c’est donc cette force qu’il faut multiplier par le nombre des particules pour avoir la pression totale sur la surface, ou la force comprimante. Or, ce nombre, à condensation égale, serait comme les surfaces : à surfaces égales, comme les carrés des racines cubiques du nombre des particules, ou de la quantité du fluide contenu dans chaque cube, c’est-à-dire comme les carrés des racines cubiques des condensations ; ou, ce qui est la même chose, en raison inverse du carré des distances des particules, puisque les distances des particules sont toujours en raison inverse des racines cubiques des condensations. Donc, la pression du fluide sur chaque face des deux cubes, la force comprimante est toujours le produit du carré des racines cubiques des condensations ou du carré inverse de la distance des particules, par la fonction quelconque de la distance, à laquelle la répulsion est proportionnelle.

Donc, si la répulsion suit la raison inverse de la distance des particules, la pression suivra la raison inverse des cubes de ces distances, ou, ce qui est la même chose, la raison directe des condensations. Si la répulsion suit la raison inverse des carrés des distances, la force comprimante suivra la raison inverse des quatrièmes puissances de ces distances, ou la raison directe des quatrièmes puissances des racines cubiques des condensations, et ainsi, dans toute hypothèse en ajoutant toujours à l’exposant quelconque n de la distance qui exprime la loi de répulsion, l’exposant du carré ou le nombre 2.

Et réciproquement, pour connaître la loi de la répulsion il faut toujours diviser la force comprimante par le carré des racines cubiques des condensations ou, ce qui est la même chose, soustraire toujours 2 de l’exposant qui exprime le rapport de la force comprimante à la racine cubique des condensations, et l’on sait que la distance des centres des particules suit la raison inverse de ces racines cubiques.

D’après cette règle, il sera toujours aisé de connaître la loi de la répulsion entre les particules d’un fluide, lorsque l’expérience aura déterminé le rapport de la condensation à la force comprimante : ainsi, les particules de l’air dont on sait que la condensation est proportionnelle au poids qui le comprime se fuient avec une force qui suit la raison inverse de leurs distances.

Il y a pourtant une restriction nécessaire à mettre à cette loi ; c’est qu’elle ne peut avoir lieu que dans une certitude moyenne entre l’extrême compression et l’extrême expansion. L’extrême compression a pour bornes le contact où toute proportion cesse, quoiqu’il y ait encore quelque distance entre les centres des particules. L’expansion, à la vérité, n’a point de bornes mathématiques ; mais si elle est l’effet d’une cause mécanique interposée entre les particules du fluide, et dont l’effort tend à les écarter, on ne peut guère supposer que cette cause agisse à toutes les distances ; et la plus grande distance à laquelle elle agira sera la borne physique de l’expansibilité. Voilà donc deux points où la loi de la répulsion ne s’observe plus du tout ; l’un à une distance très courte du centre des particules, et l’autre à une distance très éloignée ; et il n’y a pas d’apparence que cette loi n’éprouve aucune irrégularité aux approches de l’un ou de l’autre de ces deux termes.

Quant à ce qui concerne le terme de la compression, si l’attraction de cohésion a lieu dans les petites distances, comme les phénomènes donnent tout lieu de le croire, il est évident au premier coup d’œil que la loi de la répulsion doit commencer à être troublée dès que les particules en s’approchant atteignent les limites de leur attraction mutuelle qui, agissant, dans un sens contraire à la répulsion, en diminue d’abord l’effet et le détruit bientôt entièrement même avant le contact ; parce que, croissant dans une proportion plus grande que l’inverse du carré des distances simples, elle doit bientôt surpasser beaucoup celle-ci. De plus, si, comme nous l’avons supposé, la répulsion est produite par une cause mécanique, interposée entre les particules, et qui fasse également effort sur les deux particules voisines pour les écarter, cet effort ne peut avoir d’autre point d’appui que la surface des particules ; les rayons, suivant lesquels son activité s’étendra, n’auront donc point un centre unique, mais ils partiront de tous les points de cette surface, et les décroissements de cette activité ne seront relatifs au centre même des particules, que lorsque les distances seront assez grandes pour que leur rapport, avec les dimensions des particules, soit devenu inassignable, et lorsqu’on pourra, sans erreur sensible, regarder la particule tout entière comme un point. Or, dans la démonstration de la loi de l’expansibilité, nous n’avons jamais considéré que les distances entre les centres des particules, puisque nous avons dit qu’elles suivaient la raison inverse des racines cubiques des condensations. La loi de la répulsion et, par conséquent, le rapport des condensations avec les forces comprimantes, doivent donc être troublés encore par cette raison, dans le cas où la compression est poussée très loin. Et je dirai, en passant, que si l’on peut porter la condensation de l’air jusqu’à ce degré, il n’est peut-être pas impossible de former, d’après cette idée, des conjectures raisonnables sur la ténuité des parties de l’air, et sur les limites de leur attraction mutuelle.

Quant aux altérations que doit subir la loi de la répulsion aux approches du dernier terme de l’expansion, quelle que soit la cause qui termine l’activité des forces répulsives à un certain degré d’expansion, peut-on supposer qu’une force dont l’activité décroit suivant une progression qui, par sa nature, n’a point de dernier terme, cesse cependant tout à coup d’agir sans que cette progression ait été altérée le moins du monde dans les distances les plus voisines de cette cessation totale ? Et, puisque la physique ne nous montre nulle part de pareils sauts, ne serait-il pas bien plus dans l’analogie de penser que ce dernier terme a été préparé dès longtemps par une espèce de correction à la loi du décroissement de la force ; correction qui la modifie peut-être à quelque distance qu’elle agisse, et qui fait de la loi des décroissements une loi complexe formée de deux ou même de plusieurs progressions différentes, tellement inégales dans leur marche que la partie de la force qui suit la raison inverse des distances, surpasse incomparablement, dans toutes les distances moyennes, les forces réglées par les autres lois, dont l’effet sera insensible alors ; et qu’au contraire, ces dernières l’emportent dans les distances extrêmes, et peut-être aussi dans les extrêmes proximités ?

Les observations prouvent effectivement que la loi des condensations proportionnelles au poids dont l’air est chargé, cesse d’avoir lieu dans les degrés extrêmes de compression et d’expansion. On peut consulter là-dessus les physiciens qui ont fait beaucoup d’expériences sur la compression de l’air, et ceux qui ont travaillé sur les rapports des hauteurs du baromètre à la hauteur des montagnes. On a de plus remarqué avec raison, à l’article ATMOSPHÈRE, que si les condensations de l’air étaient exactement proportionnelles aux poids qui les compriment, la hauteur de l’atmosphère devrait être infinie ; ce qui ne saurait s’accorder avec les phénomènes.

Quelle que soit la loi suivant laquelle les parties d’un corps expansible se repoussent les unes les autres, c’est une suite de cette répulsion que ce corps forcé par la compression à occuper un espace moindre, se rétablisse dans son premier état, quand la compression cesse, avec une force égale à la force comprimante. Un corps expansible est donc élastique par cela même, mais tout corps élastique n’est pas pour cela expansible ; témoin une lame d’acier. L’élasticité est donc le genre. L’expansibilité et le ressort sont deux espèces.

Ce qui les caractérise essentiellement, c’est que le corps expansible tend toujours à s’étendre, et n’est retenu que par des obstacles étrangers ; le corps à ressort ne tend qu’à se rétablir dans un état déterminé. La force comprimante est dans le premier un obstacle au mouvement et dans l’autre, un obstacle au repos. Je donne le nom de ressort à une espèce particulière d’élasticité, quoique les physiciens aient jusqu’ici employé ces deux mots indifféremment l’un pour l’autre, et qu’ils aient dit le ressort de l’air et l’élasticité d’un arc ; et je choisis, pour nommer l’espèce, le mot de ressort plus populaire que celui d’élasticité, quoique en général, quand de deux mots jusque-là synonymes, ou paraissant tels, on veut restreindre l’un à une signification particulière, on doive faire attention à conserver au genre le nom dont l’usage est le plus commun, et à désigner l’espèce par le mot scientifique. Mais, dans cette occasion, il se trouve que le nom de ressort n’a jamais été donné par le peuple qu’aux corps auxquels je veux en limiter l’application, parce que le peuple ne connaît guère, ni l’expansibilité, ni l’élasticité de l’air ; en sorte que les savants seuls ont ici confondu deux idées sous les mêmes dénominations. Or, le mot d’élasticité est plus familier aux savants.

Il est d’autant plus nécessaire de distinguer ces deux espèces d’élasticité, qu’à la réserve d’un petit nombre d’effets, elles n’ont presque rien de commun, et que la confusion de deux choses aussi différentes, ne pourrait manquer d’engager les physiciens qui voudraient chercher la cause de l’élasticité en général, dans un labyrinthe d’erreurs et d’obscurités. En effet, l’expansibilité est produite par une cause qui tend à écarter les unes des autres les parties des corps ; dès lors, elle ne peut appartenir qu’à des corps actuellement fluides, et son action s’étend à toutes les distances, sans pouvoir être bornée que par la cessation absolue de la cause qui l’a produite. Le ressort au contraire, est l’effet d’une force qui tend à rapprocher les parties des corps écartées les unes des autres : il ne peut appartenir qu’à des corps durs ; et nous montrerons ailleurs qu’il est une suite nécessaire de la cause qui les constitue dans l’état de dureté. Par cela même que cette cause tend à rapprocher les parties des corps, la nature des choses établit pour bornes de son action, le contact de ces parties et elle cesse de produire aucun effet sensible, précisément lorsqu’elle est la plus forte.

On pourrait pousser plus loin ce parallèle ; mais il nous suffit d’avoir montré que l’expansibilité est une espèce particulière d’élasticité, qui n’a presque rien de commun avec le ressort. J’observerai seulement qu’il n’y a, et ne peut y avoir, dans la nature que ces deux espèces d’élasticité, parce que les parties d’un corps, considérées les unes par rapport aux autres, ne peuvent se rétablir dans leurs anciennes situations, qu’en s’approchant ou en s’éloignant mutuellement. Il est vrai que la tendance qu’ont les parties d’un fluide pesant à se mettre au niveau, les rétablit aussi dans leur premier état lorsqu’elles ont perdu ce niveau ; mais ce rétablissement est moins un changement d’état du fluide et un retour des parties dans leur ancienne situation respective, qu’un transport local d’une certaine quantité de parties du fluide en masse par l’effet de la pesanteur ; transport absolument analogue au mouvement d’une balance qui se met en équilibre. Or, quoique ce mouvement ait aussi des lois qui lui sont communes avec les mouvements des corps élastiques ou plutôt avec tous les mouvements produits par une tendance quelconque, il n’a jamais été compris sous le nom d’élasticité, parce que ce dernier mot n’a jamais été entendu que du rétablissement de la situation respective des parties d’un corps, et non du retour local d’un corps dans la place qu’il avait occupée.

L’expansibilité ou la force par laquelle les parties des fluides expansibles se repoussent les unes les autres, est le principe des lois qui s’observent, soit dans la retardation du mouvement des corps qui traversent des milieux élastiques, soit dans la naissance et la transmission du mouvement vibratoire excité dans ces mêmes milieux. La recherche de ces lois n’appartient point à cet article.

De l’expansibilité considérée physiquement ; des substances auxquelles elle appartient ; des causes qui la produisent ou qui l’augmentent.

L’expansibilité appartient à l’air ; elle appartient aussi à tous les corps dans l’état de vapeur : ainsi, l’esprit de vin, le mercure, les acides les plus pesants, et un très grand nombre de liquides, très différents par leur nature et leur gravité spécifique, peuvent cesser d’être incompressibles, acquérir la propriété de s’étendre, comme l’air, en tous sens et sans bornes, de soutenir comme lui le mercure dans le baromètre et de vaincre des résistances et des poids énormes. Plusieurs corps solides, même après avoir été liquéfiés par la chaleur, sont susceptibles d’acquérir aussi l’état de vapeur et d’expansibilité, si l’on pousse la chaleur plus loin : tels sont le soufre, le cinabre, plus pesant encore que le soufre, et beaucoup d’autres corps. Il en est même très peu qui, si on augmente toujours la chaleur, ne deviennent à la fin expansibles, soit en tout, soit en partie ; car, dans la plupart des mixtes, une partie des principes devenus expansibles à un certain degré de chaleur, abandonne les autres principes, tandis que ceux-ci restent fixes, soit qu’ils ne soient pas susceptibles d’expansibilité, soit qu’ils aient besoin pour l’acquérir d’un degré de chaleur plus considérable.

L’énumération des différents corps expansibles et l’examen des circonstances dans lesquelles ils acquièrent cette propriété nous présentent plusieurs faits généraux.

Premièrement, de tous les corps qui nous sont connus (car je ne parle point ici des fluides électrique et magnétique, ni de l’élément de la chaleur ou éther dont la nature est trop ignorée), l’air est le seul auquel l’expansibilité paraisse au premier coup d’œil appartenir constamment ; et cette propriété, dans tous les autres corps, paraît moins une qualité attachée à leur substance, et un caractère particulier de leur nature, qu’un état accidentel et dépendant de circonstances étrangères.

Secondement, tous les corps, qui, de solides ou liquides deviennent expansibles, ne le deviennent que lorsqu’on leur applique un certain degré de chaleur.

Troisièmement, il est très peu de corps qui ne deviennent expansibles à quelque degré de chaleur, mais ce degré n’est pas le même pour les différents corps.

Quatrièmement, aucun corps solide ne devient expansible par la chaleur, sans avoir auparavant passé par l’état de liquidité.

Cinquièmement, c’est une observation constante, que le degré de chaleur auquel une substance particulière devient expansible, est un point fixe, et qui ne varie jamais lorsque la surface qui presse la surface du liquide n’éprouve aucune variation. Ainsi, le terme de l’eau bouillante, qui n’est autre que le degré de chaleur nécessaire pour la vaporisation de l’eau, (Voyez le Mémoire de M. l’abbé Nollet[1] sur le bouillonnement des liquides, Mémoires de l’Académie des Sciences, 1748), reste toujours le même lorsque l’air comprime également la surface de l’eau.

Sixièmement, si l’on examine les effets de l’application successive des différents degrés de température à une même substance, telle par exemple que l’eau, on la verra d’abord, si le degré de la température est au-dessous du terme de zéro du thermomètre de Réaumur, dans un état de glace ou de solidité. Quand le thermomètre monte au-dessus de zéro, cette glace fond et devient un liquide. Ce liquide augmente de volume comme la liqueur du thermomètre elle-même, à mesure que la chaleur augmente, et cette augmentation a pour terme la dissipation même de l’eau, qui, réduite en vapeur, fait effort en tout sens pour s’étendre, et brise souvent les vaisseaux où elle se trouve resserrée. Alors, si la chaleur reçoit de nouveaux accroissements, la force d’expansion augmentera encore, et la vapeur comprimée par la même force occupera un plus grand espace. Ainsi, l’eau appliquée successivement à tous les degrés de température connus, passe successivement par les trois états de corps solide, de liquide, et de vapeur ou corps expansible. Chacun des passages d’un de ces états à l’autre répond à une époque fixe dans la succession des différentes nuances de température ; les intervalles d’une époque à l’autre ne sont remplis que par de simples augmentations de volume ; mais à chacune de ces époques, la progression des augmentations de volume s’arrête pour changer de lois, et pour recommencer une marche relative à la nature nouvelle que le corps semble avoir revêtue.

Septièmement, si de la considération d’un seul corps et des changements successifs qu’il éprouve par l’application de tous les degrés de température, nous passons à la considération de tous les corps comparés entre eux et appliqués aux mêmes degrés de température, nous en recueillons qu’à chacun de ces degrés répond, dans chacun des corps, un des trois états de solide, de liquide ou de vapeur, et dans ces états, un volume déterminé ; qu’on peut ainsi regarder tous les corps de la nature comme autant de thermomètres dont tous les états et les volumes possibles marquent un certain degré de chaleur ; que ces thermomètres sont construits sur une infinité d’échelles et suivent des marches entièrement différentes ; mais qu’on peut toujours rapporter ces échelles les unes aux autres, par le moyen des observations qui nous apprennent que tel état d’un corps et tel autre état d’un autre corps répondent au même degré de chaleur ; en sorte que le degré qui augmente le volume de certains solides, en convertit d’autres en liquides, augmente seulement le volume d’autres liquides, rend expansibles des corps qui n’étaient que dans l’état de liquidité, et augmente l’expansibilité des fluides déjà expansibles.

Il résulte de ces derniers faits, que la chaleur rend fluides des corps qui, sans son action, seraient restés solides ; qu’elle rend expansibles des corps qui resteraient simplement liquides, si son action était moindre, et qu’elle augmente le volume de tous les corps tant solides que liquides et expansibles. Dans quelque état que soient les corps, c’est donc un fait général que la chaleur tend à en écarter les parties, et que les augmentations de leur volume, leur fusion et leur vaporisation ne sont que des nuances de l’action de cette cause, appliquée sans cesse à tous les corps, mais dans des degrés variables. Cette tendance ne produit pas les mêmes effets sensibles dans tous les corps ; il faut en conclure qu’elle est inégalement contrebalancée par l’action de forces qui en retiennent les parties les unes près des autres, et qui constituent leur dureté ou leur liquidité, lorsqu’elles ne sont pas entièrement surpassées par la répulsion que produit la chaleur. Je n’examine point ici quelle est cette force, ni comment elle varie dans tous les corps. Il me suffit qu’on puisse toujours la regarder comme une quantité d’action, comparable à la répulsion dans chaque distance déterminée des particules entre elles, et agissant dans une direction contraire.

Cette théorie a toute l’évidence d’un fait, si on ne veut l’appliquer qu’aux corps qui passent sous nos yeux d’un état à l’autre ; nous ne pouvons douter que leur expansibilité, ou la répulsion de leurs parties, ne soit produite par la chaleur, et par conséquent par une cause mécanique au sens des Cartésiens, c’est-à-dire, dépendante des lois de l’impulsion, puisque la chaleur qui n’est jamais produite originairement que par la chute des rayons de lumière, ou par un frottement rapide, ou par des agitations violentes dans les parties internes des corps, a toujours pour cause un mouvement actuel. Il est encore évident que la même théorie peut s’appliquer également à l’expansibilité du seul corps que nous ne voyons jamais privé de cette propriété, je veux dire de l’air. L’analogie qui nous porte à expliquer toujours les effets semblables par des causes semblables donne à cette idée l’apparence la plus séduisante ; mais l’analogie est quelquefois trompeuse ; les explications qu’elle nous présente ont besoin, pour sortir du rang des simples hypothèses, d’être développées, afin que le nombre et la force des inductions suppléent au défaut de preuves directes. Nous allons donc détailler les raisons qui nous persuadent que l’expansibilité de l’air n’a pas d’autre cause que celle des vapeurs, c’est-à-dire la chaleur ; que l’air ne diffère de l’eau à cet égard qu’en ce que le degré qui réduit les vapeurs aqueuses en eau, et même en glace, ne suffit pas pour faire perdre à l’air son expansibilité, et qu’ainsi l’air est un corps que le plus petit degré de chaleur connu met dans l’état de vapeur : comme l’eau est un fluide que le plus petit degré de chaleur connu au-dessus du terme de la glace, met dans l’état de fluidité et que le degré de l’ébullition met dans l’état d’expansibilité[2].

Il n’est pas difficile de prouver que l’expansibilité de l’air ou la répulsion de ses parties, est produite par une cause mécanique, dont l’effort tend à écarter chaque particule voisine, et non par une force mathématique inhérente à chacune d’elles, qui tendrait à les éloigner toutes les unes des autres, comme l’attraction tend à les rapprocher, soit en vertu de quelque propriété inconnue de la matière, soit en vertu des lois primitives du Créateur. En effet, si l’attraction est un fait démontré en Physique, comme nous nous croyons en droit de le supposer, il est impossible que les parties de l’air se repoussent par une force inhérente et mathématique. C’est un fait que les corps s’attirent à des distances auxquelles jusqu’à présent, on ne connaît point de bornes ; Saturne et les comètes en tournant autour du soleil, obéissent à la loi de l’attraction ; le Soleil les attire en raison inverse du carré des distances. Ce qui est vrai du Soleil, est vrai des plus petites parties du Soleil, dont chacune pour sa part et proportionnellement à sa masse, attire aussi Saturne suivant la même loi. Les autres planètes, leurs plus petites parties et les particules de notre air, sont douées d’une force attractive semblable qui, dans les distances éloignées, surpasse tellement toute force agissante, suivant une autre loi, qu’elle seule entre dans le calcul des mouvements de tous les corps célestes. Or, il est évident que si les parties de l’air se repoussaient par une force mathématique, l’attraction bien loin d’être la force dominante dans les espaces célestes, serait au contraire prodigieusement surpassée par la répulsion ; car c’est un point de fait que, dans la distance actuelle qui se trouve entre les parties de l’air, leur répulsion surpasse incomparablement leur attraction. C’est encore un fait que les condensations de l’air sont proportionnelles aux poids et que, par conséquent, la répulsion des particules décroît en raison inverse des distances, et même, comme Newton l’a remarqué, dans une raison beaucoup moindre, si c’est une loi purement mathématique. Donc, les décroissements de l’attraction sont bien plus rapides puisqu’ils suivent la raison inverse du carré des distances ; donc, si la répulsion a commencé à surpasser l’attraction, elle continuera de la surpasser d’autant plus que la distance deviendra plus grande ; donc, si la répulsion des parties de l’air était une force mathématique, cette force agirait à plus forte raison à la distance des planètes.

On n’a pas même la ressource de supposer que les particules de l’air sont des corps d’une nature différente des autres, et assujettis à d’autres lois, car l’expérience nous apprend que l’air a une pesanteur propre, qu’il obéit à la même loi qui précipite les autres corps sur la terre, et qu’il fait équilibre avec eux dans la balance. La répulsion des parties de l’air a donc une cause mécanique, dont l’effort suit la raison inverse de leurs distances ; or, l’exemple des autres corps, rendus expansibles par la chaleur, nous montre dans la nature une cause mécanique d’une répulsion toute semblable. Cette cause est sans cesse appliquée à l’air ; son effet sur l’air, sensiblement analogue à celui qu’elle produit sur les autres corps, est précisément l’augmentation de cette force d’expansibilité ou de répulsion que nous cherchons à connaître, et de plus, cette augmentation de force est exactement assujettie aux mêmes lois que suivait la force avant que d’être augmentée. Il est certain que l’application d’un degré de chaleur plus considérable à une masse d’air, augmente son expansibilité ; cependant, les Physiciens qui ont comparé les condensations de l’air aux poids qui les compriment, ont toujours trouvé ces deux choses exactement proportionnelles, quoiqu’ils n’aient eu, dans leurs expériences, aucun égard au degré de chaleur, et quelqu’ait été ce degré. Lorsque M. Amontons[3] s’est assuré (Mémoires de l’Académie des Sciences, 1702) que deux masses d’air chargées dans le rapport d’un à deux soutiendraient, si on leur appliquait un égal degré de chaleur, des poids qui seraient encore dans le rapport d’un à deux, ce n’était pas, comme on le dit alors, une nouvelle propriété de l’air qu’il découvrait aux Physiciens, il prouvait seulement que la loi des condensations proportionnelles aux poids, avait lieu dans tous les degrés de chaleur et que, par conséquent, l’accroissement qui survient par la chaleur à la répulsion, suit toujours la raison inverse des distances.

Si nous regardons maintenant la répulsion totale qui répond au plus grand degré de chaleur connu comme une quantité formée par l’addition d’un certain nombre de parties a, b, c, d, e, f, g, h, i, etc., et qui soit le même dans toutes les distances, il est clair que chaque partie de la répulsion croît et décroît en même raison que la répulsion totale, c’est-à-dire en raison inverse des distances, que chacun des termes sera a/d  b/d  c/d, etc. ; or, il est certain qu’une partie de ces termes, dont la somme est égale à la différence de la répulsion du plus grand froid au plus grand chaud connus, répondent à autant de degrés de chaleur ; ce seront, si l’on veut, les termes a, b, c. Or, comme le dernier froid connu peut certainement être encore fort augmenté, je demande si, en supposant qu’il survienne un nouveau degré de froid, la somme des termes qui composent la répulsion totale ne sera pas encore diminuée de la quantité f/d, et successivement par de nouveaux degrés de froid, des quantités g/d  et  h/d  ? Je demande à quel terme s’arrêtera cette diminution de la force répulsive, toujours correspondante à une certaine diminution de la chaleur, et toujours assujettie à la loi des distances inverses, comme la partie de la force qui subsiste après la diminution ? Je demande en quoi les termes g, h, i, diffèrent des termes a, b, c, pourquoi différentes parties de la force répulsive, égales en quantité, et réglées par la même loi, seraient attribuées à des causes d’une nature différente, et par quelle rencontre fortuite, des causes entièrement différentes produiraient sur le même corps des effets entièrement semblables et assujettis à la même loi ? Conclure de ces réflexions que l’expansibilité de l’air n’a pas d’autre cause que la chaleur, ce n’est pas seulement appliquer à l’expansibilité d’une substance la cause qui rend une autre substance expansible, c’est suivre une analogie plus rapprochée ; c’est-à-dire que les causes de deux effets de même nature, et qui ne diffèrent que du plus au moins, ne sont aussi que la même cause dans un degré différent. Prétendre, au contraire, que l’expansibilité est essentielle à l’air, parce que le plus grand froid que nous connaissons ne peut la lui faire perdre, c’est ressembler à ces peuples de la zone torride, qui croient que l’eau ne peut cesser d’être fluide, parce qu’ils n’ont jamais éprouvé le degré de froid qui la convertit en glace.

Il y a plus ; l’expérience met tous les jours sous les yeux des Physiciens, de l’air qui n’est en aucune manière expansible. C’est cet air que les chimistes ont démontré dans une infinité de corps, soit liquides, soit durs, qui a contracté avec leurs éléments une véritable union, qui entre comme un principe essentiel dans la combinaison de plusieurs mixtes, et qui s’en dégage, ou par des décompositions et des combinaisons nouvelles dans les fermentations et les mélanges chimiques, ou par la violence du feu. Cet air, ainsi retenu dans les corps les plus durs et privé de toute expansibilité, n’est-il pas précisément dans le cas de l’eau qui, combinée dans les corps n’est plus fluide, et cesse d’être expansible à des degrés de chaleur très supérieurs au degré de l’eau bouillante, comme l’air cesse de l’être à des degrés de chaleur très supérieurs à celle de l’atmosphère ? Qu’au degré de chaleur de l’eau bouillante, l’eau soit dégagée des autres principes par de nouvelles combinaisons, elle passera immédiatement à l’état d’expansibilité ; de même, l’air dégagé et rendu à lui-même dans la décomposition des mixtes, n’a besoin que du plus petit degré de chaleur connu pour devenir expansible : il le deviendra encore, sans l’application d’un intermède chimique, par l’effet de la seule chaleur, lorsqu’elle sera assez forte pour vaincre l’union qu’il a contractée avec les principes du mixte : c’est précisément de la même manière que l’eau, dans la distillation, se sépare des principes avec lesquels elle est combinée, parce que, malgré son union avec eux, elle est encore réduite en vapeurs par un degré de chaleur bien inférieur à celui qui pourrait vaporiser les autres principes. Or, dans l’un et dans l’autre phénomène, c’est également la chaleur qui donne à l’eau et à l’air toute leur expansibilité et il n’y a aucune différence que dans le degré de chaleur qui vaporise l’une et l’autre substance, degré qui dépend bien moins de leur nature particulière, que de l’obstacle qu’oppose à l’action de la chaleur l’union qu’elles ont contractée avec les autres principes, en sorte que, presque toujours, l’air consolidé a besoin, pour redevenir expansible, d’un degré de chaleur fort supérieur à celui qui vaporise l’eau.

Il résulte de ces faits : 1° que l’air perd son expansibilité par son union avec d’autres corps, comme l’eau perd dans le même cas, son expansibilité et sa liquidité ; 2° qu’ainsi, ni l’expansibilité, ni la fluidité n’appartiennent aux éléments de ces deux substances, mais seulement à la masse ou à l’agrégation formée de la réunion de ces éléments comme l’a remarqué M. Vénel[4] dans son Mémoire sur l’analyse des eaux de Selters (Mémoires des Correspondants de l’Académie des Sciences, tome II) ; 3° que la chaleur donne également à ces deux substances l’expansibilité, par laquelle leur union avec les principes des mixtes est rompue ; 4° enfin, que l’analogie entre l’expansibilité de l’air et celle de l’eau est complète à tous égards, que par conséquent, nous avons eu raison de regarder l’air comme un fluide actuellement dans l’état de vapeur, et qui n’a besoin pour y persévérer que d’un degré de chaleur fort au-dessous du plus grand froid connu.

Si je me suis un peu étendu sur cette matière, c’est afin de porter le dernier coup à ces suppositions gratuites de corpuscules branchus, de lames spirales dont on composait notre air ; et afin de substituer à ces rêveries, honorées, si mal à propos, du nom de mécanisme, une théorie simple qui rappelle tous les phénomènes de l’expansibilité dans différentes substances, à ce seul fait général, que la chaleur tend à écarter les unes des autres les parties de tous les corps.

Je n’entreprends point d’expliquer ici la nature de la chaleur, ni la manière dont elle agit : le peu que nous savons sur l’élément qui paraît être le milieu de la chaleur, appartient à d’autres articles. Nous ignorons si cet élément est ou n’est pas lui-même un fluide expansible, et quelles pourraient être, en ce dernier cas, les causes de son expansibilité, car je n’ai prétendu assigner la cause de cette propriété, que dans les corps où elle est sensible pour nous. Quant à ces fluides qui se dérobent à nos sens, et dont l’existence n’est constatée que par leurs effets, comme le fluide magnétique, et l’élément même de la chaleur, nous connaissons trop peu leur nature pour pouvoir en parler autrement que par des conjectures ; à la vérité, ces conjectures semblent nous conduire à penser qu’au moins le fluide électrique est éminemment expansible.

Quoique l’expansibilité des vapeurs et de l’air doive être attribuée à la chaleur comme à sa véritable cause, ainsi que nous l’avons prouvé, l’expérience nous montre une autre cause capable, comme la chaleur, d’écarter les parties d’un corps, de produire une véritable répulsion, et d’augmenter du moins l’expansibilité, si elle ne suffit pas seule pour donner aux corps cette propriété, ce qui ne paraît effectivement point par l’expérience. Je veux parler de l’électricité : on sait que deux corps également électrisés se repoussent mutuellement, et qu’ainsi un système de corps électriques fournirait un tout expansible ; on sait que l’eau électrisée sort par un jet continu de la branche capillaire d’un siphon, d’où elle ne tombait auparavant que goutte à goutte, l’électricité augmente donc la fluidité des liqueurs, et diminue l’attraction de leurs parties, puisque c’est par cette attraction que l’eau se soutient dans les tuyaux capillaires. On ne peut donc douter que l’électricité ne soit une cause de répulsion entre les parties de certains corps, et qu’elle ne soit capable de produire un certain degré d’expansibili, soit qu’on lui attribue une action particulière, indépendante de celle du fluide de la chaleur, soit qu’on imagine, ce qui est peut-être plus vraisemblable, qu’elle produit cette répulsion par l’expansibilité que le fluide électrique reçoit lui-même du fluide de la chaleur, comme les autres corps de la nature.

Plusieurs personnes seront peut-être étonnées de me voir distinguer la répulsion produite par l’électricité, de celle dont la chaleur est la véritable cause ; et peut-être regarderont-elles cette ressemblance dans les effets de l’une et de l’autre, comme une nouvelle preuve de l’identité qu’elles imaginent entre le fluide électrique et le fluide de la chaleur, qu’elles confondent très mal à propos avec le feu, avec la matière du feu, et avec la lumière, toutes choses cependant très différentes. Mais rien n’est plus mal fondé que cette identité prétendue entre le fluide électrique et l’élément de la chaleur. Indépendamment de la diversité des effets, il suffit pour se convaincre que l’un de ces éléments est très distingué de l’autre, de faire réflexion que le fluide de la chaleur pénètre toutes les substances, et se met en équilibre dans tous les corps, qui se la communiquent tous réciproquement les uns par les autres, sans que jamais cette communication puisse être interrompue par aucun obstacle. Le fluide électrique, au contraire, reste accumulé dans les corps électrisés et autour de leur surface s’ils ne sont environnés que des corps qu’on a appelés électriques par eux-mêmes, c’est-à-dire qui ne transmettent pas l’électricité, du moins de la même manière que les autres corps. Comme l’air est de ce nombre, le fluide électrique a besoin pour se porter d’un corps dans un autre, et s’y mettre en équilibre, de ce qu’on appelle un conducteur et c’est à la promptitude du rétablissement de l’équilibre, due peut-être à la prodigieuse expansibilité de ce fluide, qu’il faut attribuer l’étincelle, la commotion et les autres phénomènes qui accompagnent le rétablissement subit de la communication entre le corps électrisé en plus et le corps électrisé en moins. J’ajoute que si le fluide électrique se communiquait universellement d’un corps à l’autre, comme le fluide de la chaleur, ou même s’il traversait l’air aussi librement qu’il traverse l’eau, il serait resté à jamais inconnu ; le fluide existerait, mais aucun des phénomènes de l’électricité ne serait produit, puisqu’ils se réduisent à l’accumulation du fluide électrique aux environs de certains corps, et à la communication interrompue ou rétablie entre les corps qui peuvent être pénétrés par ce fluide. Puisque l’électricité est une cause de répulsion très différente de la chaleur, il est naturel de se demander si elle agit suivant la même loi de la raison inverse des distances, ou suivant une autre loi. On n’a point encore fait les observations nécessaires pour décider cette question, mais les physiciens doivent à MM. Le Roy[5] et d’Arcy[6], l’instrument qui peut les mettre un jour en état d’y répondre. L’ingénieuse construction de cet instrument peut servir à donner de très grandes lumières sur cette partie de la physique ; personne n’est plus capable que les inventeurs de profiter du secours qu’ils ont procuré à tous les Physiciens ; et puisque M. Le Roy s’est chargé de plusieurs articles de l’Encyclopédie, j’ose l’inviter à nous donner la solution de ce problème au mot RÉPULSION ÉLECTRIQUE.

J’ai dit qu’il ne paraissait pas, par l’expérience, que l’électricité seule pût rendre expansible aucun corps de la nature, et cela peut sembler étonnant au premier coup d’œil, vu les prodigieux effets du fluide électrique et l’action tranquille de la chaleur, lors même qu’elle suffit pour mettre en vapeur des corps assez pesants. Je crois pourtant que cette différence vient de ce que, dans la vérité, la répulsion produite par l’électricité est si faible, en comparaison de celle que produit la chaleur, qu’elle ne peut jamais que diminuer l’adhérence des parties, mais non la vaincre, et faire passer le corps, comme le fait la chaleur, de l’état liquide à celui de corps expansible. On se tromperait beaucoup si l’on jugeait des forces absolues d’un de ces fluides pour écarter les parties des corps par la grandeur et la violence de ses effets apparents, les effets apparents ne dépendant pas de la force seule, mais de la force rendue sensible par les obstacles qu’elle a rencontrés. J’ai déjà remarqué que tous les phénomènes de l’électricité venaient du défaut d’équilibre dans le partage du fluide entre les différents corps et de son rétablissement subit ; or, ce défaut d’équilibre n’existerait pas si la communication était continuelle. La communication de l’élément de la chaleur se fait sans obstacle dans tous les corps, quoiqu’il ne soit pas actuellement en équilibre dans tous ; cette rupture d’équilibre est plutôt une agitation inégale, et tout au plus une condensation plus ou moins grande, dans quelques portions d’un fluide répandu partout, qu’une accumulation forcée d’un fluide dont l’activité soit retenue par des obstacles impénétrables. L’équilibre d’agitation et de condensation entre les différentes portions du fluide de la chaleur, se rétablit de proche en proche et sans violence ; il a besoin de temps et n’a besoin que du temps. L’équilibre dans le partage du fluide électrique entre les différents corps se rétablit par un mouvement local et par une espèce de transvasion subite, dont l’effet est d’autant plus violent que le fluide était plus inégalement partagé. Cette transvasion ne peut se faire qu’en supprimant l’obstacle et en rétablissant la communication, et dès que l’obstacle est supprimé, elle se fait dans un instant inassignable. Enfin, le rétablissement de l’équilibre, entre les parties du fluide électrique, se fait d’une manière analogue à celle dont l’eau se précipite pour reprendre son niveau lorsqu’on ouvre l’écluse qui la retenait et il en a toute l’impétuosité.

Le rétablissement de l’équilibre entre les différentes portions du fluide de la chaleur, ressemble à la manière dont une certaine quantité de sel se distribue uniformément dans toutes les portions de l’eau qui le tient en dissolution, et il en a le caractère lent et paisible. La prodigieuse activité du fluide électrique ne décide donc rien sur la quantité de répulsion qu’il est capable de produire et puisqu’effectivement l’électricité n’a jamais pu qu’augmenter un peu la fluidité de l’eau sans jamais la réduire en vapeur, nous devons conclure que la répulsion produite par l’électricité est incomparablement plus faible que celle dont la chaleur est la cause : nous sommes fondés, par conséquent, à regarder la chaleur comme la vraie cause de l’expansibilité et à définir l’expansibilité, considérée physiquement, l’état des corps vaporisés par la chaleur.

De l’expansibilité comparée dans les différentes substances auxquelles elle appartient.

On peut comparer l’expansibilité dans les différentes substances sous plusieurs points de vue.

1° La loi de l’expansibilité, ou des décroissements de la force répulsive dans les différents corps.

2° Le degré de chaleur où chaque substance commence à devenir expansible.

3° Le degré d’expansibilité des différents corps, c’est-à-dire le rapport de leur volume à leur masse, au même degré de chaleur.

À l’égard de la loi qui suit la répulsion dans les différents corps expansibles, il paraît presque impossible de s’assurer directement par l’expérience, qu’elle soit dans tous les corps la même que dans l’air. La plupart des corps expansibles qu’on pourrait soumettre aux expériences n’acquièrent cette propriété que par un degré de chaleur assez considérable, et rien ne serait si difficile que d’entretenir cette chaleur au même point, aussi longtemps qu’il le faudrait pour les soumettre à nos expériences.

Si l’on essayait de les charger successivement comme l’air, par différentes colonnes de mercure, le refroidissement produit par mille causes et par la seule nécessité de placer le vaisseau sur un support, et d’y appliquer la main ou tout autre corps qui n’aurait point le même degré de chaleur, viendrait se joindre aux poids des colonnes pour condenser la vapeur : or, comment démêler la condensation produite par l’action du poids de la condensation produite par un refroidissement dont on ne connait point la mesure ? Les vapeurs de l’acide nitreux, très concentré et surchargé de phlogistique, auraient, à la vérité, cet avantage sur les vapeurs aqueuses, qu’elles pourraient demeurer expansibles à des degrés de chaleur au-dessous même de celles de l’atmosphère dans des jours très chauds. Mais, de quelle manière s’y prendrait-on pour les comprimer dans une proportion connue, puisque le mercure, seule matière qu’on pût employer à cet usage, ne pourrait les toucher sans être dissous avec une violente effervescence qui troublerait tous les phénomènes de l’expansibilité.

On lit dans les Essais de physique de Musschenbroeck[7] (§1330) que les vapeurs élastiques produites par la pâte de farine, comprimées par un poids double, ont occupé un espace quatre fois moindre. Mais j’avoue que j’ai peine à concevoir comment ce célèbre physicien a pu exécuter cette expérience de manière à la rendre concluante, c’est-à-dire avec la précaution nécessaire pour conserver la vapeur, le vaisseau, les supports du vaisseau et la force comprimante, dans un degré de chaleur toujours le même. De plus, on sait que ces mêmes vapeurs qui s’élèvent des corps en fermentation, sont un mélange d’air dégagé par le mouvement de la fermentation, et d’autres substances volatiles ; souvent, ces substances absorbent de nouveau l’air avec lequel elles s’étaient élevées, et forment, par leur union chimique avec lui, un nouveau mixte, dont l’expansibilité peut être beaucoup moindre ou même absolument nulle. M. Musschenbroeck n’entre dans aucun détail sur le procédé qu’il a suivi dans cette expérience ; et je présume qu’il s’est contenté d’observer le rapport de la compression à l’espace, sans faire attention à toutes les autres circonstances qui peuvent altérer l’expansibilité de la vapeur : car, s’il eût tenté d’évaluer ces circonstances, il y eût certainement trouvé trop de difficulté pour ne pas rendre compte des moyens qu’il aurait employés pour les vaincre ; peut-être aurait-il été impossible d’y réussir.

Il est donc très probable que l’expérience ne peut nous apprendre si les vapeurs se condensent ou non, comme l’air, en raison des forces comprimantes, et si leurs particules se repoussent en raison inverse de leurs distances : ainsi, nous sommes réduits, sur cette question, à des conjectures pour et contre.

D’un coté, la chaleur étant, comme nous l’avons prouvé, la cause de l’expansibilité de toutes les substances connues, on ne peut guère se défendre de croire que cette cause agit dans tous les corps, suivant la même loi, d’autant plus que toutes les différences qui pourraient résulter des obstacles que la contexture de leurs parties et les lois de leur adhésion mettraient à l’action de la chaleur, sont absolument nulles dès que les corps sont une fois dans l’état de vapeur ; les dernières molécules du corps sont alors isolées dans le fluide où elles nagent ; elles ne résistent à son action que par leur masse ou leur figure, qui étant constamment les mêmes ne forment point des obstacles variables en raison des distances, et qui ne peuvent, par conséquent, altérer, par le mélange d’une autre loi, le rapport de l’action propre de la chaleur avec la distance des molécules sur lesquelles elle agit. D’ailleurs, l’air sur lequel on a fait des expériences, n’est point un air pur ; il contient toujours en dissolution une certaine quantité d’eau et même d’autres matières, qu’il peut aussi soutenir au moyen de leur union avec l’eau. La quantité d’eau actuellement dissoute par l’air, est toujours relative à son degré de chaleur. Ainsi, la proportion de l’air à l’eau dans un certain volume d’air varie continuellement : cependant, cette différente proportion ne change rien à la loi des condensations, dans quelque état que soit l’air qu’on soumet à l’expérience. Il est naturel d’en conclure que l’expansibilité de l’eau suit la même loi que celle de l’air ; et que cette loi est toujours la même, quelle que soit la nature du corps exposé à l’action de la chaleur.

De l’autre côté, on peut dire que l’eau ainsi élevée et soutenue dans l’air par la simple voie d’évaporation[8], c’est-à-dire, par l’union chimique de ses molécules avec celles de l’air, n’est à proprement parler expansible que par l’expansibilité propre de l’air, et peut être assujettie à la même loi, sans qu’on puisse rigoureusement en conclure que l’eau, devenue expansible par la vaporisation proprement dite et par une action de la chaleur qui lui serait appliquée immédiatement, ne suivrait pas des lois différentes. On peut ajouter qu’il y a des corps qui ne se conservent dans l’état d’expansibilité que par des degrés de chaleur très considérables et très supérieurs à la chaleur qu’on a jusqu’ici appliquée à l’air. Or, quoique la chaleur, dans un degré médiocre, produise entre les molécules des corps une répulsion qui suit la raison inverse des distances, il est très possible que la loi de cette répulsion change lorsque la chaleur est poussée à des degrés extrêmes où son action prend peut-être un nouveau caractère ; ce qui donnerait une loi différente pour la répulsion, dans les différents corps.

Aucune des deux opinions n’est appuyée sur des preuves assez certaines pour prendre un parti. J’avouerai cependant que je penche à croire la loi de répulsion uniforme dans tous les corps. Tous les degrés de chaleur que nous pouvons connaître, sont vraisemblablement bien éloignés des derniers degrés dont elle est susceptible, et dans lesquels seuls nous pouvons supposer que son action souffre quelque changement ; et quoique l’uniformité de la loi, dans l’air uni à l’eau, quelle que soit la proportion de ces deux substances, ne suffise pas pour en tirer une conséquence rigoureuse, généralement applicable à tous les corps, elle prouve du moins que le corps expansible peut être fort altéré dans la nature et la dimension de ses molécules, sans que la loi soit en rien dérangée, et c’en est assez pour donner à la proposition générale bien de la probabilité.

Mais si l’on peut, avec vraisemblance supposer la même loi d’expansibilité pour tous les corps, il s’en faut bien qu’il y ait entre eux la même uniformité par rapport au degré de chaleur dont ils ont besoin pour devenir expansibles. J’ai déjà remarqué plus haut que le commencement de la vaporisation des corps, comparé à l’échelle de la chaleur, répondait toujours au même point pour chaque corps placé dans les mêmes circonstances, et à différents points pour les différents corps ; en sorte que si l’on augmente graduellement la chaleur, tous les corps susceptibles de l’expansibilité parviendront successivement à cet état, dans un ordre toujours le même. On peut présenter cet ordre que j’appelle l’ordre de la vaporisation des corps, en dressant, d’après des observations exactes, une table de tous ces points fixes et former ainsi une échelle de chaleur bien plus étendue que celle de nos thermomètres. Cette table qui serait très utile aux progrès de nos connaissances sur la nature intime des corps, n’est point encore exécutée, mais les physiciens, en étudiant le phénomène de l’ébullition des liquides, et les chimistes, en décrivant l’ordre des produits dans les différentes distillations, ont rassemblé assez d’observations pour en extraire les faits généraux qui doivent former la théorie physique de l’ordre de vaporisation des corps.

Voici les faits qui résultent de leurs observations :

1° Un même liquide dont la surface est également comprimée, se réduit en vapeur et se dissipe toujours au même degré de chaleur : de là, la constance du terme de l’eau bouillante. (Voyez les Mémoires de M. l’abbé Nollet.)

2° La vaporisation n’a besoin que d’un moindre degré de chaleur, si la surface du liquide est moins comprimée, comme il arrive dans l’air raréfié par la machine pneumatique ; au contraire, la vaporisation n’a lieu qu’à un plus grand degré de chaleur, si la pression sur la surface du liquide augmente, comme il arrive dans le digesteur ou machine de Papin. De là, l’exacte correspondance entre la variation légère du terme de l’eau bouillante, et les variations du baromètre.

3° L’eau qui tient en dissolution des matières qui ne s’élèvent point au même degré de chaleur qu’elle, ou même qui ne s’élèvent point du tout, a besoin d’un plus grand degré de chaleur pour parvenir au terme de la vaporisation ou de l’ébullition. Ainsi, pour donner à l’eau bouillante un plus grand degré de chaleur, on la charge d’une certaine quantité de sels.

4° Au contraire, l’eau ou toute autre substance unie à un principe qui demande une moindre chaleur pour s’élever, s’élève aussi à un degré de chaleur moindre qu’elle ne s’élèverait sans cette union[9]. Ainsi, l’eau unie à la partie aromatique des plantes, monte à un moindre degré de chaleur dans la distillation que l’eau pure ; c’est sur ce principe qu’est fondé le procédé par lequel on rectifie les eaux et les esprits aromatiques. Ainsi, l’acide nitreux devient d’autant plus volatil qu’il est plus surchargé de phlogistique : le même phlogistique uni dans le souffre avec l’acide vitriolique donne à ce mixte une volatilité que l’acide vitriolique seul n’a pas.

5° Les principes qui se séparent des mixtes dans la distillation en acquérant l’expansion vaporeuse, ont besoin d’un degré de chaleur beaucoup plus considérable que celui qui suffirait pour les réduire en vapeurs s’ils étaient purs et rassemblés en masse ; ainsi, dans l’analyse chimique, le degré de l’eau bouillante n’enlève aux végétaux et aux animaux qu’une eau surabondante, instrument nécessaire de la végétation et de la nutrition, mais qui n’entre point dans la combinaison des mixtes dont ils sont composés. Ainsi, l’air qu’un degré de chaleur très au-dessous de celui que nous appelons froid rend expansible, est cependant l’un des derniers principes que le feu sépare de la mixtion de certains corps.

6° L’ordre de la vaporisation des corps ne paraît suivre dans aucun rapport l’ordre de leur pesanteur spécifique.

Qu’on se rappelle maintenant la théorie que nous avons donnée de l’expansibilité. Nous avons prouvé que la cause de l’expansibilité des corps est une force par laquelle la chaleur tend à écarter leurs molécules les unes des autres, et que cette force ne diffère que par le degré de celle qui change l’agrégation solide en agrégation fluide et qui dilate les parties de tous les corps dont elle ne détruit pas l’agrégation. Cela posé, le point de vaporisation de chaque corps est celui où la force répulsive produite par la chaleur commence à surpasser les obstacles ou la somme des forces qui retenaient les parties des corps les unes auprès des autres. Ce fait général comprend tous ceux que nous venons de rapporter.

En effet, ces forces sont :

1° La pression exercée sur la surface du fluide par l’atmosphère ou par tout autre corps ;

2° La pesanteur de chaque molécule ;

3° La force d’adhésion ou d’affinité qui l’unit aux molécules voisines, soit que celles-ci soient de la même nature ou d’une nature différente.

Dans l’instant même qui précédait la vaporisation du corps, la chaleur faisait équilibre avec ces trois forces.

Donc, si l’on augmente l’une de ces forces, soit la force comprimante de l’atmosphère, soit l’union qui retient les parties d’un même corps auprès les unes des autres sous une forme agrégative, soit l’union chimique qui attache les molécules d’un principe aux molécules d’un autre principe plus fixe, la vaporisation n’aura lieu qu’à un degré de chaleur plus grand.

Si la force qui unit deux principes est plus grande que la force qui tend à les séparer, ils s’élèveront ensemble, le point de leur vaporisation sera relatif à la pesanteur des deux molécules élémentaires unies, et à l’adhérence que les molécules combinées du mixte ont les unes aux autres, adhérence qui leur donne la forme agrégative, et comme les molécules du principe le plus volatil sont moins adhérentes entre elles que celles du principe le plus fixe[10], il doit arriver naturellement qu’en s’interposant entre celles-ci, elles en diminuent l’adhérence, que l’union agrégative soit moins forte, et qu’ainsi le terme de vaporisation du mixte soit mitoyen entre les termes auxquels chacun des principes pris solitairement commence à s’élever.

Des trois forces dont la somme détermine le degré de chaleur nécessaire à la vaporisation de chaque corps, il y en a une, c’est la pesanteur absolue de chaque molécule, qui ne saurait être appréciée, ni même fort sensible pour nous. Ainsi, la pression sur la surface du fluide étant à peu près constante, puisque c’est celle de l’atmosphère avec lequel il faut toujours que les corps qu’on veut élever par le moyen de la chaleur communiquent actuellement, l’ordre de vaporisation des corps doit être principalement relatif à l’union qui attache les unes aux autres les molécules des corps, et c’est ce qui est effectivement conforme à l’expérience, comme on peut le voir à l’article DISTILLATION. Enfin, cet ordre ne doit avoir aucun rapport avec la pesanteur spécifique des corps, puisque cette pesanteur n’est dans aucune proportion, ni avec la pesanteur absolue de chaque molécule, ni avec la force qui les unit les unes aux autres.

Il suit de cette théorie que si l’on compare l’expansibilité des corps sous le troisième point de vue que nous avons annoncé, c’est-à-dire, si l’on compare le degré d’expansion que chaque corps reçoit par l’application d’un nouveau degré de chaleur et le rapport qui en résultera de son volume à son poids, cet ordre d’expansibilité des corps, considéré sous ce point de vue, sera très différent de l’ordre de leur vaporisation. En effet, aussitôt qu’un corps a acquis l’état d’expansion, les liens de l’union chimique ou agrégative qui retenaient les molécules sont entièrement brisés : ces molécules sont hors de la sphère de leur attraction mutuelle ; et cette dernière force, qui, dans l’ordre de vaporisation, devait être principalement considérée, est entièrement nulle et n’a aucune part à la détermination de l’ordre d’expansibilité.

La pesanteur propre à chaque molécule devient donc la seule force qui, jointe à la pression extérieure, toujours supposée constante, fait équilibre avec l’action de la chaleur. La résistance qu’elle lui oppose est seulement un peu modifiée par la figure de chaque molécule, et par le rapport de sa surface à sa masse, s’il est vrai que le fluide, auquel nous attribuons l’écartement produit par la chaleur, agisse sur chaque molécule par voie d’impulsion ; or, cette force et la modification qu’elle peut recevoir n’étant nullement proportionnelles à l’action chimique ou agrégative des molécules, il est évident que l’ordre d’expansibilité des corps ne doit point suivre l’ordre de vaporisation, et que tel corps qui demande pour devenir expansible un beaucoup plus grand degré de chaleur qu’un autre reçoit pourtant de l’addition d’un même degré de chaleur une expansion beaucoup plus considérable ; c’est ce que l’expérience vérifie d’une manière bien sensible dans la comparaison de l’expansibilité de l’eau et de celle de l’air. On suppose ordinairement que l’eau est environ 800 fois plus pesante spécifiquement que l’air ; admettant qu’elle le soit 1 000 fois davantage, il s’ensuit que l’air pris au degré de chaleur commun de l’atmosphère et réduit à n’occuper qu’un espace 1 000 fois plus petit serait aussi pesant que l’eau. Appliquons maintenant à ces deux corps le même degré de chaleur, celui où le verre commence à rougir. Une expérience fort simple, rapportée dans les Leçons de physique de M. l’abbé Nollet, prouve que l’eau, à ce degré de chaleur, occupe un espace 14 000 fois plus grand. Cette expérience consiste à faire entrer une goutte d’eau dans une boule creuse, garnie d’un tube dont la capacité soit environ 14 000 fois plus grande que celle de la goutte d’eau, ce qu’on peut connaître aisément par la comparaison des diamètres, à faire ensuite rougir la boule sur des charbons, et à plonger subitement l’extrémité du tube dans un vase plein d’eau, cette eau monte et remplit la boule, ce qui prouve qu’il n’y reste aucun air et que par conséquent la goutte d’eau en occupait toute la capacité. Mais par une expérience toute semblable, on connaît que l’air au même degré de chaleur qui rougit le verre, n’augmente de volume que dans un rapport de trois à un. Et comme cet air, par son expansion, remplit déjà un volume 1 000 fois plus grand que celui auquel il faudrait le réduire pour le rendre spécifiquement aussi pesant que l’eau, il faut multiplier le nombre de 3, ou, ce qui est la même chose, diviser celui de 14 000 par 1 000, ce qui donnera le rapport des volumes de l’eau à celui de l’air ; à poids égal, comme 14 à 3 : d’où l’on voit combien l’expansibilité du corps le plus difficilement expansible, surpasse celle du corps qui le devient plus aisément.

L’application de cette partie de notre théorie à l’air et à l’eau, suppose que les particules de l’eau sont beaucoup plus légères que celles de l’air, puisqu’étant les unes et les autres isolées au milieu du fluide de la chaleur, et ne résistant guère à son action que par leur poids, l’expansion de l’eau est si supérieure à celle de l’air. Cette supposition s’accorde parfaitement avec l’extrême différence que nous remarquons entre les deux fluides, par rapport au degré de leur vaporisation : les molécules de l’air beaucoup plus pesantes s’élèvent beaucoup plus tôt que celles de l’eau, parce que leur adhérence mutuelle est bien plus inférieure à celle des parties de l’eau que leur pesanteur n’est supérieure.

Plus on supposera les parties de l’eau petites et légères, plus le fluide sera divisé sous un poids égal en un grand nombre de molécules ; plus l’élément de la chaleur, interposé entre elles, agira sur un grand nombre de parties ; plus son action s’appliquera sur une grande surface, les poids qu’il aura à soulever restant les mêmes et, par conséquent, plus l’expansibilité sera considérable. Mais il ne s’ensuit nullement de là que le corps ait besoin d’un moindre degré de chaleur pour être rendu expansible. Si l’on admet avec Newton, une force attractive qui suive la raison inverse des cubes des distances, comme il est démontré que cette attraction ne serait sensible qu’à des distances très petites, et qu’elle serait infinie au point de contact ; il est évident : 1° que l’adhérence résultante de cette attraction est en partie relative à l’étendue des surfaces par lesquelles les molécules attirées peuvent se toucher, puisque le nombre des points de contact est en raison des surfaces touchantes ; 2° que moins le centre de gravité est éloigné des surfaces, plus l’adhésion est forte. En effet, cette attraction, qui est infinie au point de contact, ne peut jamais produire qu’une force finie, parce que la surface touchante n’est véritablement qu’un infiniment petit ; la molécule entière est, par rapport à elle, un infini, dans lequel la force se partage en raison de l’inertie du tout. Si cette molécule grossissait jusqu’à un certain point, il est évident que tout ce qui se trouverait hors des limites de la sphère sensible de l’attraction cubique, serait une surcharge à soutenir pour celle-ci, et pourrait en rendre l’effet nul ; si, au contraire, la molécule se trouve tout entière dans la sphère d’attraction, toutes ses parties contribueront à en augmenter l’effet ; et plus le centre de gravité sera proche du contact, moins cette force qui s’exerce au contact sera diminuée par la force d’inertie des parties de la molécule les plus éloignées. Or, plus les molécules dont un corps est formé seront supposées petites, moins le centre de gravité de chaque molécule sera éloigné de leur surface, et plus elles auront de superficie relativement à leur masse.

Concluons que la petitesse des parties doit d’abord retarder la vaporisation ; puis augmenter l’expansibilité, quand une fois les corps sont dans l’état de vapeur.

Je ne dois pas omettre une conséquence de cette théorie sur l’ordre d’expansibilité des corps, comparé à l’ordre de leur vaporisation : c’est qu’un degré de chaleur qui ne suffirait pas pour rendre un corps expansible, peut suffire pour le maintenir dans l’état d’expansibilité. En effet, je suppose qu’un ballon de verre ne soit rempli que d’eau en vapeur, et qu’on plonge ce ballon dans l’eau froide : comme le froid n’a point une force positive pour rapprocher les parties des corps, il en doit être de cette eau comme de l’air qui, lorsqu’il ne communique point avec l’atmosphère, n’éprouve aucune condensation en se refroidissant. L’attraction des parties de l’eau ne peut tendre à les rapprocher, puisqu’elles ne sont point placées dans la sphère de leur action mutuelle ; leur pesanteur, beaucoup moindre que celle des parties de l’air, ne doit pas avoir plus de force pour vaincre l’effort d’un degré de chaleur, que l’air soutient sans se condenser. La pression extérieure est nulle ; l’eau doit donc rester en état de vapeur dans le ballon, quoique beaucoup plus froide que l’eau bouillante ou, du moins elle ne doit perdre cet état que lentement, et peu à peu, à mesure que les molécules qui touchent immédiatement au verre adhèrent à sa surface refroidie et s’y réunissent avec les molécules qui leur sont contiguës ; et ainsi successivement, parce que toutes les molécules, par leur expansibilité même, s’approcheront ainsi les unes après les autres de la surface du ballon, jusqu’à ce qu’elles soient toutes condensées. Il est cependant vrai que, dans nos expériences ordinaires, dès que la chaleur est au-dessous du degré de l’eau bouillante, les vapeurs aqueuses redevienne de l’eau, mais cela n’est pas étonnant puisque la pression de l’atmosphère agit toujours sur elles pour les rapprocher, et les remet par là dans la sphère de leur action mutuelle, quand l’obstacle de la chaleur ne subsiste plus.

On voit par là combien se trompent ceux qui s’imaginent que l’humidité que l’on voit s’attacher autour d’un verre plein d’une liqueur glacée, est une vapeur condensée par le froid : cet effet, de même que celui de la formation des nuages, de la pluie et de tous les météores aqueux, est une vraie précipitation chimique par un degré de froid qui rend l’air incapable de tenir en dissolution toute l’eau dont il s’était chargé par l’évaporation dans un temps plus chaud ; et cette précipitation est précisément du même genre que celle de la crème de tartre, lorsque l’eau qui la tenait en dissolution s’est refroidie.

On sent aisément combien une table qui représenterait, d’après des observations exactes, le résultat des comparaisons suivies des différentes substances, et l’ordre de leur expansibilité, pourrait donner de vues aux physiciens, surtout si on y marquait toutes les différences entre cet ordre et l’ordre de leur vaporisation. Je comprendrais, dans cette comparaison des différentes substances par rapport à l’expansibilité, la comparaison des différents degrés d’expansibilité entre l’air qui contient beaucoup d’eau, et l’air qui en contient moins, ou qui n’en contient point du tout. Musschenbroeck a observé que l’air chargé d’eau a beaucoup plus d’élasticité qu’un autre air ; et cela doit être, du moins lorsque la chaleur est assez grande pour réduire l’eau même en vapeur, car il pourrait arriver aussi qu’au-dessous de ce degré de chaleur, l’eau dissoute dans l’air et unie à chacune de ses molécules augmentât encore la pesanteur par laquelle elles résistent à la force qui les écarte. D’ailleurs, comme on n’a point encore connu les moyens que nous donnerons à l’article HUMIDITÉ, pour savoir exactement combien un air est plus chargé d’eau qu’un autre air, on n’a point cherché à mesurer les différents degrés d’expansibilité de l’air suivant qu’il contient plus ou moins d’eau, surtout au degré de la température moyenne de l’atmosphère. Il serait cependant aisé de faire cette comparaison par un moyen assez simple ; il ne s’agirait que d’avoir une cloche de verre assez grande pour y placer un baromètre, et d’ôter toute communication entre l’air renfermé sous la cloche et l’air extérieur. La cire, ou mieux encore, le lut gras des chimistes, qui ne fourniraient à l’air aucune humidité nouvelle, seraient excellents pour cet usage ; on aurait eu soin de placer sous la cloche une certaine quantité d’alcali fixe du tartre, bien sec et dont on connaîtrait le poids. On sait que l’air ayant moins d’affinité avec l’eau que cet alcali, celui-ci se charge peu à peu de l’humidité qui était dans l’air. Si donc, on observe de faire l’expérience dans une chambre dont la température soit maintenue égale, afin que les variations d’expansibilité provenantes de la chaleur, ne produisent aucun mécompte, et si, à mesure que l’alcali absorbe une certaine quantité d’eau, le baromètre hausse ou baisse, on en conclura que l’air, en perdant l’eau qui lui était unie devient plus ou moins expansible ; et l’on pourra toujours, en pesant l’alcali fixe, connaître par l’augmentation de son poids, le rapport de la quantité d’eau que l’air aura perdue, au changement arrivé dans son expansibilité. Il faudra faire l’expérience en donnant à l’air différents degrés de chaleur, pour s’assurer si le plus ou moins d’eau augmente ou diminue l’expansibili de l’air dans un même rapport, quelle que soit la chaleur ; et d’après ces différents rapports constamment observés, il sera aisé d’en construire des tables ; l’exécution de ces tables peut seule donner la connaissance exacte d’un des éléments qui entre dans la théorie des variations du baromètre ; et dès lors, il est évident que ce travail est un préalable nécessaire à la recherche de cette théorie.

Des usages de l’expansibilité et de la part qu’elle a dans la production des plus grands phénomènes de la nature.

1° C’est par l’expansibilité que les corps s’élèvent dans la distillation et dans la sublimation ; et c’est l’inégalité des degrés de chaleur nécessaires pour l’expansibilité des différents principes des mixtes, qui rend la distillation un moyen d’analyse chimique[11].

2° C’est l’expansibilité qui fournit à l’art et à la nature les forces motrices les plus puissantes et les plus soudaines. Indépendamment des machines où l’on emploie la vapeur de l’eau bouillante, l’effort de la poudre à canon, les dangereux effets de la moindre humidité qui se trouverait dans les moules où l’on coule les métaux en fonte, les volcans et les tremblements de terre, et tout ce qui dans l’art et dans la nature agit par une explosion soudaine dans toutes les directions à la fois, est produit par un fluide devenu tout à coup expansible. On avait autrefois attribué tous ces effets à l’air comprimé violemment, puis dilaté par la chaleur ; mais nous avons vu plus haut que l’air renfermé dans un tube de verre rougi au feu, n’augmente de volume que dans le rapport de trois à un. Or, une augmentation beaucoup plus considérable, serait encore insensible en comparaison de la prodigieuse expansion que l’eau peut recevoir. L’air que le feu dégage des corps dans lesquels il est combiné, pourrait produire des effets un peu plus considérables, mais la quantité de cet air est toujours si petite comparée à celle de l’eau qui s’élève des corps au même degré de chaleur, qu’on doit dire avec M. Rouelle[12] que, dans les différentes explosions attribuées communément à l’air par les physiciens, si l’air agit comme un, l’eau agit comme mille. La promptitude et les prodigieux effets de ces explosions ne paraîtront point étonnants, si l’on considère la nature de la force expansive et la manière dont elle agit. Tant que cette force n’est employée qu’à lutter contre les obstacles qui retiennent les molécules des corps appliquées les unes aux autres, elles ne produit d’autre effet sensible qu’une dilatation peu considérable ; mais, dès que l’obstacle est anéanti par quelque cause que ce soit, chaque molécule doit s’élancer avec une force égale à celle qu’avait l’obstacle pour la retenir, plus le petit degré dont la force expansive a dû surpasser celle de l’obstacle ; chaque molécule doit donc recevoir un mouvement local d’autant plus rapide qu’il a fallu une plus grande force pour vaincre l’obstacle. C’est cet unique principe qui détermine la force de toutes les explosions : ainsi, plus la chaleur nécessaire à la vaporisation est considérable et plus l’explosion est terrible. Chaque molécule continuera de se mouvoir dans la même direction avec la même vitesse, jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée ou détournée par de nouveaux obstacles ; et l’on ne connaît point de bornes à la vitesse que les molécules des corps peuvent recevoir par cette voie, au moment de leur expansion. L’idée d’appliquer cette réflexion à l’émission de la lumière et à sa prodigieuse rapidité se présente naturellement. Mais j’avoue que j’aurais peine à m’y livrer sans un examen plus approfondi, car cette explication, toute séduisante qu’elle est au premier coup d’œil, me paraît combattue par les plus grandes difficultés.

3° C’est l’expansibilité de l’eau qui, en soulevant les molécules de l’huile embrasée, en les divisant, en multipliant les surfaces, multiplie en même raison le nombre des points embrasés à la fois, produit la flamme et lui donne cet éclat qui la caractérise[13].

4° L’inégale expansibilité produite par l’application d’une chaleur différente aux différentes parties d’une masse de fluide expansible, rompt par là même l’équilibre de pesanteur entre les colonnes de ce fluide, et y forme différents courants ; cette inégalité de pesanteur entre l’air chaud et l’air froid, est le fondement de tous les moyens employés pour diriger les mouvements de l’air à l’aide du feu ; elle est aussi la principale cause des vents.

5° Cette inégalité de pesanteur est plus considérable encore, lorsqu’un fluide, au moment qu’il devient expansible, se trouve mêlé avec un fluide dans l’état de liquidité ; de là, l’ébullition des liquides par les vapeurs qui se forment dans le fond du vase qui les contient : de là, l’effervescence qui s’observe presque toujours dans les mélanges chimiques, au moment où les principes commencent à agir l’un sur l’autre pour se combiner, soit que cette effervescence n’ait d’autre cause que l’air qui se dégage d’un des deux principes, ou des deux, comme il arrive le plus souvent ; ou qu’un des deux principes soit lui-même en partie réduit en vapeur dans le mouvement de la combinaison, comme il arrive, suivant M. Rouelle, à l’esprit de nitre dans lequel on a mis dissoudre du fer, ou d’autres matières métalliques : de là, les mouvements intestins, les courants rapides qui s’engendrent dans les corps actuellement en fermentation et qui, par l’agitation extrême qu’ils entretiennent dans toute la masse, sont l’instrument puissant du mélange intime de toutes les parties, de l’atténuation de tous les principes, des décompositions et des recompositions qu’ils subissent.

6° Si le liquide avec lequel se trouve mêlé le fluide devenu expansible a quelque viscosité, cette viscosité soutiendra plus ou moins longtemps l’effort des vapeurs, suivant qu’elle sera elle-même plus ou moins considérable : la totalité du mélange se remplira de bulles dont le corps visqueux formera les parois, et l’espace qu’elles occuperont s’augmentera jusqu’à ce que la viscosité des parties soit vaincue par le fluide expansible ; c’est cet effet qu’on appelle gonflement.

7° Si, pendant qu’un corps expansible tend à occuper un plus grand espace, le liquide dont il est environné acquiert une consistance de plus en plus grande, et parvient enfin, à opposer par cette consistance un obstacle insurmontable à l’expansion du corps en vapeur, le point d’équilibre entre la résistance d’un côté et la force expansive de l’autre déterminera et fixera la capacité et la figure des parois, formera des ballons, des vases, des tuyaux, des ramifications, ou dures ou flexibles, toujours relativement aux différentes altérations de l’expansibilité d’un côté, de la consistance de l’autre ; en sorte que ces vaisseaux et ces ramifications s’étendront et se compliqueront à mesure que le corps expansible s’étendra du côté où il ne trouve point encore d’obstacle, en formant une espèce de jet ou de courant, et que le liquide, en se durcissant à l’entour, environnera ce courant d’un canal solide. Il n’importe à quelle cause on doive attribuer ce changement de consistance, ou cette dureté survenue dans le liquide, dont le corps expansible est environné, soit au seul refroidissement, soit à la cristallisation de certaines parties du liquide, soit à la coagulation, ou à ces trois causes réunies, ou peut-être à quelqu’autre cause inconnue.

8° Il résulte de tout cet article, que presque tous les phénomènes de la physique sublunaire sont produits par la combinaison de deux forces contraires : la force qui tend à rapprocher les parties du corps ou l’attraction, et la chaleur qui tend à les écarter ; de même que la physique céleste est toute fondée sur la combinaison de la pesanteur et de la force projectile. J’emploie cette comparaison d’après M. Needham[14], qui a le premier conçu l’idée d’expliquer les mystères de la génération, par la combinaison des deux forces, attractive et répulsive. (Voyez les Observations microscopiques de M. Needham, sur la composition et la décomposition des substances animales et végétales.) Ces deux forces, se balançant mutuellement, se mesurent exactement l’une l’autre dans le point d’équilibre, et il suffirait peut-être de pouvoir rapporter une des deux à une mesure commune et à une échelle comparable, pour pouvoir soumettre au calcul la physique sublunaire, comme Newton y a soumis la physique céleste.

L’expansibilité de l’air nous en donne le moyen puisque, par elle, nous pouvons mesurer la chaleur depuis le plus grand froid jusqu’au plus grand chaud connu, en comparer tous les degrés à des quantités connues, c’est-à-dire à des poids et, par conséquent, découvrir la véritable proportion entre un degré de chaleur un autre degré. Il est vrai que ce calcul est moins simple qu’il ne paraît au premier coup d’œil. Ce n’est point ici le lieu d’entrer dans ce détail.

J’observerai seulement, en finissant, que plusieurs physiciens ont nié la possibilité de trouver exactement cette proportion, quoique M. Amontons ait depuis longtemps mesuré la chaleur par les différents poids que soutient le ressort de l’air. Cela prouve que bien des vérités sont plus près de nous que nous n’osons le croire. Il y en a dont on dispute et qui sont déjà démontrées, d’autres qui n’attendent pour l’être qu’un simple raisonnement. Peut-être que l’art de rapprocher les observations les unes des autres, et d’appliquer le calcul aux phénomènes, a plus manqué encore aux progrès de la physique que les observations mêmes[15].

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[1] L’abbé Nollet (1700-1770) à qui est due la découverte de l’endosmose.

[2] On voit que, dans son article, Turgot donne à l’expansibilité le sens d’état gazeux. Il l’explique, d’ailleurs, plus loin.

[3] Amontons (1663-1705), inventeur de la télégraphie aérienne.

[4] Venel, né en 1723, professeur de médecine à Montpellier et encyclopédiste.

[5] Le Roy (Charles) (1726-1779), professeur à la faculté de Montepellier.

[6] Le chevalier d’Arcy (1725-1779), colonel, de l’Académie des Sciences.

[7] Musschenbroeck (1692-1761), célèbre philosophe et physicien hollandais.

[8] Le texte portait d’abord le mot vaporisation. Dans l’erratum, Turgot y substitua le mot évaporation et ajouta les explications ci-après :

« — N. B. Cette faute d’impression forme un contresens très important. Mon dessein, en substituant, dans tout cet article, le mot de vaporisation à celui d’évaporation, employé dans ce sens par quelques physiciens, n’était nullement de mettre un mot nouveau à la place d’un ancien, mais de ne pas confondre dans une seule dénomination deux phénomènes très différents.

« La vaporisation est le passage d’un corps de l’état de liquidité à celui d’expansibilité par une force répandue dans toutes ses parties qui les écarte les unes des autres ; c’est ce qui arrive à l’eau échauffée au-dessus du degré de l’eau bouillante.

« L’évaporation est la déperdition que fait un corps liquide, ou même solide, d’une partie de son volume, lorsqu’il est exposé à l’air libre. La vaporisation suppose que le corps soit déjà liquide ; l’évaporation a lieu également que le corps soit liquide ou solide et à tous les degrés de chaleur, car la glace s’évapore aussi bien que l’eau. La vaporisation est de la masse entière dont toutes les molécules sont violemment écartées les unes des autres. L’évaporation n’a lieu qu’à la surface et suppose un contact immédiat avec l’air. Enfin, la vaporisation est l’effet de la chaleur appliquée au corps même vaporisé. L’évaporation est produite par l’application et par l’action dissolvante d’un fluide étranger. Cette théorie, qui est l’une des plus fécondes de toute la physique, me paraît porter au plus haut degré de certitude, dont cette science est susceptible et jusqu’à la démonstration. On peut la voir développée à l’article Évaporation. Je l’ai supposée plus d’une fois dans le cours de celui-ci, où j’aurais dû citer M. Le Roy, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier, auteur de cet article. Mais quoiqu’il eût exposé ses principes dans une dissertation envoyée à l’Académie des Sciences dès 1751, et longtemps avant que la même idée se fût présentée à moi, sa dissertation n’était point tombée entre mes mains, lors de l’impression de l’article Expansibilité, et j’ignorais absolument que cette explication du phénomène de l’évaporation ne fût pas neuve. »

[9] Erratum. — Cette proposition est trop générale et les exemples qui l’appuient ne la prouvent pas. Le mercure et le soufre combinés pour faire le cinabre ont besoin pour s’élever réunis, d’une chaleur beaucoup plus grande que celle qui élève chacun de ces deux mixtes pris séparément ; ainsi celui des deux qui est le moins volatil ne gagne point en volatilité par sa combinaison avec celui qui l’est le plus, au contraire ; et cela n’est point étonnant. La manière dont les éléments des corps sont unis nous est trop peu connue pour que nous puissions décider si les molécules formées de deux mixtes combinés seront plus ou moins adhérentes entre elles, que les molécules de chacun des deux mixtes pris séparément. L’action agrégative des parties du nouveau composé dépendant de circonstances absolument étrangères à l’union agrégative des parties de chaque mixte paraît ne devoir avoir avec elles aucune proportion. Aussi, la chimie nous présente-t-elle indifféremment les deux exemples contraires de deux corps fixes rendus volatils et de deux corps volatils rendus fixes par leur union. L’exemple de l’eau chargée de la partie aromatique des plantes qui s’élève à une moindre chaleur que l’eau pure est absolument étrangère à l’ordre de vaporisation des corps, et l’on n’en peut tirer ici aucune induction, parce que l’évaporation a beaucoup plus de part que la vaporisation dans les rectifications de cette espèce, et même dans un très grand nombre de distillations. Ceci mérite d’être expliqué et va l’être quelques lignes plus bas.

[10] Erratum. — Ces lignes contiennent plusieurs faussetés. Il ne s’ensuit point du tout de ce que les molécules du principe le plus volatil sont moins adhérentes que celles du principe le plus fixe, que celles-là doivent, en s’interposant entre les dernières, en diminuer l’adhérence. Cela peut dépendre de mille rapports de masse, de figure, etc., qui nous sont absolument inconnus. Ainsi, la théorie ne saurait prouver que le terme de vaporisation d’un mixte doit être mitoyen entre les termes auxquels chacun des principes, pris solitairement, commence à s’élever. L’exemple déjà cité du cinabre, qui s’élève beaucoup plus difficilement que chacun de ses deux principes, le soufre et le mercure, prouve que cette proposition est absolument fausse dans le fait. Il est naturel que la théorie explique mal un fait que l’expérience dément.

[11] Erratum. — Cette proposition est beaucoup trop générale. Il n’est pas douteux que l’eau bouillante ne s’élève par la seule expansibilité, mais toutes les fois que l’eau ne bout pas, c’est-à-dire dans toutes les distillations au bain-marie, et dans une infinité d’autres cas, la chaleur ne suffit pas pour mettre l’eau en vapeur ou dans l’état d’expansibilité. Elle s’élève cependant ; il faut donc recourir à une autre cause et cette cause est l’action dissolvante de l’air sur l’eau, augmentée par la chaleur des vaisseaux. En un mot, l’élévation de l’eau dans cette circonstance est un phénomène de l’évaporation et non de la vaporisation. M. Le Roy a montré, à l’article ÉVAPORATION, que l’air chaud peut dissoudre une plus grande quantité d’eau que l’air froid. On peut ajouter que l’eau chaude oppose aussi moins de résistance à cette action dissolvante de l’air, parce que l’union agrégative de ses molécules est moins forte. L’air échauffé dans les vaisseaux se charge donc d’une assez grande quantité d’eau, mais cet air est d’autant plus expansible qu’il est plus chaud et plus chargé d’eau ; il devient plus léger qu’un pareil volume d’air extérieur ; il sort des vaisseaux tandis que l’air extérieur y entre. Il se fait ainsi un déplacement et une circulation continuelle entre l’air chaud des vaisseaux et l’air froid de l’atmosphère. Quand l’air froid entre dans les vaisseaux, il refroidit subitement l’air qui en sort et celui-ci cesse de tenir en dissolution l’eau qui alors devient visible sous la forme de brouillard et s’attache en petites gouttes aux parois du récipient. Ce nouvel air qui remplit les vaisseaux s’échauffe à son tour, se charge d’une aussi grande quantité d’eau que le premier pour la perdre de la même façon, en cédant de nouveau la place à l’air extérieur. De là, ces espèces d’oscillations et les intervalles réglés qu’on observe dans la chute des gouttes d’eau qui tombent dans les récipients. De là aussi, la nécessité de conserver une communication continuelle avec l’air extérieur et l’impossibilité absolue de distiller et de sublimer dans des vaisseaux entièrement fermés, car M. Rouelle remarque très bien que ce n’est pas seulement la crainte de voir casser les vaisseaux qui oblige de les tenir ouverts, ou au moins de les ouvrir de temps en temps. Sans cette précaution, il ne se ferait aucune distillation, car, le concours de l’air extérieur est même nécessaire dans celles où le feu est assez fort pour élever immédiatement les matières en vapeurs, mais c’est pour une autre raison que nous ne pourrions développer ici sans allonger beaucoup cette note déjà trop longue. Je dirai seulement qu’il n’est pas nécessaire que, dans ce dernier cas, la communication avec l’air soit aussi continue : par exemple, dans la distillation des eaux-fortes, on se contente d’ouvrir de temps en temps le trou du ballon. Au reste, l’eau n’est pas la seule substance qui s’élève par la seule voie d’évaporation. Les huiles essentielles, le camphre, l’esprit de vin, l’éther, et beaucoup d’autres corps solides ou fluides sont dans le même cas, c’est-à-dire qu’ils ont, comme l’eau, un certain degré d’affinité avec l’air et qu’ils peuvent y être tenus en dissolution. Comme cette étiologie de la distillation qui est une branche de la théorie de M. Le Roy sur l’évaporation, n’a point encore été donnée, il n’est pas étonnant que les chimistes n’aient point encore fait les expériences nécessaires pour distinguer les cas où la distillation apparaît à l’évaporation ou à la vaporisation. Ce serait un travail aussi immense qu’il est utile et un préliminaire indispensable pour celui qui voudrait donner une théorie complète de la volatilité.

[12] Rouelle (1703-1770), le principal chimiste français avant Lavoisier.

[13] Erratum. — Il ne faut point entendre ce que je dis ici de la production de la flamme, comme si l’eau n’y avait d’autre part que de diviser mécaniquement les molécules de l’huile embrasée et d’en multiplier les surfaces. La flamme est un fluide particulier dans lequel l’eau est comme partie essentielle, mais combinée avec les autres. Mais il est toujours vrai que l’expansibilité de l’eau paraît être le principal agent qui donne aux corps embrasés cet éclat et cette vivacité qui caractérise la flamme.

[14] Tuberville Needham (1713-1781), l’un des savants anglais avec qui Turgot fut en correspondance.

[15] « L’article Expansibilité, dit Condorcet, renfermait une physique nouvelle. Turgot y explique en quoi consiste cette propriété qu’ont les fluides d’occuper un espace indéfini en vertu d’une force toujours décroissante, et qui cesse d’agir lorsqu’une force opposée fait équilibre à son action. Il apprenait à distinguer l’évaporation des fluides, c’est-à-dire la dissolution de leurs parties dans l’air, d’avec la vaporisation de ces parties lorsqu’elles passent de l’état de liquide à celui de fluide expansible. Il observait qu’à un même degré de chaleur cette vaporisation avait lieu plus promptement et pour de plus grandes masses, à mesure que ces liquides étaient contenus par une moindre force, en sorte que la vaporisation ne cesse, par exemple, dans un vase fermé et vide d’air, qu’au moment où la force expansive des parties déjà vaporisées est en équilibre avec celle qui produit la vaporisation. L’avantage de pouvoir distiller dans le vide avec une moindre chaleur était une suite de ces principes, et on pouvait employer ce moyen, soit pour faire avec économie des distillations en grand, soit pour exécuter des analyses chimiques avec une précision plus grande, et de manière à connaître les principes immédiats d’un grand nombre de substances. M. Turgot ne s’occupa que longtemps après de ces conséquences de sa théorie, mais il est encore le premier qui ait fait des analyses par le moyen de la distillation dans le vide, et le premier qui ait proposé d’appliquer cette méthode à la distillation des eaux-de-vie et à celle de l’eau de mer. (Vie de Turgot, 20). »

Il est presque inutile de faire remarquer que l’article de Turgot n’est pas en accord avec la science actuelle, mais il a contribué à la former.

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