36. — ÉPIGRAMME SUR LE TRAITÉ DE VERSAILLES[1].
[Correspondance littéraire, IV, 112. — Almanach des Muses, 1793. — Mastier, La philosophie de Turgot. — Chansonnier historique du XVIIIe siècle, par E. Raunier, à l’année 1759.]
Des nœuds par la prudence et l’intérêt tissus,
Un système garant du repos de la terre,
Vingt traités achetés par deux siècles de guerre,
Sans pudeur, sans motifs, en un instant rompus ;
Aux injustes complots d’une race ennemie
Nos plus chers intérêts, nos alliés vendus ;
Pour cimenter sa tyrannie,
Nos trésors, notre sang, vainement répandus ;
Les droits des nations, incertains, confondus ;
L’Empire déplorant la liberté trahie ;
Sans but, sans succès, sans honneur,
Contre le Brandebourg l’Europe réunie ;
De l’Elbe jusqu’au Rhin le Français en horreur ;
Nos rivaux triomphants, notre gloire flétrie,
Notre marine anéantie,
Nos villes sans défense et nos ports saccagés,
Le crédit épuisé, les peuples surchargés ;
Voilà les dignes fruits de vos conseils sublimes !
Trois cent mille hommes égorgés,
Bernis, est-ce assez de victimes ?
Et les mépris d’un roi[2] pour vos petites rimes
Vous semblent-ils assez vengés ? [3]
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[1] On attribua d’abord cette épigramme au comte de Tressan. La Correspondance littéraire en donna la paternité à Voltaire : « Je crois que le premier poète du siècle ne devrait pas se faire une peine de l’avouer. » Ensuite on y mit le nom de Turgot. L’abbé de Véri est à cet égard très affirmatif dans son Journal.
[2] Frédéric II, qui avait écrit :
Je n’ai pas tout dépeint ; la matière est immense
Et je laisse à Bernis la stérile abondance.
[3] Turgot, raconte Véri, écrivit en lettres moulées deux exemplaires de cette épigramme et alla en redingote les mettre à la porte Saint-Denis à l’adresse de deux personnes ; l’épigramme se répandit rapidement. On sait aujourd’hui que l’abbé de Bernis n’était pas l’auteur du traité d’alliance entre la France et l’Autriche.
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