28. — PLAN INACHEVÉ DE DISCOURS SUR LES PROGRÈS ET LA DÉCADENCE DES SCIENCES ET DES ARTS.[1]
[A. L., minute. — D. P., II, p. 329, avec quelques altérations.]
1° De la distribution du génie et des talents sur la masse des hommes.
2° De l’influence des langues sur le génie des peuples. De la grossièreté des premières langues et des premiers progrès des hommes. Origine de la poésie ; invention de l’écriture.
3° Commencements des sciences en Orient et en Égypte. Mœurs des Orientaux. Enthousiasme de leur éloquence et de leur poésie, commun à tous les peuples grossiers. Un mot des Juifs.
4° Commencements des Chinois, leurs progrès ; ils s’arrêtent bientôt et pourquoi. Leurs sciences sont concentrées dans leur pays. Raison de cette particularité.
5° Barbarie du reste des hommes dans le même temps. Premiers voyages d’Hercule et des Phéniciens sur les côtes de la Méditerranée ; leur mélange avec les anciens habitants de la Grèce. Formation de la langue et de la nation grecques avant la guerre de Troie.
6° Richesse de la langue des Grecs ; caractère particulier de leur poésie, tiré de la nature de leur langue. Pourquoi elle n’a pas tout l’enthousiasme des Orientaux. Sa perfection sous Homère, environ trois siècles après la guerre de Troie.
7° Constitution particulière de la nation grecque ; son étendue ; la petitesse des états dont elle est composée ; leur union ; leurs divisions. Des métropoles et des colonies. Des jeux publics. Substitution du gouvernement républicain au monarchique facile dans les petits états, effectuée dans la plus des villes de la Grèce. Langueur de cette nation dans le cours de ces révolutions, quelques siècles après Homère.
8° Commencement de la philosophie en Grèce ; Thalès et la secte ionique. Voyages des Grecs en Égypte. Législateurs des républiques : Solon ; Lycurgue ; Pisistrate, ses soins pour le progrès des lettres. Pythagore, défaut de sa philosophie, commencement des mathématiques. Guerres du Peloponèse, Beaux jours de la Grèce ; émulation entre toutes les villes ; puissance d’Athènes, sa splendeur, Théâtre des Grecs, Progrès dans tous les arts : poésie, peinture, architecture. Règne du goût et de l’éloquence. De Périclès, de Lisias, d’Isocrate, de Démosthène. État de la philosophie : Hippocrate, Socrate, Platon, Aristote, Épicure, Eudoxe. Toute la Grèce se polit ; les arts fleurissent à Corinthe, à Syracuse, dans la partie méridionale de l’Italie ; ils sont portés par les Phocéens jusque dans les Gaules. De Pythéas. Commencement de Rome.
9° Révolutions dans la grande Asie. Le commerce des Phéniciens tombe par les progrès de la Grèce, qui parvient à se passer d’eux et par la fondation de Carthage qui porte en Afrique les mœurs de l’Orient ; les Carthaginois, plus formés par là, plus différents des Barbaresques ; les Cadmiens ne se mêlent point avec eux, mais les rendent Phéniciens. Conquêtes des Assyriens ; état florissant de Babylone ; leur chute. Progrès successif des Mèdes et des Perses. Différences de ces nations d’avec les nations chaldéennes et syriennes. Sciences des Perses ; du magisme. Les Perses engloutissent les états des Assyriens, des Égyptiens et des rois de l’Asie Mineure ; ils s’approchent de la Grèce, soumettent les villes de l’Ionie. Langueur des arts dans ces villes pendant ce temps. Ils passent en Europe. Leurs guerres avec les Grecs en attirent plusieurs à leur cour. Révoltes fréquentes des Égyptiens, soutenues par les Grecs. Commerce ouvert entre les deux nations.
10°. Pendant que les Athéniens, les Spartiates et les Thébains s’arrachent successivement la supériorité du pouvoir dans la Grèce, la Macédoine s’élève. Philippe, le plus habile des Grecs, savant à diviser ses ennemis et à les vaincre les uns par les autres, forme le projet d’unir toute la Grèce sous sa domination et d’attaquer avec toutes ses forces la puissance de la Perse ; il fait la conquête de la Grèce. Éclat de l’éloquence grecque dans la bouche de Démosthènes. Philippe favorise les arts ; il meurt. Alexandre hérite de sa puissance et de ses vues ; il protège les sciences, détruit l’empire des Perses, et pousse ses conquêtes jusqu’aux Indes.
11° État du reste du monde pendant ces révolutions de l’Europe et de l’Asie occidentale. Des Chinois ; de Confucius et de sa philosophie. De la suppression des livres sous Tsin-Chi-Hoangti ; suites de cette suppression. Renaissance des lettres ; protégées, mais mal ; trop mêlées avec la constitution de l’État, trop réduites à l’histoire et à la morale.
Antiquité de la philosophie chez les Indiens ; remplie de fables et d’absurdités tirées de la mythologie des différents peuples qui ont dominé successivement dans cette partie du monde.
Le peu de progrès des autres peuples, Celtes, Germains, Scythes ; leurs connaissances, inutiles à considérer, parce qu’ils n’ont eu aucune influence sur les sciences qui se sont établies ensuite dans les mêmes pays.
12° Mort d’Alexandre. Division de son empire. Les Perses se relèvent dans les parties orientales de leur empire où ils conservent sous les Arsacides et ensuite sous les Khosroès leurs anciennes coutumes et leur philosophie jusqu’à la conquête des Arabes. Les généraux d’Alexandre partagent le reste de ses dépouilles ; la Mésopotamie, la Syrie et l’Égypte deviennent parties de la Grèce. Les petites républiques de la Grèce se relèvent, en même temps que les royaumes se forment des débris de l’Empire d’Alexandre ; mais toutes ces républiques sont incapables de résister à ces royaumes. L’Asie mineure se divise en un grand nombre d’états sous divers généraux d’Alexandre. Les côtes du Pont-Euxin sont soumises à plusieurs rois demi-grecs et demi-barbares. Chute de la grande éloquence en Grèce ; décadence d’Athènes et du théâtre. Fondation d’Antioche et d’Alexandrie ; splendeur de cette dernière ville ; affection des Ptolémée pour les lettres. Alexandrie devient le séjour des savants. Il s’y forme peu de grands hommes pour la poésie, parce qu’un gouvernement tyrannique peut former des savants en protégeant les lettres, mais ne laisse point assez d’essor au génie. Les Grecs commencent à cultiver ce que nous appelons érudition et à tourner les yeux sur les auteurs qui les avaient précédés. Progrès des mathématiques : Euclide, Proclus, Archimède, Ératosthène, Hipparque. État du reste de la philosophie. Les sciences de l’Orient demeurent sans éclat devant celles des Grecs, mais ne sont point détruites. Un mot des Juifs.
13° Après la guerre de Carthage, les Romains se répandent dans la Grèce et s’en rendent les maîtres. Ils s’instruisent de la philosophie des Grecs et de leur éloquence. La langue latine s’adoucit et s’enrichit. Les rhéteurs grecs qui ne pouvaient point former d’hommes éloquents dans leurs pays en forment à Rome. Commencements de la poésie latine. Plaute et Térence. Rome pousse toutes ses conquêtes dans tout l’univers et porte sa langue dans tout l’Occident. État des sciences et des arts en Grèce sous la république romaine. Brillant de l’éloquence à Rome ; la langue achève de se polir et de se fixer. Cicéron, Hortensius, César ; les Romains peu philosophes.
14° Guerres civiles de Rome. Guerres civiles utiles aux talents et aux lettres par le mouvement qu’elle met dans les esprits, surtout dans les républiques. De César, d’Antoine, d’Auguste, de Mecenas, de Virgile. Tyrannie d’Auguste, modérée par sa politique.
15° Tibère, Caligula, Claude, Néron. Progrès de la servitude et décadence des lettres. Abattement des Romains. Caractère de la tyrannie de ces princes. État des provinces de la Grèce ; écoles dans les Gaules. Fausses idées sur cette décadence. Fausses applications qu’on en fait. De Rome, de Sénèque, de Lucain, de Pétrone. Alexandrie se soutient. Mélange des sciences des Grecs avec celles de l’Orient. Naissance du christianisme. Guerres civiles après Néron. Vespasien, Titus, Domitien, Juvénal, les Pline, Tacite. Ruine et dispersion des Juifs ; le christianisme s’étend. Des Valentiniens, des Gnostiques. Naissance du Pythagorisme moderne. État des arts en Grèce et à Rome dans ces temps de la décadence du goût. La peinture et la sculpture restent dans la main des Grecs.
16° Trajan, les Antonins, bons empereurs ; l’Empire est plus tranquille. Pourquoi le goût ne revient pas à Rome. Fanatisme des Romains pour la nation et la philosophie grecques. État de la philosophie grecque de ce temps ; esprit de secte des grecs. Lucien, Plutarque, Pausanias, Jamblique, Plotin, Porphyre, Ptolémée. Alexandrie devient l’école la plus fameuse du christianisme. L’Afrique devient romaine. Caractère des Africains ; génie de Tertullien et de saint Cyprien. Inutilité de la protection des empereurs pour l’éloquence. Charlatanerie des savants grecs. Sévère. Les empereurs se succèdent au gré des soldats. Invasion des barbares. Quelques poètes sous Probus. Pourquoi en petit nombre et médiocres ? Pourquoi les génies n’étaient pas préparés ? Ce n’est pas toujours le plus grand génie qui est le meilleur écrivain de son siècle. Dioctétien, etc. Études à Milan et à Carthage. Rome tombe.
17° Constantin. L’Empire devient chrétien. Constantinople devient l’émule de Rome. Effet de la religion chrétienne sur les lettres et sur la philosophie des païens. Disputes frivoles des chrétiens. Éloquence des Pères de l’Église. Pourquoi médiocre ? Tyrannie de Constance. Caractère de Julien ; son esprit, son pédantisme. Monarchisme de ces philosophes. De Libanius, de Proeresius. Roi de l’éloquence. Valentinien, Théodose, Claudien et Jérôme, saint Augustin ; platonisme des Pères. Métaphysique ancienne rectifiée. Chute de Rome. Décadence de tous les arts. Commencement des disputes de religion chez les Grecs. Commencement des moines.
18° Conquêtes des peuples du nord. Leurs ravages ; l’ignorance, le mauvais goût s’établissent avec eux. Les Romains déjà ruinés, sous leurs ravages, vivent sous leur empire. La religion adoucit ces tigres ; forme du gouvernement de ces peuples. Ils abandonnent les villes et demeurent dans les campagnes. Le goût est détruit, les moines conservent quelques livres des sciences, mais fort bornées parce qu’elles l’étaient chez les anciens ; les arts se conservent, raisons de ces différences. Décadence du latin. Son mélange avec les langues barbares, effet de ce mélange. La chute de l’idolâtrie avait déjà diminué le goût des arts. De l’architecture gothique. Décadence du goût chez les Grecs. Conversion de l’Angleterre, de Rome et l’Italie. État des choses en Orient, en Occident pendant la dernière race, jusqu’aux conquêtes des Sarrasins…
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[1] Date incertaine. D’après Du Pont, Turgot, en entrant dans la magistrature sentit que le temps lui manquerait pour exécuter dans les grandes proportions qu’il avait conçues, son projet d’histoire universelle. Il crut devoir le restreindre à celle des progrès successifs des sciences et des arts et de leurs vicissitudes, dont la première idée se trouvait dans un de ses discours en Sorbonne. Sans renoncer à l’usage des matériaux qu’il avait rassemblés, il resserra son plan général.
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