14. – DEUXIÈME LETTRE À L’ABBÉ DE CICÉ
[A. L., minute. — D. P., II, 1 ; reproduction sans le commencement et avec plusieurs altérations.]
(Séjour au Séminaire. — Le monde à Bourges. — Dissertation sur le papier-monnaie.)
Paris, 7 avril 1749.
Les offices dont nous sommes accablés m’ont empêché de vous écrire jusqu’à ce jour, mon cher abbé, et je profite du premier moment de liberté qui se présente. Vous avez sans doute été de même fort occupé, tant par les offices de la semaine sainte que par vos visites dans la ville. J’ai vu du moins une lettre de l’abbé de Véri où il marquait que la compagnie était à Bourges bonne et nombreuse ; je vous en fais mon compliment à tous deux et surtout à lui ; cela pourra adoucir l’ennui d’être éloignés de Paris et vous délasser des fatigues de l’étude et des importantes affaires que vous aurez à traiter. Pour moi, mon cher abbé, vous jugez bien que le séminaire n’est pas un séjour de consolation, mais vous savez aussi qu’il n’en est aucun qui puisse me dédommager du plaisir de vous voir et de vous embrasser aussi souvent que mon amitié le souhaiterait.
Nous voilà réduits à converser de loin. Je n’ai point oublié mes engagements, et pour entamer dès aujourd’hui quelque matière, je vous dirai que j’ai lu les trois lettres que l’abbé Terrasson[1] publia[2] en faveur du système de Law quelques jours avant le fameux arrêt du 21 mai 1720, qui, comme vous croyez bien, le couvrit de ridicule.
Une partie de cet écrit roule sur les rentes constituées, qu’il prétend être usuraires. Il y a dans ses raisonnements du vrai, du faux, et rien d’approfondi. Il ne connaît point assez la nature de l’intérêt, ni la manière dont il est produit par la circulation[3] ; mais il montre assez bien que le Parlement, dans ses remontrances sur la diminution des rentes, est encore plus ignorant que lui.
Tout le reste de l’ouvrage traite du crédit et de sa nature, et comme c’est là le fondement du système ou plutôt tout le système, je vous rendrai compte des réflexions que j’ai faites en le lisant. Je crois que les principes qu’il expose sont ceux mêmes de M. Law, puisqu’il écrivait sans doute de concert avec lui ; et dès lors, je ne puis m’empêcher de penser que Law n’avait point des vues assez sûres ni assez étendues pour l’ouvrage qu’il avait entrepris.
« Premièrement, dit l’abbé Terrasson au commencement de sa seconde lettre, c’est un axiome reçu dans le commerce que le crédit d’un négociant bien gouverné monte au décuple de son fonds. »
Mais ce crédit n’est point un crédit de billets comme celui de la banque de Law. Un marchand qui voudrait acheter des marchandises pour le décuple de ses fonds, et qui voudrait les payer en billets au porteur, serait bientôt ruiné. Voici le véritable sens de cette proposition : un négociant emprunte une somme pour la faire valoir, et non seulement il retire de cette somme de quoi payer les intérêts stipulés et de quoi la rembourser au bout d’un certain temps, mais encore des profits considérables pour lui-même. Ce crédit n’est point fondé sur les biens de ce marchand, mais sur sa probité et sur son industrie, et il suppose nécessairement un échange à une échéance déterminée, car si les billets étaient payables à vue, le marchand ne pourrait jamais faire valoir l’argent qu’il emprunterait. Aussi est-il contradictoire qu’un billet à vue porte intérêt, et un pareil crédit ne peut passer les fonds de celui qui emprunte. Ainsi le gain que fait le négociant par son crédit, et qu’on prétend être décuple de celui qu’il ferait avec ses seuls fonds, vient uniquement de son industrie ; c’est profit qu’il tire de l’argent qui passe entre ses mains au moyen de la confiance que donne son exactitude à le restituer, et il est ridicule d’en conclure, comme je crois l’avoir lu dans Du Tot[4] qu’il puisse faire des billets pour dix fois autant d’argent qu’il en possède.
Remarquez que le Roi ne tire point d’intérêt de l’argent qu’il emprunte ; il en a besoin, ou pour payer ses dettes, ou pour les dépenses de l’État ; il ne peut par conséquent restituer qu’en prenant sur ses fonds, et dès lors il se ruine s’il emprunte plus qu’il n’a. Son crédit ressemble à celui du clergé. En un mot tout crédit est un emprunt et a un rapport essentiel à son remboursement. Le marchand peut emprunter plus qu’il n’a, parce que ce n’est pas sur ce qu’il a qu’il paye, et les intérêts, et le capital, mais sur ce qu’il emprunte, qui, bien loin de dépérir entre ses mains, y augmente de prix par son industrie.
L’État, le Roi, le clergé, les États d’une province, dont les besoins absorbent les emprunts, se ruinent nécessairement si leur revenu n’est pas suffisant pour payer tous les ans, outre les dépenses courantes, les intérêts et une partie du capital de ce qu’ils ont emprunté dans le temps des besoins extraordinaires.
L’abbé Terrasson pense bien différemment. Selon lui, « le Roi peut passer de beaucoup la proportion du décuple à laquelle les négociants et les particuliers sont fixés. » Le billet d’un négociant pouvant être refusé dans le commerce, ne circule pas comme l’argent, et par conséquent revient bientôt à sa source ; son auteur se trouve obligé de payer, et se trouve comme privé du bénéfice du crédit. Il n’en est pas de même du Roi : tout le monde est obligé d’accepter son billet et, que ce billet circule comme l’argent, il paye valablement avec sa promesse même ». Cette doctrine est manifestement une illusion.
Si le billet vaut de l’argent, pourquoi promettre de payer ? Si le billet tient lieu de monnaie, ce n’est plus un crédit. Law l’a bien senti, et il avoue que le papier circulant est véritablement une monnaie ; il prétend qu’elle est aussi bonne que celle d’or et d’argent. « Ces deux métaux, dit l’abbé Terrasson, ne sont que les signes qui représentent les richesses réelles, c’est-à-dire les denrées. Un écu est un billet conçu en ces termes : Un vendeur quelconque donnera au porteur la denrée ou marchandise dont il aura besoin jusqu’à la concurrence de trois livres, pour autant d’une autre marchandise qui m’a été livrée ; et l’effigie du Prince tient lieu de signature. Or, qu’importe que le signe soit d’argent ou de papier ? Ne vaut-il pas mieux choisir une matière qui ne coûte rien, qu’on ne soit pas obligé de retirer du commerce où elle est employée comme marchandise, enfin qui se fabrique dans le Royaume et qui ne nous mette pas dans une dépendance nécessaire des étrangers et possesseurs des mines, qui profitent avidement de la séduction où l’éclat de l’or et de l’argent a fait tomber les autres peuples ; une matière qu’on puisse multiplier selon ses besoins, sans craindre d’en manquer jamais, enfin qu’on ne soit jamais tenté d’employer à un autre usage qu’à la circulation ? Le papier a tous ces avantages, qui le rendent préférable à l’argent. »
Ce serait donc un grand bien que la pierre philosophale si tous ces raisonnements étaient justes car on ne manquerait jamais d’or ni d’argent pour acheter toutes sortes de denrées. Mais était-il permis à Law d’ignorer que l’or s’avilit en se multipliant, comme tout autre chose ? S’il avait lu et médité Locke[5], qui avait écrit vingt ans avant lui, il aurait su que toutes les denrées d’un État se balancent toujours entre elles et avec l’or et l’argent, suivant la proportion de leur quantité et de leur débit ; il aurait appris que l’or n’a point une valeur intrinsèque qui réponde toujours à une certaine quantité de marchandises ; mais que, quand il y a plus d’or, il est moins cher, et qu’on en donne plus pour une quantité déterminée de marchandises ; qu’ainsi l’or, quand il circule librement, suffit toujours au besoin d’un État, et qu’il est fort indifférent d’avoir 100 millions de marcs ou un million, si on achète toutes les denrées plus cher dans la même proportion. Il ne se serait pas imaginé que la monnaie n’est qu’une richesse de signe dont le crédit est fondé sur la marque du prince.
Cette marque n’est que pour en certifier le poids et le titre. Elle en fixe si peu le prix que l’augmentation des monnaies laisse toujours le poids et le titre dans le même rapport avec les denrées et que l’argent non monnayé est aussi cher que le monnayé ; la valeur numéraire n’est qu’une pure dénomination. Voilà ce que Law ignorait en établissant la banque.
C’est donc comme marchandise que l’argent est, non pas le signe, mais la commune mesure des autres marchandises ; et cela, non pas par une convention arbitraire fondée sur l’éclat de ce métal, mais parce que, pouvant se réduire[6] au même titre et se diviser exactement, on en connaît toujours la valeur.
L’or tire donc son prix de sa rareté, et bien loin que ce soit un mal qu’il soit employé en même temps et comme marchandise et comme mesure, ces deux emplois soutiennent son prix.
Je suppose que le Roi puisse établir de la monnaie de papier, ce qui ne serait pas aisé avec toute son autorité : examinons ce qu’on y gagnera. Premièrement, s’il en augmente la quantité, il l’avilit par là même ; et, comme il conserve toujours le pouvoir de l’augmenter, il est impossible que les peuples consentent à donner leurs denrées pour un effet auquel un coup de plume peut faire perdre sa valeur. « Mais, dit l’abbé Terrasson, le Roi, pour conserver son crédit, est intéressé à renfermer le papier dans de justes bornes, et cet intérêt du prince suffit pour fonder la confiance. » Quelles seront ces justes bornes, et comment les déterminer ? Suivons le système dans toutes les différentes suppositions qu’on peut faire, et voyons quelle sera dans chacune sa solidité comparée à son utilité.
J’observe d’abord qu’il est absolument impossible que le Roi substitue à l’usage de l’or et de l’argent celui du papier. L’or et l’argent même, à ne les regarder que comme signes, sont actuellement distribués dans le public, par leur circulation même, suivant la proportion des denrées, de l’industrie, des terres, des richesses réelles de chaque particulier, ou plutôt du revenu de ses richesses comparé avec ses dépenses. Or, cette proportion ne peut jamais être connue, parce qu’elle est cachée et parce qu’elle varie à chaque instant par une circulation nouvelle. Le Roi n’ira pas distribuer sa monnaie de papier à chacun suivant ce qu’il possède de monnaie d’or, en défendant seulement l’usage de celle-ci dans le commerce ; il faut donc qu’il attire à lui l’or et l’argent de ses sujets en leur donnant à la place son papier, ce qu’il ne peut faire qu’en leur donnant ce papier comme représentatif de l’argent[7]. Autrement les peuples ne les prendraient pas. Ainsi les billets de banque portaient leur valeur en argent ; ils étaient par leur nature exigibles ; et tout crédit l’est, parce qu’il répugne que les peuples donnent de l’argent pour du papier. Ce serait mettre sa fortune à la merci du Prince, comme je le montrerai plus bas.
C’est donc un point également de théorie et d’expérience que jamais le peuple ne peut recevoir le papier que comme représentatif de l’argent, et par conséquent convertible en argent.
Une des manières dont le Roi pourrait attirer à lui l’argent en échange, et peut-être le seul, serait de recevoir ses billets conjointement avec l’argent, et de ne donner que ses billets en gardant l’argent. Alors il choisirait entre ces deux partis : ou de faire fondre l’argent pour s’en servir comme marchandise en réduisant ses sujets à l’usage du papier ; ou de laisser circuler conjointement l’argent et le papier représentatifs l’un de l’autre.
Je commence par examiner cette dernière supposition. Alors je suppose que le Roi mette dans le commerce une quantité de papier égale à celle de l’argent (Law en voulait mettre dix fois davantage) : comme la quantité totale des signes se balance toujours avec le total des denrées, qui est toujours le même, il est visible que le signe vaudra la moitié moins, ou, ce qui est la même chose, les denrées une fois davantage. Mais, indépendamment de leur qualité de signe, l’or et l’argent ont leur valeur réelle en qualité de marchandises ; valeur qui se balance aussi avec les autres denrées proportionnellement à leur quantité, et qu’ils ne perdent point par leur qualité de monnaie puisqu’on peut toujours le fondre. L’argent vaudra donc plus comme métal que comme monnaie, c’est-à-dire qu’il se balancera avec plus de marchandises comme métal, que le papier avec lequel il se balance comme monnaie. Et, ainsi que je le montrerai plus bas, le Roi est toujours obligé d’augmenter le nombre de ses billets, s’il ne veut les rendre inutiles ; cette disproportion augmentera au point que les espèces ne seront plus réciproquement convertibles avec le papier, qui se décriera de jour en jour, tandis que l’argent se soutiendra toujours, et se balancera avec la même quantité de marchandises. Or, dès que le billet n’est plus réciproquement convertible avec l’argent, il n’a plus aucune valeur, et c’est ce que je vais achever de démontrer en examinant l’autre supposition, qui est que le Roi réduise absolument ses sujets à la monnaie de papier.
Je remarque qu’elle a un inconvénient général, qui est que, sa quantité étant arbitraire, jamais il ne peut y avoir un fondement assuré à sa balance avec les denrées. La valeur numéraire des monnaies changeant comme le poids, le même poids se balance toujours avec les mêmes denrées. Mais, dans le cas du papier, unique valeur numéraire, rien n’est fixe ; rien n’assure que les billets portent la même somme numéraire que tout l’argent qui est dans le royaume. Donnons-leur, par hypothèse, toute la confiance imaginable ; si on augmente les billets du double, les denrées augmenteront du double, etc.
Il est donc faux premièrement que le système soit, comme l’avance l’abbé Terrasson, un moyen d’avoir toujours assez de signes des denrées pour les dépenses qu’on fait, puisqu’il est également contradictoire qu’il n’y ait pas assez d’argent pour contrebalancer les denrées et qu’il puisse y en avoir trop, puisque le prix des denrées se rapporte à la rareté plus ou moins grande de l’argent et n’est que l’expression de cette rareté.
En second lieu, l’avantage que tirera le Roi du système sera un avantage passager dans la création des billets, ou plutôt dans leur multiplication, mais qui s’évanouira bien vite, puisque les denrées augmenteront de prix à proportion du nombre des billets.
Je vois ce qu’on répondra : « Il y a ici une différence d’avec la simple augmentation des valeurs numéraires dans laquelle l’espèce s’augmente dans les mains de tous les particuliers chez qui elle est distribuée, et qui n’affecte rien que les dettes stipulées en valeurs numéraires. Ici, cette augmentation se fait tout entière dans la main du Roi, qui se crée ainsi des richesses selon son besoin, et qui, ne mettant le billet dans la circulation qu’en le dépréciant, en a déjà tiré tout le profit quand, par sa circulation, ce billet commence à augmenter le prix des denrées. »
De là, qu’arrivera-t-il ? Le Roi pourra, en se faisant ainsi des billets pour ses besoins, exempter totalement son peuple d’impôts, et faire des dépenses beaucoup plus considérables ; seulement il suffira de connaître (ce qui est aisé par le calcul) quelle est la progression suivant laquelle le nombre des billets doit être augmenté chaque année ; car il est visible que de l’année précédente, ayant augmenté le prix des denrées en se balançant avec elles pour faire la même dépense, il faut en faire bien davantage la seconde année, suivant une progression qui s’augmentera encore, à mesure que les dépenses prendront une plus haute valeur nominale. Il faut, en général, toujours garder la même proportion entre la masse totale des anciens billets et celle des nouveaux, le quart, par exemple.
Suivons cette hypothèse dans ses avantages et ses inconvénients, nous tirerons ensuite quelques conséquences.
1° J’avoue que, par ce moyen, le Roi épargnerait à ses sujets non pas les impôts, parce qu’on ne fait rien de rien et que tirer de ses sujets des denrées en leur donnant des billets qui n’équivalent pas à ces denrées, serait toujours se servir de leur bien, mais leur épargnerait du moins les frais et les vexations qui augmentent la quantité et le poids des impôts.
2° Je ne sais trop comment on pourrait connaître si ce secours que le Roi tirerait de ses sujets serait payé par tous dans la proportion de leurs richesses. Il est visible que si le marchand qui a reçu le billet du Roi n’en tire que le prix qu’il doit avoir dans sa circulation avec la masse des billets dont il a augmenté le nombre, ceux avec qui le Roi traiterait immédiatement porteraient seuls le poids des impôts.
La solution de cette question dépend d’un problème assez compliqué : quand et comment, par la circulation, une somme d’argent nouvelle vient-elle à se balancer avec toute la masse des denrées ? Il est clair que ce n’est qu’en s’offrant successivement pour l’achat de diverses denrées qu’elle vient les renchérir pour le public. Quand celui qui a reçu l’argent du Roi le répand, il n’a point encore circulé ; ainsi les denrées ne sont point encore enchéries ; ce n’est qu’en passant par plusieurs mains qu’il parvient à les enchérir toutes. Il paraît par là que, quoiqu’on ne puisse avoir là-dessus rien d’absolument précis, il est pourtant vraisemblable que la perte se répandrait assez uniformément sur tous les particuliers.
Mais il est fâcheux qu’un si beau système soit impossible. On sait, par les registres des monnaies, que depuis la refonte générale de 1726, il a été fabriqué en France pour 1 200 millions d’espèces ; celles que les étrangers ont fabriquées se balancent avec celles que les besoins de l’État ont fait sortir du royaume. On peut donc compter sur 1 200 millions environ. Le revenu du Roi est d’environ 300, c’est le quart. Le Roi a donc besoin, pour subvenir à ses dépenses nécessaires, du quart de la masse totale des valeurs numéraires existantes dans l’État et répandues dans la circulation. Dans le cas où le Roi se créerait à lui-même tout son revenu, comme dans le cas de la pierre philosophale ou des billets multipliés arbitrairement, au moment de la multiplication, les denrées ne sont pas encore augmentées, il ne serait pas obligé à une plus grande augmentation. La somme des billets sera donc la première année :
a + a/4 = 1 200 + 300 = 1 500.
La seconde année :
a + a/4 + (a+a/4) /4 = 1 500 + 1 500/4 = 1 975 [8] ……
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[1] Jean Terrasson (1677-1750) membre de l’Académie Française (1732).
[2] Dans le Mercure. Voir ci-dessus, p. 28.
[3] Du Pont, a mis « par le travail et la circulation ».
[4] Réflexions politiques sur les finances et le commerce (1738), t. I, p. 226 : « Un crédit bien gouverné monte au décuple du fonds d’un marchand ; et il gagne autant avec ce crédit que s’il avait dix fois son fonds. Cette maxime est généralement reçue chez tous les négociants. »
[5] Les écrits de Locke sur la monnaie datent de 1691 à 1698.
[6] Du Pont avait mis : « pouvant être employé sous diverses formes comme marchandise et ayant, à raison de cette propriété, une valeur vénale un peu augmentée par l’usage qu’on en fait aussi comme monnaie. »
[7] Du Pont a introduit ici une phrase sur le blé qui n’est pas dans le manuscrit.
[8] Il est possible que cette lettre soit restée à l’état de projet sans avoir été achevée. Elle a été écrite peu de temps après la publication de l’Esprit des Lois.
Montesquieu qui doit occuper dans l’histoire économique, ne serait-ce qu’en raison de l’énorme publicité de ses écrits, plus de place qu’on ne lui en donne quelquefois et qui a été regardé par les Physiocrates, ainsi que par Turgot, comme un maître (Turgot le cite avec Hume, Cantillon, Quesnay et Gournay) avait avancé sur la question du papier-monnaie plus d’une opinion erronée, dans ses Lettres persanes, écrites au temps de Law ; mais il s’était corrigé dans l’Esprit des Lois.
Les personnages des Lettres persanes avaient répété les vieux dictons sur les inconvénients du progrès ; ils avaient assimilé le papier aux métaux précieux dont ils n’avaient pas compris le rôle économique, et tout en se méfiant du Système et de ses auteurs, n’en avaient pas prévu la chute.
« Que nous ont servi, lit-on dans ce petit livre à la date de 1717, l’invention de la boussole et la découverte de tant de peuples, qu’à nous communiquer leurs maladies plutôt que leurs richesses ? L’or et l’argent avaient été établis par une convention générale pour être le prix de toutes les marchandises et un gage de leur valeur, par la raison que ces métaux étaient rares et inutiles à tout autre usage. Que nous importait-il donc qu’ils devinssent plus communs et que, pour marquer la valeur d’une denrée, nous eussions deux ou trois signes au lieu d’un ? Cela n’en était que plus incommode. »
Plus loin, à la date de 1720 : « La France, à la mort du feu roi (Louis XIV) était un corps accablé de mille maux… Noailles appliqua quelques remèdes topiques, mais il restait toujours un vice intérieur à guérir. Un étranger est venu qui a entrepris cette cure ; après bien des remèdes violents, il a cru lui avoir rendu son embonpoint et il l’a seulement rendue bouffie… Tous ceux qui étaient riches, il y a six mois, sont à présent dans la pauvreté et ceux qui n’avaient pas de pain regorgent de richesses. »
Plus loin encore est cette phrase ironique : « Il y a longtemps qu’on a dit que la bonne foi était l’âme d’un grand ministre ».
Melon qui écrivit son Essai politique sur le commerce, en 1734 (1ère édit.) ne vit pas beaucoup plus clair dans les phénomènes de circulation. « Les variations de valeur de la monnaie sont sans importance, conclut-il ; on peut donc la modifier afin d’accroître le rendement des impôts par la cherté générale ».
Du Tot mit les choses au point dans ses Réflexions politiques sur les finances et le commerce, en 1738 : « Les monnaies sont l’instrument nécessaire de nos échanges réciproques et la mesure qui règle la valeur des biens échangés ; il ne faut pas plus y toucher qu’aux autres mesures ».
Enfin, Montesquieu se rectifiant, écrivit dans l’Esprit des Lois : « L’argent tiré des mines de l’Amérique, transporté en Europe, de là encore envoyé en Orient, a favorisé la navigation de l’Europe. C’est une marchandise de plus que l’Europe reçoit en troc de l’Amérique et qu’elle envoie en troc aux Indes.
« Une plus grande quantité d’or et d’argent est donc favorable, lorsqu’on regarde ces métaux comme une marchandise ; elle ne l’est point lorsqu’on les regarde comme signe, parce que leur abondance choque leur qualité de signe qui est beaucoup fondée sur la rareté…
« S’il arrivait qu’un état ait établi une banque dont les billets dussent faire la fonction de monnaie et que la valeur numéraire de ces billets fût prodigieuse, il suivrait de la nature des choses que ces billets s’anéantiraient de la manière qu’ils se seraient établis… »
C’est la conclusion, démontrée par l’expérience, que développa Turgot.
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