Œuvres de Turgot. 006. — Lettres de Turgot père, à son fils le Chevalier à Malte
6. — LETTRES DE TURGOT PÈRE, À SON FILS LE CHEVALIER À MALTE
[A. L., original.]
(Thèse de Bachelier de Turgot.) [a]
I. 24 janvier.
… Votre frère l’abbé travaille à force pour soutenir une grande thèse dans le mois de février prochain à laquelle l’archevêque de Tours[b] doit présider…
II. 1er février.
…Le Roi a donné dimanche dernier à votre frère l’abbé le serment de fidélité sur l’archevêché ou plutôt sur le chapitre de l’église de Paris. Ce n’est pas à la vérité un canonicat prêt à venir puisqu’il faut qu’il en passe trois avant lui, mais la façon dont cela s’est fait est flatteuse, car je n’ai fait ni fait faire d’aucunes démarches pour l’obtenir…
III. 11 mars.
[Lettre publiée par extrait par L. Say, « Les papiers de Turgot », Journal des Débats du 27 septembre 1887.]
…Votre frère l’abbé a soutenu sa thèse avec toute la distinction possible.
Il a surpassé infiniment ce que j’en attendais, car il n’a pas eu la moindre timidité et a eu l’approbation généralement de tout le monde. Il a soutenu dans les écoles extérieures de Sorbonne dont la salle est immense. Elle était parfaitement meublée et éclairée et, quelque étendue qu’elle soit, elle n’a pas cessé d’être pleine de monde pendant cinq heures qu’a duré la thèse.
C’était M. l’archevêque de Tours qui y présidait. L’assemblée du clergé, qui se tient actuellement à Paris et dont il est président, vint aussi en corps à cette thèse. M. l’Archevêque de Paris[c] vint de son côté in flocchi[d]. Son porte-croix en surplis portait la croix assis dans la portière de son carrosse, le précédait en entrant dans la salle et s’assit vis-à-vis de lui sur un tabouret portant cette grande et belle croix archi-épiscopale qui est de vermeil doré.
Lorsque l’archevêque fut sorti, le nonce du pape arriva et y resta plus d’une heure et demie. Il dit en sortant à l’abbé et aux docteurs de Sorbonne qui l’accompagnaient, et à votre frère, et à M. de Creil[e] qu’il avait assisté à bien des thèses, mais qu’il n’en avait point encore vu de soutenue comme celle-là.
L’archevêque de Tours en descendant de sa chaire, embrassa l’abbé et lui dit que cela s’appelait soutenir éminemment ; il fut le lendemain à Versailles et le Roi lui ayant demandé s’il était la veille à l’assemblée du Clergé, il répondit que non. Le Roi lui demanda pourquoi ; il répondit qu’il présidait à une thèse. Le Roi s’informa qui la soutenait ; il répondit que c’était l’abbé Turgot, et le Roi lui ayant demandé s’il avait bien fait, il eut la bonté de répondre à S. M. qu’il n’avait jamais vu soutenir une thèse avec autant de distinction et ajouta qu’il n’y avait pas un plus grand, ni un meilleur sujet que l’abbé. Tout cela est fort flatteur pour nous et doit vous faire aussi grand plaisir.
Il a été porté 2 250 thèses. Tous les ducs, maréchaux de France, les chevaliers de l’ordre, ceux de la Toison d’Or, les ministres et les ministres étrangers, tous les grands seigneurs et grand nombre d’officiers généraux, tout le clergé, tous les abbés de condition, le Chapitre de Notre-Dame, nombre de curés de Paris, le Parlement, la Chambre des Comptes, la Cour des Aides, le Grand Conseil, la Ville et le Châtelet, ainsi que tous les supérieurs des séminaires et des communautés religieuses, l’abbé de Sainte-Geneviève, le général de l’Oratoire, celui des Bénédictins et celui de Saint-Lazare et grand nombre de Jésuites, ainsi que la Faculté de Théologie et celle de droit, toute l’Académie des Inscriptions[f], plusieurs de l’Académie des Sciences et de l’Académie française et tous nos parents et amis y avaient été invités. M. Turgot de Saint-Clair, M. de Creil, M. l’abbé de Malherbe et M. de Marivats aidaient, avec votre frère, à en faire les honneurs. J’ai cru que vous ne seriez pas fâché d’être informé de ce détail.
IV. 21 mars.
Je donne vendredi un grand dîner à M. l’Archevêque de Tours qui a présidé la thèse de votre frère l’abbé, à MM. l’évêque de Verdun[g], l’évêque de Séez[h], l’abbé d’Harcourt, l’abbé de Saint-Exupéri, l’abbé d’Agoult, l’abbé de Malherbe, l’abbé de Breteuil et l’abbé de Nicolaï, agents du clergé, et à M. de Nicolaï, premier président de la Chambre des comptes. M. de Creil y sera avec nous.
Votre frère l’abbé qui professe au collège de Séez[i] va demeurer au collège de Bourgogne, rue des Cordeliers.
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[a] Voir à ce sujet p. 86.
[b] De Rastignac (1684-1750), évêque de Tulle, puis archevêque de Tours (1723).
[c] Christophe de Beaumont, archevêque de 1746 à 1781.
[d] En grand costume sacerdotal.
[e] Oncle de Turgot.
[f] Dont le prévôt des marchands faisait partie.
[g] D’Hallencourt de Drosménil, évêque de Verdun, de 1721 à 1754.
[h] Néel de Cristot, évêque de 1740 à 1775.
[i] Collège fondé par un évêque de Séez en faveur de huit écoliers dont quatre du diocèse de Séez et quatre du diocèse du Mans.
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