À la mort de Charles Coquelin, son ami Gustave de Molinari est chargé de composer une notice biographique résumant les accomplissements de cette figure oubliée de l’école de Paris. Collaborateur de Bastiat, directeur du Dictionnaire de l’économie politique, Coquelin aura aussi contribué d’une manière toute particulière à la théorie des banques, laissant derrière lui des intuitions et des principes qui serviront à d’autres, comme J.-G. Courcelle-Seneuil, pour théoriser la banque libre. B.M.
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR CHARLES COQUELIN [1]
La science économique vient de perdre encore une de ses meilleures plumes et l’une de ses voix les plus éloquentes. Le savant rédacteur en chef du Dictionnaire de l’Économie politique, l’orateur applaudi de la salle Montesquieu, qui avait tenu en tant d’occasions et d’une main si ferme le drapeau de la liberté économique, Charles Coquelin est mort le 12 août dernier, à l’âge de quarante-neuf ans. C’est ainsi que nos rangs s’éclaircissent peu à peu ; c’est ainsi que nous avons successivement perdu, en quelques années, Eug. Daire, Th. Fix, Rossi, Fonteyraud, Bastiat, Coquelin, morts dans la vigueur de l’âge et du talent. Encore si de nouvelles recrues avaient rempli aussitôt les vides que tant de morts hâtives ont causés dans la petite armée des propagateurs de la science, nos regrets auraient été adoucis par des espérances. Malheureusement l’économie politique n’est pas en faveur aujourd’hui. On lui fait rudement expier la persistance incommode avec laquelle elle répète à tous, gouvernants et gouvernés, ouvriers et maîtres, riches et pauvres, des vérités qui paraissent être si peu agréables à entendre. On la laisse en dehors du programme de l’enseignement officiel, ou si on l’y fait figurer, c’est à côté du tibétain et du sanscrit. En sorte qu’il faut, comme l’écrivain d’élite dont nous allons raconter la vie, être irrésistiblement poussé par l’amour de la vérité et savoir faire abnégation des intérêts qui ont le plus de prise sur le cœur humain, pour se vouer à une carrière si ingrate.
Né à Dunkerque, le 27 novembre 1803, Charles Coquelin obtint au collège de Douai les succès les plus brillants. Son intelligence était prompte et facile, sa mémoire véritablement prodigieuse. Vers la fin de sa vie, il possédait non seulement à un degré remarquable toutes les notions relatives à la science à laquelle il s’était spécialement voué, mais encore il avait retenu les plus beaux morceaux des maîtres de notre littérature. Il savait Racine et Molière à peu près par cœur, comme il connaissait d’une manière approfondie Adam Smith, J.-B. Say et Ricardo. Sa mémoire était une bibliothèque où les poètes et les orateurs avaient leur place à côté des économistes, et où il trouvait, avec de nombreux et solides matériaux pour ses travaux scientifiques, des modèles dont l’influence s’aperçoit dans l’élégante et facile correction de sa diction et de son style.
Il se destina d’abord au barreau, suivit les cours de la Faculté de droit de Paris, et obtint le diplôme de licencié en droit. Mais déjà l’amour des lettres commençait à se réveiller en lui, et il chercha à concilier ses diverses études, le désir de rester dans la capitale et le besoin de se suffire, par une publication périodique.
Ce début ne fut pas heureux. De concert avec d’autres jeunes avocats, il fonda, en 1827, un journal mensuel de jurisprudence commerciale, qui succomba au bout de deux ans, faute d’avoir été convenablement administré. Abandonné successivement par ses associés, chargé de tout le fardeau d’une entreprise qui tournait à mal, Charles Coquelin perdit, dans cette mauvaise affaire, sa modeste part de fortune personnelle. Il revint dans sa famille, et ses parents le pressèrent d’exercer la profession d’avocat. Un organe sonore, une élocution facile et claire lui promettaient du succès au barreau, une carrière sûre et une existence aisée. Il plaida plusieurs fois avec bonheur devant le tribunal de commerce.
Mais Coquelin avait des défauts et des qualités qui devaient lui rendre antipathique l’exercice de la profession d’avocat, surtout en province. Ses défauts consistaient dans l’absence de toute préoccupation relative à ses intérêts personnels et dans une fâcheuse imprévoyance de l’avenir ; ses qualités étaient une probité ombrageuse et un sentiment inné du droit que le moindre sophisme exaspérait. Il aurait passé sa vie à refuser des dossiers. Ajoutons encore qu’il avait le goût des idées bien plus que le goût des affaires. On ne s’étonnera donc pas s’il abandonna une existence assurée dans sa ville natale, pour aller tenter à Paris les hasards d’une carrière scientifique et littéraire.
Il abandonna alors la jurisprudence pour l’économie politique, qu’il avait, du reste, instinctivement cultivée dès les premières années de sa jeunesse.
Une circonstance assez curieuse influa à cette époque sur la direction de son esprit et de ses études. Il discutait avec un ami de sa famille, négociant fort honorable de Dunkerque, et aussi ardent protectionniste qu’il était déjà lui-même chaleureux partisan de la liberté du commerce. La lutte entre les deux adversaires était vive, incessante, et presque journalière. Ils ne se mirent jamais d’accord ; mais il en résulta pour Coquelin la nécessité de creuser à fond les doctrines vers lesquelles sa raison l’avait d’abord guidé.
Sous la pression de cet adversaire de l’économie politique, Coquelin avait successivement relu, commenté et annoté les ouvrages de J.-B. Say, de Destutt de Tracy, du comte d’Hauterive, de MacCulloch, etc. Ricardo ne lui tomba sous la main que plus tard ; mais, chose curieuse et dont toutefois l’histoire des sciences offre plus d’un exemple, Coquelin avait trouvé, de son côté, l’ingénieuse théorie de la rente, qui est un des principaux titres de gloire de l’illustre économiste anglais. Il racontait plus tard à ses amis combien il avait été surpris, et jusqu’à un certain point contrarié, de trouver dans les œuvres de Ricardo ce qu’il croyait être sa découverte. Cet incident de ses premières études d’économie politique explique l’ardeur avec laquelle il défendit la théorie de la rente lorsqu’elle eut été remise en question par M. Carey et par notre tant regrettable Bastiat. C’est que Charles Coquelin considérait un peu la théorie de Ricardo comme sienne. En même temps qu’il étudiait les maîtres de la science, Coquelin ne négligeait pas leurs adversaires. Un des plus notables champions du régime prohibitif, M. Ferrier, était son compatriote. Coquelin avait lu, de bonne heure, les ouvrages de M. Ferrier ; mais nous n’avons pas besoin de dire qu’entre J.-B. Say et M. Ferrier il n’avait pas hésité un instant. Son bon jugement, qu’aucun intérêt ne venait obscurcir, lui avait montré, de prime abord, de quel côté était la vérité, de quel côté était le sophisme. Seulement, comme M. Ferrier, à l’exemple des autres écrivains prohibitionnistes, invoquait, avec une certaine affectation, les faits de la pratique pour les opposer aux théories de la science, Coquelin comprit qu’il importait d’aborder hardiment le terrain des faits pour amener le triomphe des principes. Il se mit en conséquence à étudier, avec l’ardeur qui lui était propre, la situation des principales branches de la production nationale. Plus tard, dans la campagne entreprise en faveur de la liberté des échanges, campagne à laquelle il prit une part si active, cette étude pratique lui fut d’un grand secours, en lui permettant de battre ses adversaires sur le terrain où ils se plaçaient de préférence.
C’est en 1832 que Coquelin retourna à Paris avec l’intention de demander à sa plume ses moyens d’existence, et que, fortifié par ses études d’économie politique, il chercha à s’engager dans l’arène de la presse. Il travailla au journal le Temps, sous la direction de M. Jacques Coste, et il publia notamment, dans ce journal, plusieurs articles qui furent remarqués, sur le régime des Banques en Europe et en Amérique. Du journal le Temps il passa au Monde, fondé en 1837 par M. de Lamennais, mais qui n’eut qu’une existence éphémère. Coquelin eut, avec l’illustre directeur du Monde, plusieurs discussions sur les questions économiques. Comme la plupart de ses coreligionnaires politiques, M. de Lamennais se méfiait de la liberté du travail, et il était assez disposé à voir dans la concurrence un moyen « d’exploitation de l’homme par l’homme. » Mais, d’un autre côté, M. de Lamennais se laissait influencer aisément par une conviction énergique et chaleureusement exprimée. Les plaidoyers de son jeune collaborateur en faveur de la liberté économique firent une vive impression sur lui, et l’on pourrait retrouver la trace de cette influence salutaire dans les admonestations véhémentes que l’ancien directeur du Monde adressait plus tard aux socialistes.
Coquelin fournit en 1839 quelques articles au journal le Droit, et notamment deux études sur Quesnay et Turgot (janvier et mai). À la même époque, il entra en relation avec la Revue des Deux Mondes. Il publia successivement dans ce recueil des travaux importants sur l’industrie linière, sur les Sociétés commerciales, les chemins de fer et les canaux, la conversion des rentes, les lois céréales, la monnaie, les Banques, les crises commerciales, la liberté du commerce et le système prohibitif, la réforme des tarifs, etc. En 1845, il participa aussi à la rédaction de la Revue de Paris. Les lecteurs sérieux de la Revue des Deux Mondes appréciaient beaucoup son talent, et un ministre des finances de la monarchie de Juillet, M. Lacave-Laplagne, lui écrivit un jour, sans le connaître, pour exprimer toute la satisfaction que lui avait causée un de ses écrits. Aussi la direction de la Revue le pressait-elle incessamment de multiplier ses travaux. Mais Coquelin n’était nullement un faiseur, et, quelques privations qu’il dût s’imposer, il ne voulut jamais s’astreindre à manufacturer des articles sur toutes sortes de sujets. Il ne voulait traiter que certaines questions, et à un certain point de vue. Cette indépendance un peu âpre, en l’empêchant de trouver des ressources suffisantes dans son labeur d’homme de lettres, l’obligea à recourir à l’industrie pour subsister. Ses articles sur l’industrie linière, publiés en 1839, avaient obtenu beaucoup de succès auprès des hommes spéciaux. Il les réunit en un volume, sous le titre d’Essai sur la filature mécanique du lin et du chanvre. À cette occasion, il eut des rapports avec M. De Coster, qui s’occupait de la construction des machines à filer le lin, et qui fut bien aise de mettre à profit ses connaissances. Il composa un traité plus complet qui devait être publié avec la collaboration de ce mécanicien, qui s’était occupé plus particulièrement de dessins ; mais cet ouvrage, rédigé presque en entier, n’a pas été livré à l’impression. Coquelin se chargea de diverses missions d’organisation et de surveillance pour le compte de la maison De Coster ; il fit aussi des excursions à Bayonne, en Auvergne, en Normandie, pour aider à la fondation de filatures nouvelles, et il fut même sur le point de s’associer pour l’exploitation d’une entreprise semblable. Mais n’ayant pas conclu cette affaire, et, d’autre part, ayant cessé ensuite de s’entendre avec M. De Coster, il abandonna l’industrie pour exercer uniquement sa profession d’homme de lettres.
Parmi les articles importants que Coquelin a publiés dans la Revue des Deux Mondes, nous en signalerons deux qui renferment des vues pleines d’originalité. L’un sur les sociétés commerciales (1er août 1843) ; l’autre sur la crise commerciale de 1847. Dans le premier, Coquelin demandait qu’une entière liberté fût laissée aux associations commerciales. Il voyait dans les entraves dont la législation impériale a entouré la formation des sociétés anonymes, une cause funeste de retard pour l’industrie française.
Dans le même article, il attaquait avec vigueur les conceptions du socialisme, et il montrait tout ce qu’elles ont d’étroit et de mesquin quand on les compare à l’organisation naturelle de la société.
Dans son article sur la crise commerciale de 1847, il attaquait vigoureusement le régime des banques privilégiées, et, le premier en Europe, croyons-nous, il soutenait la cause de la liberté des banques, comme il avait soutenu auparavant celle de la liberté des associations commerciales. L’initiative de ces deux idées fécondes lui appartient, et nous sommes convaincu qu’elle sera pour lui, dans l’avenir, un assez beau titre de gloire. M. Carey, à qui il avait emprunté d’ailleurs de précieux renseignements sur le régime des banques libres de certains États de l’Union américaine, se chargea de faire connaître aux États-Unis ses travaux sur les associations commerciales et sur les banques.
Enfin, Coquelin publia dans la Revue des Deux Mondes un travail dont la première pensée lui était venue en lisant les ouvrages de M. Ferrier, et dont il avait réuni les matériaux à la fois dans ses études économiques et dans ses tournées industrielles, nous voulons parler de son examen de la situation des différentes branches de l’industrie française, au point de vue d’une réforme douanière. Dans le cours de ce beau travail, qui parut en plusieurs articles, Coquelin prouvait, avec une irrésistible évidence, que l’industrie française, bien loin d’avoir à redouter une réforme douanière, ne pourrait manquer de se fortifier et de se développer si elle venait à être débarrassée de l’étreinte énervante du régime prohibitif. On se rappelle que la même thèse a été soutenue récemment, au moins pour ce qui concerne l’industrie cotonnière, par M. Jean Dollfus. Devant l’argumentation précise et toute nourrie de faits de Coquelin, comme devant celle de M. Jean Dollfus, le fameux thème du travail national tombait à plat.
L’agitation commencée en 1846 pour faire prévaloir le principe de la liberté commerciale devait obtenir toutes les sympathies du savant et libéral rédacteur de la Revue. Présenté par M. Wolowski au Comité directeur de l’Association pour la liberté des échanges, Coquelin y fut adjoint à titre de secrétaire. Bientôt sa parole facile et chaleureuse, ses connaissances étendues et variées, son jugement sain lui acquirent une influence considérable au sein du Comité. Lorsque Bastiat, qui ressentait alors les premières atteintes du mal auquel il devait succomber, dut se résigner à un peu plus de repos, Coquelin fut chargé de la direction active de l’agitation jusqu’à la dissolution de l’Association, survenue à la suite des événements de 1848.
Ce n’était pas seulement au sein du Comité de l’Association pour la liberté des échanges que Coquelin s’était fait remarquer par son élocution facile et entraînante. Désigné pour prendre la parole dans une réunion de la salle Montesquieu, il avait obtenu là un beau succès oratoire. Dans un autre meeting, qui eut lieu quelques jours après la Révolution (le 15 mars), et qui fut malheureusement le dernier, son succès grandit encore. Comme on lui demandait ce qu’il pensait de la question alors si brûlante de l’organisation du travail.
— Mon opinion, répondit-il avec véhémence, c’est que l’organisation du travail est une question futile, et qu’elle est émise par des gens qui n’ont pas réfléchi sur les premiers principes de l’économie politique.
Or, ces gens-là étaient tout puissants au moment où l’orateur traitait d’une façon si dédaigneuse leur conception favorite. Aussi sa boutade courageuse fut-elle accueillie par un véritable tonnerre d’applaudissements. À quelque temps de là, un certain nombre d’amis de la liberté économique, qui comprenaient la nécessité de combattre la propagande des doctrines socialistes, et qui avaient fondé, dans ce but, le club de la liberté du travail, prièrent l’énergique orateur de la salle Montesquieu de présider leur réunion. Coquelin accepta, et le club de la liberté du travail eut, sous sa direction, quelques séances pleines d’intérêt. Malheureusement le Gouvernement provisoire n’avait pas assez de puissance pour faire respecter la liberté d’association qu’il avait décrétée, et le Club de la liberté du travail fut, un beau soir, envahi et dissous par un troupeau de communistes. Les amis de la liberté ne se souciant point de faire le coup de poing pour maintenir leur droit, se laissèrent disperser sans coup férir. Mais, avant de se séparer, ils engagèrent leur président à se porter candidat à l’Assemblée nationale. Coquelin céda à leurs instances, et il fit entendre, dans une réunion électorale, une profession de foi qui fut fort applaudie. En même temps, il publiait une circulaire électorale dans laquelle il élevait le drapeau de la liberté économique contre le drapeau du socialisme. Mais il était trop peu connu à Paris et trop peu habile à se faire connaître, pour avoir quelque chance de succès dans l’immense tohu-bohu du suffrage universel. Sa candidature n’eut pas de suite. Quelques-uns de ses compatriotes voulaient le porter candidat dans le département du Nord, et l’on doit regretter qu’aucun effort n’ait été tenté pour seconder leur bon vouloir, car Coquelin avait toute l’étoffe nécessaire pour jouer un rôle à l’Assemblée constituante. Il y aurait représenté avec éclat les doctrines libérales, et, peut-être, ses convictions énergiques, exprimées dans un langage plein de chaleur et d’action oratoire, n’eussent-elles point été sans influence sur les événements.
Repoussés de leur club, quelques-uns des amis de la liberté du travail essayèrent un nouveau moyen de propagande : ils fondèrent un journal populaire ; Coquelin participa, avec Bastiat, Fonteyraud, MM. Joseph Garnier et Molinari, à la fondation de cette feuille, intitulée Jacques Bonhomme. Des cinq fondateurs de Jacques Bonhomme, deux seulement survivent aujourd’hui, tant la science économique a été rudement frappée depuis quelques années. Jacques Bonhomme n’eut qu’une existence éphémère, car les doctrines libérales n’étaient décidément pas en faveur à cette époque, bien que le mot liberté se trouvât dans toutes les bouches et sur tous les murs. L’Association pour la liberté des échanges était dissoute, et Coquelin avait perdu tout espoir de jouer sur la scène politique le rôle qui convenait à son talent. Il occupa les loisirs forcés que lui faisait la Révolution, en écrivant son remarquable ouvrage sur le Crédit et les Banques, dans lequel il exposait le mécanisme des institutions de crédit, et plaidait avec chaleur la cause de la liberté des banques. Ce livre était loin de le satisfaire, et il se proposait de le refondre entièrement dans une deuxième édition, mais le public se montra moins difficile que l’auteur, et l’ouvrage obtint un succès mérité[2].
Charles Coquelin était devenu depuis 1847 un collaborateur assidu du Journal des Économistes. Il a publié successivement dans ce recueil des articles pleins d’intérêt sur les lois de navigation de l’Angleterre, sur les machines à l’exposition des produits de l’industrie de 1849, sur les associations ouvrières, sur la Décadence de la France de M. Raudot, et la Décadence de l’Angleterre de M. Ledru-Rollin, sur les théories de M. Proudhon, sur les sociétés du crédit foncier, etc. Enfin, la direction du Dictionnaire de l’économie politique lui fut confiée, après que M. Ambroise Clément, qui en avait été primitivement chargé, eut été rappelé à Saint-Étienne. Coquelin eut à revoir et à coordonner tous les articles destinés à cette importante publication, et il en rédigea aussi un grand nombre. Nous citerons parmi ces derniers, Banque, Capital, Circulation, Concurrence, Économie politique, Industrie, etc., etc. Il s’appliquait avec ardeur à continuer une œuvre qui ne pouvait manquer de le placer à un rang élevé dans la science, lorsqu’une mort imprévue et presque soudaine vint l’enlever à ses travaux.
Pendant plus de vingt années, Coquelin avait courageusement et honorablement lutté contre les difficultés d’une profession dans laquelle le salaire moral ne suffit, hélas ! pas toujours pour remédier à l’insuffisance du salaire matériel. À force d’abnégation, de persévérance et de talent, il avait réussi cependant à traverser les défilés les plus âpres d’une carrière si ardue, et il voyait s’ouvrir devant lui une voie plus spacieuse, un horizon moins sévère. Ses articles de la Revue des Deux Mondes, du Journal des Économistes, du Dictionnaire de l’économie politique, son livre sur le Crédit et les Banques l’avaient déjà placé haut dans l’estime des amis de la science. D’autres travaux qu’il préparait depuis longtemps, et dans lesquels il voulait résumer les études et les méditations de sa vie, eussent mis le sceau à sa réputation. Il s’occupait notamment de réunir les matériaux d’une Histoire des banques, qui devait être publiée en même temps que le deuxième volume du Dictionnaire de l’économie politique, et il se proposait d’écrire ensuite un traité d’économie politique. Il avait aussi en portefeuille un ouvrage écrit avant les événements de 1848, sur la pairie ou Chambre haute. Dans cet ouvrage, qu’il comptait publier en le remaniant, il décrivait le mécanisme rationnel du gouvernement représentatif, et il signalait les écueils de ce gouvernement. La révolution de Février s’y trouvait prédite. Enfin, il avait l’intention de décrire et de comparer les institutions civiles, politiques et économiques de la France et des États-Unis, en faisant ressortir principalement la nécessité de fortes institutions municipales et départementales. Toutes ces œuvres utiles étaient nées dans son esprit et il aurait pu les mettre au jour en peu d’années[3]. Mais la mort ne lui en laissa pas le temps. Il succomba au moment où il pouvait entrevoir enfin le jour où ses laborieux efforts et cette fidélité rigide à ses principes, qui lui avait fait dédaigner tant de vulgaires occasions de fortune, recevraient une digne récompense. Il est mort trop tôt pour sa réputation et pour son bonheur, trop tôt pour la science, trop tôt aussi pour ses amis, dont sa parole généreuse réchauffait les convictions et stimulait l’ardeur. Cependant sa part dans l’œuvre de la propagande de la liberté économique n’en a pas moins été belle, et plus tard, lorsque cette noble cause aura triomphé pour le bonheur du genre humain, on se souviendra que Charles Coquelin en a été l’un des promoteurs les plus ardents et les plus désintéressés.
G. DE MOLINARI.
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[1] Extrait du Journal des Economistes (N°137-138 septembre-octobre 1852).
[2] V. une appréciation de ce livre, par M. Blanqui dans le Journal des Économistes, t. XXIV, p. 385, et un compte-rendu par M. G. de Puynode, t, XXV, p. 153.
[3] Quand il se mettait à l’œuvre, il écrivait vite et longtemps, parce qu’il avait beaucoup mûri son sujet à l’avance. Mais il passait des mois entiers à lire et à classer des matériaux dans sa mémoire vraiment remarquable.
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