MÉMOIRE SUR UN PROJET POUR RÉTABLIR LA FRANCE
(Sans date. — Vers 1705.)
Dans le projet que l’on propose pour rétablir la France, on maintient trois choses.
La première, qu’il est impossible de sortir autrement de la conjoncture présente, en sorte que de ne le pas accepter, c’est acquiescer aux prétentions des ennemis.
La seconde, que l’on ne propose que ce qui se pratique et s’est pratiqué chez toutes les nations du monde, et même en France depuis l’établissement de la monarchie jusqu’à la mort du roi François Ier.
Et la troisième, enfin, que l’on ne peut faire d’objection par écrit contre ces propositions sans renoncer à la raison, à l’humanité et à la religion.
À présent que les peuples, payant 100 millions de capitation, ne débourseront pas la quatrième partie de ce qu’ils auront gagné par la cessation de trois désordres :
Le premier, l’incertitude et l’injustice de la taille qui, faisant vendre les poutres et la charpente d’un misérable, faute de meubles à exploiter, pendant qu’une grande recette sur le lieu ne paie pas un liard pour livre, ce qui ruine la consommation, et ce grand seigneur, par conséquent, dont le fonds diminue, dix fois plus que ce qu’il a gagné par cette exemption.
Le second est que l’on prétend par erreur maintenir le blé à si bas prix, comme il est aujourd’hui, que le fermier ne puisse pas bailler un sol à son maître, lequel, par ce défaut, n’achetant rien, tous les ouvriers périssent, perdant six fois ce qu’ils gagnent par le bon marché du pain, outre que ce bas prix n’atteignant pas aux frais du labourage, on laisse quantité de terres en friche, comme il est aisé de vérifier, et on donne les grains aux bestiaux, ce qui joint, en fait perdre plus de 400 000 muids toutes les années au royaume, qui auraient crû ou seraient restés si cette denrée avait été une moitié plus chère.
Et le troisième est enfin les droits d’aides sur les liqueurs, qui ont fait arracher la moitié des vignes, pendant que les deux tiers des peuples ne boivent que de l’eau.
Tous ces trois désordres faisant une très grande violence à la nature peuvent être arrêtés en un instant, quand on ne ménagera pas les intérêts criminels que l’on peut dire qui y aient donné lieu.
Pour résumer le tout, on n’a fait jusqu’ici subsister l’État que de la destruction de l’État même, par celle des indéfendus, comme il est aisé de voir ; or ce fonds étant aujourd’hui entièrement épuisé, il s’agit de savoir si ceux qui possèdent les biens veulent aider le Roi suivant leurs facultés ou le laisser manquer de ses besoins, pendant que les Anglais, quelque riches qu’ils soient, paient le cinquième de tous leurs revenus, outre les anciens impôts. En France, on paya le dixième sous les rois Jean et François Ier. Or dans la conjoncture présente, tout le monde, ou plutôt les riches, payant la capitation au dixième, le rétablissement des trois articles mentionnés les dédommagera au triple de ce qu’il leur en pourra coûter.
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