Maximes ou principes incontestables pour rétablir
ou soutenir la France dans la conjecture présente, manuscrit de 1703
[Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux, etc., t. II, p. 534.
— Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique, INED, t. I, p. 320-321.]
MAXIMES OU PRINCIPES INCONTESTABLES POUR RÉTABLIR OU SOUTENIR LA FRANCE DANS LA CONJONCTURE PRÉSENTE
Avoir pour unique objet le commerce et le labourage, comme unique source de revenus, paiement ou contribution d’argent.
Ne tirer aucun raisonnement de ces deux choses que par la pratique et sur des faits constants chez toutes les nations.
Ne faire aucun mouvement ni la moindre démarche dont la non-réussite puisse produire d’autres pernicieux effets que de laisser les choses en l’état qu’elles sont.
Ne laisser pas de punir les auteurs sur la foi desquels on les aura entrepris, et très violemment, s’il y a eu prévarication, ce qui est fort ordinaire. Éviter tant que l’on peut de se servir de gens qui n’ont rien à perdre, parce que, ne hasardant rien, ils sont moins sur leur garde contre l’imprudence et le manque d’intégrité.
Ne point abandonner son esprit à inventer des nouveautés pour des impôts inconnus, mais s’arrêter à perfectionner les anciens.
Supposer comme un fait incontestable que non seulement il ne faut pas plusieurs genres d’impôt pour rendre le Roi très riche, puisqu’un seul suffirait pour lui donner quatre fois autant de bien qu’il en a, mais même plus il y en a de diversité, plus cela altère la masse, qui est les biens des peuples, n’y en ayant aucun dont l’établissement ne se prenne par préciput auparavant que de rien donner au prince, outre les autres pernicieux effets de ruine de consommation, assez connus de tout le monde.
Concevoir une fois pour toutes ce qui n’a jamais été compris, quoique très certain, que toutes les denrées que l’on néglige de faire excroître, par la juste crainte où l’on est de ne s’en pouvoir défaire, et celles qui, étant excrues, ne peuvent être débitées, comme il arrive tous les jours, par des causes violentes, aisées à faire cesser en un moment, est la même chose que si l’on jetait de gaieté de cœur le montant en argent dans un gouffre de mer, n’y ayant nulle différence entre des denrées dont on peut avoir le débit quand on veut, et de l’argent comptant.
La justice dans la répartition des impôts est absolument nécessaire, ou tout est perdu, parce que, sans faire même attention à la religion et à l’équité naturelle, et à tout ce que l’antiquité en a jamais dit et prononcé, qu’il faut qu’un État périsse sitôt que la justice n’est pas observée, il y en a une raison et cause certaine, savoir : que, la violence tombant sur les plus faibles, elle les accable et ruine tout à fait. Or, comme ces faibles sont les laboureurs et les marchands, ils ne peuvent être ruinés sans la destruction de ces deux professions, et par conséquent de toute la richesse de l’État : ce qui fait, dans la suite, porter la folle enchère aux riches de leurs vexations, par la diminution de leurs fonds.
Regarder la liberté des chemins comme le principe de toutes sortes de commerces, et par conséquent de richesses : une mer remplie de pirates est impraticable ; or, la terre en France est plus couverte d’obstacles dans ses routes, que toutes les mers du monde les plus décriées.
Rétablir la confiance entre le ministère et les peuples, en abolissant la maxime qu’un prince peut prendre justement tout ce qu’un homme a vaillant pour les besoins de l’État, ou plutôt qu’il lui faut absolument, en quelque temps que ce soit, tout ce qu’un homme indéfendu a de bien, même le plus nécessaire pour sa subsistance : ce qui cessera aussitôt que le Roi se sera fixé à une somme certaine, quelque considérable qu’elle soit, et la faisant répartir justement, comme il se pratique présentement dans toute l’Europe, et surtout en Angleterre, où l’on donne le cinquième sans murmurer, jusqu’aux plus grands seigneurs, pour attaquer la France.
Concevoir que toutes les objections que l’on fait contre cette juste répartition sont suspectes et intéressées, à cause de l’utilité que les désordres procuraient à quelques particuliers.
Être curieux de recouvrer et d’employer des esprits supérieurs qui auront la pratique de la vie privée, indépendamment de la naissance et des emplois, en supposant comme incontestable que le bénéfice d’esprit et de mérite ne fut jamais à la nomination des noms et des richesses ; et l’on n’a canonisé que peu ou point de papes, depuis qu’il les a fallu nécessairement choisir parmi les cardinaux, et encore en excepter tous ceux qui ne sont pas Italiens, ni attachés à aucune couronne, c’est-à-dire parmi une douzaine d’hommes.
Ne canoniser personne qu’il n’ait fait quelque miracle, au moins dans sa profession, quelle qu’elle soit.
Donner enfin l’exclusion pour toutes sortes d’emplois à quiconque est attaché de vices notoirement, surtout des corporels.
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