Avec un titre très évocateur et puissant — qui rappelle les développements récents de l’État-providence avec tous ses abus — le livre du comte de Saint-Bonsens s’avère décevant, juge ici Frédéric Passy. Sa morale libérale, sa défense de l’individu face à la puissance tutélaire de l’État et de l’Église, est gâchée par des réflexions économiques assez médiocres, notamment sur le partage des terres.
« Maman l’Église et Papa l’État, par le comte de Saint-Bonsens, compte-rendu par Frédéric Passy (1894) », Journal des économistes, juillet 1894, p.123-130
MAMAN L’ÉGLISE ET PAPA L’ÉTAT,
par le comte de Saint-Bonsens. Paris, Guillaumin et Cie, 1894.
Voici un livre bien extraordinaire, je dirais volontiers bien étrange, si je ne craignais d’avoir l’air de penser qu’il n’est qu’étrange.
Étrange, il l’est sans aucun doute. Assez pour étonner, pour dérouter et pour impatienter parfois les lecteurs les plus indulgents. Extraordinaire et remarquable, il l’est non moins certainement et au point de satisfaire, de charmer et de passionner par moments les plus délicats et les plus difficiles. Sans comparaison, car on ne compare personne à Rabelais, et le comte de Saint-Bonsens, dans ses plus grandes vivacités, ne tombe jamais dans la grossièreté ; on ne peut s’empêcher de songer un peu, en le lisant, au jugement de la Bruyère sur l’immortel et inégal auteur de Gargantua et de Pantagruel.
Pour justifier ces appréciations en apparence contradictoires, pour donner de ce volume une idée au moins sommaire, il faudrait un long article et de très nombreuses citations. Ce sont déjà deux sujets considérables que l’État et l’Église, et ce n’est pas une petite matière à discussion que celle des rapports aigres-doux de ces deux personnages, que l’auteur appelle non sans raison des époux mal assortis. Mais si vaste que soit déjà ce double sujet, il n’est pas homme à se renfermer méthodiquement dans un cadre tracé d’avance. À propos d’une idée ou d’une autre, à la suite d’une réflexion ou d’une citation, sa pensée, toujours prête à déborder, s’échappe en digressions inattendues, et il n’est guère, en vérité, de sujets qu’il n’aborde. Questions religieuses et morales ; questions sociales et économiques ; questions de science, d’industrie, d’agriculture ou d’art ; hygiène, mécanique, botanique, géologie, chimie, tout se mêle, s’emmêle et se démêle sous sa plume, comme dans une improvisation ardente, avec une abondance et une surabondance d’érudition de tout ordre, mais particulièrement d’ordre théologique, avec une variété de ton, de style et d’allure dont il faut renoncer à donner une idée. De la plus haute métaphysique et de la gravité la plus éloquente on passe sans transition aux considérations les plus terre-à-terre, et à la simplicité la plus familière, et les adjurations les plus émues et les plus touchantes alternent avec les apostrophes les plus véhémentes et les plus âpres satires. Ici, le bon sens le plus sûr est aiguisé par l’esprit le plus fin ; là, les illusions les plus invraisemblables, les inconséquences les moins déguisées s’étalent avec une tranquillité qu’on est tenté de trouver naïve. Le tout forme un ensemble bizarre, mais vivant et sincère, qui attache par son évidente sincérité. On sent que ce n’est pas pour faire un livre, mais pour faire un acte ou une œuvre, que l’auteur a pris la plume, et, si l’on est tenté souvent de lui chercher querelle, on est heureux, même alors, de sentir que l’on a affaire à quelqu’un.
Sa thèse principale, on s’en doute peut-être, rien que sur le vu du titre, c’est une thèse libérale. C’est la revendication énergique de la liberté individuelle contre tout ce qui lui porte atteinte, que cette atteinte vienne d’une autorité religieuse ou d’une autorité laïque. Il défend la liberté de conscience contre le formalisme des dogmes et des églises, la religion contre les religions, et dans cette défense qui se change souvent en attaque, il ne ménage pas plus, il faut le dire, les inquisiteurs de la négation que les inquisiteurs de l’affirmation. Il défend la liberté individuelle, la liberté civile, la liberté économique contre l’ingérence de l’administration et de l’État, et dans cette défense aussi il porte sans ménagement, aux adorateurs du dieu État, les coups les plus rudes. Qu’on lise, à la page 536, la peinture des deux despotismes qu’il oppose l’un à l’autre et auxquels il reproche de ne s’être associés que pour mieux étouffer dans tous ses actes et jusque dans son fonds la personnalité humaine, et l’on aura une idée de sa manière comme de sa pensée.
« Demandez-moi, dit-il, ce que c’est que l’État, je vous demanderai ce que c’est que l’Église, et nous nous répondrons l’un à l’autre que c’est l’Être invisible, insaisissable, irresponsable, avec lequel il n’est jamais possible d’entrer en rapport, de discuter et, par conséquent, d’avoir raison ; l’être qui ne siège nulle part et réside partout ; l’être qui ne vit pas, mais qui ne meurt non plus jamais, l’être qui n’est capable de quoi que ce soit sans la participation de l’individu, et au nom duquel cependant l’individu est perpétuellement contrecarré dans ses croyances et sa liberté d’action. »
Écoutez encore ces lignes à l’adresse de Papa l’État : « Tout va bien du moment que je me soumets sans mot dire à ses institutions et que je me sers de toutes les inventions dont il s’est adjugé le monopole… Qu’on le laisse faire demain, il entreprend mon voyage ici-bas, non plus cette fois du baptême à l’inhumation, mais de la conception à l’extinction finale. Il se charge de tout ; me fait naitre S.G.D.G.[1] ; me met en nourrice, me fournit la confection, l’ordinaire, le garni, allume mon feu avec ses allumettes, éveille mes idées avec ses cigares, m’éduque avec ses manuels, me route avec ses locomotives, me réduit en cendres… plus tard, dans ses fours à crémation. Muni de mon billet, je n’ai à m’occuper de rien. Comment, diable ! ne finirait-il pas, Papa, par se persuader que chez l’être, que d’aucuns appellent pensant, la faculté de penser est chose absolument inutile ! »
Ailleurs, il se plaint de voir étouffer partout par la collectivité, au nom d’une abstraction qui s’appelle la Société, le seul être réellement existant, l’individu.
Ailleurs encore, il reprend pour son compte la belle formule par laquelle Bastiat termine le plus beau de ses pamphlets : « la liberté qui est un acte de foi en Dieu et en son œuvre ».
Voilà qui va bien, et sauf peut-être la forme et la mesure dans les termes, nous n’avons pas besoin de dire que cette thèse est la nôtre. Mais le comte de Saint-Bonsens, j’allais dire, qu’il me pardonne, le comte de Sangbouillant, n’est pas homme à s’en tenir là. Il ne se borne pas à réclamer pour lui, et pour les autres aussi bien que pour lui, la liberté religieuse la plus complète. Il éprouve, je l’ai dit, le besoin de pousser sur le terrain des diverses religions, comme aussi sur le terrain des diverses sortes d’incrédulité, des reconnaissances d’une vivacité qui n’est pas, j’en ai peur, pour désarmer beaucoup ses adversaires. Il ne se borne pas non plus, en signalant les entraves trop nombreuses mises par l’État à l’exercice de notre activité personnelle, à ramener la force publique à son rôle de protectrice de cette activité et de gardienne de la liberté. Il va jusqu’à nier la nécessité de cette force publique et la police elle-même et la magistrature lui paraissent des sauvegardes inutiles dans un État social conforme à la nature. C’est sans le secours du code pénal qu’il poursuit la régénération morale. Il est vrai que dans cet État social, conforme à la nature, les hommes, à l’en croire, ne seraient plus ce qu’ils sont. Ils ne seraient pas seulement moins accessibles aux entraînements de la passion et de l’intérêt, moins enclins à l’égoïsme, moins prompts à se donner raison et à donner tort à autrui. Ils seraient débarrassés à tout jamais de ces erreurs et de ces vices, nés de la civilisation. Les lois de Dieu, les seules qui ne se discutent point, à ce qu’il paraît, règleraient en tout leur conduite et la modération dans les désirs, la bienveillance à l’égard du prochain, l’émulation dans le travail et, pour tout dire, l’absence de toute compétition, par suite de la mise en commun de tous les biens, ôteraient tout prétexte à la rivalité, à la jalousie et à l’injustice.
Mais c’est le communisme, allez-vous me dire, que cet âge d’or rêvé par le comte de Saint-Bonsens, et le communisme sans gouvernement répartiteur des tâches et distributeur des produits ; l’anarchisme, autrement dit, dans toute sa rigueur
Oui, et je ne le lui fais point dire. Encore bien qu’il ne se fasse pas faute de se contredire dans les termes mêmes de sa profession de foi, il est révolutionnaire, il est socialiste, il est anarchiste, puisqu’il repousse toute loi extérieure à l’individu et toute règle qui ne vient point de lui-même.
Oh ! révolutionnaire sans violence, anarchiste sans tendresse aucune pour les procédés de la propagande du fait. C’est par le désintéressement seul et par l’exemple, qui de proche en proche ramènera les riches à la pratique de la communauté absolue de la primitive Église, qu’il espère réaliser l’abolition de la propriété, et obtenir l’abdication de l’État. Entre nous j’ai bien peur que ce ne soit une édition nouvelle de l’histoire du décapité par persuasion, et j’y croirai quand j’aurai vu le dernier des rois, des présidents de républiques ou des chefs de tribus sauvages apporter lui-même sa tête sur un plat de terre — l’or et l’argent n’étant plus de mise — devant la foule assemblée de ses anciens administrés.
Je me demande, d’ailleurs, je ne puis le cacher, comment se concilient toutes les difficultés de cette réforme.
La terre, suivant M. de Saint-Bonsens, comme suivant Rousseau, est inappropriable par sa nature, et ne peut appartenir à personne. En vertu de ce principe il appelle le représentant des vieilles races qui lui ont pris par la force possession du sol, Jacques Bonhomme, l’ancien opprimé, l’éternel dépouillé, à rentrer en possession de ce qui lui appartient. Et autour du château de ses pères il installe toute une colonie d’heureux cultivateurs, ayant chacun sa parcelle et sa demeure, et vivant sainement, selon les préceptes de la bonne nature, de ce que la nature ne refuse jamais à ceux qui le lui demandent simplement. Je vois bien là quelque chose comme un partage volontaire de la richesse et de la propriété ; la substitution de petits domaines à un grand, un dépouillement méritoire et utile peut-être ; je n’y vois pas le collectivisme, dont il est vrai que l’auteur déclare ne pas vouloir. Mais je n’y vois pas davantage le communisme dont il veut et qu’il déclare un peu à tort à mon avis, malgré toute sa science prodigieuse des textes sacrés, avoir été le régime obligatoire des premiers chrétiens. Oui, je le sais bien, les premiers chrétiens mettaient volontairement tout en commun et n’avaient, dans la ferveur de leur amour, qu’un cœur et qu’une âme. Mais il ne leur était point interdit d’avoir quelque chose à eux, et l’histoire d’Ananias et Saphira le prouve bien. « Vous pouviez garder ce qui était à vous, leur dit saint Pierre, en maudissant leur hypocrisie ; mais vous ne deviez point mentir au Saint-Esprit. »
Je ne sache pas, puisque j’ai été entraîné à dire un mot du communisme religieux, que jamais les économistes aient interdit, aux hommes possédés de l’esprit de sacrifice, de faire l’abandon de leurs biens ou de s’associer pour exploiter en commun les ressources, le travail et les facultés de plusieurs. Ce qu’ils réprouvent comme attentatoire à la liberté et comme contraire à tout progrès et à tout bien-être, c’est la communauté imposée, dépouillant l’homme de ce que l’on pourrait appeler sa personnalité extérieure, et réduisant l’individu, ce seul être réel selon vous-même, généreux enthousiaste, à n’être plus qu’une tête de bétail, soumise au joug dans le troupeau social.
Ce qu’ils disent aussi, et ce que tous les anathèmes à la richesse et tous les développements sur la funeste influence de l’or ne parviendront jamais à réfuter, c’est que la terre pour suffire aux besoins de l’homme, pour fournir sans s’épuiser à des besoins qui grandissent avec le nombre pour ne pas demeurer à l’état de surface épuisée, en même temps que parcourue, par une incessante déprédation, demande à être appropriée dans tous les sens de ce mot profond, c’est-à-dire façonnée, modifiée, transformée, jusqu’à justifier l’admirable parallèle de Buffon entre la terre sauvage et la terre domestique, et cette phrase de Michelet, qui semble une réponse directe au défi de Proudhon : « L’homme a sur la terre le premier de tous les droits : celui de l’avoir faite ».
Ce que disent les économistes, c’est que là où il y a plus de travail et du travail plus utile, il doit y avoir plus de rétribution, et que, supprimer, sous prétexte d’égalité ou par crainte des abus qu’elle engendre, la différence des situations et des fortunes, ce serait supprimer le progrès, le mouvement, et réduire le lot même de ceux que l’on aurait voulu avantager. Ce qu’ils disent encore, c’est que si le contact de la terre est sain, si la culture est le premier et le plus nécessaire des arts ; si, à bien l’entendre et sans tomber dans l’exagération de nos maîtres les physiocrates, tout vient de la terre, encore faut-il que ces produits tirés de la terre, aliments ou matériaux, soient, par d’autres arts que la culture, transformés, transportés, utilisés ou rendus utilisables, ce qui ne peut avoir lieu sans l’industrie et sans le commerce, c’est-à-dire sans l’échange, dont l’or ou plutôt la monnaie, instrument d’évaluation et de circulation, est l’utile et le nécessaire véhicule. Aussi bien la culture elle-même, et la plus simple, n’exige-t-elle pas des outils, des machines, des métiers autres que celui du cultivateur lui-même ? Et condamner Jacques Bonhomme, comme le fait, en se dépouillant pour lui, M. de Saint-Bonsens, à ne jamais vendre ni acheter, n’est-ce pas le condamner à manquer de tout ce qui n’aura pas poussé dans son champ et le priver sous prétexte de l’enrichir ? C’est le cas de se rappeler que parfois le mieux est l’ennemi du bien. L’échange, c’est une fraternité. Constater qu’il n’est pas toujours honnête peut être une raison pour faire la guerre à la fraude comme à l’égoïsme ; ce n’en est pas une pour l’interdire. Bastiat l’a dit avec beaucoup de raison : « On ne peut travailler utilement et honnêtement pour soi, sans travailler en même temps pour les autres ». Il a dit aussi et avec non moins de raison : « Le monde n’a point tort d’honorer le riche ; son tort est d’honorer indifféremment le riche honnête homme, qui produit et qui sert, et le riche fripon, qui nuit et qui détruit. »
Je pourrais faire bien des observations et des remarques encore. Je pourrais noter les pages admirables, tour à tour bienveillantes et âpres, dans lesquelles l’auteur glorifie les anciennes vertus et fustige les anciennes erreurs de la noblesse, lui fait honte de son effacement et de son hébétement, et la convie à reprendre sous une autre forme, par des services d’un autre ordre, la place et le rôle qu’elle a autrefois occupés dans la société française. Je pourrais, d’autre part, discuter le système d’un prétendu matérialisme-spiritualiste, puisqu’il conclut à la persistance de la vie, de toute vie, que l’auteur croit pouvoir opposer tout à la fois aux doctrines actuelles de l’Église et à celles de ses adversaires. Je pourrais aussi signaler, dans la composition du livre, dans la seconde partie tout au moins, des manques de proportion, des longueurs, des redites, et un certain désordre qui semble comme le bouillonnement d’une lave, incapable de se contenir. Mais je ne puis tout dire et je ne veux prolonger ni ces éloges ni ces critiques dans lesquelles il me serait facile de m’armer, contre l’auteur, de l’auteur lui-même. Car, ainsi que je l’ai déjà remarqué, il croit à la liberté et à la justice et voit en elles l’expression des divines volontés. Il estime que « démasquer les erreurs, les hypocrisies, les mensonges qui masquent la vérité ; démasquer le faux partout, en politique, en économie sociale, en matière de propriété, d’alimentation, de culture, c’est aujourd’hui la besogne utile entre toutes, et la plus digne de tenter les courages virils ». Il a voulu, pour sa part, s’atteler à cette besogne. Y a-t-il toujours réussi ? Évidemment non, à mon humble avis. On le voit trop par ce que je viens de dire. Mais, alors même qu’il se trompe ou qu’il exagère, il mérite d’être lu, car jamais il n’est banal. Même alors qu’il laisse aller sa plume à toutes les fantaisies de son imagination ou à toutes les ardeurs de son indignation, on le sent tout pénétré d’un vif amour de Dieu et de l’humanité, d’une foi profonde dans le progrès, d’un respect religieux de la nature humaine et, si l’on ne peut le lire sans éprouver le besoin de le contredire, on ne peut le lire davantage sans se sentir attiré vers lui par l’affectueuse estime qu’inspire cette chose trop rare : un caractère.
Bien des gens, probablement, le maudiront ou l’ont déjà maudit parce qu’il se permet d’avoir des idées à lui et une religion qui n’est pas selon la formule. Beaucoup le mettront à l’index, comme un impie, qui sait ?, comme un athée. Son livre cependant est, dans l’ensemble, tout imprégné du sentiment religieux le plus indépendant, c’est possible, mais le plus élevé. Et, comme c’est là sous la forme humoristique, sous laquelle il a traduit les pourquoi et les comment d’un enfant terrible, la note dominante de son livre, je ne crois pas pouvoir mieux faire que de citer en terminant la dernière page, le dernier cri sur lequel il s’arrête :
« Oui, c’est à Dieu que nous allons, et c’est pour y arriver sûrement et plus vite que nous cherchons une religion qui satisfasse enfin tous les hommes. La vraie foi peut se laisser recouvrir d’oripeaux, suivant les temps et les lieux ; comme le soleil, elle peut se voiler momentanément de nuages ; mais, que ce soit un jour ou l’autre, il faut de toute nécessité qu’elle reparaisse, attendu qu’elle ne s’éteint jamais. À l’exemple de la flamme qui s’élève vers le ciel, tant qu’elle rencontre des matériaux susceptibles de l’alimenter, la vraie foi se fera sentir à l’homme aussi longtemps que Dieu, son réel aliment, sera Dieu.
« S’il était besoin de prouver que le sentiment religieux est un des sentiments nécessaires, et par conséquent indestructibles de notre être, il n’y aurait qu’à montrer qu’il a résisté et résiste encore aux doctrines les plus absurdes, aux théories les plus invraisemblables, entremêlées et assaisonnées d’injustices, de crimes, de massacres, de miracles et de visions.
« Disons qu’il répond, comme l’amour, à un besoin organique, nous n’aurons plus rien à ajouter pour être en droit d’affirmer qu’il doit lui être d’un secours d’autant plus grand qu’il s’épurera davantage.
« Gardons-nous donc bien de perdre notre temps à vouloir détruire des sentiments indestructibles. Appliquons-nous bien plutôt à les redresser et à les fortifier. L’humanité est croyante et le sera toujours. Si elle repousse aujourd’hui une religion qui n’est plus, en somme, que goût du merveilleux, affaire d’imagination, de sensiblerie, de bon ton, et surtout d’habitude, c’est pour s’attacher à celle qui n’est autre que le sentiment de l’harmonie universelle, que l’accord de toutes les volontés humaines sur les éternelles vérités, qui n’est autre que le levier de l’intelligence pour l’homme, le foyer du cœur pour sa compagne.
« L’humanité est et restera croyante, et tous les savants du monde n’y changeront rien, parce que la vraie religion n’a rien à voir avec les progrès scientifiques. Les études peuvent élargir l’horizon de nos pensées, augmenter aussi la somme de nos connaissances, mais elles ne modifient jamais notre nature et n’imposent jamais silence à nos sentiments.
« L’humanité est et restera croyante, en dépit des exclamations qui, aujourd’hui, retentissent de toutes parts : La foi est morte ! la foi est morte !
« Eh oui ! J’entends bien ! Et puis ? La foi est morte ?
« Vive la foi ! »
Vive la foi ? Oui et surtout : Vive la bonne foi ! Or, et c’est là, avec beaucoup d’autres qualités et beaucoup de talent, le mérite principal de ce livre.
La devise de l’auteur, et il y est fidèle, c’est cette phrase de Montaigne : « Même je prie les lecteurs de n’ajouter point du tout foi à ce qu’ils trouveront ici mais seulement de l’examiner et de n’en recevoir que ce que la force et l’évidence de la raison les pourra contraindre d’en croire ».
FRÉDÉRIC PASSY.
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[1] « Sans garantie du gouvernement » (note de l’Institut Coppet)
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