La prospérité pour tous, de Ludwig Erhard (préface de Jacques Rueff)

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Ludwig Erhard est considéré comme le père du « miracle économique allemand » de l’après-guerre et de l’économie sociale de marché. En 1948, comme directeur de l’administration de l’économie, il lance une réforme de la monnaie et décide du retour à une économie de marché libérée du système de contrôle des prix institué par les Nazis et des contingences liées aux desiderata des puissances occupantes.

Préface de Jacques Rueff

Ce livre est important. Si j’en recommande la lecture aux Français, c’est parce qu’ils y trouveront les mobiles d’une politique qui a profondément affecté le destin de l’Allemagne.

« La prospérité pour tous » n’est en aucune façon un ouvrage de théorie économique. C’est bien plutôt un journal de bord, chargé, au jour le jour, de l’expérience, des réflexions et des pensées du ministre qui a inspiré et animé le prodigieux redressement de son pays.

Qui suivra, avec Ludwig Erhard, l’ascension de l’économie allemande, depuis la réforme monétaire de juin 1948, constatera que l’assainissement économique et financier n’a jamais été pour son auteur une fin en soi, mais seulement un moyen en vue des résultats qu’il devait procurer et qu’il a effectivement procurés.

La restauration de leur monnaie a valu aux Allemands de l’Ouest, malgré les conditions difficiles que créait l’afflux de plusieurs millions de réfugiés, une augmentation sans précédent de niveau de vie. Les salaires réels ont augmenté de 20,5 % pendant l’année 1949. L’indice de la production industrielle est passé entre 1949 et 1956 de 80 à 192. Ces résultats ont permis à Ludwig Erhard, le 6 septembre 1953, de résumer son action dans les termes suivants : « Notre politique économique sert d’abord le consommateur; c’est lui qui est la mesure et le juge de toute activité économique. Cette politique de l’économie de marché a universellement prouvé que les principes de la libre concurrence, de la consommation et du développement de la personnalité remportent des succès économiques et sociaux de beaucoup supérieurs à ceux que connaissent les différentes économies planifiées. »

Le moteur de l’assainissement a été, pour lui, dans tous les domaines, la concurrence qui seule « assure la socialisation des progrès et profits… en maintenant toujours en éveil l’effort de production ». « Le bien-être pour tous et le bien-être par la concurrence sont synonymes, et c’est là notre postulat fondamental ».

Pour cette politique, deux instruments :

– la stabilité monétaire, que Ludwig Erhard voudrait inscrire au rang « des droits fondamentaux du citoyen », parce qu’ « il est impossible d’instaurer une politique économique saine en période d’instabilité monétaire » ;

– la loi contre les cartels, sans quoi l’économie libérale serait privée de ses vertus sociales, parce que seule elle peut assurer « le fonctionnement du mécanisme de la concurrence » et parce que « personne ne peut s’arroger le droit d’opprimer la liberté individuelle ou de la limiter au nom d’une liberté frelatée », parce que, surtout, les cartels permettent « de garantir une rente au plus mauvais des patrons ».

Pour Ludwig Erhard « le premier et le principal objet de l’économie sociale de marché » est l’amélioration du bien-être. « Le désir d’efficience économique n’est pas un but en soi. Les bienfaits de l’économie de marché ne sont effectifs que lorsque la baisse des prix accompagne la hausse de la productivité, procurant ainsi un réajustement des salaires réels… Soutenir l’économie concurrentielle est un devoir social : si nous regardons derrière le rideau de fer, nous sommes contraints d’admettre que l’économie planifiée se transforme rapidement en une économie de contrainte et que la part des salaires dans le produit national est toujours plus basse que dans l’économie de marché… Personne ne peut soutenir que le rendement de l’économie planifiée soit, sous l’angle du bien-être social, supérieur à ce qu’obtient l’économie libérale… L’opposition de principe des patrons aux hausses de salaires… ne saurait exister dans l’économie de marché ».

Les adversaires du « laisser faire » vont se récrier. Ils ne veulent pas livrer aux forces aveugles du marché le soin de dessiner les structures sociales. Notre auteur tient à les rassurer : « Il existe une différence essentielle entre l’économie de marché, telle qu’elle est pratiquée en Allemagne en 1948, et l’économie libérale de l’ancien régime. Dans ma conception, la liberté n’est pas la faculté pour les patrons de créer des cartels… La concurrence et la productivité qui lui est liée, doivent être assurées par des interventions de l’État et protégées contre toutes les influences qui pourraient les troubler. En particulier il importe que la liberté des prix ne soit pas entravée dans sa fonction régulatrice de la vie économique ».

Aux lecteurs de ce livre, la pensée qui a inspiré le redressement économique et financier de l’Allemagne apparaîtra en pleine lumière. Ils ne pourront pas douter de son inspiration profondément sociale. Les hommes qui combattent, aujourd’hui, pour la liberté et contre le désordre financier sont mus par le désir de donner à leurs semblables, et notamment aux plus démunis d’entre eux, le maximum de bien-être, d’empêcher qu’une part indue de ce bien-être soit soustraite, par des structures monopolistiques, à ceux qui y ont droit parce que leur effort, à concurrence de sa valeur, a contribué à le produire.

L’expérience allemande a confirmé, au-delà de toute attente, que l’ordre financier, et particulièrement l’exclusion de l’inflation, procuraient de larges augmentations de bien-être.

Je demande aux Français de se pencher sur l’exemple allemand et d’en rapprocher les enseignements de ceux que leur ont apportés les politiques pratiquées en France, presque constamment, depuis 1945. Sous des inspirations très diverses, elles ont eu un trait commun : l’inflation. Les salariés, les pensionnés, les rentiers peuvent-ils douter que l’inflation soit un procédé de prélèvement, qui concentre sur eux tous ses sévices, épargnant ou favorisant scandaleusement les détenteurs de biens réels. Pensez à tous les ménages dont l’inflation a rongé les économies, à tous les vieux qu’elle a conduits à l’hospice. Est-ce vraiment une politique sociale que de donner, à ceux que l’on veut protéger, des prestations inférieures au montant des prélèvements qu’on leur inflige, clandestinement, par l’inflation ?

Pour les salariés, les périodes de hausses de prix ont presque toujours été des périodes de dépression des salaires réels. Quant à la manipulation des prix par voie de subvention, si largement employée en France au cours d’une récente période, mais souvent limitée à la région parisienne, elle n’a été qu’un artifice tendant à faire obstacle, au détriment des travailleurs, aux hausses de salaires que l’indexation devait provoquer.

Que l’on songe ici à toutes les souffrances que la crise du logement, produit direct de l’inflation, a infligées aux Français. Peut-on vraiment voir une politique sociale dans une législation qui les fait vivre dans de misérables taudis, qui transforme, pour les familles, tout déplacement d’emploi en une catastrophe irrémédiable.

Sur le plan international, l’inflation nous a conduits au bord de la faillite. Le 1er juin 1958, il restait au fonds d’égalisation des changes 204 millions de dollars, alors que pendant le seul mois de mai nous en avions dépensé 127. Si un changement n’était intervenu, nous aurions dû, ayant le 1er juillet, que nous le voulions ou non, contingenter nos importations, limiter l’activité des usines employant des matières premières étrangères, accepter le chômage qui en eût été la conséquence et, finalement, rétablir le rationnement caractéristique de l’économie de guerre.

Ainsi le diptyque apparaît, dans sa cruelle simplicité : l’ordre financier a donné aux populations allemandes bien-être et sécurité ; l’inflation a infligé aux Français privations et souffrances, et menacé l’existence même de leur pays.

Assurément la sortie du processus de dégradation, où nous étions enfermés depuis près d’un demi-siècle, exigeait un effort rigoureux. Elle ne pouvait s’accomplir sans la modification d’habitudes invétérées et de situations qui, bien que précaires, semblaient définitivement acquises.

L’ouvrage de Ludwig Erhard fournit aux Français l’occasion de réfléchir à l’avenir qu’ils souhaitent, pour eux et pour leur pays : la prospérité pour tous, dans la vérité de l’ordre financier, ou la misère des plus pauvres et l’insécurité de la nation, dans le mensonge de l’inflation.

Puisse l’expérience allemande les convaincre que le choix de leur politique financière fixera pour longtemps leur destin.

Jacques RUEFF.

Table des matières :

  1. Le fil conducteur
  2. La naissance de l’économie de marché
  3. La crise de Corée et les remèdes
  4. Le maintien de la prospérité
  5. Économie et intérêts privés
  6. Les cartels ennemis du consommateur
  7. Les salaires dans l’économie libérale
  8. Vers le matérialisme ?
  9. Psychologie du mark et du pfennig
  10. L’État-providence. L’illusion moderne
  11. L’Économie libérale et le réarmement
  12. Station Europe
  13. Le phénix renaît de ses cendres

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Une réponse

  1. zelectron

    le dirigisme qu’il soit Gaullien ou autre, obère toujours l’avenir. Erhard a eu raison économiquement de favoriser l’industrie, le commerce et l’artisanat au détriment seulement apparent des consommateurs, quelques mois plus tard après quelques sursauts la RFA était sur pieds.

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