En 1842, le jeune Molinari consacre sa deuxième biographie dans le biographe universel à un contemporain, jeune homme d’Etat : Louis Dutilh. Ce choix s’explique par l’attachement de Molinari aux idées réformistes qui peuvent — du moins il le souhaite — être le futur du parti conservateur. Le futur économiste belge ne présente Dutilh ni comme un héros ni comme un prophète : il se contente de saluer son adhésion aux principes de Lamartine, ceux qu’expriment la devise : conservation et progrès rationnel. B.M.
DUTILH (Louis)
Le biographe universel, 2e année, quatrième volume, 1ère partie, p.87
La nouvelle législature vient de commencer ses travaux, et jusqu’à présent, il serait assez difficile de porter un jugement sur elle. — Cependant, il est hors de doute que l’opinion conservatrice n’y soit prédominante.
Est-ce un bien, est-ce un mal ?
Pour que cette question pût être aisément résolue, il faudrait que les tendances du parti conservateur fussent mieux connues, que l’on sût enfin si son programme se résume en ces deux mots : résistance et immobilisation, ou bien en ceux-ci : conservation et progrès.
Entre ces deux programmes, ou pour mieux dire, entre ces deux bannières la distance est immense. Aveuglés par l’esprit de système, les hommes qui se groupent autour de la première, s’efforcent d’arrêter, par leur puissance d’inertie, la société dans sa marche incessante vers un but inconnu, impénétrable sans doute, mais grand et sublime à coup sûr. — Ceux qui suivent la seconde, se placent au contraire à la tête de ce mouvement, afin de l’ordonner, de le régulariser, de le rendre tel que toutes les forces sociales puissent être librement mises en jeu, sans se ralentir comme sans s’épuiser.
Nous ignorons laquelle de ces deux politiques le parti conservateur adoptera. Cependant, malgré tant de désappointements qu’il nous a laissés dans ces dernières années, nous espérons qu’il se déterminera pour la politique du progrès rationnel, qu’il se décidera à sortir de l’ornière de routine dans laquelle il gravite, et qu’il saura enfin, secouant ses petites craintes et ses grandes paresses d’esprit, entrer dans la voie des améliorations morales et surtout matérielles que réclame le pays.
Une des raisons qui nous portent à supposer ceci, c’est que le parti conservateur s’est en quelque sorte retrempé dans les élections de juillet dernier, c’est qu’il s’est adjoint un nombre assez considérable d’hommes nouveaux, étrangers à nos luttes d’hier, exempts par conséquent de passions et de haines politiques. — Ces hommes, que les partis n’ont point encore enrôlés, possèdent naturellement une liberté d’action plus grande que les députés anciens, ils peuvent plus aisément se préserver de ces déplorables intrigues de personnes qui abaissent et déconsidèrent la représentation d’un grand peuple et lui font consumer un temps précieux en de stériles querelles.
Nous nous proposons de passer successivement en revue ces hommes nouveaux. Leurs antécédents nous instruiront de ce que nous pouvons attendre d’eux. Dans leur passé nous rechercherons leur avenir, l’avenir de la Chambre nouvelle.
Nous commencerons ce travail par le nouveau député de Nérac, M. Louis DUTILH, nommé en concurrence de M. Barsalou, à une majorité de 80 voix sur 450 votants.
Quoique élu en concurrence d’un candidat ministériel, M. Louis Dutilh est conservateur.
M. Louis DUTILH est né à Nérac, département de Lot-et-Garonne, le 10 novembre 1794. Il appartient à une famille honorable et ancienne de ce pays. — Il a fait des études de droit et a été reçu avocat, mais il n’a exercé que rarement cette profession.
Nommé maire de Nérac, à l’issue de la révolution de 1830, son administration a été sage et intelligente. — En 1831, dans des jours de troubles, il se conduisit d’une manière qui fait honneur à la fermeté et à la modération de son caractère : la population ouvrière de Nérac s’était insurgée contre les employés des contributions indirectes, des rassemblements tumultueux s’étaient formés et présentaient une attitude menaçante ; M. Dutilh se rendit seul, revêtu de son écharpe, au milieu des groupes des émeutiers, et il parvint, par ses paroles conciliatrices, à les séparer. — Il éloigna ainsi une collision dangereuse et sauva plusieurs de ces pauvres gens des bancs de la cour d’assises.
M. Dutilh ayant, pendant longtemps employé un grand nombre d’ouvriers à des constructions particulières, possède, du reste, une très grande influence sur la population ouvrière de son département.
M. Louis Dutilh a été nommé en 1838, sous l’administration de M. de Montalivet, chevalier de la Légion d’Honneur. — Il avait été compris dans les premières nominations au conseil-général de son département.
Son élection de 1842 a été suivie d’une véritable ovation populaire.
C’est M. Dutilh qui a fait dernièrement à la tribune le rapport de l’élection de M. de Larochejaquelein, élection qui a fourni le texte de si vifs débats. — Ce rapport a été prononcé avec netteté et concision. — Nous croyons que son auteur pourra aborder, dans des questions spéciales, utilement la tribune.
M. Louis Dutilh sympathise avec le peuple, il aime les classes ouvrières ; nous lui avons entendu émettre des opinions fort justes et fort concluantes sur l’instruction primaire qu’il ne considère pas comme suffisamment rétribuée ; —
les rouages de l’administration ne lui paraissent pas, non plus, tellement perfectionnés, que des améliorations utiles ne puissent y être introduites. — Plaise à Dieu que M. Dutilh laisse germer dans son esprit ces bonnes idées et qu’un mauvais vent ministériel ne les y fasse point prématurément sécher sur pied.
Mais nous attendons mieux de l’indépendance et de la fermeté de caractère de l’ancien maire de Nérac et nous croyons d’avance pouvoir le compter au nombre de ces députés du centre qui, avec M. de Lamartine, ont pris pour devise : conservation et progrès rationnel.
Gustave de Molinari.
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