L’économie décrit les effets, bons ou mauvais, des décisions politiques sur nos vies. Or, selon Bastiat, l’économiste doit être attentif, non pas seulement à leurs effets à court terme sur un groupe particulier mais plutôt à leurs conséquences à long terme pour la société dans son ensemble.
Henry Hazlitt, un économiste américain disciple de Bastiat, précise : « L’art de l’économie consiste à identifier non seulement les effets immédiats, mais les effets à plus long terme de tout acte ou de toute décision politique, il consiste à identifier les conséquences d’une politique non seulement pour un groupe, mais pour tous les groupes. » (Henry Hazlitt, L’économie en une leçon, 1946).
Par Frédéric Bastiat
(English translation here)
Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit. Entre un mauvais et un bon économiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir.
Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. (…)
Ainsi, ne vous est-il jamais arrivé d’entendre dire : « L’impôt, c’est le meilleur placement : c’est une rosée fécondante ! Voyez combien de familles il fait vivre, et suivez, par la pensée, ses ricochets sur l’industrie : c’est l’infini, c’est la vie. » Les avantages que les fonctionnaires trouvent à émarger, c’est ce qu’on voit. Le bien qui en résulte pour leurs fournisseurs, c’est ce qu’on voit encore. Cela crève les yeux du corps.
Mais le désavantage que les contribuables éprouvent à se libérer, c’est ce qu’on ne voit pas, et le dommage qui en résulte pour leurs fournisseurs, c’est ce qu’on ne voit pas davantage, bien que cela dût sauter aux yeux de l’esprit.
Quand un fonctionnaire dépense à son profit cent sous de plus, cela implique qu’un contribuable dépense à son profit cent sous de moins. Mais la dépense du fonctionnaire se voit, parce qu’elle se fait ; tandis que celle du contribuable ne se voit pas parce que, hélas, on l’empêche de se faire.
Vous comparez la nation à une terre desséchée et l’impôt à une pluie féconde. Soit. Mais vous devriez vous demander aussi où sont les sources de cette pluie, et si ce n’est pas précisément l’impôt qui pompe l’humidité du sol et le dessèche.
Vous devriez vous demander encore s’il est possible que le sol reçoive autant de cette eau précieuse par la pluie qu’il en perd par l’évaporation.
Ce qu’il y a de positif, c’est que, quand Jacques Bonhomme compte cent sous au percepteur, il ne reçoit rien en retour. Quand, ensuite, un fonctionnaire dépensant les cent sous les rend à Jacques Bonhomme, c’est contre une valeur égale en blé ou en travail. Le résultat définitif est, pour Jacques Bonhomme, une perte de cinq francs.
Il est très vrai que souvent, le plus souvent si l’on veut, le fonctionnaire rend à Jacques Bonhomme un service équivalent. En ce cas, il n’y a pas perte de part ni d’autre, il n’y a qu’échange. Aussi mon argumentation ne s’adresse-t-elle nullement aux fonctions utiles. Je dis ceci : si vous voulez créer une fonction, prouvez son utilité. Démontrez qu’elle vaut à Jacques Bonhomme, par les services qu’elle lui rend, l’équivalent de ce qu’elle lui coûte. Mais abstraction faite de cette utilité intrinsèque, n’invoquez pas comme argument l’avantage qu’elle confère au fonctionnaire, à sa famille et à ses fournisseurs ; n’alléguez pas qu’elle favorise le travail.
Quand Jacques Bonhomme donne cent sous à un fonctionnaire contre un service réellement utile, c’est exactement comme quand il donne cent sous à un cordonnier contre une paire de souliers. Donnant donnant, partant quittes. Mais quand Jacques Bonhomme livre cent sous à un fonctionnaire, pour n’en recevoir aucun ensuite, ou même pour en recevoir des vexations, c’est comme s’il livrait à un voleur. Il ne sert à rien de dire que le fonctionnaire dépensera les cent sous au grand profit du travail national ; autant en eût fait le voleur ; autant en ferait Jacques Bonhomme s’il n’eut rencontré sur son chemin ni le parasite extralégal ni le parasite légal.
Habituons-nous donc à ne juger des choses seulement par ce qu’on voit, mais encore par ce qu’on ne voit pas (…)
Bon Dieu que de peine à prouver, en économie politique, que deux et deux font quatre ; et si vous y parvenez, on s’écrie : « C’est si clair, que c’en est ennuyeux. » Puis on vote comme si vous n’aviez rien prouvé du tout.