Lettre de Jean-Baptiste Say à Rosine Chabaud, peu avant sa mort

Comme Frédéric Bastiat plus tard (voir les derniers jours d’un mourant, récit de son ami Prosper Paillotet), Jean-Baptiste Say témoigne peu avant sa mort d’une foi inébranlable en Dieu, qui contraste fort avec le caractère matérialiste qu’on prêtait, sans réflexion, à cet économiste.


Lettre à Rosine Chabaud, 26 octobre 1832

Œuvres diverses de J.-B. Say, Guillaumin, 1848 (pp. 576-577)

J.-B. SAY À Mlle ROSINE DE CHABAUD[1].

Paris, 26 octobre 1832.

Je suis véritablement confus de vos dons, ma chère cousine, et de tout et que vous faites pour moi. Je n’ai nulle inquiétude pour mon salut tant est grande ma confiance en la bonté infinie du Créateur, en sa grandeur. Je n’ai point la présomption d’imaginer que mes actions ou mes pensées puissent lui être agréables ou désagréables. Il y a l’immensité entre lui et moi. Son existence m’est révélée par ses œuvres, et après cela je n’ai besoin d’aucune autre révélation pour me prescrire ce que j’en dois penser. Il y a 50 ans juste que j’ai commencé à réfléchir sur ce sujet, et ma croyance ne saurait être altérée. Il y a un point tout au moins, sur lequel mes convictions ont le bonheur de s’accorder avec les vôtres, mon excellente cousine, c’est que nous devons être remplis d’indulgence les uns pour les autres, et faire du bien au prochain selon notre pouvoir et notre position. J’ai l’intime persuasion que cela suffit pour être sauvé, et il n’est pas possible qu’aucun de mes semblables soit plus tranquille que moi sur l’issue de cette question ; mais en même temps je sens une extrême reconnaissance pour tous ceux qui pensent que cela ne suffit pas, et qui souhaitent que je fasse ce qui dans leur opinion est nécessaire. Je ne devrais peut-être pas m’expliquer si naturellement, de peur de blesser vos opinions ; mais il y aurait là dedans une espèce d’hypocrisie dont je suis incapable, surtout avec vous que j’aime et que j’estime si sincèrement.

La bible que vous me permettez de garder je l’accepte pour l’usage de mes petits-enfants, parce qu’elle pourra servir à leur consolation et à leur instruction, et parce que vous approuverez vous-même cette destination.

J’ai lu la lettre de William Cooper, et ne croyant pas à la damnation éternelle, je suis seulement affligé des terreurs qu’elle inspire à un parfait honnête homme. Quant à l’essai de David Bogue, je n’y ai trouvé d’autres preuves de l’autorité des saintes Écritures, que celles qui m’ont été données dans mon instruction religieuse ; mais le livre est fait avec une parfaite bonne foi et une charité qui peuvent faire impression sur des personnes dont l’opinion ne serait pas anciennement fixée. Il est fâcheux que Bonaparte n’ait pas été converti par ce livre avant d’avoir fait périr deux millions de ses semblables. Je n’ai sauvé la vie qu’à deux d’entre eux, et je n’en ai pas fait périr à ma connaissance un seul.

Je suis avec une vive affection, etc.

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[1] Cette lettre été a écrite peu de jours avant la mort de l’auteur.

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