Lettre de Boisguilbert à Vauban, Rouen, 22 août 1704
Monseigneur,
Les attentions aux intérêts publics qui, ayant fait presque toute ma vie ma principale occupation, me procurèrent, il y a huit u neuf ans, l’honneur de vous connaître personnellement, ne se sont point, à beaucoup près, depuis ce temps, ni bannies ni prescrites dans mon esprit. Le progrès des désordres, dans une conjoncture où les mesures les plus justes sembleraient nécessaires et d’une entière obligation, m’a servi comme d’un plus fort aiguillon à m’y appliquer avec plus d’exactitude : en sorte que je puis dire aujourd’hui que, quelque applaudissement que le public ait donné à mon premier ouvrage, ce n’est rien, au dire des experts, en comparaison de ce que j’ai fait depuis. Je prétends, Monseigneur, pouvoir, en deux heures, sans rien déconcerter ni mettre au hasard par aucun nouvel établissement, fournir au Roi 80 millions par-delà la capitation : ce que ne sera que le quart de ce que, en aussi peu de temps, j’aurai remis de revenu au peuple. Vous serez encore plus surpris, Monseigneur, quand je vous déclarerai que le projet en sera signé par autant de sujets très riches que je voudrait le out par avance payable, quand il y aura sûreté à s’expliquer. La première idée qui se présente à l’esprit sur une pareille proposition est pourquoi ne pas s’adresser uniquement à MM. les ministres : c’est par les mêmes raisons que l’on ne l’a pas fait depuis quarante ans que tout est exposé en proie, le Roi ne recevant pas un sol par la main du traitant qu’il n’en coûte 20 en pure perte au peuple. De quelque intégrité personnelle dont ceux qui sont à la tête soient remplis, ils ne veulent point mettre leur place en compromis en se commettant ou fâchant toute la Cour, qui s’associe avec tous les partisans. Je vous demande, s’il vous plaît, deux heures de votre temps, que j’irai prendre secrètement au jour que vous aurez eu la bonté de me marquer, comme vous fîtes, il y a huit ans, et je suis, avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Boisguillebert
Lieutenant général.
Annexe : Lettre de Vauban au Contrôleur général, Paris, 26 août 1704
J’ai trouvé, Monsieur, en arrivant ici, une lettre de M. de Boisguillebert, lieutenant général de Rouen, que j’ai cru devoir vous envoyer parce qu’il promet monts et merveilles, si on veut l’écouter. Comme cela regarde votre ministère des finances, j’ai cru devoir vous en donner avis au plus tôt. Je sais qu’il est un peu éveillé du côté de l’entendement ; mais cela n’empêche pas qu’il ne puisse être capable d’ouvrir un bon avis. C’est pourquoi je crois que vous ne feriez pas mal de le faire venir à l’Étang, quand vous y serez. Quelquefois les plus fous donnent de forts bons avis aux plus sages. Ayez la bonté, en temps et lieu, de vous souvenir de la prière que je vous ai faite pour mon neveu. Je suis, de tout mon cœur et avec toute l’estime et l’attachement possible, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le Maréchal de Vauban.
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