Chaque année, l’Institut économique Molinari organise, avec le soutien de 24h Gold, l’Université d’automne en économie autrichienne, rassemblant les spécialistes français de l’école autrichienne pour discuter de quelques-uns des grands sujets de notre temps, selon le prisme d’auteurs comme Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Murray Rothbard. L’édition 2014, dont l’ensemble des conférences a été édité par l’Institut Coppet, portait sur la pauvreté. Dans sa conférence, Gabriel Gimenez Roche se penche sur les mérites et les démérites des zones défiscalisées, où les entreprises profitent d’avantages divers, selon certains critères et dans un cadre de temps défini. B.M.
Dispositifs d’allègement fiscal et pauvreté :
les leçons des zones « redynamisées »
par Gabriel Gimenez Roche
(p.27-38 de La Pauvreté : 4e édition de l’Université d’automne en économie autrichienne)
Bonjour à tous, merci d’être venus. Nous allons commencer notre deuxième conférence sur la pauvreté. J’aimerais bien sûr remercier 24h Gold, l’Institut économique Molinari, et le groupe ESC Troyes, de leur support, et financier, et logistique.
Alors, quel est mon sujet de conférence ? En vérité, j’ai du changer un peu, parce que c’est toujours la faute du gouvernement, en fait mon sujet, comme c’est marqué dans le programme, c’était surtout les zones franches, les zones de redynamisation urbaine. Cependant ce dispositif sera terminé à partir de décembre 2014. Donc cela disparait, ce qui est vraiment dommage, et on va le voir quand même, c’était un dispositif très bien, qui sera remplacé par d’autres dispositifs, entre autres par l’économie sociale et solidaire. Ce dispositif là n’est pas vraiment nouveau : on ne peut pas dire qu’il n’existait pas avant, et l’économie sociale et solidaire, d’une certaine façon, a toujours existé, elle était toujours en place. Cependant, le gouvernement actuel met vraiment l’accent là-dessus et il pense que l’économie sociale et solidaire peut être un pilier majeur pour un rebond économique, un pilier pour la croissance économique, et une alternative aux institutions traditionnelles de marché.
Alors, qu’est-ce que c’est l’économie sociale et solidaire ? (Il montre des définitions au tableau.) Ça c’est ce que l’on peut trouver sur les sites internet. L’économie sociale est solidaire est un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, etc. En fait, l’économie sociale et solidaire n’est rien d’autre que tout type d’organisation socio-économique où vous n’avez pas de distribution de profit, et où vous n’avez pas d’actionnariat, ou un propriétaire qui sera en fait récepteur résiduel du résultat de l’entreprise. C’est tout. On va voir que ce n’est pas exactement vrai non plus. Nous allons voir notamment que les coopératives sont en fait des entreprises comme toutes les autres, qu’il y a bien répartition des profits, et on trouvera même des intérêts économiques catallactiques traditionnels.
Quels sont les piliers de l’économie sociale et solidaire ? Ils sont quatre : coopérative, fondation, association, mutuelle. Ce sont les quatre piliers de l’économie sociale et solidaire.
Les coopératives, d’abord. Qu’est-ce qui va distinguer une coopérative d’une entreprise traditionnelle ? Nous voyons que pour les sources de financement, déjà, ce sont l’apport de salariés associés. Donc ce sont les salariés qui seront les propriétaires de l’entreprise désormais. Ce n’est pas très différent de l’apport des partenaires dans une SARL, ou même des actionnaires dans une SA. L’apport, ça existe toujours.
La coopérative peut s’endetter aussi, on va voir par contre que c’est limité. Elles peuvent aussi se financer avec leurs fonds propres, surtout avec les répartitions des profits dans leurs réserves, qui sont bien réglementées.
Ensuite, et c’est ça qui va vraiment changer la donne par rapport aux entreprises traditionnelles, c’est que la gouvernance c’est : un homme, un vote ; il n’y a pas de représentation proportionnelle à la participation de capital. Donc un homme, un vote, rien de plus.
Évidemment, la coopérative peut choisir une gestion traditionnelle, comme un conseil d’administration, ou un conseil directeur, etc. Cependant les décisions majeures, comme un investissement, une entrée de nouveaux associés, doit être décidée par l’assemblée des salariés associés.
L’attribution des résultats, c’est, selon la loi, un minimum de 25% aux sociétaires. Cependant, ce qui est pratiqué, c’est 40 à 50%. Il faut aussi un minimum de 16% en réserve, donc après ces 25%, 16% minimum doivent aller en réserve. Je parle surtout des SCOOP, sociétés coopératives de production. Il y a un grand nombre de sociétés coopératives, il y a les sociétés coopératives agricoles, SCCA, après il y a les SICA, SCIC, il y en a beaucoup beaucoup. Les règles peuvent changer, donc je parle surtout des principaux acteurs.
Évidemment, l’attribution des résultats est égalitaire. Comme je vous l’ai dit, il n’y a pas de répartition proportionnelle selon l’apport en capital. Il y a aussi d’autres éléments, comme par exemple une partie du capital qui n’est pas convertible, si un sociétaire part de l’entreprise. Ou aussi le fait que, ce qui va en réserve, les salariés associés ne peuvent pas le récupérer.
Il existe des avantages liés à la fiscalité, car vous avez des déductions et des exonérations. Les déductions sont sur les distributions aux sociétaires, c’est-à-dire que tout l’argent qui est distribué aux sociétaires est déduit des impôts sur les sociétés, l’IS. Et il y a exonération sur les distributions aux réserves, donc tout résultat qui est attribué aux réserves de l’entreprise ne paye pas d’IS.
Ces coopératives sont caractérisées par une résilience financière et grande dotation en fonds propre. Pourquoi ? Parce que ces exonérations et déductions fiscales sont valides si et seulement si la coopérative respecte l’attribution des résultats aux sociétaires. Si elle ne le fait pas — car elle peut éventuellement ne pas le faire — elle perd ses avantages fiscaux ; elle devient quasiment comme toute autre entreprise, et doit payer tous ses impôts, ses charges patronales, etc. Donc si elle respecte toutes les règles, elles a droit aux avantages fiscaux.
Le potentiel de production est limité, pourquoi ? Parce que justement, l’avantage de ces coopératives est justement les avantages fiscaux dont elle dispose, donc cela fonctionne vraiment comme une désincitation à l’endettement. Et cependant il y a des coopératives qui s’endettent parce que justement les salariés récupèrent l’entreprise, ils doivent rembourser quand même les actions des anciens actionnaires, et qu’est-ce qui arrive ? la coopérative va s’endetter pour payer les actionnaires. Cependant, il y a un risque que la coopérative rentre dans un cercle vicieux, où elle ne respecte justement pas la règle de composition majoritaire du capital — c’est-à-dire que 51% du capital social de l’entreprise doit appartenir aux salariés associés. Donc si elle s’endette trop, elle ne respecte plus les seuils, et plus d’exonération, plus de déduction.
Cependant, on constate que si elles respectent les règles du jeu, beaucoup de coopératives ont une très grande dotation en fonds propres, ce qui leur garantit une résilience financière face à d’autres entreprises qui sont surendettées par exemple.
L’emploi, c’est pareil, il est limité. Je dis « limité » dans le sens : si l’on veut une croissance rapide de l’entreprise ou non. À terme, peut-être que la limite n’existe pas, parce que l’entreprise se développe, et même avec ses fonds propres elle arrive à bien se développer, donc elle peut employer. Mais, étant donnés les objectifs du gouvernement, d’utiliser l’économie sociale et solidaires, les coopératives, comme un des instruments principaux de la reprise économique, elle existe. Les coopératives qu’on va créer maintenant, elles pourront difficilement embaucher du monde immédiatement. C’est très très difficile.
Une autre chose maintenant, qui est spécifique aux sociétés agricoles. C’est la contradiction sociétaire-fournisseur : c’est-à-dire que les membres de la société agricole sont en même temps fournisseurs à la coopérative de leur produit, et en même temps la coopérative leur fournit à eux leurs instruments de travail, équipements, semences, etc., et en même temps c’est la coopérative qui doit vendre les produits traités. Alors qu’est-ce qu’il se passe ? Les sociétaires veulent un prix bas pour tous les équipements qu’ils reçoivent et toutes les semences qu’ils reçoivent, et ils veulent un bon prix de vente pour leurs produits ; mais en même temps la coopérative doit faire attention à ses marges de vente, et évidemment c’est tout un problème. Je connais des gestionnaires dans les coopératives agricoles, parce que c’est comme une entreprise, ils embauchent des exécutifs, ça marche comme une entreprise. Et ils me disent que c’est vraiment l’enfer, parce qu’ils doivent tout le temps gérer une entreprise qui est dans le marché, et en même temps traiter avec ces gens là qui ne fonctionnent pas vraiment comme dans un système de marché. C’est compliqué.
Évidement, on risque une perte des avantages fiscaux si l’on souhaite un développement rapide du capital de l’entreprise. Pour ce développement rapide, il faut penser à quoi ? bien sûr il faut penser à l’endettement. D’où usage du levier. Les coopératives, si elles utilisent le levier, perdent leurs avantages. Et même la participation réglementée, le capital des actionnaires dans une coopérative, dans une SCOP par exemple, c’est tout au plus 33.3% : on ne peut pas dépasser ce niveau. Si cela arrive, la coopérative est convertie en une société par actions ou en une société à responsabilité limitée.
Autre chose, les statuts de la coopérative : ils se superposent à un statut juridique déjà existant, c’est-à-dire : société anonyme, SARL, etc. Ainsi ce n’est pas vraiment une alternative. Donc vous voyez déjà comment ces mots de « sociale et solidaire », on ne les voit déjà plus trop.
Faisons-en l’analyse : est-ce que c’est vraiment social ? Qu’est-ce qu’on entend par social ? Le gouvernement entend par social la participation de ces entités dans les organismes territoriaux, les institutions de recherche, ou qui représentent ces organismes, donc théoriquement qui vont inclure des membres de la société dans le processus de décision. C’est ça qu’ils entendent par social. Et ils ajoutent solidaire, parce qu’ils pensent que ces formes de coopératives protègent les travailleurs, parce que maintenant ils sont propriétaires. Quelle est la réalité des choses ? C’est très simple. Les coopératives embauchent des salariés qui ne sont pas associés. Et si jamais la coopérative a des soucis, elle va licencier ces salariés là. Et vous avez des coopératives énormes dans le monde, Mondragón par exemple en Espagne, où le noyau de salariés associés est finalement assez petit. Et tous les autres salariés sont exposés aux aléas conjoncturels de l’économie. Donc solidaire, bon…
Nous avons ensuite les fondations. Les fondations c’est pareil, donataires, gain de capital, etc. Parce que la fondation est dotée d’un capital qu’elle investit, mais elle a des réglementations sur comment elle doit l’investir. Mais tout gain de capital de la fondation sert à financer ses activités.
La gouvernance est habituellement un conseil d’administration ou gestion bicéphale : conseil directeur et conseil de gestion. Et de toute façon, ça fonctionne comme une entreprise. Généralement, dans les études, on associe souvent la gouvernance de fondations à la gouvernance de sociétés anonymes ou sociétés par actions.
Voyons les points suivants. Attribution des résultats : aucune. Donc pas d’IS. Tout résultat de la fondation est automatiquement reversé aux activités de la fondation. Fiscalité : exonération. Captation : fiscalité avantageuse pour ceux qui veulent donner de l’argent à la fondation. Enfin résilience financière : absence de dettes
Les désavantages, quels sont-ils ? Ils sont les mêmes que pour la coopérative. Puisque la coopérative ne va pas utiliser le levier 50 pour se développer, du coup, elle pourra difficilement avoir un développement rapide de son activité. Une chose importante, c’est qu’il faut prendre en considération le fait que les fondations sont limitées dans leurs activités. On crée vraiment une fondation pour quelque chose de très spécifique, et les avantages des fondations en France sont uniquement attribués à ceux qui ont créé des fondations qui ont des activités dites d’intérêt général. Normalement on parle de science, une activité solidaire d’aide, par exemple pour les personnes atteintes de certaines maladies, etc., et rien d’autre. Du coup, je me pose la question : comment peut-on demander aux fondations de faire le service de travail des entreprises ? Beaucoup d’entreprises ne se limitent pas simplement à un produit, elles diversifient leur portefeuille de produits, elles vont se financer de plusieurs façons différentes, alors comment une entité qui a un but très très spécifique, avec un encadrement très rigide quand même de son capital, peut alors remplacer, se substituer à une entreprise ? Cela n’est absolument pas possible.
Pour les associations, c’est très similaire aux fondations. L’avantage est que la portée de leur action est plus large. Donc on peut avoir des associations par exemple pour produire certains biens commercialement, sans aucun problème. Encore une fois il n’y a pas de distribution des résultats, tout est reversé à l’association, donc de ce point de vue pas d’IS. Mais le problème encore une fois, c’est que les associations ne sont pas, pour la plupart, des associations commerciales. Ce sont des associations avec un but précis, comme les fondations, où justement on va mutualiser les ressources des gens pour produire tel ou tel service, sans vente. On contribue tout simplement, et voilà.
Ainsi, encore une fois, le potentiel de développement d’une association est très restreint, et en vérité beaucoup d’associations ne sont en fait que des fondations en devenir. Vous voyez donc comment leur potentiel est assez limité. Par exemple, 30 millions d’amis, vous connaissez, pour les animaux, c’est une fondation : ils ont été reconnus d’intérêt général. Cependant, il existe beaucoup d’associations qui font la même chose que 30 millions d’amis, mais ils n’ont pas les mêmes requis qu’eux. Et comme vous pouvez le voir, la réglementation limite le développement des petits, même dans le monde de l’économie sociale et solidaire.
Ensuite, nous avons les mutuelles. Oui, les gouvernements considèrent que les mutuelles, et en France ce sont surtout des mutuelles de santé, d’assurance santé, sont des piliers de l’économie sociale et solidaire. Sachant qu’il y a l’une des plus grosses mutuelles en France, la MGEN, qui est complètement subventionnée. Les autres vivent comme des assurances, avec cotisations des membres. La différence, c’est encore une fois leur gouvernance. La mutuelle est gérée essentiellement par l’assemblée générale des adhérents. Ils ne se présentent pas toujours à l’assemblée générale cependant : vous vous souvenez de la dernière fois que vous avez voté dans votre mutuelle ? Jamais je n’ai voté personnellement. Jamais. Théoriquement nous sommes tous adhérents, nous pouvons aller voter, décider. Mais déjà je ne me rappelle pas de la dernière fois que j’ai été invité à une assemblée générale.
Maintenant faisons l’analyse. Quels sont vraiment les points communs de toutes ces entités ? Elles sont solides. Tant qu’elles respectent les règles, qui vont leur attribuer des avantages fiscaux, elles sont très très solides. Difficilement ces entreprises là auront-elles des problèmes dus à des variations conjoncturelles très fortes. Elles auront toujours une couche de capital garanti pour se protéger, grâce à leurs fonds propres bien formés. Évidement, ce système là protège leurs adhérents principaux, par exemple, dans une coopérative, les salariés associés, donc on peut penser qu’elles sont solidaires, mais en réalité, dans une coopérative, comme je vous l’ai dit, on peut avoir des salariés non associés, qui seront licenciés. Donc ceux-là ne sont pas protégés par la solidarité. Et la solidarité des mutuelles, par exemple, est la même solidarité qui existe dans une compagnie d’assurance traditionnelle, c’est-à-dire que c’est la dispersion du risque. Ce n’est rien d’autre. La seule différence, et voilà le point central, c’est la gouvernance. Chacune de ces entités, ce qui va les différencier des entreprises traditionnelles, c’est leur gouvernance. Pas d’actionnaire, pas de partenaire principal, pas de grand apporteur de capital, c’est ça, et pas de profit. Bien sûr le profit il est là, il existe comptablement : simplement c’est qu’il est reversé. Donc ce n’est pas vrai que ces entités là ne font pas de profit. Ils ont tout de même des marges nettes sur leurs activités. La question c’est qu’ils vont reverser ça automatiquement en réserve. Ainsi la personne morale s’enrichit, pas la personne physique peut-être, mais la personne morale est en train de concentrer du capital, et rien ne va vraiment changer de ce point de vue là.
Du coup est-ce qu’il y a vraiment, est-ce qu’il peut vraiment y avoir un développement économique comme le gouvernement le souhaite ? Cela paraît difficile. Déjà par exemple pour les SCOP, la distribution aux salariés de la génération des recettes est pratiquement la même que pour les entreprises individuelles. La plupart des SCOP ont moins de 10 salariés, comme en France la plupart des entreprises sont de très petites entreprises. Cependant la plupart des recettes est générée par des entreprises de taille moyenne et des coopératives de taille moyenne. Donc vous voyez qu’en réalité, surtout pour les SCOP, parce qu’elles sont plus commercialement orientées, elles sont vraiment harmonisées avec le marché, elles font vraiment partie du marché, auquel le gouvernement veut substituer ces entités. Donc en réalité, comment peut-on alors dire que ces systèmes là sont vraiment différents, ou sont des alternatives, à ce que l’on a aujourd’hui dans le marché ? C’est impossible. Ce n’est pas une alternative du tout. Puisque, et voilà le plus important, surtout pour les fondations et associations, leurs revenus, leurs recettes sont énormément dépendantes de la production du marché traditionnel. S’il n’y a plus de salariés, de gens qui reçoivent leurs profits, leurs intérêts, ces gens là auront moins d’argent pour justement adhérer à une association, pour faire des contributions à une fondation, et ainsi de suite. Alors on ne peut pas justement dissocier l’économie sociale et solidaire de l’économie traditionnelle. C’est tout simplement des manifestations différentes, des gouvernances différentes, dans le même monde. Il n’y a aucune différence en fin de compte en termes d’activité. Et même, leurs recettes sont liées.
Alors, un des dispositifs qui pourrait vraiment bien fonctionner, c’est ce que les Autrichiens appellent les austrian multipliers, les multipicateurs autrichiens. C’est très simple. On réduit les impôts et on réduit les dépenses publiques, en même temps, et à un niveau considérable. En France, cela a été plus ou moins pratiqué. De manière assez incroyable, il y a eu des utilisations du multiplicateur autrichien : c’est ce que l’on a appelé les zones de redynamisation urbaine, ou pardon, les zones urbaines sensibles, divisées ensuite en zones de redynamisation urbaine et en zones franches urbaines. Ces zones là, c’est quoi, c’est des quartiers appauvris, où il y a beaucoup de chômage, et avec un faible potentiel fiscal, et c’est la raison pour laquelle les gouvernements vont agir sur ces zones. Comme ils ne paient pas d’impôts de toute façon, on s’en fiche.
Les zones urbaines sensibles ce sont 2 500 quartiers en difficultés, regroupant 4.4 millions d’habitants, 40% au moins ayant moins de 25 ans, avec 18.6% de chômage (attention, c’est un chiffre de 2009), et 20% de diplômés chez les jeunes adultes — parmi les jeunes actifs, tandis que dans le reste de la France c’est 30%. Les zones de redynamisation urbaine sont 416, cibles d’exonération municipales et de travaux publics, concentrant 2/3 des ZUS. Et ce qui est vraiment intéressant, c’est les ZFU, zones franches urbaines, il y en a 100 en France. Ce sont des quartiers de plus de 8 500 habitants, et là nous avons une exonération de charges sociales et d’impôt. C’est vraiment incroyable. C’était vraiment un bon plan. Par exemple, exonération des charges sociales. Pendant cinq ans, on peut avoir 100% d’exonération. 100%. À la sixième année cela passe à 60%, ce qui n’est pas mal. Et après, cela diminue. Les petites entreprises, surtout, ont ce dispositif pendant plus longtemps, et les plus grandes pendant 8 ans. Ça existait en France. Je dis ça existait, parce qu’en décembre 2014 c’est fini.
L’allégement fiscal en question est une exonération de l’impôt sur les bénéfices. 100% d’exonération sur l’impôt sur les bénéfices pendant 5 ans. Ensuite, 60% d’exonération pendant 5 ans encore. C’est vraiment énorme. Et 40% les 2 années suivantes. Donc on en est déjà à 12 ans. Et encore 20% ensuite. Évidemment, on va compter uniquement sur les recettes réalisées dans la ZFU. Si l’entreprise, pour une raison quelconque, arrive à se développer en dehors, tout ce qui est généré en dehors ne bénéficie pas de ce dispositif.
L’allégement fiscal ne peut pas dépasser 100 000€ dans une période de 12 mois. C’est ce qui faut garder en tête ensuite, parce qu’après cela représentera un problème. Et le plafond est augmenté de 5 000€ pour chaque nouveau salarié embauché pendant au moins 6 mois.
Il existe encore d’autres allégements : la cotisation sociale des entreprises. Pareil, des exonérations tout simplement énormes. Et ce n’est pas fini. Il y a des abattements applicables à la valeur ajouté, en plus. C’est vraiment le rêve.
Et la preuve c’est cela, c’est une étude de l’ICE — ce n’est pas moi, je n’ai pas biaisé l’étude, je vous jure. Regardez : 1996, c’est quand le dispositif est créé. Il y a eu un premier dispositif ZFU, et un deuxième en 2002. Et ceci, cette courbe, nous montre l’évolution du nombre des créations d’entreprises. C’est tout simplement énorme. On passe de quelques milliers d’entreprises à 13 300 entreprises.
Vous voyez quand même qu’il y a un petit problème, non ? À partir d’un moment, 2001, il y a une stagnation. Pourquoi ? Voilà le problème. 1- Les entreprises éligibles au dispositif doivent respecter un seuil maximum d’employé, qui est de 50. Mais imaginez la croissance que je peux avoir un tel dispositif. Je peux parfois atteindre le seuil en quatre ans pratiquement, et après, je ne peux plus bouger. De toute façon en France vous savez comment ça marche les seuils de 49 salariés dépassés, ça représente une nouvelle commission à créer au sein de l’entreprise, des élections, des baisses de temps de travail. Donc de toute façon, un problème s’allie avec l’autre, et ça va tout bloquer.
2- Autre chose, l’entreprise développée en ZFU, elle ne peut qu’embaucher dans la ZFU. Si je développe mon business dans la ZFU, à un moment donné j’aurais besoin de main-d’œuvre spécialisée, et le problème c’est que dans les ZFU je ne vais pas trouver de main d’œuvre spécialisée. Seulement 20% des jeunes actifs ont un diplôme. Je ne peux pas importer. La personne doit habiter dans la ZFU. Et le problème, c’est qui veut habiter dans une ZFU ?
Ce sont des choses qui bloquent : à la fois le seuil des 50, et le fait que les employés doivent y résider. Parfois même, les plafonds d’exonération — au total, fiscal et social — ne peuvent pas dépasser 200 000€. Et pourtant il y a des business qui se développent. Il y a quelques années, je me souviens qu’il y avait un marocain je crois, ou un algérien, il s’est installé dans une ZFU, en 2 ans il a réussi à avoir un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros. C’est incroyable. Mais de toute façon ce n’est pas la ZFU qui l’a tué, c’est le fait qu’il n’avait pas de titre de séjour pour continuer.
Et tout ça, ce n’est seulement que la moitié du multiplicateur autrichien, c’est la moitié réduction d’impôts. Donc en fait, ça marche, et le gouvernement le sait. C’est eux qui ont créé ces zones.
Un autre problème qui a participé à la stagnation des ZFU c’est le dispositif Fillon d’allègement pour les bas salaires — bas et moyen salaires. En vérité, cela a permis à beaucoup d’entreprises de pouvoir jouir de certains allégements. Qu’est-ce que c’est les dispositifs Fillon ? C’est que, jusqu’à la limite de 1,4 SMIC, on peut profiter d’allégements qui peuvent atteindre pratiquement 30% des charges patronales. Donc les entreprises qui ne pouvaient pas respecter les seuils de 49, préfèrent du coup bénéficier de l’allégement Fillon, car c’est mieux que rien.
Il y a un autre problème. Beaucoup des entreprises en ZFU étaient en fait des branches crées par des entreprises plus grandes. Donc une fois qu’elles ont accès à l’allégement Fillon, elles préfèrent tout simplement quitter la ZFU.
Du coup, vous voyez, en réalité, l’État a décidé de stopper la croissance économique, le développement économique, qui va aider des gens pauvres, car c’est bien le cas : une zone géographique où vous avez 40% de jeunes de moins de 25 ans, c’est parce que vous avez un niveau de reproduction énorme, ou d’immigration, peu importe, mais en tout cas la croissance démographique est trop grande. En plus le niveau d’étude est très bas. Ce sont des zones où au minimum 60% des habitants de ZFU habitaient un HLM. Donc c’est vraiment des gens aux conditions précaires qui ont bénéficié d’un dispositif très très intéressant. Et ce dispositif sera éliminé complètement à partir de décembre 2014.
Aujourd’hui, ce qu’il nous reste, ce sont des ZRU. Posez vous la question, pourquoi BNP Paribas et les compagnies d’assurance s’installent en banlieue, ce n’est pas uniquement à cause de l’espace, c’est parce qu’il y a des bénéfices municipaux aussi : ils paient moins d’impôts, etc. Mais ça c’est les ZRU, c’est beaucoup plus limité et il y a beaucoup moins de portée pour les exonérations.
Après il y a eu un autre dispositif similaire, c’était les bassins économiques, quelque chose comme ça, et justement la Champagne-Ardenne était un bassin économique, et pouvait bénéficier d’exonérations.
Mais de toutes façons, une chose est claire, c’est qu’en France, les aides aux entreprises sont pratiquement à 90% des exonérations fiscales. Il n’y a pratiquement pas de subventions nettes. Aujourd’hui en France, les montants officiels des aides aux entreprises c’est 100 à 110 milliards d’euros, dont 90 milliards ne sont que des exonérations fiscales et rien d’autre.
Et en réalité, ces entreprises qui bénéficient de ces exonérations, elles n’ont pas un problème conjoncturel de recettes, pas nécessairement ; elles ont un problème de coûts fiscaux artificiels. C’est ça le problème des entreprises aujourd’hui en France. Elles n’arrivent pas à se développer. Et on considère, non seulement dans les gouvernements mais aussi dans l’imaginaire du peuple, on considère que ces exonérations sont des aides directes. Quand vous parlez à quelqu’un, par exemple de quelque chose de typique, les CIR, les crédits d’impôt recherche, on va vous dire, oh, mais mon entreprise elle a embauché quelqu’un qui fait rien, seulement pour toucher le CIR, oui mais c’est parce qu’elles n’y arrivent pas. Une bonne partie de la richesse française, la recherche pharmaceutique par exemple, est réalisée uniquement parce que le CIR existe, et si le CIR n’existait pas, tout irait en Suisse. Et c’est la même chose pour le CICE, qu’ils sont en train de créer. Ça n’a pas de sens. C’est un crédit d’impôt, encore une fois, qui est en relation avec l’embauche. C’est-à-dire que l’entreprise va recevoir un crédit d’impôt uniquement si elle embauche. Seulement les entreprises ont des difficultés à se développer. Donc si elles n’embauchent pas elles ne touchent pas le crédit d’impôt.
Alors pourquoi le gouvernement a-t-il arrêté son dispositif ? C’est que désormais il y a un potentiel fiscal. Au début, ils ont cru que le dispositif allait seulement bénéficier à la coiffeuse du coin, à des gens comme ça, à celui qui vendait de l’herbe dans la rue, et qui allait devenir légitime, légal ; et en réalité, non, il y avait plein d’entreprises de 30 à 40 personnes en fait. Des supermarchés, des call centers, plein de choses. Et justement le marocain ou algérien dont je parlais, c’était ça. Il avait un call center en France, c’était le seul. Et ça marchait : 5 millions de chiffre d’affaires. Ça marchait très bien.
Donc c’est vrai que cet arrêt, c’est vraiment malheureux. De toute façon, ce gouvernement, il gratte partout où il peut trouver de l’argent, et c’est pourquoi il élimine les ZFU. Donc maintenant il y a un potentiel fiscal — ou plutôt ce n’est plus un potentiel fiscal, c’est un potentiel devenu effectif, maintenant — et ils veulent justement toucher à ça. Et ça rentre en cohérence totale avec la politique actuelle, c’est-à-dire qu’ils éliminent toutes les exonérations ou aides possibles, des gens qui disposent de liquidités, de cash, donc les familles, la classe moyenne en général. En fait je crois que c’est tout le monde. Moi, cette année, je paye 1500€ de plus d’impôts. Et par exemple, la complémentaire santé, on la considère cette année comme une entrée d’argent, donc il faut payer des impôts là-dessus.
Pour revenir aux fondations, justement, la logique est bien d’éviter l’impôt. C’est un cas typique, on le voit même dans plein de films en plus, comment elles sont utilisées par des entreprises ou par des grandes fortunes, pour justement isoler une partie de leur fortune. Une bonne partie des fondations en France sont utilisées par des entreprises en réalité, qui vont transférer de l’argent, car tout l’argent qu’ils vont transférer à la fondation sera exonéré d’impôt, et probablement le président de la fondation c’est un cousin ou une fille, quelque chose comme ça. C’est l’histoire du Parrain 3.
Alors cet arrêt, oui, c’est vraiment dommage. On voit que ça fonctionne, les technocrates savent que ça fonctionne. Parce que c’est l’INSEE qui a fait l’étude, donc ce n’est pas un critique du gouvernement ou de l’État, c’est une entité, une partie, un bras de l’État qui a fait cette étude, qui a vérifié que le dispositif marche. Mais il a trop bien marché probablement. Et maintenant donc, ils vont récolter les fruits de leur investissement.
Les ZFU, ainsi, c’est arrêté, mais pas pour la raison que l’on a décrite. Parce que la raison, bien sûr, c’est comme quand vous payez des impôts, c’est pour le bien-être général, n’est-ce-pas ?
Parce que le gouvernement, il n’a pas diminué ses dépenses, il les a augmenté. Il a augmenté ses recettes, en augmentant le poids fiscal, et en intégrant des gens qui étaient exonérés d’impôts : maintenant ces gens là vont payer des impôts. Et si vous voyez bien, tous les gens qui vont bénéficier de réductions fiscales, ce sont ces mêmes gens qui avant ne payaient rien. Tandis que ceux qui payaient déjà, non seulement ils payent toujours, mais ils payent plus.
Merci pour votre attention.
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