L’Économiste Français de P. Leroy-Beaulieu. Programme

L’ÉCONOMISTE FRANÇAIS

Journal commercial, industriel et financier

Société anonyme au capital de 250 000 francs

Divisé en 500 actions de 500 francs

Ce Journal a pour but de remplir en France un rôle analogue à celui de l’Economist en Angleterre.

Il traitera d’une façon essentiellement pratique, et au fur et à mesure de leur actualité, les différentes questions qui intéressent le commerce, l’industrie, la finance, et tous les autres sujets qui paraîtront avoir un intérêt public, en dehors des questions purement politiques, dont il devra s’abstenir.

Il s’efforcera de défendre et de faire prévaloir les principes de la liberté commerciale, attaqués aujourd’hui d’une manière si funeste aux véritables intérêts du pays.

Il sera hebdomadaire et paraîtra à Paris.

Une Société sera constituée pour fonder ce Journal, au capital de deux cent cinquante mille francs. La Société pourra toutefois se constituer valablement dès que les souscriptions auront atteint le chiffre de deux cent mille francs. Il sera fait un premier appel de la moitié du montant des actions.

Le capital sera fourni par les principaux centres commerciaux, industriels, financiers et agricoles de France.

Chacun de ces centres nommera, suivant l’importance de ses souscriptions, un ou plusieurs délégués à Paris, et ces délégués réunis formeront le Conseil de direction du Journal.

Le Rédacteur en chef sera M. PAUL LEROY-BEAULIEU.


PREMIER NUMÉRO, Samedi 19 avril 1873.

Membres du Conseil d’administration de la société anonyme du journal L’Économiste Français

Armand Lalande, Vice-Président de la Chambre de Commerce de Bordeaux ;

Gustave Roy, membre de la Chambre de Commerce de Paris et du Comité consultatif des Arts et Manufactures ;

Félix Boucherot, ancien membre de la Chambre de Commerce de Paris, membre du Jury à l’Exposition de Vienne ;

Henri Fould, Vice-Président de la Chambre syndicale du Commerce d’exportation ;

Adrien de Montgolfier, ingénieur des ponts et chaussés, député de la Loire ;

Nathaniel Johnston, député de la Gironde ;

Sevène, membre de la Chambre du Commerce de Lyon ;

Flotard, député du Rhône, Vice-Président du Conseil d’administration des mines de Montrambert ;

Frédéric Dumont, négociant-armateur au Havre, ancien juge au Tribunal de Commerce de la Seine ;

Jacques Siegfried, négociant au Havre ;

Alexandre Clapier, député des Bouches-du-Rhône ;

Alexis Estrangin, directeur du Crédit agricole de Marseille, Président de la Société pour la défense de l’industrie et du commerce de Marseille.


PROGRAMME

La France possède un grand nombre de revues scientifiques et de journaux spéciaux ; il lui manquait, jusqu’ici, un journal économique pratique, qui traitât avec compétence et impartialité les questions qui intéressent la prospérité du pays. Un pareil organe existe en Angleterre, sous le nom de « The Economist ». Il s’est fait une situation importante, non seulement dans la Grande-Bretagne, mais dans toutes les colonies britanniques et jusque sur le continent européen ; il a une action considérable sur la préparation des lois et des mesures fiscales ou administratives ; il fournit à ses lecteurs un ensemble précieux de renseignements sur le mouvement des capitaux dans le pays et dans le monde entier, sur l’état des différents marchés, sur la production, la consommation et les échanges ; il offre, en un mot, avec précision, ces informations variées qui sont indispensables à l’industrie, au commerce, à la Banque, pour guider avec sûreté leurs opérations au milieu du dédale et de l’infinie diversité des faits économiques actuels.

La nécessité d’un semblable organe s’est singulièrement fait sentir en France depuis deux ans. Notre nation s’est trouvée dans une situation critique d’où sa sagesse, son économie, son ardeur au travail tendent à la faire sortir. Elle a eu à improviser toute une série de lois d’impôts ; elle s’est ainsi imposé des sacrifices gigantesques qu’elle a supportés avec patriotisme et résignation. Mais n’est-il pas permis de dire que bien des erreurs eussent été évitées si le Gouvernement, si la Chambre, si l’opinion avaient été éclairés par un organe économique pratique, étudiant à fond et avec impartialité toutes les questions, analysant tous les documents statistiques, administratifs, législatifs ? N’est-il pas permis de croire que le commerce et l’industrie de la France, exposés aujourd’hui à toutes les incertitudes d’une politique douanière mal définie, eussent tiré un précieux secours d’un organe sérieux, qui eût été pour eux, à la fois, un centre d’information et un centre d’action ?

Ces réflexions sont venues, il y a plusieurs mois, à la pensée de commerçants et d’industriels notables ; ils ont entrepris de fonder une Société pour la constitution d’un journal, qui serait appelé l’Économiste Français et qui se proposerait de tenir en France et sur la partie occidentale du continent européen, la place qui est remplie avec tant de succès en Angleterre par l’Economist anglais. Les fondateurs ont trouvé un accueil empressé dans les plus grandes villes industrielles, commerciales et maritimes de la France. En quelques semaines un important capital a été réuni : la Société de l’Économiste Français compte plus de 250 actionnaires, dont un grand nombre de députés et beaucoup de membres des chambres de commerce principales du pays. Les places de Paris, de Bordeaux, de Lyon, du Havre, de Marseille, de Reims, de Saint-Étienne sont représentées dans notre Société par les chefs de leurs maisons les plus notables.

L’Économiste Français n’est donc pas une œuvre individuelle : c’est une création collective ; ce n’est pas une œuvre d’intérêt privé, c’est un organe d’intérêt général. Nous tenons à mettre en relief ce caractère. En outre, ce n’est pas la fondation de quelques savants ou de quelques théoriciens, c’est la fondation d’hommes pratiques, appartenant aux industries les plus diverses et à toutes les parties de la France. Nul journal, nul recueil n’a eu jusqu’ici, dans notre pays, une semblable origine. Il suffit de signaler ces faits pour que l’on comprenne quelles garanties d’impartialité et de compétence à la fois présentera le journal qui va naître. Quand il traitera les questions économiques, commerciales, financières, on pourra être certain qu’il ne se propose que l’intérêt général du pays, puisqu’il n’est pas la propriété et l’œuvre d’un homme, ni même d’un groupe de quelques hommes, mais qu’il est, au contraire, l’œuvre et la propriété de plusieurs centaines de commerçants, d’industriels et de financiers les plus considérables de France.

Une des conditions imposées à l’Économiste Français, c’est de n’être pas un journal politique et même de n’avoir aucune opinion politique. Nous comptons des fondateurs et des actionnaires de toutes les opinions. Nous nous maintiendrons sur le terrain économique, où nous aurons d’autant plus d’indépendance et d’influence que nous n’en sortirons pas.

Le journal sera divisé, autant que possible, en cinq parties. La première comprendra les articles de fond sur les questions économiques à l’ordre du jour, c’est-à-dire sur les impôts, sur les finances, sur les voies de transport, sur les rapports du capital et du travail, sur les moyens de développer en France et dans le monde la production et le bien-être, enfin sur tous les sujets qui concernent le progrès matériel et qui seraient l’objet d’une discussion dans le pays, d’un projet de loi ou d’une mesure administrative.

La seconde partie de l’Économiste Français sera consacrée à l’analyse ou à la reproduction des documents officiels français ou étrangers, des rapports législatifs, des publications administratives, etc. Il y a là une mine immense à exploiter. Un des plus grands défauts de la presse et de l’administration française, c’est que la plupart des travaux officiels et législatifs restent inconnus du public qu’ils concernent. Depuis dix ans combien ne s’est-il pas fait en France d’enquêtes précieuses dont les énormes volumes dorment, vierges de tout contact humain, dans le sanctuaire des bibliothèques ? Combien ne s’en fait-il pas encore sous nos yeux qui auront la même destinée somnolente et obscure que leurs aînées ? Nous voudrions, quant à nous, qu’il ne se fît pas un rapport législatif, un mémoire administratif, une enquête officielle, sans que nous en exprimions la substance et la moelle pour nos lecteurs, sans que nous présentions sous une forme assimilable et succincte ces documents précieux qui paraissent indigestes par leur masse et par la quantité de détails exubérants dont ils sont surchargés.

La troisième partie de l’Économiste français sera consacrée aux renseignements de diverses origines et aux communications du commerce et de l’industrie. Nous désirons que notre journal soit à la fois un centre d’information et un centre d’action. Le commerce et l’industrie de la France sont, à certains égards, dans une situation moins favorable que le commerce et l’industrie de plusieurs pays voisins. Ils ne jouissent pas d’une représentation régulière qui puisse faire entendre au public et au Gouvernement leurs vœux et propager leurs idées. Nous avons des chambres de commerce, mais elles sont isolées et elles ne communiquent pas les unes avec les autres. Nous voudrions que l’Économiste Français leur servît de lien et, en quelque sorte, de tribune. Ce vœu n’est pas présomptueux, car nous comptons plus de deux cent cinquante actionnaires, dont la plupart sont des commerçants et des industriels notables des cinq ou six villes les plus importantes de France.

Une quatrième partie sera affectée exclusivement au classement des informations commerciales, industrielles et maritimes. Nous userons du plus grand zèle pour grouper tous les renseignements sûrs et récents qui peuvent intéresser les industriels et les commerçants. Nous aurons des correspondances régulières des villes les plus importantes de France ; nous recevrons des communications des divers pays étrangers, non seulement de ceux qui sont nos voisins, mais de ceux mêmes qui sont le plus éloignés et avec lesquels la France est en rapport d’affaires. Des relations nombreuses dans le monde industriel et commercial, la situation importante des fondateurs et des membres de notre Société, la connaissance des diverses langues, permettront à notre journal de tenir ses lecteurs au courant de l’état actuel des divers marchés du monde.

Enfin, dans une cinquième partie, nous classerons et nous étudierons les faits financiers. On n’attend pas de notre journal, qui est une œuvre de fondation collective et d’intérêt général, qu’il se mette au service d’intérêt privés. Nous ne nous proposons pas de faire des affaires ni d’en indiquer à nos clients ; nous ne conseillons pas d’arbitrages, nous ne soutenons pas d’émissions. Ce que nous voulons, c’est donner le sens des grands mouvements de capitaux, c’est indiquer et expliquer les cours du change et les bilans des Banques, non seulement en France, mais en Europe et en Amérique ; c’est mettre le public au courant de la situation réelle des grandes entreprises ; c’est annoncer et prévenir, s’il est possible, les crises financières. C’est à ce point de vue général que nous jugerons et décrirons les faits financiers.

On se plaint beaucoup, depuis quelques années, que les Français ne connaissent pas assez les pays étrangers. Nul ne ressent plus que nous combien est funeste cette lacune dans l’éducation nationale. Un peuple qui veut être grand doit déborder au dehors et en outre s’assimiler toute ce qui est beau et utile dans les pays voisins. Aussi, nous n’épargnerons aucun effort pour tenir nos lecteurs au courant de toutes les institutions nouvelles, de toutes les réformes, de tous les progrès et de toutes les tentatives qui se feront à l’étranger dans le domaine économique, industriel, commercial et financier. L’un des objets principaux de notre journal, c’est de faire connaître l’étranger à la France.

Tel est le programme que l’Économiste Français se propose. Il n’épargnera rien pour le réaliser. S’il n’y réussit pas dès le premier jour, il profitera de l’expérience pour se perfectionner sans cesse, et il s’efforcera ainsi de contribuer à la régénération matérielle et morale de la France.

 

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