Un nouveau projet de tunnel sous la Manche étant sur la table, les économistes de la Société d’économie politique rappellent que la peur anglaise de l’envahissement, qui avait fait stopper les premiers efforts, n’est pas raisonnable, compte tenu des aménagements très complets et très sages prévus par les ingénieurs. La question du coût ne doit pas non être de nature à intimider car, outre que la compagnie du tunnel sous la Manche opérerait sans subvention ni garantie publique, le total des travaux ne représenterait « que la dépense des frais de guerre de chaque nation pendant deux jours ». Ces craintes écartées, rien ne devait empêcher la France et l’Angleterre de consentir à cette œuvre de progrès, qui raccourcirait les distances et assemblerait les peuples européens dans une concorde qu’au niveau politique on s’apprêtait à promouvoir avec le projet de Société des Nations.
LE TUNNEL SOUS LA MANCHE ET SON INFLUENCE ÉCONOMIQUE
Réunion de la Société d’économie politique, 5 juillet 1916
Ce sujet, dit M. J. Sabatier, a déjà eu l’attention de notre Société ; notre fondateur, le grand Michel Chevalier, dirigea la première compagnie ; il eut pour successeur MM. Léon Say, Paul Leroy-Beaulieu et notre savant collègue Griolet.
Nous avons la gloire de mentionner comme protagoniste du projet l’ingénieur français Thomé de Gamond qui, dès 1857, en présenta une étude complète et tangible.
Des pourparlers commencèrent entre les gouvernements quand la guerre de 1870 vint tout interrompre. Après plusieurs années, des essais furent poursuivis des deux côtés du détroit ; chaque galerie commencée confirmait la possibilité du travail, quand s’éleva l’opposition imprévue du Marshall Garnet Wolseley, qui jouissait alors d’un grand prestige.
Il manifestait la crainte, bien chimérique, de voir son pays envahi à l’improviste par l’armée française. Il admettait que, sans déclaration de guerre, nos soldats déguisés en touristes viendraient la nuit, par le tunnel, se rendre maîtres de l’ouverture et accaparer ainsi ce territoire qui, grâce à son insularité était resté inviolable. On aurait tout d’abord pu objecter qu’il est plus aisé de combattre une invasion quand on sait où elle doit avoir lieu que quand on ignore où le débarquement peut se produire. Ce principe de la protection par la mer fut développé et exploité d’une manière tellement exagérée que les Anglais en furent un peu effrayés, bien qu’ayant reconnu tous les profits qu’ils pourraient retirer de l’entreprise.
Sir Edward Wathins, directeur de la Compagnie anglaise, avec lequel je fus en relations, se vit, malgré ses efforts, ses arguments si probants, refuser en 1882 l’autorisation de continuer les travaux.
Cette interdiction donna naissance à d’autres projets : le pont sur la Manche et les Ferry-boats, énormes bacs construits pour embarquer un train dans toute sa longueur. Ce second projet ne supprime ni les malaises du mal de mer, ni les dangers des collisions dans ce détroit si resserré, ni les incertitudes dues aux tempêtes et aux épaisses brumes. En cas de guerre, quelques torpilles dormantes suffisent pour arrêter la navigation au moment où le plus grand besoin s’en fait sentir, tandis que le tunnel par sa profondeur reste indemne.
En France, il n’y eut aucune dissidence, et notre Compagnie attend patiemment les événements en constatant que sa galerie d’essai se comporte remarquablement bien.
Les trente-quatre années qui viennent de s’écouler ont bien changé les choses, l’opinion anglaise s’est grandement modifiée et les partisans du Submarine railway se recrutent chaque jour plus nombreux. Beaucoup de membres du Parlement se sont, non seulement ralliés au projet, mais en sont devenus les défenseurs. Quand le chef de Cabinet reçut leur groupement, M. Asquith les assura qu’il n’était nullement opposé à cette œuvre, mais qu’il fallait attendre la décision de l’Imperial defence Commitee. Or, ce comité devait présenter son rapport en 1914, lorsque la brutale déclaration de guerre vint de nouveau ajourner la solution. Cependant, les événements de la tragique tourmente que nous traversons viennent d’augmenter les chances de cette vaste conception. Il est démontré que la défense du Royaume-Uni ne réside plus exclusivement dans sa ceinture de mer et, il y a douze jours, l’honorable et très clairvoyant M. Fell déposait une motion à la Chambre des communes, montrant les grands services que sa patrie et les Alliés auraient obtenus de cette voie nouvelle. L’heure, disait-il, était venue pour le gouvernement d’en approuver la construction, afin que les travaux puissent commencer aussitôt la guerre terminée, et dès que la main-d’œuvre pourra être obtenue ; nous sommes donc à la veille d’entrer dans la réalité des faits.
Étudions un instant les travaux. L’isthme qui, dans les temps préhistoriques, unissait les deux territoires, s’est abaissée par suite des mouvements et des érosions ; 7672 sondages ont révélé dans ses détails la couche géologique cénomanienne d’une épaisseur de 50 mètres et imperméable ; en épousant ses ondulations, le tunnel devra s’y maintenir.
En jetant un regard sur le dessin schématique reproduit ci-contre, pour se relever et se diriger vers Douvres et Folkestone, ce tunnel qui sera le plus long existant aura 51 kilomètres, dont 33 sous la mer.
Après de patientes études, sous la direction de notre dévoué collègue Sartiaux, ingénieur en chef du Nord, il a été décidé qu’au lieu d’une grande voûte, comme celle du Métropolitain, seraient creusés deux tunnels cylindriques distants de 15 mètres et reliés par des rameaux transversaux.
Mais préalablement, une galerie indépendante sera établie en dessous, pour explorer et assurer le tracé définitif ; elle sera utilisée aussi pour les mouvements des 1200 ouvriers, pour l’évacuation des déblais, pour l’écoulement des suintements d’eau et pour permettre d’attaquer le travail sur plusieurs sections à la fois.
La nature semble avoir rendu la tâche facile, dans ce terrain qui se laisse entamer sans difficulté. Lors de ma visite aux travaux, je me rappelle avoir éprouvé une certaine surprise en étant mouillé, lors de la descente du puits, par des infiltrations terrestres, alors qu’arrivé dans la galerie s’étendant à 1600 mètres sous la mer, on se trouve dans une partie étanche tout à fait au sec.
La mer n’ayant que 50 mètres de profondeur, le tunnel cheminera à 100 mètres au-dessous de son niveau ; on avancerait de 20 mètres par jour, donnant une moyenne de 6 kilomètres par an ; on pense achever les travaux en cinq ans. Des obstacles se présenteront, mais grâce aux progrès scientifiques, aux perfectionnements des machines, on arrivera à les surmonter.
Parlons des satisfactions stratégiques qui ont été soumises par les ingénieurs pour calmer les craintes des offices de la Guerre et de l’Amirauté britanniques. Si nombreux et si efficaces sont ces moyens que nous n’en citerons que quelques-uns. Une poignée d’hommes sûrs et quelques dispositifs de mines bien placées suffiraient pour bouleverser l’ouverture et créer une inondation locale. Le déplacement d’une simple aiguille de la voie provoquerait un déraillement et causerait par l’amoncellement des voitures brisées l’obstruction complète de cet étroit passage de 6 mètres de diamètre. L’arrachage ou coupure des conducteurs électriques, la destruction d’une pièce de la machinerie, suffiraient pour arrêter l’éclairage, la ventilation rendant le tunnel inutilisable. Une disposition donne toute sécurité, car c’est l’usine génératrice sur la côte anglaise qui fournirait le courant pour remorquer le train partant de France et vice-versa, toute traction serait donc impossible sans le consentement de l’autre partie. Un viaduc se déployant en fer à cheval continuerait pendant 2 kilomètres l’orifice du tunnel, de sorte que sous tous les angles, un vaisseau anglais pourrait en quelques coups de canon anéantir cette approche.
Considérons rapidement le côté financier : en estimant à 7 millions le prix du kilomètre, la dépense globale est évaluée à 400 millions de francs, partagés entre les deux compagnies.
Nous sommes habitués depuis quelque temps à ces sommes élevées, car ce chiffre ne représente que la dépense des frais de guerre de chaque nation pendant deux jours.
La Société française a donc été constituée au capital de 200 millions divisé en 400 parts, la moitié souscrite par la Compagnie du Nord, le quart par MM. de Rothschild frères. La Société anglaise formée sur les mêmes bases, est présidée par le baron d’Erlanger, assisté d’un comité de direction.
Les 130 000 voyageurs et le trafic des marchandises pourront produire 38 millions de francs ; les frais d’exploitation s’élevant à 10 millions, 28 millions resteront pour rémunérer le capital. Les cinquante trains (voyageurs et marchandises) qui commenceront à circuler par jour, atteindront bientôt cent cinquante, augmentant le rendement. Il est à remarquer que ces compagnies sans subvention, ni garantie, donneront des intérêts de 6 à 8 p. 100.
En examinant les avantages économiques, nous voyons que le trajet sous le tunnel ne prendra qu’une demi-heure ; une grande économie de temps sera obtenue par la suppression de l’embarquement et débarquement des passagers, par la suppression du chargement et déchargement des innombrables bagages et sacs postaux.
La capitale anglaise ne sera plus qu’à cinq heures et demie de notre ville, pas plus éloignée que Bruxelles.
En montant dans son wagon à Londres vers huit heures du matin, le voyageur en descendra à Paris à une heure et demie, y passera tout son après-midi et pourra repartir à six heures pour être de retour chez lui avant minuit. En s’abritant du vent, du froid et de la pluie, il aura économisé une journée, épargné des frais d’hôtel et surtout esquivé les souffrances du mal de mer. Nous devons faire remarquer que dans ce détroit si resserré, la mer est mauvaise deux cents jours par an ; cette indisposition est si pénible qu’elle restreint considérablement le nombre des voyages, car ceux-ci, proportionnellement au nombre des habitants, à leurs importantes relations, devraient être beaucoup plus fréquents. Les facilités offertes les augmenteront rapidement.
Un progrès correspondant s’ensuivra dans le service de la poste ; une lettre partant le matin de Paris, serait distribuée dans la journée à Londres. La réponse écrite le soir pourrait donc être reçue dans notre cité le lendemain matin, réalisant ainsi un gain bien précieux de vingt-quatre heures.
Les avantages pour le transport des marchandises périssables sont évidents.
Cependant, la voie maritime sera toujours assurée d’un fret important pour les marchandises lourdes et encombrantes. Il n’y aura donc pas accaparement et la marine marchande ne sera pas sacrifiée.
Ne devons-nous pas nous préparer dès maintenant à la lutte économique qui va, sans répit, commencer, et augmenter nos moyens d’action en vue de l’après-guerre. Aussi les conférences des pays alliés qui siégeaient ces jours-ci ont formulé des vœux pressants pour que les améliorations dans les transports internationaux fussent rapidement exécutées. Qu’attend l’Angleterre pour faciliter ses rapports avec 400 millions d’habitants du continent ?
Combien différent aurait été le raisonnement de Lord Wolseley si, au lieu de céder l’île d’Héligoland à la Prusse, on eût conjecturé une guerre avec l’Allemagne. Si le Kaiser avait jugé des hostilités probables avec son cousin germain George V, combien méthodiquement auraient été organisées de nombreuses flottilles de sous-marins et de multiples escadrilles d’aéronefs.
S’il a été possible à la Germanie d’être ravitaillée et de recevoir de la contrebande, c’est qu’elle était en contact avec des nations neutres plus ou moins bienveillantes, alors que le blocus d’une île est une opération relativement simple, sinon aisée.
Personne n’ignore que la Grande-Bretagne consomme 15 000 tonnes de blé par jour, qu’elle ne peut, par elle-même, suffire à ses besoins et qu’elle n’avait réservé que six semaines de vivres. Une grande partie de ses unités navales eurent la première et indispensable tâche de protéger et de convoyer les milliers de navires de commerce amenant de toutes les parties du monde les 15 000 tonnes nécessaires à la nourriture quotidienne ; autrement la disette générale s’ensuivrait, la famine venant imposer une paix inévitable.
Si, au contraire, nous admettons l’hypothèse du tunnel terminé, rendant indépendante la flotte de guerre dans son entier, les subsistances transitaient par nos ports de l’Océan et de la Méditerranée, et les corps expéditionnaires du Canada, des Indes, de l’Australie se rendaient sans périls aux emplacements qui leur étaient désignés. Combien d’événements auraient été modifiés.
En concluant, il faut nous pénétrer que la guerre est une circonstance exceptionnelle et que dans la vie des nations, la paix est une période normale et bienfaisante, s’étendant heureusement durant de nombreuses années. C’est alors que sera ressentie la favorable influence de cette grande communication sous-marine.
N’ayant ni le même sol, ni les mêmes productions, nos pays se compléteront en échangeant ce qui leur manque. Ces voisins si liés par leurs intérêts, si associés par la communauté de leurs deuils, se rapprocheront plus étroitement. Aussi cet anneau de la chaîne qui doit les unir restera-t-il la grande entreprise du vingtième siècle.
M. Moutier, chef des services techniques de la Compagnie des chemins de fer du Nord, insiste surtout sur les conditions techniques d’exécution du tunnel. Il indique que, depuis le projet élaboré au début, les moyens d’exécution ont singulièrement progressé. Tout d’abord, il est nécessaire de procéder autrement que pour la construction des tunnels dans une montagne. Pour ces derniers, on entame le travail aux deux extrémités en allant en remontant de façon à arriver à une hauteur maxima au milieu. De cette façon, onutilise la loi de la pesanteur pour favoriser l’évacuation des déblais et des eaux.
Pour un tunnel sous-marin, il faut prendre d’autres dispositions. Suivant les indications très ingénieuses de M. Breton, on a pensé à établir une galerie d’écoulement construite comme les tunnels sous les montagnes. Cette galerie d’écoulement sera creusée la première : elle aura 3 mètres de diamètre environ. De cette galerie, prise pour base, on construira des rameaux qui permettront d’entreprendre la construction du tunnel en un assez grand nombre de points, en allant du milieu vers les ouvertures.
Grâce aux travaux de MM. Potier et de Lapparent, on a pu déterminer les couches qui se superposent au-dessous de la mer. Parmi elles, il en est une, le cénomanien, qui est continue, assez friable pour être forée facilement et assez résistante pour ne pas ébouler. Cette couche a 50 mètres d’épaisseur ; et dans cette couche, il faut placer la galerie d’écoulement ; les rameaux et le tunnel. Or, la couche n’est pas rectiligne, il faut épouser ses sinuosités. Cette obligation eût été un obstacle pour la traction à vapeur, mais aujourd’hui, avec la traction électrique, ce n’est plus une difficulté.
On s’est préoccupé de la ventilation, étant donné que le tunnel aura environ 53 kilomètres de longueur ; on s’est demandé s’il ne serait pas nécessaire d’établir de puissants ventilateurs. Il n’y aura pas de meilleur ventilateur que les trains eux-mêmes. Avec la traction électrique, on aura un air moins vicié qu’avec la traction à vapeur ; on établira néanmoins des ventilateurs, mais il ne semble pas qu’on aura beaucoup à y recourir.
Le tunnel ne comportera pas une seule galerie comme le métropolitain : il en aura deux, une pour chaque voie, ce qui est beaucoup plus solide. La matière dans laquelle on creusera les deux galeries est telle qu’il n’y aurait pas besoin de revêtement ; elle est imperméable et sera très solide, la galerie ayant la forme cylindrique qui est la plus favorable pour la solidité. On fera néanmoins un revêtement à la confection duquel la matière extraite pourra être employée.
Dans le tunnel une fois exécuté, les trains pourront se suivre à dix minutes, ce qui donnera un trafic considérable ; c’est par des évaluations de ce trafic que M. Moutier a terminé son très intéressant exposé.
M. Fell dit qu’il ne veut parler que de l’opposition rencontrée par le projet en Angleterre et des efforts faits en sa faveur. Membre duParlement depuis onze ans, il a été pendant six à sept ans sans entendre parler du tunnel. En 1913,il étudie soigneusement le projet et écrit une brochure où il montre les avantages commerciaux et stratégiques de l’œuvre. Il a écrit dans cette brochure que la garantie de l’indépendance de la Belgique constituait pour l’Angleterre une obligation que le tunnel aiderait à remplir. M. Fell a constitué un comité de députés favorables au tunnel. Ce comité, dont il est président, renferme des députés de tous les partis et, proportionnellement à l’importance de chaque parti : 50 libéraux, 50 conservateurs, 20 irlandais, 5 travaillistes.
Le comité a eu un entretien avec M. Asquith. Le premier ministre a répondu qu’il devait réserver sa réponse, le comité de défense nationale et le cabinet étudiant la question. Sur ces entrefaites la guerre éclata et l’Angleterre fut entraînée dans le conflit. Depuis le début des hostilités, le comité n’a rien fait d’important. Le moment est arrivé, dit M. Fell, où l’on aperçoit la paix à l’horizon ; il faut se mettre à l’œuvre, car il faudra du temps pour préparer le travail. Les députés anglais n’ont pas beaucoup à faire en ce moment, il faut en profiter, car cela ne durera pas. Au point de vue technique, on a réalisé des progrès qui faciliteront la réalisation du travail ; c’est ainsi qu’à Londres on construit les tubes de plus en plus promptement.
Le comité s’occupe de questionner le gouvernement à ce sujet. Malheureusement deux hommes considérables, très favorables au tunnel ont disparu, lord Kitchener et lord Roberts ; mais au Parlement la plupart des jeunes députés sont pour l’exécution du travail.
En terminant, M. Fell dit que les Anglais admirent l’impassibilité de la France sur cette question ; elle n’a pas essayé de nous forcer la main. Aujourd’hui les deux pays sont liés par le sang de leurs soldats bien mieux que par un traité et le tunnel sera fait.
M. Griolet rappelle qu’avec M.Paul Leroy-Beaulieu il travaille au tunnel depuis quarante ans. En1875, le projet ne rencontrait d’opposition ni en France, ni en Angleterre ; une conférence eut lieu entre les deux ministères des Affaires étrangères, un accord s’établit et une concession fut accordée en décembre 1875. En France, une société fut constituée qui comprenait M. Michel Chevalier et M. Léon Say ; elle était au capital de 2 millions de francs. Depuis on a fait des dépenses supplémentaires pour une somme de 1 250 000 fr. La concession est acquise. En Angleterre, malheureusement, la société n’a pas pu se constituer par suite de la rivalité entre les deux compagnies de chemins de fer qui venaient à la côte. M. Griolet raconte alors les efforts du South Eastern pour faire le tunnel à son compte, l’intervention du juge pour arrêter les travaux.
En France, un puits a été creusé et une galerie de 1600 mètres construite sous la mer.
La société française, dit M. Griolet, a toujours eu le scrupule de peser sur l’opinion anglaise. L’utilité militaire et l’utilité économique de l’entreprise ne sont pas niables. La marine de guerre, si le tunnel avait existé, n’aurait pas eu à convoyer tant de bateaux, les frets eussent été moins élevés. D’autre part, rien ne serait plus favorable à la marine au long cours anglaise, que le tunnel pour l’écoulement des marchandises en entrepôt en Angleterre.
M. Pierson émet le vœu que quand le tunnel sera établi, le trafic ne soit pas entravé par les droits de douane.
M. Paul Leroy-Beaulieu fait remarquer que le projet de tunnel est en quelque sorte un enfant de la Société d’économie politique, la société concessionnaire ayant compté parmi ses fondateurs MM. Michel Chevalier et Léon Say, tous deux anciens présidents de la Société. Aujourd’hui encore font partie du sous-comité deux membres de la Société : M. Griolet et votre président.
Les objections de l’Angleterre, à moins qu’elles ne soient d’ordre sentimental, ce qui ne comporte pas de discussion, se comprennent assez difficilement en temps de guerre et en temps de paix. Avec l’expérience de cette guerre, on peut très bien concevoir qu’en ayant affaire à un adversaire qui s’y serait bien préparé en multipliant les sous-marins, l’Angleterre serait littéralement affamée, étant dans l’impossibilité de se ravitailler. Le tunnel permettrait d’éviter ce danger. Sa non-existence a coûté peut-être près de 6 milliards aux Alliés et sa construction n’aurait demandé que 400 millions. Il y a grand intérêt, comme l’a dit M. Fell, à ce qu’on se prononce très prochainement sur cette affaire, car il y a des variantes à opérer au plan primitif ; c’est ainsi ‘que la sortie en viaduc, naguère prévue, doit être supprimée, etc.
La hausse des frets s’atténuera à la paix, mais elle ne disparaîtra pas complètement et devra se prolonger, c’est encore une raison pour agir.
Il convient de ne pas renvoyer la solution de cette affaire à une époque lointaine, où les sentiments actuels seraient atténués. La séance est levée à dix heures et demie.
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